Christine Belcikowski

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Le solide, l'obscur

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Le solide, l’obscur,
     le seul, l’unique,
     a sa propriété
     qu’on ne voit pas,
     comme l’homme qui marche vers Monsou
     ne voit pas le sol noir
     au milieu de l’embrun aveuglant des ténèbres
     et comme on ne voit pas les mains
     que cet homme a glissées dans ses poches
     des mains gourdes que les lanières du vent d’est faisaient saigner.
La propriété est ici
     d’une épaisseur d’encre (1)
     elle mûrit dans la chair et l’os
     comme l’encre au fond de l’encrier,
     comme le geste dans la main,
     comme les mots dans la bouche,
     et elle y fait fruit sans rien qu’on en sache
     autrement qu’impromptu
     dans l’eau du miroir
     où l’on voit paraître, le matin,
     un visage inconnu,
     ou encore dans l’afflux du dire
     d’où vient ce mot qu’on regrette
     et qui vous fait honte.
Ich hab' Mein Sach' auf Nichts gestellt (2),
     J’ai fondé ma cause sur rien,
     dit le poète,
     et le philosophe après lui.

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1. Émile Zola, L'Assommoir, chapitre I.

2. Goethe, in Vanitas! Vanitatum Vanitas!.

Oh, Tourniquet !

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Mickey ! Oh, Tourniquet !
Le coucou s’est envolé.
Il n’y a plus d’heure qui sonne à l’horloge.
Il faut le rattraper, l’oiseau,
et faire en sorte d’arriver à temps,
avec le cadeau,
à l’anniversaire de Daisy.
Daisy ! Oh, Daisy !
la belle de nos rêves !
Elle est dans le Rhinocéros de Ionesco.
Après tout, les rhinocéros sont des créatures comme nous.
Aujourd’hui, je suis allée à la porte d’un restaurant
pour prendre livraison des plats d’un dimanche
ressurgi du fond de l’eau
des jours qui passent
sans passer.
Oh ! la fête
quand le soleil tombe sur la table de l’automne
quand les mots sont d’ailleurs,
de souvenirs de voyages,
d’enfances partagées !
La mémoire me revient alors de cette odelette de Nerval...
Et souvent, le dimanche... on va se promener...
Et l’on sent en rentrant, avec grand appétit,
Du bas de l’escalier, – le dindon qui rôtit.

Choses volantes

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Choses volantes
balayées par l’autan,
s’agit-il de mains coupées
de feuilles mortes
ou de gants dont les coutures ont lâché ?
Mais qui porte encore des gants aujourd’hui ?
Quel rapport entre ces choses volantes
et le marchand de hamburgers qui déclare
FRITES À VOLONTÉ
au coin de la rue ?
Mais il faudrait changer l’huile plus souvent.
Choses qui s’emportent dans le tourbillon
de la vie…
Mais ne s’agit-il pas plutôt du tourbillon
de la mort ?
Mais, bouteille vide, bouteille pleine,
l’un dans l’autre,
c’est pareil ! pareil !
Mon pas sonne sec sur le pavé de la rue,
clic ! clac ! un cheval !
Suis-je, sans le savoir, un cheval ?
Mais, d’un cheval l’autre,
y a-t-il autre chose que la différence du même,
que le simple tourniquet du vif et du mort ?

Hypnos m'éveille

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Au matin avant le réveil
des choses ressortent
se dégèlent
ou éclatent
comme des châtaignes jetées dans la braise sans être entamées...
Monday... une chanson qui berce
entendue réentendue
— j'ai longtemps cherché la playlist –
sur un vol de Vietnam Airlines
parti des sables de Cam Ràn...
Le Bouillant et le Dormant
aigues contraires et mêmes
surgies des gouffres qui s’entr’ouvrent
sous les ruines d’un château
dans la Charente profonde...
Les Sept Dormants
qu’on eût cru éveillés
et qui dorment depuis des siècles
dans une grotte obscure
leur chien veille sur eux
ils attendent la fin des temps...
Al Kahf (1) à son tour se dégèle
une main sans corps
jette encore dans la braise une poignée de châtaignes
Light my fire...
Le palais du Facteur Cheval s'écroule
— Je suis sur la photo d'autrefois
tout là-haut —
So long... Just a gigolo...
Domino domino...
Quo vadis, Domine ?
La musique se gélifie
illico
vers le réveil.

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1. سراة الكف, en arabe la grotte, dans la sourate 18 du Coran, qui évoque elle aussi l'histoire éphésienne des Sept Dormants.

Ici

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À la fin
qu’es-tu venue faire
ici
loin des années profondes
loin des jours de soleil et d’herbe
et des prairies en pente où tu roulais
roulais
à tomber dans le ciel
en jupe
avec des jambes qui riaient
riaient de s’égratigner
au pas turbulent des chardons
tandis que les clochettes des vaches tintaient
plus haut
là-haut
dans la commissure des monts ?

Qu’es-tu venue faire
ici
dans le clos d'une pièce jaune
encombrée de fétiches aux yeux morts
à écouter passer le charroi du matin
les remorques des poids lourds brinqueballent
les freins crient
la suie se dépose sur la vie
sur le menu du jour
sur les vitres
il n'y a plus d'ailleurs
plus de journée qui change
et rien n'a dérangé le sévère portique
des livres
qui n'en finit pas de monter ?

Qu’es-tu venue faire
ici
levée trop tôt
dans ton âge
confiné ?

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