Christine Belcikowski

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Une nouvelle culture du regard. Nihil novi sub sole

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Ci-dessus : Jules Chéret (1836-1932), illustrateur, éditeur. Valentino...samedi et mardi gras grand bal de nuit paré, masqué et travesti. 1869.

« L’histoire culturelle souligne combien les décennies 1830 et 1840 ont été marquées par une nouvelle culture du regard, obsédée d’images et de dispositifs de vision. L’histoire littéraire suggère combien la littérature du XIXe siècle, en particulier dans sa phase « réaliste », entre 1840 et 1890, doit se comprendre dans son rapport aux images — que la littérature se définisse contre les images industrielles (l’« immense nausée des affiches » de Baudelaire) ou que ces mêmes images nourrissent une modernité littéraire privilégiant les genres brefs, fragmentaires, et une esthétique de la platitude, du cru, de l’éclectique. Philippe Hamon a ainsi montré, dans Imageries. Littérature et image au XIXe siècle (1), comment les nouvelles images à voir ont bouleversé cet autre système de représentation qu’est la littérature, grande productrice d’images à lire. » (2)

1. Philippe Hamon. Imageries. Littérature et image au XIXe siècle. Paris. J. Corti. 2001.

2. Judith Lyon-Caen. La griffe du temps. Ce que l'histoire peut dire de la littérature. Paris. Gallimard. 2019.

Giacomo Casanova chez M. de Voltaire, aux Délices

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Ci-dessus : ancienne maison de Voltaire aux Délices, près de Genève.

Au début du mois de juillet 1760, Giacomo Casanova se rend chez Voltaire, aux Délices, près de Genève. Il s'y trouve reçu trois jours de suite et il s'y entretient avec le grand homme, d'abord de littérature, puis de politique. L'entretien vire alors à l'aigre. Casanova rend compte de cette visite dans Histoire de ma vie.

Lire la suite de Giacomo Casanova chez M. de Voltaire, aux Délices

Classé dans : Histoire Mots clés : aucun

Gérard de Nerval. Notre-Dame de Paris

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« Notre-Dame est bien vieille : on la verra peut-être
Enterrer cependant Paris qu’elle a vu naître ;
Mais, dans quelque mille ans, le Temps fera broncher
Comme un loup fait un bœuf, cette carcasse lourde,
Tordra ses nerfs de fer, et puis d’une dent sourde
Rongera tristement ses vieux os de rocher !

Bien des hommes, de tous les pays de la terre
Viendront, pour contempler cette ruine austère,
Rêveurs, et relisant le livre de Victor :
— Alors ils croiront voir la vieille basilique,
Toute ainsi qu’elle était, puissante et magnifique,
Se lever devant eux comme l’ombre d’un mort ! »

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Gérard de Nerval. Notre-Dame de Paris (1831). In Œuvres complètes. Tome 6. Poésies diverses, p. 292. Michel Lévy frères. Paris. 1867-1877.

En 1831, quand Victor Hugo parle de Notre-Dame de Paris

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Ci-dessus : Notre-Dame de Paris en 1482. Illustration de Fortuné Louis Méaulle (1844-1901) pour la nouvelle édition illustrée de Notre-Dame de Paris, publiée chez E. Hugues en 1876-1877.

« Sans doute c'est encore aujourd'hui un majestueux et sublime édifice que l'église de Notre-Dame de Paris. Mais, si belle qu'elle se soit conservée en vieillissant, il est difficile de ne pas soupirer, de ne pas s'indigner devant les dégradations, les mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument, sans respect pour Charlemagne qui en avait posé la première pierre, pour Philippe-Auguste qui en avait posé la dernière.

Sur la face de cette vieille reine de nos cathédrales, à côté d'une ride on trouve toujours une cicatrice. Tempus edax, homo edacior. Ce que je traduirais volontiers ainsi : le temps est aveugle, l'homme est stupide.

Si nous avions le loisir d'examiner une à une avec le lecteur les diverses traces de destruction imprimées à l'antique église, la part du temps serait la moindre, la pire celle des hommes, surtout des hommes de l'art. Il faut bien que je dise des hommes de l'art, puisqu'il y a eu des individus qui ont pris la qualité d'architectes dans les deux siècles derniers.

Et d'abord, pour ne citer que quelques exemples capitaux, il est, à coup sûr, peu de plus belles pages architecturales que cette façade où, successivement et à la fois, les trois portails creusés en ogive, le cordon brodé et dentelé des vingt-huit niches royales, l'immense rosace centrale flanquée de ses deux fenêtres latérales comme le prêtre du diacre et du sous-diacre, la haute et frêle galerie d'arcades à trèfle qui porte une lourde plate-forme sur ses fines colonnettes, enfin les deux noires et massives tours avec leurs auvents d'ardoise, parties harmonieuses d'un tout magnifique, superposées en cinq étages gigantesques, se développent à l'œil, en foule et sans trouble, avec leurs innombrables détails de statuaire, de sculpture et de ciselure, ralliés puissamment à la tranquille grandeur de l'ensemble ; vaste symphonie en pierre, pour ainsi dire ; œuvre colossale d'un homme et d'un peuple, tout ensemble une et complexe comme les Iliades et les Romanceros dont elle est sœur ; produit prodigieux de la cotisation de toutes les forces d'une époque, où sur chaque pierre on voit saillir en cent façons la fantaisie de l'ouvrier disciplinée par le génie de l'artiste ; sorte de création humaine, en un mot, puissante et féconde comme la création divine dont elle semble avoir dérobé le double caractère : variété, éternité.

Et ce que nous disons ici de la façade, il faut le dire de l'église entière ; et ce que nous disons de l'église cathédrale de Paris, il faut le dire de toutes les églises de la chrétienté au moyen âge. Tout se tient dans cet art venu de lui-même, logique et bien proportionné. Mesurer l'orteil du pied, c'est mesurer le géant.

Revenons à la façade de Notre-Dame, telle qu'elle nous apparaît encore à présent, quand nous allons pieusement admirer la grave et puissante cathédrale, qui terrifie, au dire de ses chroniqueurs : quae mole sua terrorem incutit spectantibus.

Trois choses importantes manquent aujourd'hui à cette façade. D'abord le degré de onze marches qui l'exhaussait jadis au-dessus du sol ; ensuite la série inférieure de statues qui occupait les niches des trois portails, et la série supérieure des vingt-huit plus anciens rois de France, qui garnissait la galerie du premier étage, à partir de Childebert jusqu'à Philippe-Auguste, tenant en main "la pomme impériale".

Le degré, c'est le temps qui l'a fait disparaître en élevant d'un progrès irrésistible et lent le niveau du sol de la Cité. Mais, tout en faisant dévorer une à une, par cette marée montante du pavé de Paris, les onze marches qui ajoutaient à la hauteur majestueuse de l'édifice, le temps a rendu à l'église plus peut-être qu'il ne lui a ôté, car c'est le temps qui a répandu sur la façade cette sombre couleur des siècles qui fait de la vieillesse des monuments l'âge de leur beauté.

Mais qui a jeté bas les deux rangs de statues ? qui a laissé les niches vides ? qui a taillé au beau milieu du portail central cette ogive neuve et bâtarde ? qui a osé y encadrer cette fade et lourde porte de bois sculpté à la Louis XV à côté des arabesques de Biscornette ? Les hommes ; les architectes, les artistes de nos jours.

Et si nous entrons dans l'intérieur de l'édifice, qui a renversé ce colosse de saint Christophe, proverbial parmi les statues au même titre que la grand'salle du Palais parmi les halles, que la flèche de Strasbourg parmi les clochers ? Et ces myriades de statues qui peuplaient tous les entre-colonnements de la nef et du chœur, à genoux, en pied, équestres, hommes, femmes, enfants, rois, évêques, gendarmes, en pierre, en marbre, en or, en argent, en cuivre, en cire même, qui les a brutalement balayées ? Ce n'est pas le temps.

Et qui a substitué au vieil autel gothique, splendidement encombré de châsses et de reliquaires ce lourd sarcophage de marbre à têtes d'anges et à nuages, lequel semble un échantillon dépareillé du Val-de-Grâce ou des Invalides ? Qui a bêtement scellé ce lourd anachronisme de pierre dans le pavé carlovingien de Hercandus ? N'est-ce pas Louis XIV accomplissant le vœu de Louis XIII ?

Et qui a mis de froides vitres blanches à la place de ces vitraux "hauts en couleur" qui faisaient hésiter l'œil émerveillé de nos pères entre la rose du grand portail et les ogives de l'abside ? Et que dirait un sous-chantre du seizième siècle, en voyant le beau badigeonnage jaune dont nos vandales archevêques ont barbouillé leur cathédrale ? Il se souviendrait que c'était la couleur dont le bourreau brossait les édifices scélérés ; il se rappellerait l'hôtel du Petit-Bourbon, tout englué de jaune aussi pour la trahison du connétable, "jaune après tout de si bonne trempe, dit Sauval, et si bien recommandé, que plus d'un siècle n'a pu encore lui faire perdre sa couleur". Il croirait que le lieu saint est devenu infâme, et s'enfuirait.

Et si nous montons sur la cathédrale, sans nous arrêter à mille barbaries de tout genre, qu'a-t-on fait de ce charmant petit clocher qui s'appuyait sur le point d'intersection de la croisée, et qui, non moins frêle et non moins hardi que sa voisine la flèche (détruite aussi) de la Sainte-Chapelle, s'enfonçait dans le ciel plus avant que les tours, élancé, aigu, sonore, découpé à jour ? Un architecte de bon goût (1787) l'a amputé et a cru qu'il suffisait de masquer la plaie avec ce large emplâtre de plomb qui ressemble au couvercle d'une marmite.

C'est ainsi que l'art merveilleux du moyen âge a été traité presque en tout pays, surtout en France. On peut distinguer sur sa ruine trois sortes de lésions qui toutes trois l'entament à différentes profondeurs : le temps d'abord, qui a insensiblement ébréché çà et là et rouillé partout sa surface ; ensuite, les révolutions politiques et religieuses, lesquelles, aveugles et colères de leur nature, se sont ruées en tumulte sur lui, ont déchiré son riche habillement de sculptures et de ciselures, crevé ses rosaces, brisé ses colliers d'arabesques et de figurines, arraché ses statues, tantôt pour leur mitre, tantôt pour leur couronne ; enfin, les modes, de plus en plus grotesques et sottes, qui depuis les anarchiques et splendides déviations de la renaissance, se sont succédé dans la décadence nécessaire de l'architecture. Les modes ont fait plus de mal que les révolutions. Elles ont tranché dans le vif, elles ont attaqué la charpente osseuse de l'art, elles ont coupé, taillé, désorganisé, tué l'édifice, dans la forme comme dans le symbole, dans sa logique comme dans sa beauté. Et puis, elles ont refait ; prétention que n'avaient eue du moins ni le temps, ni les révolutions. Elles ont effrontément ajusté, de par le bon goût, sur les blessures de l'architecture gothique, leurs misérables colifichets d'un jour, leurs rubans de marbre, leurs pompons de métal, véritable lèpre d'oves, de volutes, d'entournements, de draperies, de guirlandes, de franges, de flammes de pierre, de nuages de bronze, d'amours replets, de chérubins bouffis, qui commence à dévorer la face de l'art dans l'oratoire de Catherine de Médicis, et le fait expirer, deux siècles après, tourmenté et grimaçant, dans le boudoir de la Dubarry.

Ainsi, pour résumer les points que nous venons d'indiquer, trois sortes de ravages défigurent aujourd'hui l'architecture gothique. Rides et verrues à l'épiderme, c'est l'œuvre du temps ; voies de fait, brutalités, contusions, fractures, c'est l'œuvre des révolutions depuis Luther jusqu'à Mirabeau. Mutilations, amputations, dislocation de la membrure, restaurations, c'est le travail grec, romain et barbare des professeurs selon Vitruve et Vignole. Cet art magnifique que les vandales avaient produit, les académies l'ont tué. Aux siècles, aux révolutions qui dévastent du moins avec impartialité et grandeur, est venue s'adjoindre la nuée des architectes d'école, patentés, jurés et assermentés, dégradant avec le discernement et le choix du mauvais goût, substituant les chicorées de Louis XV aux dentelles gothiques pour la plus grande gloire du Parthénon. C'est le coup de pied de l'âne au lion mourant. C'est le vieux chêne qui se couronne, et qui, pour comble, est piqué, mordu, déchiqueté par les chenilles.

Qu'il y a loin de là à l'époque où Robert Cenalis, comparant Notre-Dame de Paris à ce fameux temple de Diane à Éphèse, tant réclamé par les anciens païens, qui a immortalisé Érostrate, trouvait la cathédrale gauloise "plus excellente en longueur, largeur, haulteur et structure".

Notre-Dame de Paris n'est point du reste ce qu'on peut appeler un monument complet, défini, classé. Ce n'est plus une église romane, ce n'est pas encore une église gothique. Cet édifice n'est pas un type. Notre-Dame de Paris n'a point, comme l'abbaye de Tournus, la grave et massive carrure, la ronde et large voûte, la nudité glaciale, la majestueuse simplicité des édifices qui ont le plein cintre pour générateur. Elle n'est pas, comme la cathédrale de Bourges, le produit magnifique, léger, multiforme, touffu, hérissé, efflorescent de l'ogive. Impossible de la ranger dans cette antique famille d'églises sombres, mystérieuses, basses et comme écrasées par le plein cintre ; presque égyptiennes au plafond près ; toutes hiéroglyphiques, toutes sacerdotales, toutes symboliques ; plus chargées dans leurs ornements de losanges et de zigzags que de fleurs, de fleurs que d'animaux, d'animaux que d'hommes ; œuvre de l'architecte moins que de l'évêque ; première transformation de l'art, tout empreinte de discipline théocratique et militaire, qui prend racine dans le bas-empire et s'arrête à Guillaume le Conquérant. Impossible de placer notre cathédrale dans cette autre famille d'églises hautes, aériennes, riches de vitraux et de sculptures ; aiguës de formes, hardies d'attitudes ; communales et bourgeoises comme symboles politiques libres, capricieuses, effrénées, comme œuvre d'art ; seconde transformation de l'architecture, non plus hiéroglyphique, immuable et sacerdotale, mais artiste, progressive et populaire, qui commence au retour des croisades et finit à Louis XI. Notre-Dame de Paris n'est pas de pure race romaine comme les premières, ni de pure race arabe comme les secondes.

C'est un édifice de la transition. L'architecte saxon achevait de dresser les premiers piliers de la nef, lorsque l'ogive qui arrivait de la croisade est venue se poser en conquérante sur ces larges chapiteaux romans qui ne devaient porter que des pleins cintres. L'ogive, maîtresse dès lors, a construit le reste de l'église. Cependant, inexpérimentée et timide à son début, elle s'évase, s'élargit, se contient, et n'ose s'élancer encore en flèches et en lancettes comme elle l'a fait plus tard dans tant de merveilleuses cathédrales. On dirait qu'elle se ressent du voisinage des lourds piliers romans.

D'ailleurs, ces édifices de la transition du roman au gothique ne sont pas moins précieux à étudier que les types purs. Ils expriment une nuance de l'art qui serait perdue sans eux. C'est la greffe de l'ogive sur le plein cintre.

Notre-Dame de Paris est en particulier un curieux échantillon de cette variété. Chaque face, chaque pierre du vénérable monument est une page non seulement de l'histoire du pays, mais encore de l'histoire de la science et de l'art. Ainsi, pour n'indiquer ici que les détails principaux, tandis que la petite Porte-Rouge atteint presque aux limites des délicatesses gothiques du quinzième siècle, les piliers de la nef, par leur volume et leur gravité, reculent jusqu'à l'abbaye carlovingienne de Saint-Germain-des-Prés. On croirait qu'il y a six siècles entre cette porte et ces piliers. Il n'est pas jusqu'aux hermétiques qui ne trouvent dans les symboles du grand portail un abrégé satisfaisant de leur science, dont l'église de Saint-Jacques-de-la-Boucherie était un hiéroglyphe si complet. Ainsi, l'abbaye romane, l'église philosophale, l'art gothique, l'art saxon, le lourd pilier rond qui rappelle Grégoire VII, le symbolisme hermétique par lequel Nicolas Flamel préludait à Luther, l'unité papale, le schisme, Saint-Germain-des-Prés, Saint-Jacques-de-la-Boucherie, tout est fondu, combiné, amalgamé dans Notre-Dame. Cette église centrale et génératrice est parmi les vieilles églises de Paris une sorte de chimère ; elle a la tête de l'une, les membres de celle-là, la croupe de l'autre ; quelque chose de toutes.

Nous le répétons, ces constructions hybrides ne sont pas les moins intéressantes pour l'artiste, pour l'antiquaire, pour l'historien. Elles font sentir à quel point l'architecture est chose primitive, en ce qu'elles démontrent, ce que démontrent aussi les vestiges cyclopéens, les pyramides d'Égypte, les gigantesques pagodes hindoues, que les plus grands produits de l'architecture sont moins des œuvres individuelles que des œuvres sociales ; plutôt l'enfantement des peuples en travail que le jet des hommes de génie ; le dépôt que laisse une nation ; les entassements que font les siècles ; le résidu des évaporations successives de la société humaine ; en un mot, des espèces de formations. Chaque flot du temps superpose son alluvion, chaque race dépose sa couche sur le monument, chaque individu apporte sa pierre. Ainsi font les castors, ainsi font les abeilles, ainsi font les hommes. Le grand symbole de l'architecture, Babel, est une ruche.

Les grands édifices, comme les grandes montagnes, sont l'ouvrage des siècles. Souvent l'art se transforme qu'ils pendent encore : pendent opera interrupta ; ils se continuent paisiblement selon l'art transformé. L'art nouveau prend le monument où il le trouve, s'y incruste, se l'assimile, le développe à sa fantaisie et l'achève s'il peut. La chose s'accomplit sans trouble, sans effort, sans réaction, suivant une loi naturelle et tranquille. C'est une greffe qui survient, une sève qui circule, une végétation qui reprend. Certes, il y a matière à bien gros livres, et souvent histoire universelle de l'humanité, dans ces soudures successives de plusieurs arts à plusieurs hauteurs sur le même monument. L'homme, l'artiste, l'individu s'effacent sur ces grandes masses sans nom d'auteur ; l'intelligence humaine s'y résume et s'y totalise. Le temps est l'architecte, le peuple est le maçon.

À n'envisager ici que l'architecture européenne chrétienne, cette sœur puînée des grandes maçonneries de l'Orient, elle apparaît aux yeux comme une immense formation divisée en trois zones bien tranchées qui se superposent : la zone romane, la zone gothique, la zone de la renaissance, que nous appellerions volontiers gréco-romaine. La couche romane, qui est la plus ancienne et la plus profonde, est occupée par le plein cintre, qui reparaît porté par la colonne grecque dans la couche moderne et supérieure de la renaissance. L'ogive est entre deux. Les édifices qui appartiennent exclusivement à l'une de ces trois couches sont parfaitement distincts, uns et complets. C'est l'abbaye de Jumièges, c'est la cathédrale de Reims, c'est Sainte-Croix d'Orléans. Mais les trois zones se mêlent et s'amalgament par les bords, comme les couleurs dans le spectre solaire. De là les monuments complexes, les édifices de nuance et de transition. L'un est roman par les pieds, gothique au milieu, gréco-romain par la tête. C'est qu'on a mis six cents ans à le bâtir. Cette variété est rare. Le donjon d'Étampes en est un échantillon. Mais les monuments de deux formations sont plus fréquents. C'est Notre-Dame de Paris, édifice ogival, qui s'enfonce par ses premiers piliers dans cette zone romane où sont plongés le portail de Saint-Denis et la nef de Saint-Germain-des-Prés. C'est la charmante salle capitulaire demi-gothique de Bocherville à laquelle la couche romane vient jusqu'à mi-corps. C'est la cathédrale de Rouen qui serait entièrement gothique si elle ne baignait pas l'extrémité de sa flèche centrale dans la zone de la renaissance.

Du reste, toutes ces nuances, toutes ces différences n'affectent que la surface des édifices. C'est l'art qui a changé de peau. La constitution même de l'église chrétienne n'en est pas attaquée. C'est toujours la même charpente intérieure, la même disposition logique des parties. Quelle que soit l'enveloppe sculptée et brodée d'une cathédrale, on retrouve toujours dessous, au moins à l'état de germe et de rudiment, la basilique romaine. Elle se développe éternellement sur le sol selon la même loi. Ce sont imperturbablement deux nefs qui s'entrecoupent en croix, et dont l'extrémité supérieure arrondie en abside forme le chœur ; ce sont toujours des bas-côtés, pour les processions intérieures, pour les chapelles, sortes de promenoirs latéraux où la nef principale se dégorge par les entrecolonnements. Cela posé, le nombre des chapelles, des portails, des clochers, des aiguilles, se modifie à l'infini, suivant la fantaisie du siècle, du peuple, de l'art. Le service du culte une fois pourvu et assuré, l'architecture fait ce que bon lui semble. Statues, vitraux, rosaces, arabesques, dentelures, chapiteaux, bas-reliefs, elle combine toutes ces imaginations selon le logarithme qui lui convient. De là la prodigieuse variété extérieure de ces édifices au fond desquels réside tant d'ordre et d'unité. Le tronc de l'arbre est immuable, la végétation est capricieuse. » (1)

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Ci-dessus : Notre-Dame de Paris en 1840, avant sa restauration par Viollet-Le-Duc. Daguerréotype signé Vincent Chevalier.

 

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1. Victor Hugo. Notre-Dame de Paris. Livre troisième. I. Notre-Dame. E. Hugues Éditeur. Paris. 1876-1877. N.B. : Victor Hugo évoque ici l'aspect que présentait la cathédrale avant les travaux de restauration menés de 1844 à 1864 par Eugène Viollet-le-Duc et Jean Baptiste Antoine Lassus.

Trois tours à Mirepoix. Où est-ce ?

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Ci-dessus : tours de l'ancienne maison de Jean Clément Rouvairollis de Rigaud ; au fond, tour de l'ancienne maison de Montfaucon.

Datée d'avril 2019 par temps de pluie, la photo reproduite ci-dessus a été prise depuis une fenêtre de l'ancienne maison Vigarosy, située à Mirepoix sous le couvert Saint Antoine, i.e. entre la rue Monseigneur de Cambon (autrefois rue d'Aval) et la rue Maréchal Clauzel (autrefois rue Courlanel). À droite sur l'image, on aperçoit les deux tours de l'ancienne maison de Jean Clément de Rouvairollis de Rigaud ; et, au fond en arrière-plan, la tour de l'ancienne maison de Montfaucon.

Ancienne tour de guet de la porte d'Aval, la tour dite de Montfaucon ainsi que la maison dans laquelle elle se trouve incluse, appartenaient au XVIe siècle à Charles de Montfaucon, seigneur de Rogles, vassal de la maison de Lévis (1). L'ensemble se trouvait séparé du rempart par une ruelle, aujourd'hui disparue. À la fin du XVIIIe siècle, tour et maison de Montfaucon passent par mariage aux mains de la famille Desguilhots de Saint-Julien. En 1833, Sophie et Zosyme Desguilhots font reconnaître par le tribunal le droit de propriété dont elles jouissent sur la partie sommitale de la porte d'Aval, sauvant ainsi ladite porte, au grand dam de la municipalité qui souhaitait alors la détruire afin d'édifier à sa place une porte « moderne ». (2)

Les deux tours que l'on voit, côté jardin, sur la façade de l'ancienne maison Rouvairollis, n'existaient pas au XVIIe siècle.

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Détail du plan du moulon 3 de Mirepoix établi par Alain Marmion à partir du compoix de 1766.

Située rue Courlanel (aujourd'hui rue Maréchal Clauzel), reconnaissable au au blason Veritas odium parit qu'elle arbore aujourd'hui encore sur sa façade, la maison qui porte sur le plan ci-dessus le numéro 709, appartient en 1666 à Madame la Douairière de Mirepoix (Louise de Roquelaure) ; d'où son nom de « tour de la Douairière ». Elle doit ce nom aux deux retours qu'on voit sur sa façade intérieure, ainsi qu'à son allure de forteresse. Elle fait face aux parcelles numérotées 605, 609 et 612.

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Ci-dessus : détail du moulon 3 du compoix de Mirepoix en 1766.

En 1766, Jean Clément de Rouvairollis de Rigaud, ancien capitoul, se trouve propriétaire de la totalité des parcelles qu'on voit figurées sur le plan ci-dessus, i.e, celles qui appartenaient en 1666 à Louise de Roquelaure (nº 709), Barthélémy Rives (nº 605), François Arexy (nº 609), Pierre Blanchard, maître apothicaire (nº 612). L'ensemble constitué à partir de ces anciennes parcelles porte dans le compoix de 1766 et sur le plan correspondant le numéro 202. Jean Clément de Rouvairollis de Rigaud occupe principalement dans cet ensemble la maison qui donne sur la rue d'Aval (aujourd'hui rue Monseigneur de Cambon). Soucieux de signifier dans la petite ville l'anoblissement qu'il tire de sa récente accession au capitoulat, il prend soin de faire édifier sur la façade intérieure de cette maison deux retours semblables à ceux que présente déjà l'ancienne maison de Madame la Douairière de Mirepoix. Ces retours, témoins de l'ascension sociale de Jean Clément de Rouvairollis de Rigaud et de la fierté qu'il en tire, ce sont les deux tours dont la photographie se trouve reproduite plus haut.

Jusqu'à une époque très récente, ces tours comportaient des fresques, aujourd'hui hélas disparues. Seules quelques pauvres photos nous en conservent le souvenir.

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Concernant l'ascension sociale de la famille Rouvairollis, à lire aussi :
À Mirepoix. Essai de généalogie de la famille Rouvairollis. 1. De François et Jean Rouvairollis à Jean Clément de Rouvairollis
À Mirepoix. Essai de généalogie de la famille Rouvairollis. 2. Jean Clément Rouvairollis et les siens
À Caudeval et à Limoux. Essai de généalogie de la famille Rouvairollis. Après 1789, que sont-ils devenus ?

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1. Cf. Christine Belcikowski. De l’Allée des Soupirs à la Tour de Montfaucon ; À Mirepoix – Moulon de… la porte d’Aval, rue Courlanel, le Grand Couvert, place Saint Maurice et grande place – n°185 à 212.

2. Cf. Martine Rouche. La porte d'Aval. In Bulletin municipal de Mirepoix. Avril 2019 ; Christine Belcikowski. À Mirepoix. Moulon de… la porte d’Aval, rue Courlanel, le Grand Couvert, place Saint Maurice et grande place. N° 97 à 112.

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