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Van Gogh, Nuit étoilée sur le Rhône, 1888

 

Deux choses me remplissent le coeur d'une admiration et d'une vénération, toujours nouvelles et toujours croissantes, à mesure que la réflexion s'y attache et s'y applique : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi. […] Le premier spectacle, d'une multitude innombrable de mondes, anéantit pour ainsi dire mon importance, en tant que je suis une créature animale qui doit rendre la matière dont elle est formée à la planète (à un simple point dans l'Univers), après avoir été pendant un court espace de temps (on ne sait comment) douée de la force vitale. Le second, au contraire, élève infiniment ma valeur, comme celle d'une intelligence, par ma personnalité dans laquelle la loi morale me manifeste une vie indépendante de l'animalité et même de tout le monde sensible.

Kant, Critique de la raison pratique, V, 77f

Les mots de Kant sont magnifiques. Je ne puis les lire sans frisson. Quelque chose pourtant me déconcerte. C'est le au contraire, qui marque la scission entre le corps et l'esprit, ou, conformément aux mots de Kant, entre la force vitale et une vie indépendante de l'animalité et même de tout le monde sensible.

Je ne puis concevoir la vie autrement que comme un phénomène unitaire, qui se déploie pleinement à partir et en direction de lui-même, et ne présente ni n'induit, dans ce déploiement, aucune différence de valeur. Qui de nous saurait, de toute façon, se placer hors la vie pour juger sub specie aeternitatis de la valeur, relative ou absolue, qu'il convient d'attribuer aux diverses manifestations de la vie ?

Edvard Munch, Nuit étoilée, 1893

 

Je ne puis concevoir qu'il y ait une vie indépendante de l'animalité et même de tout le monde sensible, i. e. qu'il y ait une solution de continuité entre le corps et l'esprit. Orientée par la sensibilité dans le sens de l'intelligence, la vie se déploie, sans se laisser elle-même derrière soi, comme possible de l'être, lequel est Un, même si, dixit Aristote, il se laisse décliner de multiples façons.

Je ne crois pas qu'il y ait abîme de différence entre la créature animale et l'être humain, comme disent les anthropologues. Je crois plutôt qu'il y a abîme de proximité. Il n'y a pas d'être humain, au sens essentiel du terme. L'humain n'est pas, en tant que vivant, l'autre de l'animal. C'est le même. Mais le même a ici, sans autre raison que le vif de la vie toujours recommencée, le don de se vivre comme mortel, i. e. de nourrir le projet d'exister. A ce titre, et à ce titre seulement, on peut dire de l'animal rationale, celui dont parle Aristote ou Saint Thomas d'Aquin, qu'il est, en tant que mortel, celui qui marche au devant de son humanité, et, en quelque façon, à la rencontre de cette dernière.

Van Gogh, Café de nuit, Arles, 1888

 

Je suis vivant, vivante, et en tant que vivant, vivante, je ne puis faire autrement que de nourrir le projet d'exister. Je ménage ainsi, transitairement, le possible de l'être. L'être advient en effet comme par surprise. Il ne résulte d'aucun plan. Il se déploie sua sponte, dès l'instant que je me soucie d'un tel déploiement, partant, m'y oblige, de façon libre et résolue. S'il y a une loi morale, elle tient toute à cette obligation-là.

Je suis, nous sommes libres d'observer la dite obligation, qui, ainsi signifiée et entendue, fonde la loi morale. Le Moyen-Age assigne à cette forme de liberté le beau nom d'observance. Rien de compliqué dans l'observance ; rien d'autre que les gestes et dires de la vie. Mais doués de la simple patience qui est celle de la maturation des fruits, empreints d'attention à l'égard de ce qui les requiert, lestés d'un poids de silence comme si l'instant chaque fois devait être éternel.

Van Gogh, La route aux cyprès sous le ciel étoilé, 1890

 

Vincent Van Gogh, dans ses lettres à Théo, dit mieux que personne, la beauté de l'observance, la douceur du soin accordé à ce je ne sais quoi d'éternel qui, tout en n'ayant rien d'étant, est cependant signe de l'être et en cela merveilleusement étant :

Et dans un tableau je voudrais dire quelque chose de consolant comme une musique. Je voudrais peindre des hommes ou des femmes avec ce je ne sais quoi d'éternel, dont autrefois le nimbe était le symbole, et que nous cherchons par le rayonnement même, par la vibration de nos colorations.

Van Gogh, Lettres à Théo

 

Certes, ce je ne sais quoi d'éternel que nous cherchons se déploie, comme le velours de la nuit, sur fond d'angoisse. Angoisse du sens qui se dérobe ou se révèle uniquement par la négative. Angoisse des générations des hommes comme des générations des feuilles. Angoisse de la finitude des commencements. Mais j'ai souhaité ici parler plutôt de la vibration de nos colorations, i. e. de cette musique inlassablement recherchée par Van Gogh. Sans la musique, disait Nietzsche, la vie ne serait pas supportable. J'ai souhaité évoquer ici la plus mystérieuse et la plus familière des musiques, la musique du silence, celle de la nuit étoilée.

Van Gogh, Nuit étoilée, 1889

 

Bibliographie :

Emmanuel Kant, Critique de la Raison Pratique

Vincent Van Gogh, Lettres à Théo

Saint Thomas d'Aquin, De Ente et essentia

Dicimus hominem animal rationale, non ex animali et rationali, sicut dicimus eum esse ex anima et corpore; ex anima enim et corpore dicitur esse homo, sicut ex duabus rebus tercia uero res constituta, que nulla illarum est; homo enim neque est anima neque corpus...

A cause de cela nous disons que l’homme est [un] animal rationnel, et non qu’il est [composé][34] d’animal et de rationnel, alors que nous disons qu’il est [composé] d’âme et de corps. L’homme en effet est dit [composé] d’un corps et d’une âme, comme une troisième réalité faite des deux premières, et qui n’est aucune d’entre elles. L’homme en effet n’est ni l’âme ni le corps.

Saint Thomas d'Aquin, De ente et essentia, II (latin et traduction française)

Home Universitaire Cardinal Mindszenty Louvain, L'unité de l'homme et l'expérience qui la révèle d'après Saint Thomas d'Aquin

 

 

 

Mai 2007