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Joseph Ducreux, Marie-Antoinette à Vienne, 1769
Louis XV, au nom de son petit-fils Louis Auguste, âgé de 15 ans, vient de demander à l'Impératrice Marie-Thérèse d'Autriche la main de la jeune femme, âgée de 14 ans .

 

Louis Auguste en 1769.

Les noces de Louis Auguste, Dauphin de France, et de Marie-Antoinette, Archiduchesse d'Autriche, seront célébrées un an plus tard, en 1770.

 

Louis Auguste et Marie-Antoinette... Le couple semble surgi de la pastorale, du pied de l'arc-en-ciel, ou des bords élégiaques de Chénier. Doux alcyons...

Louis Auguste monte sur le trône en 1774. Il a 20 ans. Marie-Antoinette, son épouse, 19 ans. Désormais reine de France, elle s'écrie :

Mon Dieu ! gardez-nous ! Protégez-nous ! nous régnons trop jeunes !

Adrien Goetz, dans Le style Marie Antoinette, dédie à ces doux oiseaux de jeunesse un essai diapré, conçu dans le goût des bibelots que la reine aimait à poser devant les boiseries du cabinet de la Méridienne : animaux en laque du Japon ou de Chine, jaspes, éventails, curieux bijoux d'ambre, souvenirs des collections orientales du Schönbrunn de son enfance.

 

Versailles, Cabinet de la Méridienne, côté
Etat de 1781 (photo 1999)

 

Versailles, Cabinet de la Méridienne, côté alcove et sofa
Etat de 1781 (photo 1999)

 

Bon père, bon époux, Louis Auguste devient gros.

 

Louis XVI

 

Il gouverne depuis sa bibliothèque, vainc l'Angleterre sur terre et sur mer, ce qu'aucun de ses prédécesseurs n'avait réussi, donne la liberté aux Américains, lance des expéditions scientifiques au bout du monde.

 

Nicolas-Pierre Pithou, l'Aîné, d'après Jean Baptiste Oudry : plaque de porcelaine représentant les chasses de Louis XVI.
Le cerf passe l'Oise du côté de Royallieu, en vue de la ville de Compiègne (en présence de Marie-Antoinette assistant au spectacle debout sur le toit d'un bateau chargé des membres de sa famille).

 

S'il était mort d'un accident de chasse en 1788, il fût demeuré, pour l'histoire, Louis le Victorieux ou Louis le Liseur, digne successeur de Charles V le Sage. Comme ce roi sérieux a peu de goût pour la fête et le divertissement, c'est la reine qui hérite cette part essentielle du métier royal.

 

Entrevue de Marie-Antoinette et de Cagliostro
Anonyme
Ecole espagnole

 

D'apparence frivole, Marie-Antoinette s'amuse. Mais, en cela digne fille de l'Impératrice Marie-Thérèse d'Autriche, elle n'oublie jamais qu'elle est reine.

Alexandre Dumas, dans Le Collier de la Reine, montre comment, sous l'apparente frivolité de la croqueuse de diamants, Marie Antoinette cultive, de façon tactique, à la fois ses devoirs et sa liberté. C'est ainsi qu'après avoir invoqué les secours dus aux pauvres, elle suggère au roi de troquer les diamants contre un vaisseau de ligne, suite à quoi elle obtient l'autorisation de se rendre à l'une de ces curieuses séances de magnétisme, régulièrement organisées à Paris par Messmer.

Alors, avec un sourire plein de bonté, le roi fouilla dans sa poche, en y mettant cette lenteur qui double la convoitise, cette lenteur qui fait trépigner d’impatience l’enfant pour son jouet, l’animal pour sa friandise, la femme pour son cadeau.

Enfin, il finit par tirer de cette poche une boîte de maroquin rouge artistement gaufrée et rehaussée de dorures.

– Un écrin ! dit la reine, ah ! voyons.

Le roi déposa l’écrin sur le lit.

La reine le saisit vivement et l’attira à elle.

À peine eut-elle ouvert la boîte, qu’enivrée, éblouie, elle s’écria :

– Oh ! que c’est beau ! mon Dieu ! que c’est beau !

Le roi sentit comme un frisson de joie qui lui chatouillait le cœur.

– Vous trouvez ? dit-il.

La reine ne pouvait répondre, elle était haletante.

Alors elle tira de l’écrin un collier de diamants si gros, si purs, si lumineux et si habilement assortis, qu’il lui sembla voir courir sur ses belles mains un fleuve de phosphore et de flammes.

Le collier ondulait comme les anneaux d’un serpent dont chaque écaille aurait été un éclair.

– Oh ! c’est magnifique, dit enfin la reine retrouvant la parole, magnifique, répéta-t-elle avec des yeux qui s’animaient, soit au contact de ces diamants splendides, soit parce qu’elle songeait que nulle femme au monde ne pourrait avoir un collier pareil.

– Alors, vous êtes contente ? dit le roi.

– Enthousiasmée, sire. Vous me rendez trop heureuse.

– Vraiment !

– Voyez donc ce premier rang, les diamants sont gros comme des noisettes.

– En effet.

– Et assortis. On ne les distinguerait pas les uns des autres. Comme la gradation des grosseurs est habilement ménagée ! Quelles savantes proportions entre les différences du premier et du second rang, et du second au troisième ! Le joaillier qui a réuni ces diamants et fait ce collier est un artiste.

– Ils sont deux.

– Je parie alors que c’est Bœhmer et Bossange.

– Vous avez deviné.

– En vérité, il n’y a qu’eux pour oser faire des entreprises pareilles. Que c’est beau, sire, que c’est beau !

– Madame, madame, dit le roi, vous payez ce collier beaucoup trop cher, prenez-y garde.

– Oh ! s’écria la reine, oh ! sire.

Et tout à coup son front radieux s’assombrit, se pencha.

Ce changement dans sa physionomie s’opéra si rapide et s’effaça si rapidement encore, que le roi n’eut pas même le temps de le remarquer.

– Voyons, dit-il, laissez-moi un plaisir.

– Lequel ?

– Celui de mettre ce collier à votre cou.

La reine l’arrêta.

– C’est bien cher, n’est-ce pas ? dit-elle tristement.

– Ma foi ! oui, répliqua le roi en riant ; mais je vous l’ai dit, vous venez de le payer plus qu’il ne vaut, et ce n’est qu’à sa place, c’est-à-dire à votre col, qu’il prendra son véritable prix.

Et, en disant ces mots, Louis s’approchait de la reine, tenant de ses deux mains les deux extrémités du magnifique collier, pour le fixer par l’agrafe faite elle-même d’un gros diamant.

– Non, non, dit la reine, pas d’enfantillage. Remettez ce collier dans votre écrin, sire.

Et elle secoua la tête.

– Vous me refusez de le voir le premier sur vous ?

– À Dieu ne plaise que je vous refusasse cette joie, sire, si je prenais le collier ; mais…

– Mais… fit le roi surpris.

– Mais ni vous ni personne, sire, ne verra un collier de ce prix à mon cou.

– Vous ne le porterez pas, madame ?

– Jamais !

– Vous me refusez ?

– Je refuse de me pendre un million, et peut-être un million et demi au cou, car j’estime ce collier quinze cent mille livres, n’est-ce pas ?

– Eh ! je ne dis pas non, répliqua le roi.

– Et je refuse de pendre à mon col un million et demi quand les coffres du roi sont vides, quand le roi est forcé de mesurer ses secours et de dire aux pauvres : « Je n’ai plus d’argent, Dieu vous assiste ! »

– Comment, c’est sérieux ce que vous me dites là ?

– Tenez, sire, M. de Sartine me disait un jour qu’avec quinze cent mille livres on pouvait avoir un vaisseau de ligne, et, en vérité, sire, le roi de France a plus besoin d’un vaisseau de ligne que la reine de France n’a besoin d’un collier.

– Oh ! s’écria le roi, au comble de la joie et les yeux mouillés de larmes, oh ! ce que vous venez de faire là est sublime. Merci, merci !… Antoinette, vous êtes une bonne femme.

Et pour couronner dignement sa démonstration cordiale et bourgeoise, le bon roi jeta ses deux bras au cou de Marie-Antoinette, et l’embrassa.

– Oh ! comme on vous bénira en France, madame, s’écria-t-il, quand on saura le mot que vous venez de dire.

La reine soupira.

– Il est encore temps, dit le roi avec vivacité. Un soupir de regrets !

– Non, sire, un soupir de soulagement ; fermez cet écrin et rendez-le aux joailliers.

– J’avais déjà disposé mes termes de paiements ; l’argent est prêt ; voyons, qu’en ferai-je ? Ne soyez pas si désintéressée, madame.

– Non, j’ai bien réfléchi. Non, bien décidément, sire, je ne veux pas de ce collier ; mais je veux autre chose.

– Diable ! voilà mes seize cents mille livres écornées.

– Seize cents mille livres ? Voyez-vous ! Eh quoi, c’était si cher ?

– Ma foi ! madame, j’ai lâché le mot, je ne m’en dédis pas.

– Rassurez-vous ; ce que je vous demande coûtera moins cher.

– Que me demandez-vous ?

– C’est de me laisser aller à Paris encore une fois.

– Oh ! mais c’est facile, et pas cher surtout.

– Attendez ! attendez !

– Diable !

– À Paris, place Vendôme.

– Diable ! diable !

– Chez M. Mesmer.

Le roi se gratta l’oreille.

– Enfin, dit-il, vous avez refusé une fantaisie de seize cent mille livres ; je puis bien vous passer celle-là. Allez donc chez M. Mesmer ; mais, à mon tour, à une condition.

– Laquelle ?

– Vous vous ferez accompagner d’une princesse du sang.

La reine réfléchit.

– Voulez-vous Mme de Lamballe ? dit-elle.

– Mme de Lamballe, soit.

– C’est dit.

– Je signe.

– Merci.

– Et de ce pas, ajouta le roi, je vais commander mon vaisseau de ligne, et le baptiser Le Collier de la Reine. Vous en serez la marraine, madame ; puis je l’enverrai à La Pérouse.

Le roi baisa la main de sa femme, et sortit de l’appartement tout joyeux.

 

Alexandre Dumas, Le Collier de la Reine, chapitre VII, 1849

 

Grande ordonnatrice des fêtes de Versailles sous Louis XVI, Marie Antoinette, dit Adrien Goetz, renoue avec la majesté du début du règne de Louis XIV, avec le moment où le roi a été le plus libre et aussi le plus absolu : les fêtes restées dans toutes les mémoires sous le nom de Plaisirs de l'Ile enchantée...

 

Théâtre de la Reine Marie-Antoinette au Petit Trianon, 1778 à 1780
Oeuvre de l'architecte Richard Mique
Photo RMN - Gérard Blot

 

Moderne continuatrice de la cour joyeuse des Valois et des Plaisirs du Grand Siècle, Marie Antoinette l'est aussi d'une certaine idée de la France. Une idée solaire. Sous Louis XVI comme sous Louis XIV, de façon toujours plus éclatante, la France se doit d'éblouir l'Europe.

 

Plateau de table représentant la France vers 1684
Ameublement de Marie-Antoinette au Grand Trianon
Mosaïque de pierres dures, marbre et albâtre
Créateur : Claude-Antoine Couplet (1642-1722)
Photo RMN

 

Jean-Baptiste-André Gautier d'Agoty, Marie-Antoinette, reine de France, représentée en 1775, en grand habit de cour, la main droite appuyée sur une mappemonde.
Photo RMN - Gérard Blot

 

Marie-Antoinette, reine des plaisirs, fait de la fête française le modèle de représentation de la souveraineté suprême. Bon plaisir et dépense constituent, de façon quintessenciée, l'expression de cette dernière.

 

Jean Michel Moreau (le Jeune), Illuminations du parc de Versailles (bassin d'Apollon et Grand canal) à l'occasion des fêtes du mariage du Dauphin Louis (futur Louis XVI) avec l'archiduchesse d'Autriche Marie-Antoinette (nuit du 19 mai 1770)
Photo RMN, détail

 

La fête est le plus subtil et le plus éclatant des masques de l'absolutisme, remarque Adrien Goetz. Elle doit signifier le bon plaisir et la dépense, c'est-à-dire l'idée même de la monarchie.

 

Louis-Auguste Brun, dit Brun de Versoix, Portrait équestre de la reine Marie-Antoinette en costume de chasse, montant un cheval portant le harnachement des Gardes-Nobles Hongrois à la Cour d'Autriche, 1783
Photo RMN

 

Marie-Antoinette, dit Adrien Goetz, doit montrer qu'elle est reine. Tenir sa cour.

 

Franz Xaver Winterhalter, Queen Marie Amelie of France, 1842

 

L'histoire des manuels scolaires a oublié cette évidence, parce qu'elle la juge à l'aune des souveraines du XIXe siècle, Marie-Amélie ou Victoria, ces reines en dentelles noires qui, terrifiées par l'ombre de la guillotine, jouèrent a contrario le rôle de la vertu.

Marie-Antoinette, elle, conformément aux principes d'un autre âge, dispense à sa Cour le spectacle de la dépense et du bon plaisir. Royal Deluxe...

 

Le Hameau de la Reine
Fin du XVIIIe siècle

 

Ferme du Hameau, parc de Versailles

 

Bergère de haute fantaisie, elle s'offre le Hameau, dit de la Reine, avec sa ferme, ses fermiers - les Valy -, son moulin et ses moutons, ses trois coqs et ses soixante-huit poules.

 

Jean-Baptiste-André Gautier d'Agoty, Marie-Antoinette jouant de la harpe dans sa chambre à Versailles (gouache)
Photo RMN - Philipp Bernard

 

Excellente harpiste, elle se produit dans ses appartements du Petit Trianon ou dans son petit Théâtre, et goûte la musique de Gluck, Grétry, Gossec, ainsi que celle de Piccinni, Sacchini et autres Italiens.

 

Richard Mique, Théâtre de la Reine au Petit Trianon (1778 à 1780)
Photo RMN - Gérard Blot

 

Elle n'aime pas la lecture, mais adore le théâtre et monte volontiers sur les planches, depuis qu'enfant, à Schönbrunn, elle et ses nombreux frères et soeurs ont joué, devant leurs parents, l'Empereur François Ier et l'Impératrice Marie Thérèse, des comédies-ballet.

 

Actrice, au XVIIIe siècle, dans le rôle de Rosine du Barbier de Séville
Auteur anonyme

 

Elle se produit pour la dernière fois, en 1785, dans Le Barbier de Séville de Beaumarchais. Elle y joue le rôle de Rosine, et le comte d'Artois celui de Figaro.

 

Pierre-Étienne Lesueur, Arrestation de Louis XVI à Varennes, fin du VXIIIe siècle.
Gouache sur carton découpé.
Musée Carnavalet

 

L'événement que l'histoire a retenu sous le nom de fuite à Varennes [...] n'est que le dernier avatar, tragique, de ce goût pour le déguisement et pour la comédie. La reine est costumée, une dernière fois, et le roi, à l'auberge, doit se faire reconnaître, comme au dénouement d'une pièce : "Mes amis, c'est bien moi".

 

Retour de Louis XVI et de la famille royale à Paris, le 6 octobre 1789
Estampe rehaussée d'aquarelle, détail
Ecole anglaise
Photo RMN

 

Adrien Goetz éclaire ici l'étrange dérive d'un couple qui, confondant le théâtre et la vie, a cru qu'il suffirait de changer de costume pour changer de rôle, partant, pour rendre le tragique soluble dans le vaudeville.

Observant que le couple aime les mécanismes bien réglés, serrures, horloges, automates, Adrien Goetz souligne là encore l'étonnant optimisme du couple qui jamais ne songe, dirait-on, que la mécanique de la Cour puisse fonctionner sur le mode du compte à rebours.

 

Marie-Antoinette en route vers la guillotine

 

Le roi et elle [Marie-Antoinette] ne se couchent pas, le 31 décembre 1788, avant d'avoir vu s'inscrire, sur le cadran astronomique qui trône depuis 1754 dans le cabinet de la pendule, les quatre chiffres de 1789. Le XVIIIe siècle finissant s'est passionné pour les pennes, les gâches, les taquets, les verrous, les balanciers et les ressorts. Et le dernier des mécanismes huilés par le XVIIIe siècle, c'est la guillotine.

 

William Hamilton, Marie-Antoinette conduite à son exécution, 1794
Musée historique de la Révolution française, Vizille

 

Le goût du théâtre et des planches, remarque Adrien Goetz, témoigne chez Marie-Antoinette, comme chez nombre de ses contemporains, d'une sorte de liberté, de légèreté d'être, qui permet de prendre la vie comme un jeu et de la jouer avec panache, comme il sied à qui se sent, se veut, ou se croit, maître du jeu. Marie-Antoinette joue aussi gros jeu au Pharaon, au Lansquenet, et elle parie sur les chevaux, nouvelle mode anglaise.

 

Charles Auguste Talleyrand

 

Cette approche ludique de la vie se manifeste de façon typique chez Charles Auguste Talleyrand, le ministre manipulateur, qui, aux affaires comme au Whist, constitue un joueur d'exception. Elle se manifeste aussi chez Valmont, le héros des Liaisons Dangereuses, dont on sait que, persuadé de l'emporter en amour aussi facilement qu'au Whist, il perd finalement la partie.

Au Temple encore, Marie-Antoinette, quant à elle, joue à un innocent loto avec sa fille, la future duchesse d'Angoulême, et le petit Dauphin. Jouer, c'est miser, c'est risquer, c'est apprendre le courage, sourire quand on perd, dire ses émotions avec une petite phrase anodine. Par exemple : "Je vous demande excuse, monsieur, je ne l'ai pas fait exprès", ses derniers mots, le 16 octobre 1793, adressés au bourreau Sanson. Elle venait de perdre un de ses petits souliers prunelle, en gravissant, à la bravade, tête haute, l'escalier de l'échafaud. Au jeu de la postérité, elle le savait en joueuse avisée, qui perd gagne.

Cet air de primesaut qui emprunte librement sa noblesse à Rosine, Perrette, Cendrillon, c'est, de façon émouvante, ce qui constitue le style Marie-Antoinette.

Il demeure en revanche douteux que, dans l'histoire des arts, des idées, des modes, Marie-Antoinette ait exercé une influence stylistique décisive.

Elle n'est pour rien dans la naissance du néo-classicisme français. Elle n'a pas senti poindre le style nouveau, elle n'a rien devancé. Elle n'a guère encouragé Vien ni aperçu son élève le plus doué, David.

 

Elizabeth Vigée-Le Brun, Portrait de Marie-Antoinette, 1783

 

Elle a aimé comme une amie Elizabeth Vigée-Le Brun, née la même année qu'elle, qui n'avait certes pas entrepris de révolutionner les arts. Au Salon de peinture, à Paris, elle passait devant les grandes compositions historiques sans un regard. Elle n'a pas hâté l'aboutissement du projet d'ouvrir le Louvre au public et d'y exposer les collections royales.

 

Atelier des frères Rousseau, sphinges et cassolette fumante dans le goût antique, cabinet intérieur de la Reine (Cabinet doré), partie basse d'un des panneaux de boiserie, Versailles, 1784
B ois doré, sculpté
Photo RMN - Gérard Blot

 

Les sphinges des boiseries du cabinet doré, dans les petits appartements, sculptés par les frères Rousseau, disciples de Mique, ne ressemblent que de loin aux motifs d'Herculanum dont ils prétendent s'inspirer et n'annoncent que timidement, sous les guirlandes de fleurs qui s'enroulent autour des grands brûleparfum, les lignes simples du style Empire.

 

Jean Henri Riesener, secrétaire à cylindre, Boudoir de la reine Marie-Antoinette, Fontainebleau, 1786.
Acier, bronze, doré, nacre
Photo RMN - Jean-Pierre Lagiewski

 

A Fontainebleau, le boudoir où dominent les tons argentés et gris perle, sert d'écrin aux extraordinaires meubles de nacre, chefs-d'oeuvre de Jean Henri Riesener. Le secrétaire, meuble célèbre entre tous, témoigne de la virtuosité, du goût pour l'incroyable et le jamais vu, il n'a rien de novateur dans son dessin.

Les artistes de Marie-Antoinette portent à leur plus haut degré de perfection les formes dont ils héritent, ils n'inventent guère.

Initialement inspirée par le désir de surpasser Madame Du Barry, Marie Antoinette, à qui Louis XVI, pour se faire pardonner le temps qu'il passe à la chasse, offre en 1787 la Laiterie de Rambouillet, assiste volens nolens à la naissance d'un style nouveau :

 

Thévenin, Laiterie de Marie-Antoinette, Rambouillet
Photo : D. Cesari

 

L'austérité du bâtiment fait penser à Claude Nicolas Ledoux : un temple à l'antique digne des Romains de la République. Il suffira, sous Napoléon Ier, de placer au centre, pour Marie-Louise, une table de marbre ronde, pour faire de cette dernière fantaisie de la monarchie le premier des décors Empire.

Marie-Antoinette, note Adrien Goetz, avait la passion des étoffes. C'est là sans doute qu'elle inspire les créateurs et promeut en quelque façon un style.

 

Soierie : satin, chenillé fond blanc et dessins d'arabesques coloriées et médaillons rapportés,
Photo RMN - Gérard Blot

 

Assistée de Rose Bertin, sa couturière, elle rend des oracles de couleurs, en faveur des tons pastels, des verts d'eau et des lilas, des roses pâles, des motifs de bouquet. Elle arbore successivement les lourds brocards savants qui font travailler les soyeux de Lyon, les imprimés de Jouy qui font la fortune d'Oberkampf, le gros de Tours blanc, presque paysan, le coton léger, appelé gaule, qu'elle porte, quand elle jardine au Hameau, ou dans les couloirs étroits des petits appartements - qui ne permettent pas le passage des robes à paniers.

 

Hubert Robert, Le Tapis Vert au moment de l'abattage des arbres, hiver 1774-1775, dans les jardins de Versailles
Au premier plan, Louis XVI et Marie-Antoinette
Photo RMN

 

Pionnière d'une simplicité élégantissime, Marie-Antoinette touche, dans sa prison, à la simplicité absolue. C'est alors, remarque Adrien Goetz, que, malgré elle, elle fait style.

 

Alexandre Kucharski, La Reine Marie-Antoinette en habit de veuve à la prison de la Conciergerie, 1793
Photo RMN

 

Jacques-Louis David, Marie-Antoinette en route vers la guillotine, 1793

 

Il est clair que les derniers mois de Marie-Antoinette, son dernier mobilier, simple et dépouillé, au Temple, sur ces fonds de papiers peints à larges rayures, le dessin de David qui la montre de profil, dans la charrette qui la conduit à l'échafaud, toutes les édifiantes images de ses derniers jours diffusées par la gravure ont eu un impact réel sur l'histoire du goût.

 

Charles Benazech, Les adieux de Louis XVI à sa famille au Temple le 20 janvier 1793

 

Louis-Marie Baader, Le dernier matin de Marie-Antoinette
Musée de Rennes

 

Les compositions montrant Les derniers adieux du roi à sa famille ou Marie-Antoinette en prison ont fourni des modèles de vêtements, de postures élégantes et dignes, de meubles pratiques et sans prétention, qui sont à l'origine du style Restauration et de ce XVIIIe bourgeois, référence du bon goût jusque sous Napoléon III et peut-être, en concurrence avec mille autres styles, jusqu'en 1960.

Je laisse au lecteur le soin de découvrir ce qui, aujourd'hui encore, dans la mode et dans l'art, relève du style Marie Antoinette, ou plutôt d'un certain Marie-Antoinettisme.

 

Elizabeth Vigée-Le Brun, Marie-Antoinette de Lorraine-Hasbourg, reine de France et ses enfants, détail, 1789
Photo RMN - Daniel Arnaudet / Jean Schormans

 

Que sont la coiffure à l'enfant, les robes blanches, les petits souliers prunelle devenus ? Devinez qui sont les petites Marie-Antoinette d'aujourd'hui... Goûtez le tranchant du raccourci historique : la guillotine, dixit Adrien Goetz, a introduit dans le mobilier moderne la noble simplicité de l'efficace...

Adrien Goetz nous offre, avec Le style Marie-Antoinette, un livre-elixir, un philtre qui concentre, de façon subtile, les parfums, les couleurs et les sons d'un Marie-Antoinette's way of life, ou, en français, d'un style de vie, féminissime, vaporeux et glamour, - ciselé, sans le savoir, à l'ombre des piques, éternisé par la mort violente.

Chaque étoffe a son bruit, son odeur, dit Adrien Goetz à propos des robes de Marie-Antoinette.

 

Hubert Robert, L'Allée Royale, dite le Tapis Vert au moment de l'abattage des arbres, hiver 1774-1775, dans les jardins de Versailles
Photo RMN, détail

 

Le bruit des robes, comme celui des arbres qu'on abat dans les jardins de Versailles...

Le bruit du temps, qui marche à notre rencontre.

 

Pièce de la Laiterie de Rambouillet
Jatte-téton, ou Bol sein, dessiné par Jean-Jacques Lagrenée vers 1788, à partir, dit-on, d'un moulage réalisé sur le sein de la Reine

 

Bibliographie :

Adrien Goetz, Le Style Marie-Antoinette
Editions Assouline, collection Mémoire du Style, 2005

Alexandre Dumas, Le Collier de la Reine
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Elizabeth Vigée-Le Brun, Portrait posthume de Marie-Antoinette, 1800

 

Iconographie :

Réunion des Musées Nationaux - Agence photographique :
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Juillet 2007