Gouttelettes…
qui tombent du saule
après la pluie
et qui mettent des perles aux cheveux
de la grand-mère qui passe sous les branches
— la fée des légendes, éternellement jeune ?
avec son panier à lessive.
Gouttelettes…
qui se logent dans les fleurs
et qui en font ployer les tiges
de leur poids lourd et léger
— Courbe-toi, fière jacinthe !
Tu renaîtras l’an prochain.
Dame Jacinthe gît, pour l'heure,
pâmée en sa robe violette,
sur la terre grasse et pleine d'escargots.
Gouttelettes…
qui fomentent dans le secret du soir
qui tombe
ou dans celui du matin blême
le complot cotonneux du brouillard.
— La matière demeure, mais la forme se perd,
dit le philosophe.
— La forme, oui, se perd. Mais la matière ici
demeure-t-elle, vraiment ?
Ailleurs, peut-être...
Il est temps de relire
en ce jour de Noël un classique
de l'enfance,
Perlette, goutte d'eau (1).
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Signé Marie Colmont, l'ouvrage date de 1936.
Je parle ici de la matière obscure des rêves.
J’entends grincer une porte
derrière laquelle,
là-bas, dans les arbres,
s’opère le coucher du roi soleil.
Puis c’est la nuit.
Depuis la même porte,
je vois au pied d’une muraille,
celle d’une forteresse ou d’une église,
une ruelle
dont l’issue se perd derrière la muraille.
Est-ce la lune ou une lanterne qui éclaire faiblement le pavé de la ruelle ?
De petits tas gris
bossèlent par endroits ce pavé.
Par instants, ls semblent bouger
puis ils s’immobilisent.
On dirait des rats — mais pas sûr,
puisqu’ils ne bougent plus.
Ou’est-ce que c’est ?
Straßenfilm…
Je me souviens, dans le rêve,
d’une scène du Cabinet du Docteur Caligari.
ℭ𝔢𝔰𝔞𝔯𝔢 𝔳𝔞 𝔢𝔫𝔱𝔯𝔢𝔯 𝔡𝔞𝔫𝔰 𝔩𝔞 𝔪𝔞𝔦𝔰𝔬𝔫 𝔡𝔢 𝔍𝔞𝔫𝔢 𝔭𝔬𝔲𝔯 𝔩'𝔢𝔫𝔩𝔢𝔳𝔢𝔯 !
Puis je vois le Crystal Palace
qui flambe au bord de la mer
— c’est à Brighton, me dit le rêve,
pourquoi Brighton ?
La mer est grise, le velours noir du ciel
dévoré par la pourpre des flammes.
Je marche dans le sable humide.
Partir à la nage,
loin de ce diaporama inquiétant ?
Mais l'eau est trop froide.
Ma couverture a glissé !
— Jeux de mots, jeux de mains
sont des jeux de vilain !
dit le quidam.
— Que nenni ! dit le poète,
le vilain est ici
magicien !
Il faut aux mots des entourloupes,
des coups d’ail ivres,
pour faire passerie,
passez muscade, hop là !
entre la bouche et l’oeil,
la bouche et l’oreille.
Il faut aux mains des grenouilles vertes,
des couleuvres d’eau,
pour faire piège à filles,
ou autres,
cent fois sur le métier, hop là !
entre machines désirantes,
beaux animaux du paradis.
Ce n’était pas ici du Boileau,
mais, à ma façon déshonnête,
un art poétique.
Dans la main des mots,
ô magie sans chapeau,
il y a des oiseaux,
et aussi des silences
entre les oiseaux,
des silences comme en rêve
de ceux qui président là-bas,
dans la chambre des feuilles,
à la cérémonie du pourpoint qui brûle,
ou ici, dans la glace de l’armoire,
à l’apparition désirable du loup,
Entends comme sonne
entre les oiseaux,
le fa du cor d’Obéron !
Entends comme grince
la charnière de la porte
qui donne sur l’autre côté
du miroir,
de la maison,
du jour.
Dans le silence des mots,
entre les oiseaux,
vois, entends !
À la lisière des mots,
ondoyant et divers,
sans trilles ni trémolos,
s’ouvre l'opéra fabuleux.
Devant la librairie, sous le Grand Couvert.
Devant la brocante, sous le Petit Couvert.
Cependant hauturières, à l'instar d’astronome,
vigies
observent la région des catastrophes,
où paradoxes annoncent,
imminentes,
réversion de l’espace,
réversibilité du temps.
C.B., « Cariatides », in Au bord du fleuve, Mirepoix, Imprimerie de l'Hers, 2018.