Christine Belcikowski

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Bref historique du village de Manses

Rédigé par Belcikowski Christine 1 commentaire

Le 24 octobre dernier, Émile Kapfer m'adressait de Manses le message suivant :
Chère Madame,
Avec beaucoup de difficultés, j'ai fait ce « Bref historique du village de Manses ». Ce sera sans aucun doute mon dernier texte, car mes forces disparaissent chaque jour un peu plus. Je vous espère en bonne santé.Au plaisir de vous lire. E K »
J'ai plaisir à diffuser un tel Historique ci-dessous.

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Ci-dessus : Manses, charmant petit village ariègeois, niché au creux d’un modeste vallon de l’étroite vallée du Liège, affluent irrégulier de l’Hers rive droite, à trois lieues de Mirepoix.

D’après des écrits retrouvés par Mme Geneviève Mouton et plus récemment par Mme Gabrielle Cambus, Manses devrait son nom à la vieille famille seigneuriale « D’AMENSAS » qui a vécu au cours du premier millénaire de notre calendrier et aurait disparu ensuite sans laisser aucune trace, pas même le moindre vestige de son fief seigneurial. Nous savons cependant qu’un descendant de cette famille a été moine à Manses et qu’il serait devenu abbé de Montolieu (Aude).

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Au cours du même millénaire, quelques moines bénédictins de l’abbaye de Montolieu se rendent en Ariège, à la recherche d’un nouveau territoire ainsi que d’un site où installer un prieuré. La petite vallée du Liège, fermée de tous côtés par des collines boisées, ouverte seulement au sud sur la chaîne des Pyrénées, leur apparaît comme un endroit idéal. Ils mettent dès lors tout en œuvre pour y installer leur prieuré.

Pour les assister dans leur tâche, ils engagent des hommes de métier et de nombreux manœuvres, car tout est à faire, à commencer par l’extraction et la taille des pierres à bâtir.

La construction de ce prieuré se prolonge durant plusieurs années, de telle sorte que des ouvriers finissent par s’installer à proximité de ce dernier. Cette primo-installation est probablement à l’origine de l’agglomération que nous connaissons.

Combien de temps ces moines ont-ils vécu à Manses ? Nous l’ignorons. Nous savons en revanche que le prieuré de Manses n’a pas survécu au passage des troupes de Simon de Montfort, qui ont occupé Mirepoix le 9 septembre 1209.

Sans davantage de précisions, le Père Abbé de Montolieu, abbaye dont dépendait le prieuré de Manses, rapporte « que les pertes et vexations furent si grandes qu’il fut contraint de réduire le prieuré de Manses à l’état de prieuré simple », c’est-à-dire d’en retirer les moines et de louer les terres.

Que reste-t-il du passage des moines à Manses ? Le prieuré proprement dit est devenu la résidence de la baronnie en lieu et place du château de Lapenne, tombé en ruine. En 1747, il constitue la résidence du marquisat de Portes.

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Ci-dessus : extrait du compoix de Portes (Manses) en 1752.

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Ci-dessus : reconstitution approximative de l'aspect du château de Portes (Manses) en 1874, avant sa démolition. Cf. Christine Belcikowski. À propos de l’ancien château de Portes, ou Manses.

Entièrement rénové dans les années 1830-1840 par les soins du quatrième marquis de Portes, le château est démoli et rasé au cours de l’année 1880, à l’initiative d’Adèle Hutton, cinquième marquise de Portes, soucieuse de se procurer ainsi les matériaux nécessaires à la construction du nouveau château de Roques, sur la commune de Teilhet.

Subsiste aujourd'hui à Manses seulement l’église d’antan, devenue église paroissiale. Encore n’a-t-elle pas conservé sa tour octogonale d'origine.

Manses connaît un certain renouveau au début des années 1500, lorsque des maîtres verriers venus de Revel (Haute-Garonne), en l’occurrence les frères François et Jean de Robert, s’installent en forêt de Bélène et engagent d’importantes équipes de bûcherons. Les verriers du XVIe siècle construisaient leurs fours en pleine forêt. Des muletiers y transportaient les matériaux utiles à la construction ; il s’agissait de fours à réverbère (1) en deux parties.

En activité, le four consommait journellement 20 à 25 stères de bois. Des mulets étaient chargés de l’approvisionnement afin de maintenir en permanence une réserve de bois près du four.

1200 degrés étaient essentiels pour obtenir du verre en fusion, température qu’il convenait de maintenir tant que les souffleurs de verre n’avaient pas vidé les creusets, soit pendant 10 à 12 heures en continu. La tâche des préposés au four était très dure en raison de la chaleur étouffante dégagée par les fenêtres du réverbère.

Aussi les verriers ne travaillaient-ils que pendant les six mois d’hiver, du mois de novembre au mois d’avril. Ils mettaient à profit les mois d’été pour construire de nouveaux fours dans la forêt.

Les frères de Robert ont construit le centre de leur verrerie en périphérie de la forêt de Bélène, à peu de distance du hameau de Nabouly, en un lieu qui s'appelait « Pèira traucada » (pierre trouée). Ce lieu qu’on retrouve orthographié de diverses façons au gré des employés du cadastre, aujourd’hui « Peyretraucade », abritait des habitations pour loger le personnel et un magasin pour stocker et négocier la production. La verrerie des frères de Robert jouissait alors d’une grande renommée. De nombreux jeunes s’y présentaient, venus d’un peu partout alentour, afin d’y faire ou d’y parfaire leur apprentissage.

Dès lors cependant que le bois a commencé à se raréfier, et le massif forestier, proche du périmètre du four, à donner des signes d’épuisement, les verriers ont abandonné la forêt de Bélène et recherché un autre massif où s’établir afin d’y poursuivre leur activité. C’est ainsi qu’au début des années 1600 les descendants des frères de Robert ont quitté Manses pour s'installer à Gaja-la-Selve, dans l’Aude.

Quelle trace les frères de Robert ont-ils laissée de leur séjour dans la forêt de Bélène ? Une ruine qui a intrigué bien des générations : une enceinte circulaire d’environ 2 mètres de diamètre et de moins d’un mètre de hauteur. Certains ont pensé qu’il s’agissait là des fondations d’une tour, d’autres plutôt de celles d’un moulin.

Catherine Robin, alors directrice du Pays d'art et d'histoire des Pyrénées cathares, est venue, accompagnée d’un expert, examiner de près cette ruine, et ils en ont conclu ensemble qu’ils se trouvaient en présence de la partie inférieure d’un four à réverbère.

En pleine forêt, prisonnier des racines d’un résineux arraché par la tempête de 1999, subsiste le culot d’un creuset encore garni de verre. Des recherches entreprises à proximité de ce dernier ont permis de retrouver de nombreux petits éclats de verre fin, légèrement courbés, attestant qu’en ce lieu et place a existé un four et que l’on y a fondu des verres à boire.

Quant aux bâtiments de la verrerie, ils ont été réaménagés en corps de ferme. Celle-ci deviendra l’une des plus importantes de la commune de Lapenne, avec une soixantaine d’hectares attenants. Au cours des dernières décennies, les bâtiments ont été séparés des terres et cédés à une famille anglaise.

Le village de Manses entre à nouveau dans une période d’activité intense lorsqu’en 1745, un certain Joseph de Portes, descendant d’une vieille famille noble du Dauphiné, titulaire de la baronnie héraultaise de Pardailhan, président aux requêtes au parlement de Toulouse, acquiert la baronnie de Lapenne.

Disposant sur place de ressources conséquentes, Joseph de Portes décide de faire construire une forge à la catalane. Il s’agit là, autour de 1750, d’un type de forge en plein essor. À preuve : on en compte alors déjà cinq dans le diocèse de Mirepoix.

Joseph de Portes, pour mener à terme son projet, engage d’importantes équipes de travailleurs. C’est ainsi qu’en 1754, désormais opérationnelle, la forge de Manses produit ses premiers quintaux de fer marchand.

Il fallait deux tonnes de charbon de bois pour réduire 450 kg de minerai en une masse de fer pâteux, rapidement sorti du four pour être divisé en lingots, énergiquement martelé et façonné pour être dirigé sous le martinet où il était intensément pilonné et transformé en fer marchand.

Le poste de forgeron était très dur, et demandait une forte constitution. Malgré une combinaison en cuir épais qui les protégeait du rayonnement du fer incandescent et des jets d’étincelles, ces forgerons transpiraient en permanence.

À peine le fer retiré, une nouvelle équipe prenait le relais, nettoyait le four des scories restantes et procédait au rechargement. Il fallait 6 heures de chauffe pour obtenir du fer en fusion, et le four travaillait en continu, absorbant ainsi 8 tonnes de charbon de bois par jour, soit l’équivalent d’une centaine de stères de bois.

Une armée de bûcherons œuvrait en permanence pour que les charbonniers disposent de la réserve de bois nécessaire au dressage de leurs meules, meules qu’ils recouvraient de litière et de terre avant la mise à feu. La cuisson durait de trois à quatre jours suivant l’importance de la meule. Une fois la meule éteinte et refroidie, le charbon en était retiré, chargé à dos de mulets, transporté à la forge et entreposé sous le hangar.

Au cours des années 1840-1850, les forges à la catalane atteignent leur summum d’activité et leur plus haut niveau de production. Leur déclin toutefois s’annonce déjà. Des hauts fourneaux, qui produisent de l’acier de qualité équivalente, en plus grande quantité, et à moindre coût, se trouvent construits en effet à proximité des mines de fer ou de houille. La vapeur remplace avantageusement la force hydraulique. Deux hauts-fourneaux, à la même époque, se trouvent déjà construits en Ariège, l’un à Tarascon, le second à Pamiers.

En 1840, on comptait en Ariège 45 forges en pleine activité. Vingt ans plus tard, en 1860, il n’en restait plus que 3 ou 4 à proximité de la mine ; toutes les autres étaient fermées et tombaient en ruine. La forge de Manses a cessé de travailler vers 1855, peut-être même un peu plus tôt.

Que reste -t-il aujourd’hui de l'ancienne forge de Manses ? Deux maisons où logeaient autrefois les forgerons et leurs familles ; transformé lui aussi en habitation, un autre bâtiment servant jadis de relais aux mulets qui transportaient le minerai de la mine, proche de Vicdessos, à la forge, et qui parcouraient ainsi un trajet d’une cinquantaine de kilomètres. Là, dans cet ancien bâtiment, les bêtes pouvaient manger et se reposer avant de reprendre le chemin de la mine. Les anciennes murailles de la forge servent désormais de soutien aux nouvelles habitations.

De la forge d’origine, ne subsistent aujourd'hui que la cave de la trompe d’eau et le pont qui enjambait le canal de fuite du martinet et le canal de fuite de la trompe d’eau.

Manses a connu son apogée à l'époque de la forge. En 1845, le village comptait 605 habitants ; en 1905, il en comptait encore 300, dont une douzaine d’artisans ; en 2018, il n'en compte plus que 129 habitants, même si l'on note une légère remontée au cours de la dernière décennie.

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De temps à autre, une maison se restaure, une autre se construit. Signe de ce que d'autres personnes, à la recherche d’air pur, de calme, trouvent à Manses un havre de paix et de quiétude.

Car il fait bon vivre à Manses !

Signé : Émile Kapfer. 15 octobre 2018.

1. Four à réverbère : four dans lequel les matières à traiter sont chauffées par la sole et par la chaleur réfléchie par la voûte.

À lire aussi  : autres articles d'Émile Kapfer
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Classé dans : Histoire Mots clés : aucun

1 commentaire

#1  - hRumeau a dit :

Cent stères de bois par jour!
On comprend pourquoi l'extraction de la houille a sauvé nos forêts.

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