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Aujourd'hui, à Mirepoix : vestiges de l'ancienne France et de la France révolutionnaire, sous les couverts

 

Dans La Révolution de 1789 à Mirepoix (Ariège), Joseph-Laurent Olive rassemble les informations tirées de documents trouvés sur place : actes antérieurs à la Révolution, lettres et discours relatifs à la période révolutionnaire, livre de raison de ses ancêtres Rouger, dont Jean-Marie-Raymond Rouger, maire de Mirepoix du 2 décembre 1792 au 12 octobre 1793, et du 27 décembre 1793 au 8 mars 1794. Il tire de cette documentation la substance d'un livre d'histoire passionnant.

 

Aujourd'hui, à Mirepoix : un café sous les couverts

 

J'ai eu l'impression que c'était hier, car les noms des principaux protagonistes me parlent, je les connais. Ces noms figurent sur les tombes, dans le vieux cimetière de Mirepoix, au pied de la petite église Notre-Dame et Saint Michel. Ils figurent aussi sur les modernes enseignes, les sonnettes des maisons. Ce sont, par voie de transmission, les noms des mirapiciens d'aujourd'hui. Les siècles se confondent... Joseph-Laurent Olive ajoute à la première édition de son ouvrage cette note émouvante :

J'évoquerai aussi parfois les anecdotes que ma bisaïeule, Julia Casse, me racontait quand j'étais enfant, persuadé que la tradition orale renferme toujours une part de vérité.

 

Aujourd'hui, à Mirepoix : gargouilles servant de perchoir aux pigeons, sur la cathédrale Saint-Maurice

 

 

 

Aujourd'ui, à Mirepoix : fresque peinte au plafond d'un café, sous les couverts

 

Très loin de Paris, une petite bourgade, d'apparence tranquille, quoique travaillée de longue date par des dissensions internes, s'engage dans le mouvement révolutionnaire et, à cette occasion, règle ses comptes. La consultation des archives de Mirepoix montre qu'à l'échelle de cette bourgade reculée, la Révolution tient à la fois de l'universel et de Clochemerle. Le mélange des genres est parfois tragique, puisque, outre Charles-Philibert de Lévis, ci-devant comte de Mirepoix, arrêté sur dénonciation, accusé d'avoir suspendu le travail de ses forges - qui manquaient en réalité de matières premières -, condamné par le Tribunal révolutionnaire le 8 prairial an II (27 mai 1794) et guillotiné le même jour, quelques mirapiciens de bonne volonté seront déférés à Paris et incarcérés, sur ordre du Tribunal révolutionnaire, pour cause de modérantisme, de fédéralisme, ou de fanatisme supposés.

Le livre de Joseph-Laurent Olive est trop riche pour que je puisse en rendre compte de façon complète. Je me bornerai donc à évoquer ici la suite d'événements survenus à Mirepoix en l'an II (1794).

L'année commence, pour la France, avec la reprise de Lyon, l'écrasement des Vendéens, les victoires remportées sur les Prussiens et les Autrichiens. Le péril intérieur et le péril extérieur sont conjurés [...]. Seuls les Espagnols occupent encore une partie des Pyrénées orientales, mais l'arrivée prochaine de l'armée rendue disponible par la prise de Toulon va permettre de libérer rapidement cette dernière portion du territoire.

Le 18 nivôse an II (7 janvier 1794), le conseil général de Mirepoix célèbre la prise de Toulon, pour faire éclater la joie des Français, puisque non seulement nous avons humilié l'orgueil des satellites du despote anglais et du tyran espagnol, mais en outre nous voyons refluer vers Perpignan l'armée victorieuse...

Le 19 nivôse, on tire, au soleil couchant, trois coups de canon. Le 20 nivôse, au lever du soleil, on tire encore trois coups de canon. A midi, on se transporte en masse au pied de l'arbre de la liberté, et l'on chante l'hymne des Marseillais.

Le 20 janvier 1794, Paganel, représentant du peuple, député par la Convention nationale près le département du Lot, du Lot-et-Garonne, de la Haute-Garonne et autres circonvoisins, quitte Mirepoix, où il était venu entendre le réquisitoire formulé par les délégués des sociétés populaires contre les excès de certains commissaires civils, blâmer les opérations épuratoires faites mal à propos, et promouvoir la clémence en faveur des citoyens accusés de délits d'opinion ou incriminés sur la base de dénonciations calomnieuses. Il laisse ainsi le champ libre à Vadier, l'implacable député de l'Ariège, ami de Fouquier-Tinville, qui, la même année, obtient de ce dernier la condamnation à mort d'une dizaine d'habitants de Pamiers auxquels, pour des raisons privées, il voue une haine inexpiable.

En janvier et février 1794, après qu'à Mirepoix, quelques aristocrates se sont permis d'insulter les citoyens qui célébraient la fête en l'honneur de la prise de Toulon, des troubles, fomentés, dit-on, par ceux qui ont bénéficié de la clémence de Paganel, surviennent ça et là en Ariège. Ces troubles suscitent, le 11 ventôse an II (1er mars 1794), la venue de Chaudron-Rousseau, représentant du Comité de salut public, de Comeyras et Combes, ses adjoints, et de Comtat, commissaire de guerre. Sillonnant l'Ariège, Chaudron Rousseau mène simultanément action de propagande et travail d'épuration. Il laisse aux sociétés populaires et aux comités de surveillance épurés le soin d'apprécier la conduite des notables et de signaler, le cas échéant, la tiédeur ou le mauvais esprit de certains d'entre eux. Partout, il rassemble les citoyens dans les temples de la Raison et prône, au sein de ces derniers, le respect du décadi comme jour de repos, en lieu et place du dimanche :

Ce jour doit être partagé entre l'instruction et le plaisir. Les matinées seront consacrées à l'instruction ; les citoyens les plus instruits expliqueront au peuple les droits de l'homme et du citoyen, ils leur parleront de la superstition et de la jonglerie des prêtres. Les après-midi seront consacrés à la danse, divertissement honnête, propre à amuser les sans-culottes et les jeunes citoyens ; la nation supportera les frais de violon.

Le 18 ou 19 ventôse an II (8 ou 9 mars 1794), Chaudron-Rousseau engage à Mirepoix le processus d'épuration de la société populaire, de la municipalité et de l'administration du district.

A Mirepoix, j'ai cassé et recréé la société populaire ; l'ancienne était infestée d'aristocrates, et elle l'était encore plus d'ignorance [...]. Elle se croyait une fraction du souverain et, en cette qualité, supérieure aux représentants du délégué de la Convention nationale ! La nouvelle ne retombera pas dans cette erreur ; elle ne renferme pas un seul aristocrate, et elle rassemble toutes les lumières de Mirepoix, avec les patriotes les mieux prononcés.

A la tête du comité de surveillance, Chaudron-Rousseau, place Gabriel Clauzel, marchand de draps, principal fer de lance du mouvement révolutionnaire mirapicien, à ce titre, redouté et chansonné par la fraction de l'opinion plus modérée qui soutient le parti de J. M. R. Rouger, avocat, maire de Mirepoix depuis 1792.

 

 

 

La rivalité qui oppose les deux hommes remonte à 1787, date à laquelle Gabriel Clauzel entre au conseil municipal de Mirepoix, dont Etienne Rouger, notaire, père de J. M. R. Rouger, constitue l'un des membres les plus actifs. Gabriel Clauzel s'érige, au sein de ce conseil, en porte-parole de l'opposition naissante.

Le vol qui se produit aux archives municipales de Mirepoix, dans la nuit du 8 au 9 juin 1788, sera exploité par l'opposition, qui s'efforce d'en grossir l'importance. Dans l'affolement qui suit la découverte du vol, on croit disparus des papiers très importants de la communauté et, en particulier, les titres concernant les privilèges des habitants, confirmés par les rois, leur donnant droits d'usage dans certaines des forêts appartenant au marquis de Mirepoix. Mais, vingt jours après, on retrouvera une partie de ces documents sur une table, sous de vieux cadastres.

Attesté par un écrit anonyme, le vol porte la signature suivante : Patriotes curieux. L'écrit anonyme dit en substance ceci :

[...] On a écarté des titres, papiers et documents que la communauté a contre le seigneur de Mirepoix ou on a décidé de n'en faire aucun usage.

[...] Les consuls fabriquent les pièces, ils ajoutent aux délibérations, ils traitent les affaires en cachette, contre les règlements, c'est un complot fait entre les consuls et les commissaires de la subvention de ruiner la communauté.

Voilà comment on nous a monté l'esprit à la téméraire curiosité de vouloir, à quel prix que ce soit, voir par nos yeux les papiers des archives.

Rejetant la responsabilité de ce vol, commis sans effraction, sur les membres du conseil municipal qui détenaient, au moment des faits, les clés de l'armoire des archives, l'opposition, dirigée par Gabriel Clauzel, se servira de ce motif, jusqu'en 1794, pour menacer de poursuites judiciaires les membres du dit conseil et contester à moindres frais l'autorité de ce dernier.

L'affaire est obscure, par certains côtés clochemerlesque. Elle révèle toutefois la fracture qui s'opère, au sein de la micro-société mirapicienne, entre la classe montante, représentée par Gabriel Clauzel, drapier entreprenant, qui revendique de participer à l'administration de la cité, et la caste des gens de robe, souvent commensaux de l'aristocratie locale, qui défendraient, dit-on, les intérêts de cette dernière et trusteraient à cette fin le pouvoir municipal. Fils d'un membre éminent du conseil municipal, J. M. R. Rouger, qui exerce à partir de 1792 la fonction de maire, incarne volens nolens aux yeux d'une fraction de l'opinion mirapicienne cette caste suspectée de collusion avec une minorité de moins en moins respectée. L'affrontement des deux hommes, qui se prolongera jusqu'en 1794, illustre, par effet de mise en abîme, celui des Girondins et des Montagnards, par là celui des modérés, fourriers de la révolution bourgeoise, et des enragés, partisans de l'utopie robespierriste.

 

Aujourd'hui, à Mirepoix : demeure de Gabriel Clauzel, rachetée à la confrérie des Pénitents bleus, rue Maréchal Clauzel

 

 

 

 

Le 19 ventôse an II (9 mars 1794), Chaudron-Rousseau, qui réprouve les mesures tolérantes prises par Paganel concernant l'utilisation des lieux de culte, nomme Jean-Baptiste Fontès maire de Mirepoix, en lieu et place de J. M. R. Rouger, qui s'est opposé au changement d'affectation de la cathédrale.

Gabriel Clauzel, responsable du comité révolutionnaire de surveillance de Mirepoix, milite quant à lui pour la suppression de l'exercice du culte. Fort de l'aval de Chaudron-Rousseau, il tente de faire arrêter le curé assermenté J. P. Mailhol, très estimé de la communauté mirapicienne, par ailleurs beau-frère d'Etienne Rouger. Faute de pouvoir saisir J. P. Mailhol, qui a fui dans l'Aude, il fait incarcérer Marie-Xavier Mailhol, épouse d'Etienne Rouger. Finalement appréhendé le 15 mars 1794, J. P. Mailhol sera libéré le 20 ventôse an III (10 mars 1795).

Depuis sa prison, J. P. Maihol adresse au Comité de Sûreté générale de la Convention nationale et aux juges la pétition émouvante dont je cite ici quelques extraits :

Lisez, citoyens, j'exposerai seulement les faits, les époques, et vous reconnaîtrez qu'on a surpris la justice de Rousseau, que je méritais des récompenses, non des peines, et que tout mon crime est d'avoir un ennemi accrédité [...].

La République française ne me laissera point sans pain, sans moyens d'étude, dans la solitude que je réclame, après plus de 40 ans de services rendus à l'Eglise, à l'Etat, et surtout à l'humanité souffrante. On connaît à Mirepoix mon boulanger et mon marchand d'habits pour les pauvres ; l'on m'a vu les réchauffer dans les glaces de l'hiver et je ne sais pas me repentir d'être presque sans réserves [...].

Mon ennemi, que la haine aveugle, me reproche d'avoir repris mes fonctions, alors que personne ne m'a interdit de les exercer ; j'ai obéi au cri de ma conscience et il me traite de fanatique !

[...] Or, je suis moi si tolérant, si conciliant, que je dis en chaire : que l'on promette de ne pas ravager l'église et de ne pas y proférer en chaire des blasphèmes, nous pourrions nous servir du même local à diverses heures, la religion naturelle est la soeur de la religion chrétienne ; vous prêcheriez les vertus morales, moi les vertus surnaturelles, et nous ferions tous en paix le bien de la République. Y a-t-il en cela de quoi me criminaliser et me punir ? Ne faudrait-il pas étudier cette idée au grand contentement du peuple français chrétien et non chrétien ?

 

Aujourd'hui, à Mirepoix : intérieur de la cathédrale Saint Maurice

 

Suite à l'arrestation du curé Mailhol, la célébration du culte catholique s'interrompt à Mirepoix. La cathédrale est transformée en temple de la Raison. L'inauguration du temple a lieu, en hommage à la philosophie, et en signe d'abjuration des erreurs et des préjugés du culte antérieur, le 5 germinal an II (11 avril 1794). On érige une statue de la liberté à la place de la grande croix, située au centre de Mirepoix. Le 9 floréal (28 avril), on dépose toutes les statues installées dans la cathédrale et l'on transfère à l'administration du district les objets d'or et d'argent, les ornements et les linges.

On se rend désormais au temple tous les décadis. Après le prêche républicain, qui porte généralement sur les lois de la Convention, on danse. Le 1er floréal an II (20 avril 1794), le conseil général de Mirepoix alloue au temple un symphoniste, chargé d'instrumenter les fêtes décadaires.

Chaudron-Rousseau, dans le même temps, continue de poursuivre les suspects, à partir des listes fournies par Vadier, député de l'Ariège. Figurent sur ces listes les ci-devants nobles, subdélégués, officiers des états, membres des municipalités rétrogrades, juges trop cléments, et tous les prêtres.

Charles-Philibert de Lévis, ci-devant comte de Mirepoix, est arrêté et guillotiné à Paris le 24 floréal an II (13 mai 1794), au motif qu'il aurait suspendu délibérément le travail de ses forges et que sa résidence en France n'aurait été qu'une conduite purement politique, afin de conserver le bien de sa famille, suivant le souci permanent de ses ancêtres. Les biens confisqués au marquis sont vendus aux enchères. Situé à 8 kilomètres de Mirepoix, le château de Lagarde, résidence habituelle des Lévis, fait depuis le 10 floréal an II (29 avril 1794) l'objet d'un arrêté de destruction. Après une tentative de récupération des principaux matériaux au bénéfice de la République - tentative avortée faute de moyens de transport -, le château sert de grenier à blé, de dépôt de fourrage, d'atelier pour la fabrication du salpêtre, de forge, et d'habitation de fortune pour certains habitants de Lagarde. Vendu le 3 février 1795, réduit par la suite à l'état de carrière sauvage, il n'est plus aujourd'hui qu'un amas de ruines.

 

Château de Lagarde, Ariège
Carte postale ancienne

 

 

 

Dans le cadre de l'effort de guerre, le 1er floréal an II (20 avril 1794), tous les citoyens célibataires ou veufs sans enfant de 18 à 40 ans, et tous les citoyens mariés, de 18 à 30 ans, sont réunis, formés en bataillons et exercés dans les chefs-lieux de district. On ordonne une levée de 100 hommes dans le district de Mirepoix et 8 d'entre eux sont désignés pour rejoindre l'armée dans les Pyrénées orientales. Plusieurs d'entre eux se dérobent. On traque par ailleurs les déserteurs. Partout, on réquisitionne les tailleurs, les cordonniers. On rassemble et distribue le linge des églises, des émigrés, des détenus. A Mirepoix, on exige des cordonniers qu'ils fournissent cinq paires de chaussures par décade.

Le 4 floréal (23 avril), on ordonne à Mirepoix la levée de tous les chevaux du district. On réquisitionne le fourrage, la paille, que l'on stocke dans la cathédrale.

On réquisitionne également tous les fers à cheval et les clous. Forgerons et maréchaux-ferrants sont sommés de fabriquer au plus vite des stocks de baïonnettes.

On recherche le fer, le cuivre, le plomb qui se trouvent dans les églises ou dans les maisons des aristocrates ; on prend aux particuliers les chaudrons, chandeliers, casseroles, bassines... On arrache les balcons et les grilles de fer, puis le tout est envoyé au parc d'artillerie de Toulouse.

On collecte tous les parchemins des églises, des maisons, collèges et tribunaux de justice pour alimenter la fabrique de gargousses (enveloppes contenant la charge de poudre des canons) de Jean-Charles Vigarozy, président du district de Mirepoix. On ouvre un atelier de fabrication de salpêtre au château de Lagarde, et l'on produit en trois mois mille livres de salpêtre. Aux tyrans ils résisteront, tant qu'en leur pouvoir ils auront du fer et du salpêtre, dit l'hymne du salpêtre, chanté dans les temples de la Raison.

Le ravitaillement, pendant ce temps, devient de plus en plus difficile. La sécheresse de 1793, cause d'une maigre récolte, fait craindre pour la soudure, d'autant plus qu'il faut envoyer des vivres à l'armée de Pyrénées orientales. On tue les chiens, les oies, les canards, pour limiter le nombre de bouches inutiles. Dès février 1793, Mirepoix souffre du rationnement.

La misère est telle qu'on fait du pain avec de la farine de petit mil, de panais et de haricots. On n'a plus ni huile, ni savon, ni épicerie. En germinal, on réquisitionne pour les besoins de l'armée les légumes, et, en particulier, les haricots, les lentilles.

Le 26 pluviôse an II (14 février), à Mirepoix, le conseil ordonne que tout le pain sera porté par les boulangers dans un local choisi à cet effet et qu'il sera distribué en présence de deux commissaires.

Le 28 pluviôse, le conseil fait recenser par des commissaires tous les grains disponibles dans la commune.

Le 11 germinal (31 mars), le conseil ordonne le dépôt de tous les grains dans un grenier public jusqu'à la prochaine récolte, à l'exception de 20 livres par personne.

En messidor, le conseil peine à recruter des moissonneurs, car ceux-ci jugent la paie en assignats trop peu attractive. Il se voit obligé de réquisitionner les dits moissonneurs, ainsi que les maréchaux et forgerons aptes à fabriquer des faux et faucilles.

Les fournisseurs de l'armée ratissent fermes et villages afin de réquisitionner les bêtes à viande.

Il y eut toutes sortes d'autres réquisitions : vieux linge, laines, chanvre, bois de haute futaie pour la marine... Elles réduisirent tout le monde à la misère et perdirent sans retour, dans l'esprit des paysans, le régime démocratique. Leur colère fut d'autant plus grande qu'ils constatèrent bientôt du désordre et du gaspillage. En outre, le paiement en assignats les révoltait.

Le cours de l'assignat de 100 francs est tombé à 42 francs...

 

 

 

Le 2 prairial an II (21 mai 1794), Mirepoix perd, après le statut d'évêché, le statut de chef-lieu de district. Cette perte précipite le déclin historique de la cité.

Le 15 germinal an II (4 avril 1794), Chaudron-Rousseau quitte l'Ariège, laissant aux sociétés populaires le soin de surveiller l'application des lois révolutionnaires. La réaction toutefois se développe, de façon plus ou moins larvée.

Début mai, une citoyenne de Mirepoix sortant un dimanche parée de ses plus beaux habits, un sans culotte lui dit que, si elle allait à la place, on lui ferait porter le fagot, et elle eut l'audace de répondre qu'elle se foutait des patriotes et qu'elle leur chiait sur le nez !

Plusieurs sociétés populaires de l'Ariège réclament le retour de Chaudron Rousseau, arguant de ce que des prêtres existent encore dans quelques cantons, que ce reste de préjugés travaille le peuple, et que la malveillance, quoique expirante, emploie cette arme perfide pour nuire encore à la chose publique.

Le 17 prairial an II (5 juin 1794), en application du décret du 18 floréal (8 mai) stipulant que le peuple français reconnaît l'existence de l'Etre suprême et l'immortalité de l'âme, le conseil de Mirepoix annonce la célébration de la fête de l'Etre suprême.

Après le discours, un officier municipal, accompagné de deux symphonistes, chantera un hymne à l'Eternel. Ensuite, cinq officiers municipaux suspendront les cinq couronnes, qu'ils portaient à l'arbre de la liberté, une de chêne, une d'épis, une de peuplier, une de roses, et la cinquième de myrte. Chacun, après son chant, reprendra sa place, les tambours rouleront, on serrera les files et la musique jouera, à deux reprises, l'hymne au peuple français. Le cortège défilera dans les rues, on se rendra sur la place et, devant l'arbre et la statue de la liberté, une personne chantera l'hymne de la patrie, dont le refrain sera repris, après chaque couplet, par tout le cortège.

Le développement du culte de l'Etre suprême se double du renforcement de la répression exercée à l'encontre de ceux qui refusent de travailler le dimanche et de fréquenter le temple le décadi. On condamne les tenants des anciennes superstitions à travailler dans les ateliers de fabrication de salpêtre. On arrête, au nom de la vertu, prostituées et femmes mariées coupables de mauvaise conduite. On surveille les danses publiques, on interdit les jeux de hasard, on ordonne la fermeture des auberges et des cabarets durant les réunions des sociétés populaires. Ayez la Convention pour guide, dit une circulaire adressée aux municipalités, elle réalisera votre bonheur.

 

 

 

Requis par Vadier, qui prône un travail d'épuration plus poussé, Chaudron Rousseau s'installe à nouveau en Ariège, le 30 prairial an II (18 juin 1794).Il épuise les listes de suspects envoyées chaque semaine par Vadier et, conformément à la requête formulée par ce dernier, prescrit que l'on ne relâche aucun reclus. Il est assisté dans cette tâche par Gabriel Clauzel, responsable de la société populaire de Mirepoix régénérée, membre du nouveau comité de surveillance cantonal.

Le 19 messidor an II (7 juillet 1794), Chaudron-Rousseau tente d'imposer par arrêté le repos du décadi et le travail du dimanche. Il obtient des résultats décevants. L'arrêté n'est plus appliqué dès novembre 1794. Il apparaît de plus en plus, note Joseph-Laurent Olive, que le peuple désire le retour à l'ancienne semaine, puis aux anciennes pratiques religieuses. Le jour de Noël 1794, à Mirepoix, toutes les boutiques sont fermées et personne ne travaille.

Le 14 thermidor an II (1er août 1794), Chaudron-Rousseau arrête la nouvelle composition du conseil général de Mirepoix. Celui comprend désormais les membres suivants : 1. Maire, procureur : Jean-Baptiste Fontès, maire, Jacques Donnezan, procureur ; 2. Officiers municipaux : Jacques Allibert, serrurier, J. F. D. Bauzil, cultivateur, Pierre Clauzel, vitrier, Antoine Gorguos, maréchal ferrant, Grenier aîné, négociant, Jean Loze, vitrier, Louis Martine, cultivateur, Michel Rigail, tailleur ; 3. Juges de paix : Eloi Manent, cultivateur, François Boudouresques, écrivain.

 

 

 

Pressé par Vadier de déférer à Paris les 60 prisonniers détenus à Mirepoix, Chaudron-Rousseau, qui redoute et sans doute désapprouve les sentences implacables prononcées par le Comité de sûreté générale, s'applique à faire traîner l'instruction des dossiers. Le 17 messidor an II (5 juillet 1794), Vadier ordonne le transfert des prisonniers. Le 26 messidor (14 juillet, tous les prisonniers sont embarqués dans une charrette et convoyés vers Paris. Le convoi comprend 11 mirapiciens : Jean-Pierre Rivel (67 ans), Jean-Antoine Rivel (35 ans), Guillaume Malroc de Lafage (65 ans), Clément Rouvairolis père (63 ans), Jean Cyr Théodose Simorre (44 ans), Denat, Montfaucon, Dufrène (38 ans, notaire, ancien homme de confiance du marquis de Lévis), Vidalat, Jean Pouget (26 ans), Paul Malroc fils (28 ans). Le 1er thermidor (19 juillet) Chaudron-Rousseau tente une dernière fois d'intervenir, en faisant retarder le convoi aux étapes ultérieures du transport :

Le représentant du peuple, instruit que plusieurs citoyens de Mirepoix [...] ont été mis sur des charrettes et enchaînés, qu'on leur a fait payer exorbitamment les frais du voyage, et qu'ils sont maltraités par leurs conducteurs, arrête :

- que le maire de la commune de Toulouse est requis de donner des ordres pour retenir à Toulouse ou dans toute autre commune, s'ils ont dépassé Toulouse, les citoyens de Mirepoix envoyés au tribunal révolutionnaire, et ce jusqu'à nouvel ordre ;

- qu'il sera de suite, par la municipalité où les citoyens seront rencontrés, informé [...] s'ils sont traités avec humanité, de tout quoi il sera dressé procès-verbal.

Arrêté à Caussade, puis à Grisolles, le convoi repart le 19 thermidor (6 août) et parvient à Paris le 3 fructidor (30 août). Il ne comporte plus que 43 prisonniers. Les autres sont morts ou se sont échappés.

Mais entre temps, à Paris, la situation politique a changé. Suite à la séance du 9 thermidor (27 juillet), Robespierre et ses partisans ont été guillotinés. Entre le 11 thermidor (29 juillet) et le 15 fructidor (1er septembre), les mesures propres au régime de la Terreur sont abolies. Après réorganisation du tribunal révolutionnaire, la défense des accusés se trouve à nouveau garantie. La plupart des prisonniers sont libérés, dont le groupe originaire de Mirepoix, par ordre du tribunal révolutionnaire, prononcé le 22 brumaire an II (12 novembre 1794) :

Attendu que la plus grande partie des prévenus ont été déjà jugés et déchargés des accusations portées contre eux [...], le Tribunal déclare qu'il n'y a pas lieu d'accusation contre les susdits, ordonne qu'ils soient à l'instant mis en liberté...

Conformément au parcours imposé, Metz, Nancy, Langres, Dijon, Mâcon, Lyon, Montélimar, Nîmes, Béziers, Carcassonne, Toulouse, les ex-prisonniers parcourent 1700 kilomètres à pied. Ils parviennent à Mirepoix, la veille de Noël 1794.

 

 

La nouvelle de la chute de Robespierre arrive à Mirepoix le 18 thermidor (5 août). Les municipalités et les sociétés populaires de l'Ariège envoient des lettres de félicitations à la Convention. Chaudron-Rousseau organise des fêtes.

Ils sont passés les temps de carnage et d'alarmes
De Robespierre et de Louis.
[...]
Devant l'autel de la Patrie
Fidèles à la Liberté,
Nous jurons haine à l'anarchie
Trois fois haine à la royauté.

D'octobre 1794 à janvier 1795, la situation demeure toutefois dangereusement confuse. Les patriotes tentent de prévenir les pouvoirs publics contre la réaction. Les dénonciations pour robespierrisme pleuvent. Vadier est mis en accusation. L'opinion retient son souffle.

Il faut attendre le printemps 1795 pour que le changement se manifeste. Le conseil général de Mirepoix fait retirer sur la cathédrale l'inscription indiquant qu'il s'agit du temple de l'Etre suprême. Les anciens fonctionnaires sont destitués et assignés à résidence à leur domicile. Les ex-prisonniers interpellent publiquement leurs dénonciateurs.

Le 4 pluviôse an III (23 janvier 1975), la municipalité de Mirepoix entreprend d'installer dans l'ancienne bâtisse des Frères des écoles chrétiennes, des instituteurs et des institutrices, dignes de concourir à la formation des moeurs républicaines et à l'enseignement des hommes libres.

Dufrène, notaire et homme d'affaires du défunt marquis de Lévis, obtient, le 24 janvier, le certificat de civisme nécessaire à la réouverture de son étude.

L'ancien curé constitutionnel de Mirepoix, Jean-Pierre Mailhol, qui a été incarcéré à Castenaudary, est libéré le 20 ventôse an III (10 mars 1795).

L'ancien évêché de Mirepoix est vendu à Biau, Canut, Doumenc, Andrieu et Roudière, le 11 germinal an III (31 mars 1795).

 

Aujourd'hui, à Mirepoix : petite porte, dans un mur de l'ancien évêché

 

L'hiver 1794-1795 est très rude. La population de Mirepoix souffre du froid. Suite à la récolte déficitaire de 1794, le blé manque. Le conseil général ordonne d'introduire du millet dans le pain. Les réquisitions reprennent. Mais, excédée de privations, la population obéit de plus en plus difficilement. On s'empresse de tuer les cochons plutôt que de les céder. Les recrues refusent de partir aux armées. Des émeutes éclatent. La population réclame la mise en jugement de Vadier et de Gabriel Clauzel...

 

 

 

Mirepoix ne retrouvera son calme qu'à partir de 1799, avec le 11 novembre 1799, l'instauration du Consulat, et le 15 juillet 1801, la signature du Concordat, qui scelle la réconciliation de l'Eglise et de l'Etat.

 

Aujourd'hui, à Mirepoix : sous les couverts

 

Bibliographie :

Joseph-Laurent Olive, La Révolution de 1789 à Mirepoix (Ariège)

Presses de l'imprimerie du Champ de Mars, 09700 Saverdun, deuxième édition

 

Iconographie :

Clichés personnels

 

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Septembre 2006