Christine Belcikowski

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« Couvrez-vous, mon cousin. »

Rédigé par Belcikowski Christine Aucun commentaire

C’est avec surprise et amusement que j’ai retrouvé ce petit apologue dans Les Livres de Jakób d'Olga Tokarczuk, ouvrage passionnant pour lequel cet écrivain polonais a reçu en 2014 le prix Niké (équivalent polonais du Goncourt).

« Monsieur le Duc Jabłonowski est connu pour la haute opinion qu’il a de lui-même. Il marche d’un pas majestueux, le nez levé, le regard hautain, de sorte qu’il est fréquent de le voir trébucher. Sa chance est d’avoir l’épouse qu’il a, sage et raisonnable, et qui le traite comme un grand enfant dont elle daigne ignorer les caprices farfelus. J’ai personnellement vu chez lui un grand tableau représentant la Sainte Vierge devant laquelle il s’est fait peindre en train d’ôter son chapeau, mais la Mère de Dieu l’arrête en lui disant : « Couvrez-vous, mon cousin. » (1)

Cet apologue du « Couvrez-vous, mon cousin » est ordinairement considéré comme relatif à la famille de Lévis, dont on s'est plu à dire, par effet d'homonymie, qu'elle descendait de la Vierge, sachant que, dans les textes vétéro-testamentaires, la Vierge, descendante de la tribu de Juda par son père, est dite descendante de la tribu de Lévi par Sainte Anne, sa mère.

Dans La recherche du temps perdu, Marcel Proust, qui connaissait cette fable, prête au duc de Guermantes le propos suivant :

« Je ne suis pas si ambitieux que ma cousine Mirepoix qui prétend qu’elle peut suivre la filiation de sa maison avant Jésus-Christ jusqu’à la tribu de Lévi. » (2)

Jouant de l'homonymie en question, la famille de Lévis, qui a pour devise, inspirée des croisades, « Dieu aide au second chrétien Lévis », a peu ou prou repris à son compte la fable de cet apparentement à la Vierge, qui honore en elle tout justement le « second chrétien Lévis ».

Dans une lettre adressée en 1784 à Pauline (3), sa future épouse, Gaston de Lévis (4) rapporte « l'obligeante érudition » dont Frédéric II fait montre à son endroit concernant le cousinage que la maison de Lévis entretient avec la Vierge.

« À Potsdam, le 5 août 1784 »

« Je viens enfin de voir le roi. Ce prince nous ayant donné rendez-vous pour onze heures, nous nous sommes rendus avec le général Gürtz à Sans-Souci sur les dix heures. À peine étions-nous arrivés que la porte s’est ouverte et le roi est entré tout seul. Après nous avoir fait une révérence noble et en même temps fort polie, il s’est approché de moi et, monsieur de Gürtz m’ayant nommé, il m’a dit : « Vous devez, Monsieur, être parent de la Vierge. » J’ai répondu à Sa Majesté que cette alliance étant déjà un peu éloignée devenait assez incertaine. « Vous en avez cependant un titre bien connu dans l’histoire de ce monsieur de Lévis qui passait chapeau bas devant un tableau de la Vierge et à qui elle dit : couvrez-vous, mon cousin, c’est une preuve authentique qu’elle vous reconnaît pour être de la famille. » Vous conviendrez, Pauline, que voilà une obligeante érudition. » (5)

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On trouve dans les mémoires des siècles passés nombre de références à un tableau représentant le « Couvrez-vous, mon cousin » adressé par la Vierge à un représentant de la maison de Lévis. Conservé jadis dans l'un ou l'autre des châteaux des Lévis, dont celui de Mirepoix, dit-on, ou encore celui de Léran, ce tableau est aujourd'hui non répertorié, ou perdu.

En 1733, dit Mathieu Marais dans la Correspondance littéraire du Président Bouhier, « vous savez le conte de l'image de la Verge qui est peinte en quelqu'un des châteaux de la maison de lévis, avec un rouleau sortant de sa bouche et où sont ces mots adressés à un de cette maison, qui est peint à genoux devant elle : couvrez-vous, mon cousin, dira-t-elle, ma cousine. » (6)

Comme indiqué par le baron Robert du Casse dans l'ouvrage qu'il consacre à son illustre ancêtre, le général du Casse a eu connaissance de l'existence d'un tel tableau.

« Le général du Casse, comme le plus ancien des maréchaux de camp de la 16e division militaire, remplaçait quelquefois le lieutenant général commandant à Rouen. Il remplissait cet intérim en 1826, lorsque madame la duchesse de Berry vint faire un court séjour dans la capitale de la Normandie. La princesse était accompagnée de son chevalier d'honneur, le duc de Lévis. On sait que l'illustre et antique maison de Lévis a la prétention de descendre d'un cousin de la sainte Vierge. Beaucoup de gens ont entendu parler du tableau exécuté sur les données d'un membre de cette famille, et où le premier de sa race est représenté parlant à la sainte Vierge, le chapeau à la main :

« Mon cousin, dit la mère de Notre-Seigneur, couvrez-vous.
— Ma cousine, c'est pour ma commodité. »

À un grand déjeuner auquel assistait madame la duchesse de Berry, le duc de Lévis se fit attendre. La princesse dit que son chevalier d'honneur s'était sans doute mis en retard en allant voir la cathédrale. « Je suis désolé de n'avoir pas été prévenu, s'écria le préfet, car il aura trouvé les portes fermées ». La princesse s'associant aux regrets du préfet, le général du Casse se prit à dire :

— « Que Votre Altesse royale se rassure, la sainte Vierge saura bien faire ouvrir une porte à son cousin. »

La princesse trouva le propos plaisant, et, le duc étant arrivé, elle s'empressa de le lui répéter. M. de Lévis, au lieu d'en rire, parut peu satisfait. » (7)

En 1841, dans Les magnificences de la religion, Antoine Madrolle indique que le fameux tableau se trouverait encore au château de Noisiel.

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« Les Lévis, par un bonheur unique, peuvent s’enorgueillir même d'une prétention qui ferait peur à toute autre noblesse, et qui oblige celle-là plus même que leur fidélité royale héréditaire.

Lady Morgan assure, dans sa France, qu’il existe au magnifique château du duc de Levis, à Noisiel (8), un tableau représentant Marie disant à un Lévi (de sa tribu) devant elle la tête nue : « Mon cousin, couvrez-vous » et celui-ci lui répondant : « Ma Cousine, c’est pour ma commodité. » (9)

Concernant le rapport à la Vierge, il semble que la famille de Lévis ait eu un émule en la personne de Louis de Lignerac (1763-1823), officier en 1788, colonel du régiment Royal-Marine, député de la Haute-Auvergne pour le bailliage de Saint-Flour aux Etats Généraux en 1789? En 1791, Louis de Lignerac émigre et suit l'armée des princes dans les deux campagnes d'émigration de 92 et 94. Ses biens personnels sont confisqués et vendus en 1793. Puis il participe aux campagnes d'Allemagne, Corse, Portugal, Malte.

Après la Révolution, Louis de Lignerac sera fier de montrer dans sa salle à manger un tableau généalogique prouvant qu'il descendait de la tribu de Lévi ou de Mathieu l'Evangéliste, cousin de la Vierge. Celle-ci était représentée en visible état de grossesse, accueillant sur le seuil de son château, un seigneur incliné, chapeau bas devant elle, tandis qu'une banderole sortait de sa bouche avec ces mots : « Mais couvrez-vous donc, mon cousin. »

« Hélas ! il faut déchanter, tableau et collection ne figurent ni à Paris, ni au Héloy, à l'inventaire de 1823, établi après décès pour préserver les droits du fils Héloy », malheureusement posthume. [Étude de Maître Baron, notaire à Magny]. (10)

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1. Olga Tokarczuk. Les Livres de Jakób, pp. 1116-117. Éditions Noir sur Blanc. 2018, pour la traduction française.

2. Marcel Proust. À la recherche du temps perdu. Du côté de Guermantes. II.

3. Pauline Louise Françoise de Paule Charpentier d'Ennery, épousée à l'âge de quinze ans par contrat du 26 mai 1785, fille de Victor Thérèse Charpentier d'Ennery, comte puis marquis d'Ennery, gouverneur général des Iles sous le Vent, et de Rose Bénédicte d'Alesso d'Éragny.

4. Gaston Pierre Marc, vicomte, puis duc de Lévis, né à Paris le 7 mars 1764, fils de François Gaston de Lévis Ajac, défenseur du Canada, Maréchal de France puis Duc de Lévis, chevalier des Ordres et Gouverneur d'Artois, et d'Augustine Gabrielle Michel, guillotinée en 1794, fille de Gabriel Michel, seigneur de Doulon et Tharon, conseiller secrétaire du Roi, trésorier général de l'Artillerie de France, gentilhomme de la Chambre du roi Stanislas, directeur de la Compagnie des Indes.

5. Gaston de Lévis. Écrire la Révolution (1784-1795), p. 244. Correspondance présentée et annotée par Claudine Pailhès. Éditions La Louve. Cahors. 2011.

6. Jean Bouhier, Mathieu Marais, Henri Duranton. Correspondance littéraire du président Bouhier. Lettres de Mathieu Marais. Année 1733, p. 237.

7. Robert Emmanuel Léon Du Casse. L'amiral du Casse (1646-1715). Éditions Berger-Levrault et Cie. Paris. 1876.

8. C'est Gaston Christophe Victor, duc de Lévis Ventadour, fils de Gaston Pierre Marc, duc de Lévis, qui possédait alors le château de Noisiel, Seine-et-Marne, avec les terres attenantes, d'une superficie de 606 hectares. En 1863, le château passe aux mains de Marie Aymard Gaston, comte de Nicolaï, neveu de Gaston Christophe Victor de Lévis. En 1884, il est vendu à la famille Menier, fondatrice de la chocolaterie Menier.

9. Antoine Madrolle. Les magnificences de la religion (démonstration evangélique nouvelle), p. 220. Hyvert. Paris. 1841.

10. Source : descendants de Louis de Lignerac. Geneanet.

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