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La poésie possède la même valeur contraignante que la science.

 

Né à Vienne, Autriche, en 1886, mort à New Haven, Connecticut, en 1951, Hermann Broch fait partie de cette pléiade d'écrivains modernes auxquels nous devons une révolution dans l'art du roman. Les Somnambules (1928-1931), La Mort de Virgile (1945) constituent deux monuments de la culture européenne du XXe siècle.

Eparse, peu traduite, l'oeuvre philosophique d'Hermann Broch reste à découvrir. Broch rêvait de publier un ouvrage qui rassemblerait cette dernière. D'abord victime des circonstances, - montée du nazisme, Anschluss, émigration aux USA -, puis empêché par quelque contradiction essentielle, il se contenta de publier des fragments, tous relatifs à une possible théorie compréhensive des valeurs.

Celle-ci, dit-il, me tient très à coeur. Cependant je la considère tellement comme le fruit d'une passion philosophique devenue illicite, que j'ai toujours reculé avec effroi à l'idée de la publier. [...] Aujourd'hui on ne peut plus rien démontrer avec des mots.

Lettre à Egon Vietra, 25 août 1933

Rassemblés en 1975 par l'éditeur Suhrkamp, quelques-uns des fragments invoqués plus haut figurent dans le recueil intitulé Logique d'un monde en ruine. Traduit par Christian Bouchindhomme et Pierre Rusch, ce recueil vient de paraître aux éditions de l'Eclat (2005).

Dans Connaissance par la pensée et connaissance par la poésie (p.83-93), en allemand Denkerische und dichterische Erkenntnis (1933), Hermann Broch, qui fut successivement ingénieur, puis professeur et écrivain, montre que raison scientifique et imagination créatrice s'entretiennent, car elles constituent deux branches d'un seul et même tronc, celui de la connaissance pure et simple. Fasciné par cette abyssale proximité, et partant du principe qu'il y a toujours un style de vie commun qui sous-tend le travail de la science et celui de l'art, il se propose de dire en quoi consiste aujourd'hui l'unité d'un tel style, derrière quoi se réserve l'unité du logos. Ce projet sera partiellement réalisé dans Sur le kitsch (1950), Psychologie des masses (1959), La Grandeur inconnue (1961).

 

Moment des sciences de la nature, le XIXe siècle est aussi, par effet de mouvement tournant, celui d'un transfert de légitimité, constate Hermann Broch dans l'incipit de Connaissance par la pensée et connaissance par la poésie. Ce qui advient à la faveur du dit mouvement tournant est la divinisation de la science.

Si, pour l'image médiévale du monde, l'ultime fondement légitime résidait dans la foi et dans la communion ecclésiale en Dieu, cette légitimité fut ensuite transférée vers quelque chose dont l'existence n'est pas moins mystique : elle fut transférée vers la science, vers son infaillibilité et vers sa hiérarchie, et ce qui n'était pas sanctionné par la science n'avait plus aucune réalité, ni aucune valeur pour la vie.

Il résulte d'un tel changement une mutation dans la détermination de l'essence de la légitimité. Là où poésie et pensée médiévales tiraient une légitimité absolue de leur déploiement ad majorem dei gloriam, autrement dit de leur contribution à la création continuée, les modernes sciences de la nature tirent leur légitimité de leur seul génie méthodologique. Elles ne constituent qu'une certaine méthode de pensée, sous l'égide de laquelle jamais ne pourra se développer un organon universel à caractère éthique et métaphysique, du type de la scholastique platonico-chrétienne. La dite méthode de pensée relève en outre d'une logique particulière, créditée d'une valeur souveraine pour la seule raison qu'elle se déploie de façon impérialiste.

Le primat de la science n'est que celui d'une logique particulière, d'une manière particulière de considérer les choses, qui s'est immiscée dans les autres domaines de valeur - par l'effet d'une sorte d'influence méthodologique.

 

Hermann Broch emprunte quelques exemples de cette influence au domaine littéraire et artistique. Il distingue toutefois, au titre de l'influence, thématique et méthode scientifiques. Reprochant à l'art du XIXe siècle certaine soumission à la thématique scientifique, il dénonce la fadeur, partant la beauté reçue, de nombre de tableaux montrant, par exemple, des gares de triage ou n'importe quel autre site industriel. Il montre ailleurs que cette fadeur signe le kitsch, i. e. la traduction des idées reçues dans le langage de la beauté et de l'émotion.

Constantin Meunier, Le Marteleur (Charleroi)

La soumission à une thématique scientifique n'a encore rien d'une glorification de l'âge de la machine ; elle est plutôt la marque d'un art orienté de la plus fade espèce, qui ne parvient pas plus à représenter le primat de la machine que l'existence de romans sportifs n'illustre le primat du sport dans la vie d'aujourd'hui ; et les sculptures de Meunier, par leur exaltation du travail, n'expriment pas davantage le primat du social, que le fait de prendre des scientifiques comme héros de roman, ou d'introduire dans les dialogues des connaissances scientifiques, n'a quoi que ce soit à voir avec le primat de la science.

Le propos d'Hermann Broch est sévère. Faut-il l'appliquer à Monet, Jules Verne, Zola ?

Jules Monet, Gare Saint-Lazare

Le propos ne vise manifestement pas Monet. Hermann Broch classe les Impressionnistes dans la catégorie de ceux qui traduisirent quelque chose de neuf dans le langage de la beauté et de l'émotion, i. e. qui s'appuyèrent sur la science et sur l'optique pour parvenir à une nouvelle forme de vision.

Le propos ne vise pas non plus Zola, contemporain et compagnon de lutte des Impressionnistes, qui essaya pareillement d'utiliser des méthodes scientifiques pour construire ses romans.

Très tôt Hermann Broch nourrit une sorte de fascination pour l'oeuvre de Zola. Dans un article de 1917, intitulé Le préjugé de Zola, il qualifie le romancier naturaliste de non-artiste le plus puissant de la littérature. S'il manifeste peu de considération pour le Docteur Pascal par exemple, comme héros de roman, il admire en revanche la structure des Rougon-Macquart - cette histoire du Second Empire fondée sur la sociologie. Chez Zola, observe-t-il, ce n'est pas le contenu, mais simplement la méthode de l'art qui est subordonnée à la science ; il s'agit d'un primat du mode de pensée scientifique, non des contenus scientifiques.

Le primat du mode de pensée scientifique résulte historialement d'un processus de désacralisation de la représentation, qui débute avec le passage de la perspective hiérarchique à la perspective naturelle de Dürer et de Léonard de Vinci dans la peinture du XVe siècle, constate Hermann Broch.

Maestro dell'Osservanza, Nascita della Vergine (Sienne)

Tandis que l'art commence à se détacher de l'organon général du Moyen-Age pour acquérir son autonomie propre, la science, quant à elle, n'a pas encore disqualifié l'art.

Dürer, L'adoration des Mages

Non seulement la science de la fin du XVe siècle est prête à laisser l'art intervenir dans certaines sphères phériphériques -comme par exemple celui du dessin scientifique -, mais ses réflexions intègrent des thèmes qui reçoivent leur légitimité, non plus certes de la foi en Dieu, mais du sentiment artistique et du sentiment du Beau.

Léonard de Vinci, La Vierge ā l'enfant avec Sainte Anne

La science, durant les siècles suivants, évince progressivement méthodes et éléments étrangers à sa logique. La pensée scientifique, dans le même temps, pénètre d'autres sphères de l'existence, tandis que la philosophie, devenant elle-même plus scientifique, se retire du domaine des sciences de la nature. Lamarck et Schelling, constate Hermann Broch, constituent les derniers représentants de l'ancienne histoire naturelle, au regard de laquelle on croyait le plus sérieusement du monde pouvoir intervenir dans les sciences de la nature d'une manière spéculative.

Le passage de l'histoire naturelle à la science de la nature, de la philosophie de l'histoire à l'histoire, etc. témoigne, au cours des siècles, de ce que Hermann Broch nomme la scientifisation de la pensée.

La guerre en soi, le militarisme en soi, le sport en soi, la politique en soi ne peuvent être pensés dans leur pureté - dans leur menaçante pureté ! - qu'à partir du moment où les principes et les méthodes appliqués dans ces domaines de valeur sont devenus aussi scientifiques, aussi implacablement scientifiques, que la science en soi ; il fallait en effet que ces domaines de valeur particuliers eussent d'abord créé leurs propres fondements scientifiques, pour pouvoir accéder à cette autonomie et à cette intangibilité absolues auxquelles ils étaient prédestinés, dès lors qu'ils s'étaient affranchis du système englobant de l'Eglise médiévale. Le processus de purification dans lequel les différents domaines de valeur trouvent leur autonomie est donc synonyme de leur scientifisation irrésistible et automatique.

 

Revenant au cas de l'art, Hermann Broch place sa réflexion sous l'auspice de Goethe, en la personne de qui, observe-t-il, les aspirations scientifiques et artistiques se trouvent réunies comme jamais elles ne l'avaient été depuis la Renaissance.

Rembrandt, Faust

Goethe incarne un possible qui est celui de la totalité de la connaissance et de l'expérience vécue, car outre qu'il assigne à la Bildung, la culture, un rôle qui, sans porter atteinte à l'autonomie de l'art, implique et exige qu'elle s'imprègne de l'esprit de la science, il réserve à l'imagination créatrice fonction de porter la connaissance rationnelle au-delà des limites de la raison, i. e. de descendre dans l'irrationnel et vers les Mères, en tant que lieu originaire du féminin et de la vie, i. e. des Urphänomene, ou, dixit Heidegger, en tant que Terre. De cette plongée dans le cosmos habité par les forces en travail, l'imagination reçoit une direction qui, certes, rejoint la finalité de toute science, à savoir la connaissance en soi, mais ne se confond pourtant pas avec le cours même de la science : telle un puissant flux souterrain, elle accompagne le fleuve, rejaillit constamment en lui et le renouvelle sans cesse.

Alors que l'art développe un caractère formel et rationnel chez les grands auteurs français des XVIIe et XVIIe siècles, l'oeuvre de Goethe fraie une autre voie. A la science, - qui, parce que d'essence positiviste, détourne du spéculatif et du théologique, partant reconduit à l'immédiat et à l'effectif -, elle ajoute l'immédiateté de l'irrationnel, réalisant ainsi le possible d'une miraculeuse synthèse de la connaissance poétique avec la connaissance rationnelle - ce que Goethe précisément appelle la culture et qui, en dernier ressort, est de nature religieuse.

Car toute culture et tout ce qui donne forme à l'humain, observe fortement Hermann Broch, est, en fin de compte, porté par le religieux.

 

Opposant au modèle goethéen celui de l'art pour l'art, Hermann Broch constate que, si l'art pour l'art constitue l'expression ultime et la plus radicale de l'autonomie de l'art, il succombe presque toujours à la tentation de l'esthétisme formel et se montre incapable d'atteindre ce qui est authentiquement irrationnel. L'art pour l'art, qui ne pourra jamais renier ses origines françaises, rationnelles et formelles, montre, de façon exemplaire, à quoi mène la raison formelle, quand elle s'exerce indépendamment du fonds d'irrationalité dont ressortit l'imagination créatrice. L'Impressionnisme induit un formalisme du même type, via son développement scientifique rigoureux. Hermann Broch songe probablement à la facture pointilliste.

Murray McNeel Urquhart, On the Beach

Il stigmatise, sans autre précision, les produits dérivés de l'Impressionnisme, au nombre desquels, note-t-il de façon iconoclaste, on pourrait compter même le dadaïsme.

Marcel Duchamp, Roue de bicyclette (ready-made)

Concernant le développement scientifique rigoureux de tel ou tel mouvement artistique, observe Hermann Broch, l'effet de dérive formaliste vient de ce que la durée de validité de l'oeuvre d'art est plus grande que celle des principes scientifiques qui ont servi à son élaboration.

On objectera toutefois qu'envisagé comme une manière particulière de rendre l'effet de la lumière et de l'air, le développement de l'impressionnisme est lié à celui de la théorie ondulatoire, et que le passage du papillotement des Impressionnistes et des Néo-Impressionnistes au trait incisif de la Nouvelle Objectivité s'explique par celui de la théorie ondulatoire à la théorie des quanta.

Van Gogh, Café en Arles

Georg Scholz, Petite ville la nuit

On notera également que l'invention du récit à la James Joyce, qui se construit en tant que récit sous les yeux du lecteur et qui se développe sur le mode du work in progress, coïncide avec le développement de la théorie de la relativité qui, au contraire de la physique classique, ne se contente plus d'enregistrer avec la plus grande précision les processus physiques du monde extérieur, mais projette la figure de l'observateur en soi - l'idée platonicienne de l'observateur - dans le champ de l'observation physique comme un facteur intégrant du phénomène étudié.

Hermann Broch juge toutefois illusoire la vertu de tels parallèles, car ceux-ci n'ont de portée que formelle : ils méconnaissent, souligne-t-il, l'essentiel, à savoir la révision que la pensée scientifique s'est imposée à elle-même relativement à la position apodictique adoptée par la science de la nature au XIXe siècle.

Une refondation de la scientificité en tant que telle était devenue nécessaire, le concept de loi, celui de loi naturelle, voire celui de loi logique ont perdu leur intangibilité ; tout s'est remis en mouvement, et la vie est plus que jamais devenue insaisissable par le concept. Or ce nouveau sentiment de la vie, qui n'est pas moins scientifique, excède le rationnel : ici, le formel échoue.

C'est donc justement ici, dans cette couche plus profonde, autrement dit au royaume des Mères, que se situe la véritable articulation entre la connaissance scientifique et l'imagination créatrice, car l'art et la poésie, semblablement à la science, ont vocation à explorer le sol natal, l'irrationnel en soi, source de la connaissance la plus profonde -celle-là même que Goethe a passé sa vie à approfondir. Le travail actuel de René Thom, qui a contribué à l'élaboration de la théorie des catastrophes via la lecture des Présocratiques et celle de la leçon aristotélicienne, montre que l'oeuvre de Goethe n'a pas été sans postérité.

Confondant connaissance scientifique et connaissance poétique, Hermann Broch parle ici de la connaissance pure et simple. Certes, observe-t-il, celle-ci admet quelque moderne devisement du monde. Il appartient à la science d'avancer progressivement vers la totalité du monde par une succession infinie de pas rationnels, par une succession de pas infiniment petits, de s'en approcher éternellement sans jamais l'atteindre. Il appartient à la poésie et à l'art d'évoquer le reste du monde, cette part du monde à laquelle la science n'a pas accès, mais qui existe néanmoins, dont l'homme a néanmoins conscience et qu'il brûle éternellement de toucher du doigt. Hermann Broch ne précise pas ici ce qu'il entend par le reste du monde, mais il invoque plus haut le religieux, ou, conformément aux principes de l'organon médiéval, la dimension éthique et métaphysique, en quoi se concentre le caractère à la fois le plus brûlant et le plus mystérieux de la vie.

Résumant ainsi la tâche qui est celle de la connaissance, Hermann Broch rappelle que chaque époque doit s'atteler à nouveau à cette tâche double et contradictoire - approcher simultanément à partir de la science et à partir de la création artistique la totalité entrevue, pour la décliner dans des styles de connaissance et d'art toujours nouveaux.

Il conclut de la façon suivante :

Il y a toujours un style de vie commun qui sous-tend ces deux phénomènes - style de la connaissance et style de l'art - chaque époque de l'histoire et de la vie présente l'unité d'un style commun, derrière laquelle se trouve l'unité du logos.

Il s'agit, au regard du lecteur actuel, d'une conclusion pessimiste concernant l'avenir de la connaissance pure et simple, puisque dix-sept ans plus tard, en 1950, Hermann Broch constate dans son essai sur le Kitsch que malgré l'effort héroïque entrepris par le roman moderne pour s'opposer aux standards esthéticoculturels véhiculés par les mass media, le dit roman se trouve finalement terrassé par Goliath. Il en va de même pour tout ce qui, dans le domaine de la création artistique, tente d'approcher, au titre de la totalité entrevue, la dimension éthique et métaphysique, i. e. le vif du sujet. Le chatoiement du on-dit n'infirme toutefois en rien l'unité du logos.

 

Bibliographie :

Hermann Broch, Logique d'un monde en ruine, Six essais philosophiques
Trad. et préface de Christian Bouchinhomme et Pierre Rusch
Collection Philosophie imaginaire, Editions de l'éclat, 2005.

 

Crédits iconographiques :

Hermann Broch

Constantin Meunier, Le Marteleur

Claude Monet, Gare Saint-Lazare

Maestro dell'Osservanza, Nascita della Vergine

Albert Dürer, L'adoration des Mages

Léonard de Vinci, Vierge ā l'enfant avec Sainte Anne

Murray McNeel Urquhart, On the Beach

Marcel Duchamp, Roue de bicyclette

Vincent Van Gogh, Terrasse de café en Arles

 

 

 

2005