Ci-dessus : vitrail de Saint Jean Baptiste, offert à l’église du même nom à Manses-Portes par Henri François Maurice, comte de Portes, en mémoire de Paul François Thomas de Portes et d’Hélène Gordon Hutton, ses père et mère. Cliquez sur les images pour les agrandir.
On ne saurait raconter l’histoire du château de Roques sans évoquer la marquise de Portes, Hélène Gordon Hutton, épouse américaine de Paul François Thomas de Portes (1839-1880), cinquième marquis de Portes. Après le décès de son mari, Hélène Gordon Hutton s’est trouvée en charge de mener à bien le projet familial de ce dernier. Des deux enfants du couple, Adolphe François René de Portes, sixième marquis de Portes, et Henri François Maurice, comte de Portes, c’est Henri François Maurice, comte de Portes, qui hérite ensuite en Ariège du domaine paternel de Portes.
Né à Paris le 8 janvier 1865, le comte François Henri de Portes est âgé de 15 ans à peine lorsque le 3 septembre 1880 son père meurt à l’âge de 41 ans. Il est âgé de 28 ans lors du partage des biens successoraux qui suit la mort de sa mère, survenue à Paris le 4 décembre 1892 à l’âge de 53 ans. Il reçoit dans ce partage l’ensemble du domaine des Portes (environ 1400 hectares), lequel comprend les restes de l’ancien château de Portes et une quinzaine de métairies, dont la métairie de Roques, qui à l’origine ne faisait pas partie du domaine.
D’après le plan du compoix de 1754, Suzanne Falgos, veuve de Jean Amouroux, tenait alors au lieu dit Roques, ancienne propriété sans doute d’un premier Roques éponyme, métairie, terre, bois, vigne, etc., le tout d’une surface de 90 séterées (45 hectares environ). On ignore à ce jour la date exacte à laquelle la famille de Portes a fait l’acquisition de la métairie de Roques, mais c’est avant 1775 puisque le 3 avril 1775, le deuxième marquis de Portes baille ladite métairie ainsi que la forge à Jean Baptiste Cailhau, habitant du Peyrat. Le plan cadastral de 1842 précise que la métairie de Roques se trouve alors constituée d’un unique et important bâtiment de 25 mètres sur 15. Le 14 juillet 1874, M. Lefevre, estimateur près du tribunal civil de la Seine, chargé de l’inventaire estimatif du domaine de Portes, mentionne dans son rapport d’expertise « la ferme de Roques », située sur les communes de Teilhet et de Tourtrol, contenant 89,30 hectares, soit l’une des plus importantes du domaine. Le 23 avril 1878, le cinquième marquis de Portes baille au sieur Alfred Senesse la métairie de Roques pour une période de 8 années. Le sieur Alfred Senesse sera le dernier fermier de Roques. Ce bail en effet ne sera pas reconduit, afin de permettre à Adèle Gordon Hutton, marquise de Portes, d’entreprendre les travaux nécessaires à l’édification de la nouvelle résidence de la famille de Portes.
Ci-dessus : Extrait du compoix de 1754, sur lequel se trouve figuré le château de Portes, construit sur l’emplacement de l’ancien prieuré Saint Jean de Manses. Ce château devient en 1692 le siège de la baronnie, après que celui de Lapenne est tombé en ruine. Il constitue à partir de 1747 le siége du marquisat de Portes en 1747 ; puis, complètement transformé, la demeure du quatrième marquis de Portes dans les années 1850.
Suite à l’achat de la baronnie en 1745, la famille de Portes disposait du château construit à Manses sur les restes d’un ancien prieuré, en partie détruit pendant la guerre contre les Cathares. A partir de 1745, le quatrième marquis de Portes entreprend d’importants travaux de transformation et de modernisation de ce château. En vue d’y installer l’eau, il fait construire dans la colline de Vergnes, en amont du château, un vaste réservoir, susceptible de constituer une réserve importante. Mais il doit par la suite renoncer à ce projet, la commune ayant refusé le passage des canalisations qui eussent permis le raccordement du château et de ses dépendances.
Adossé au village, sans vue, sans espace, le château de Portes, ou plutôt ce qui demeurait une simple maison de campagne aux yeux de la très parisienne famille de Portes, n’a dès lors plus rien d’attachant. D’autant que, pour atteindre le château, il fallait aux Portes traverser chaque fois un village affligé d’une population plus ou moins hostile à leur endroit. Réalistes, les Portes n’insisteront pas. Ils décident de s’installer ailleurs, en un endroit où ils n’auront plus à souffrir des inconvénients semblables.
Bâtie sur une terrasse qui surplombe la vallée de l’Hers, orientée plein Sud, suffisamment isolée, dotée d’une large vue panoramique sur la chaîne des Pyrénées, la métairie de Roques constituait un site magnifique, fort agréable. Les Portes, à qui le charme de cette métairie n’avait point échappé, voient en elle le lieu d’un déménagement opportun.
Dans le même temps, la commune s’avise d’assouplir quelque peu sa position concernant le passage des canalisations projetées par le marquis. Elle aurait, au dire des Anciens, consenti au passage desdites canalisation, à la condition que le village serait, lui aussi, alimenté en eau. Mal remise de la perte de ses anciens droits d’usage dans la forêt de Bélène ((Cf. Emile Kapfer. A propos de la forêt de Bélène.)), la commune aurait également tenté obtenir la restauration de ces droits en contrepartie du passage des canalisations du marquis. N’étant pas du genre à tergiverser, les Portes ne donneront pas suite à l’affaire. Ils quittent leur ancien château de Portes afin de travailler à l’édification de leur nouveau château de Roques.
En 1880, la marquise de Portes, alors devenue veuve, saisit l’opportunité fournie par l’expiration du bail à ferme consenti par son époux à Alfred Senesse, pour entreprendre les travaux, très importants, nécessités par la nouvelle construction qu’elle projette. Dès 1886, elle engage la démolition du château de Portes afin de disposer des matériaux nécessaires à l’édification du nouveau château. Lors de ces premiers travaux, confiés aux frères Pautou, entrepreneurs de maçonnerie basés à Mirepoix, la marquise de Portes s’installe occasionnellement dans la maison du régisseur à Borde Neuve, métairie qu’elle fait aménager et embellir pour la circonstance. A sa mort, survenue en 1892, c’est François Henri de Portes, son second fils, qui se charge de terminer les travaux.
A l’aide des matériaux qu’il obtient à moindre coût de la démolition du château de Portes, matériau dont le surplus sera déversé non loin de l’Hers afin de servir à la restauration ou à la consolidation des berges, François Henri de Portes fait construire à Roques un second étage mansardé avec chiens assis, ainsi que, sur le flanc est du château, une annexe couronnée de deux tours destinées à la circulation des escaliers de service, et, adossé à ladite annexe, un appentis. La grande salle à manger date, elle aussi, de cette époque-là.
En 1901 enfin, le comte de Portes reçoit des Ponts et Chaussées l’autorisation de couper la route pour permettre le passage de la canalisation qui doit alimenter en eau courante le château. Une page se tourne. Le château de Portes n’est plus. La métairie de Roques, non plus. A la place de cette dernière s’éleve une belle habitation moderne, aux embrasures des portes et fenêtres recouvertes de mosaïque verte, disposant du confort de l’époque : l’eau, le téléphone (le premier à Rieucros), et la gare à moins de 2 kilomètres.
Le nouveau château ne disposant pas de dépendances, le comte fait aménager encore dans une grange de l’ancienne forge une écurie pour ses chevaux (5 stalles), et au-dessus de cette dernière, un logement. En 1901, comme il n’existe pour accéder au château qu’un seul chemin d’accès côté Est, le comte fait ouvrir à partir de la forge un second chemin côté Ouest, lequel chemin nécessitera un mur de soutènement important.
Selon Maurice Fabre, maire honoraire de Vals, le comte de Portes était un bel homme, svelte, élégant, mais d’une santé quelque peu fragile. Il allait régulièrement faire des cures à Ax-les-Thermes. En 1921, il souffre sans doute d’un problème plus sérieux, car, resté célibataire, il teste cette année-là en faveur de son filleul, qui était également son neveu. Il est âgé alors de 56 ans.
Le 22 octobre 1929, il meurt à l’âge de 64 ans en son château de Roques, « où il se trouvait momentanément », comme dit l’acte de décès, car il disposait aussi d’un immeuble à Paris. C’est le docteur Maurice Rascol de Mirepoix qui délivre le permis d’inhumer, après avoir constaté que François Henri de Portes était mort d’une crise d’urémie. Emmanuel Repond, son fermier du Cazal, vient raser le comte sur son lit de mort. Francois Henri de Portes sera inhumé à Paris comme tous les siens.
C’est Paul Georges Henri de Portes, son neveu, né à Paris le 9 décembre 1900, qui, comme prévu par le testament de 1921, devient en 1930 le nouveau propriétaire du domaine de Portes. Il est âgé de 29 ans.
Pour le peu qu’on en sait, le nouveau comte avait des revers de fortune et faisait grand usage de billets à ordre. A peine installé dans les lieux, il procéde à la vente d’une partie des biens hérités de son oncle. D’où le la réaction de Maître Jean Gandriau, notaire de la Sarthe, auprès duquel Paul Georges Henri de Portes avait souscrit de nombreux billets. A la demande de ce notaire, le domaine se trouve mis sous séquestre par le tribunal de Pamiers. En 1935, Maître Fourianne, huissier à Mirepoix, procéde à la saisie de l’ensemble des biens appartenant à Paul Georges Henri de Portes. Afin d’en assurer la gestion, pendant la vacance du domaine, un syndic se trouve désigné en la personne de M. Chapouleau, qui vient temporairement s’installer au château.
Le 13 février 1936, le tribunal de Pamiers nomme trois experts qui ont pour mission d’établir le lotissement et l’estimation du domaine de Monsieur le comte de Portes. Il s’agit d’André Rez, propriétaire à Varilhes ; de Joseph Lafargue, ingénieur agronome à Pamiers ; et de Joseph Palmade, propriétaire et maire des Pujols. Le château de Roques constitue le sixième lot, ainsi présenté : « le château de Portes ou de Roques, la ferme de La Forge, la ferme de la Mondonne. Mise à prix : 20 000 francs. »
C’est alors que se produit un événement inattendu : les requérants, i.e. les héritiers Gandriau – le notaire étant décédé entre temps -, refusent de payer la note d’honoraires présentée par les experts. Celle-ci s’élève à 26 000 francs, somme qu’ils trouvent très exagérée. Les experts refusant toute transaction, il s’ensuit une procédure à l’issue de laquelle le tribunal de Pamiers condamne les héritiers Gandriau à payer la somme demandée, majorée des dommages et intérêts. Les héritiers Gaudriau toutefois font appel, ce qui a pour effet de renvoyer sine die la vente qui aurait dû avoir lieu le 4 février 1937, comme indiqué 13 janvier 1937 dans les annonces du journal Le droit pour tous :
Ci-dessus : représentation du château de Portes tel qu’aménagé par le marquis dans les années 1850, avant le rapport d’expertise daté du 14 juillet 1874, puis, à partir de 1892, sa démolition. Dessin de Jacques Chauvry, d’après le rapport d’expertise.
« A vendre aux enchères publiques, suite à saisie immobilière, le 4 février 1937 à treize heures trente et suivantes par devant et à l’audience des saisies immobilières du Tribunal civil de Pamiers, au palais de justice de Pamiers, salle ordinaire des dites audiences. »
« Un beau et grand domaine connu sous le nom de DOMAINE DE PORTES divisé en 12 lots. »
Description partielle du lot n° VI : « Le Château de Roques, de construction moderne, est situé sur une terrasse surplombant la plaine de l’Hers et porte le n° 850 section B, commune de Teilhet. Il comporte deux façades principales, l’une au Sud, l’autre au Nord, ainsi que deux étages, construits en pierre et en chaux. Il se trouve recouvert de tuiles sur la plus grande partie avec quatre versants d’eau, et des angles formant pointe recouverts en ardoises.
La façade Sud compte trois grandes portes vitrées, dont l’une est précédée d’une véranda, plus deux grandes fenêtres, le tout au rez-de-chaussée. Au premier étage se trouvent cinq grandes fenêtres, et au deuxième étage trois autres grandes fenêtres, plus un oeil-de-boeuf sur le pignon gauche.
Au rez-de-chaussée de la partie Nord se trouvent une porte cochère et deux grandes fenêtres ; le premier étage est éclairé par quatre grandes fenêtres, et le deuxième étage par trois autres grandes fenêtres et un oeil-de-boeuf au pignon droit.
A l’Ouest, un petit hangar à usage de bûcher, une fenêtre au premier et une fenêtre au second.
Le rez-de-chaussée de la partie Est, est précédé d’une grande véranda donnant accès vraisemblablement à l’office par trois portes ; au premier étage, trois grandes fenêtres ; et au deuxième étage, trois autres grandes fenêtres, dont une plus petite.
L’immeuble sus-décrit est situé sur une terrasse avec une vue splendide sur les Pyrénées. »
Sur ces entrefaites intervient Léonce Vieljeux, alors armateur et maire de La Rochelle, colonel en son temps, qui deviendra bientôt célèbre, le 23 juin 1940, lorsque les armées allemandes entrent dans La Rochelle, pour avoir répondu au lieutenant allemand qui lui ordonnait de faire hisser le drapeau à croix gammée au-dessus de la mairie, « qu’il ne saurait recevoir d’ordre que d’un officier de grade équivalent ou supérieur au sien », réponse qui lui vaudra d’être révoqué comme maire le 22 septembre 1940, puis expulsé de La Rochelle en 1941.
Au cours d’un repas familial de la fin de l’année 1937, fort déjà d’un sombre pressentiment et visionnaire à ses heures, Léonce Vieljeux fait part à sa famille des inquiétudes qui sont les siennes quant à l’avenir du pays (la guerre d’Espagne fait alors rage) : « Au train où vont les choses, dit-il ce jour-là, nous nous acheminons vers une guerre certaine, qui va générer une très forte inflation. Il serait avisé d’investir dans du foncier, qui offre une certaine stabilité, tout ce que vous pouvez avoir en liquidités. »
Peu de temps après, il informe son fils Christian d’une rencontre qu’il a eue avec Maître René Chaton, notaire à Troyes (Aube), rencontre au cours de laquelle il a appris qu’un important domaine est à vendre en Ariège. Il conviendrait, ajoute-t-il, d’y aller voir.
En février 1938, Christian Vieljeux, accompagné de son épouse, se fait un devoir de visiter ce domaine, qu’on lui présentait comme susceptible de lui convenir. Il faut au couple plusieurs jours pour voir l’ensemble des fermes, forêts et bois, que composent les 1200 hectares du domaine. Ils sont ravis. L’endroit leur plaît. Il y a manifestement beaucoup à faire, ce qui enthousiasme Christian Vieljeux, homme des grands espaces, des grands horizons, hyper actif, dans la force de l’âge à 42 ans.
De retour à Paris, Christian Vieljeux se rend chez Maître Chaton et le prie de tout mettre en oeuvre pour réaliser cette transaction dans les meilleurs délais. Maître Chaton entre aussitôt en relation avec le président du tribunal de Pamiers en vue d’obtenir la suspension de la procédure en cours. Contact est pris avec le comte de Portes ; un protocole, établi. Monsieur Vieljeux se charge de racheter toutes les cédules déposées au greffe par les créanciers du comte. Il prend également en charge l’ensemble des frais de justice, et autres frais générés par la saisie. Ainsi libéré des poursuites judiciaires, le comte Paul Georges Henri de Portes peut procéder lui-même à la vente de son héritage. Hélène Marie Jeanne Rebufel, son épouse, célèbre, elle, pour avoir été la maîtresse de Paul Raynaud, alors président du Conseil, et plus encore pour avoir déclaré « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts » tandis que l’armée française se trouve en déroute, renonce à son hypothèque légale, de telle sorte qu’un premier acte se trouve signé sous seing privé le 28 décembre 1938 ; et un second, le 17 février 1939.
Ci-dessus : vue du château de Roques construit dans les années 1890 par Adèle Gordon Hutton, marquise de Portes, en lieu et place de l’ancienne métairie de Roques. Cette photo provient d’une affiche placardée à Tourtrol, affiche annonçant, avec description et mise à prix des lots, la vente aux enchères publiques du domaine de Portes, qui devait avoir lieu le 4 février 1937. Nous devons cette affiche à Mme Marcel Pons de Laragnou, qui, toute jeune fille alors, a eu l’intelligence de la récupérer avant qu’elle ne disparaisse. C’est pour l’instant la seule retrouvée. La même affiche a été apposée dans chacune des sept communes concernées par cette vente.
Christian Vieljeux ne goûtait pas le style de construction que la marquise de Portes avait imprimé au château de Roques. « A la rigueur, disait-il, celui-ci aurait pu avoir sa place dans la vallée de Chevreuse ; mais pas dans le Midi, pays de la brique. » Il rêvait d’une maison dont le style corresponde à celui de la région ; et il n’était pas homme à s’accommoder de ce qui ne lui plaisait pas. Il confie donc à René Boulot, architecte décorateur à Paris, le soin de lui présenter un projet qui aille dans le sens de ce qu’il souhaitait. René Boulot, qui ne manquait pas d’envergure, voit d’emblée ce qui peut être fait en tirant partie des lieux. Il propose à M. Vieljeux quelque chose de radicalement différent de ce qui existait précédemment.
Il prévoit, dit-il, de rogner la colline attenante au château afin de dégager un vaste espace sur lequel sera construit un grand garage, couvert d’une terrasse qui donnera accès de plein pied aux chambres du premier étage et qui sera prolongée d’un petit jardin d’agrément. Les murs de la bâtisse seront recouverts de briques anciennes, qu’il se procurera dans une briqueterie de Pinsaguel en cours de démolition. Un toit à quatre pentes, appuyé sur une imposante corniche, remplacera le toit incongru de naguère. René Boulot avait le sens des proportions et de l’harmonie. Ce qu’il présente à Christian Vieljeux reçoit immédiatement l’agrément attendu, et Christian Vieljeux fait commencer les travaux de terrassement sans attendre.
La déclaration de guerre du 3 septembre 1939 bouscule cependant ces travaux. Christian Vieljeux est mobilisé, fait prisonnier, transféré en Allemagne. Au bout de quelque temps, il se trouve renvoyé dans ses foyers en raison de ses cinq enfants. Il se voit par la suite contraint de se cacher. Le réseau dont il fait partie est malheureusement découvert. Suite à quoi, son père, un oncle et un cousin sont arrêtés, déportés au camp de Natzweiler-Struthof (Alsace) où ils sont exécutés d’une balle dans la nuque durant la nuit du 1er au 2 septembre 1944. Son père avait 79 ans.
La guerre terminée, Christian Vieljeux met tout en oeuvre pour réaliser les très nombreux projets qu’il a en tête et terminer ceux d’entre eux qui se trouvent déjà en cours. Dans un premier temps, il fait électrifier les fermes du domaine et le château, car les communes n’avaient fait électrifier jusqu’ici que les villages seulement. Concernant le château, une photo aérienne de 1942 montre que les travaux de terrassement sont à cette date déjà bien avancés. Il s’agit désormais de construire.
Pour mener de front tous les chantiers en cours, la main d’oeuvre locale est insuffisante. Christian Vieljeux fait alors appel à l’administration militaire qui lui fournit un commando de prisonniers de guerre provenant du camp du Vernet, soit 30 hommes transportés par camion au début, installés ensuite dans la ferme de la Mondonne, celle-ci disposant de vastes bâtiments dans lesquels sont installés les chambrées, la cuisine, le réfectoire, et même une chapelle. En 1947, après le rapatriement des prisonniers allemands, l’administration pénitentiaire prend le relais en fournissant un commando de 50 détenus politiques, condamnés pour faits de collaboration, qu’on installe également à la Mondonne avec leurs gardiens.
Grâce à cet apport de main d’oeuvre, l’ensemble des travaux, tant sur le domaine qu’au château, avance désormais assez rapidement, ce qui n’est pas pour déplaire à Christian Vieljeux.
Considérant que la bâtisse se trouve trop accolée à la colline, sans aucun dégagement côté ouest, René Boulot juge il convient de rogner cette partie de colline afin de dégager un vaste espace dans lequel seront construits un grand garage côté nord, l’orangerie au sud, le tout couvert d’une terrasse donnant accès de plain-pied au premier étage, terrasse elle-même prolongée par un jardin d’agrément.
Dans la construction ancienne, une seule fenêtre existait à l’étage coté ouest. Dans la nouvelle construction, René Boulot prévoit que cette fenêtre sera supprimée et remplacée par deux portes-fenêtres donnant directement accès à la chambre la plus agréable du château. Une troisième porte donnera accès au couloir. Une petite annexe sera également construite en vue d’y installer une salle de bain.
La terrasse et l’orangerie deviendront ainsi la partie centrale de la construction. Pour faire pendant au château, la symétrie se trouvera réalisée par les imposants murs de soutènement du jardin suspendu ainsi que par les rampants, emplacement où seront construits les escaliers qui donneront accès au jardin et à la terrasse.
René Boulot vient assez régulièrement s’assurer que les travaux sont bien réalisés, conformément à ce qu’il a conçu. Le revêtement en brique, notamment, devra être rendu solidaire des murs par des crochets préalablement scellés dans ces murs et ferraillés afin de prévenir tout décollement éventuel.
La couverture du château était antérieurement faite d’ardoises et de tuiles mécaniques. Ce seront désormais des tuiles canal. Mais pour que ces tuiles soient d’époque, un maximum d’entre elles devant avoir été déjà utilisées, elles seront récupérées sur les toitures de l’ancienne ferme d’Empujals, alors tombées en désuétude. Afin que rien n’en paraisse extérieurement, les gouttières seront dissimulées dans la corniche. Les descentes et les évacuations d’eau sanitaire seront camouflées de même par le revêtement de brique. Les eaux seront ensuite reprises et évacuées par des collecteurs dissimulés sous les trottoirs.
Nous devons mettre encore à l’actif de René Boulot la suppression de l’appentis accolé à la façade est du château ; la construction du grand escalier en brique qui donne accès à la grande terrasse à partir du chemin d’accès au château, ainsi que la préservation de l’escalier en pierre créé par le comte de Portes au moment où, s’installant dans le château, celui-ci a fait ouvrir le chemin destiné à le relier directement à la forge. En taillant dans la colline, René Boulot a également aménagé les gradines, qui permettent côté ouest de rejoindre le terrain de jeu, ainsi que le chemin d’accès au château.
En 1950, les travaux du château sont pratiquement terminés. Plus aucune trace du castel qu’avaient conçu le comte et la comtesse de Portes. A la place de ce dernier, une belle bâtisse de briques roses, de style Louis XIV. Madame Vieljeux y vient dès lors régulièrement avec ses petits enfants passer les vacances scolaires. Tous ont gardé de Roques un souvenir inoubliable.
Restaient à aménager les aspects extérieurs du château. Le travail se trouve confié à Jacques de Wailly, architecte paysagiste basé à Abbeville, dans la Somme ((Cf. Data.BnF. Jacques de Wailly.)).
C’était un homme grand, sec, très nerveux, précis, maniaque, pas toujours facile à vivre, mais d’une très haute compétence et très expérimenté, qui avait dessiné des jardins à la cour de Hollande et qui fut plusieurs années de suite membre du jury aux Floralies. Pierre Vieljeux, frère de Christian, l’avait déjà sollicité pour agrémenter sa résidence de Nieule (17), et il y avait créé un grand jardin, dont l’originalité l’a ensuite fait classer parmi les plus beaux de France.
C’est tout naturellement donc que Christian Veiljeux le sollicite, et Jacques de Wailly vient à plusieurs reprises s’installer à Roques pour y faire les levées et croquis de ce qui pouvait être envisagé. Parmi ces croquis, M. Vieljeux et son épouse choisissent le labyrinthe. Jacques de Wailly établit dès lors des plans précis de ce qui a été retenu, minutieusement cotés.
Les travaux prévus par René Boulot n’ont pas encore été terminés dans la cour d’honneur, notamment la construction du mur de soutènement, interrompue par suite d’un glissement du talus, assez conséquent. C’est donc par ce mur que M.de Wailly commence son travail. Il le redessine en entier, fait démolir une partie construite pour réduire la hauteur initialement prévue au niveau du mur de la terrasse au-dessus du garage. De solides pilastres y sont incorporés, couronnés par des sarcophages, le tout assis sur des soubassements conséquents. Car il déplorait que ceux du château n’aient pas été proportionnés en rapport avec le bâtiment.
M. de Wailly prévoyait de construire entre le mur et le talus une petite allée qui aurait permis d’accéder directement à la terrasse par la cour d’honneur sans faire le tour du château. Pour ce faire, une porte est aménagée dans l’enceinte de la terrasse et prolongée d’un petit escalier. Ce projet toutefois n’a pas été réalisé en totalité.
M. de Wailly entreprend ensuite d’établir l’entrée de la cour d’honneur, qu’il situe dans l’axe de la porte du château. Il s’agit d’une vaste entrée de 12 mètres de largeur, délimitée par deux socles imposants qui serviront d’assise à deux lions menaçants, la gueule ouverte (garde symbolique du château), et qui serviront également d’appui à un hémicycle, ceinturé de bornes reliées entre elles par des chaînes de bateau, bornes au pied desquelles aboutiront les deux chemins d’accès.
M. de Wailly confie l’exécution de ces travaux à un entrepreneur de Mirepoix, M. Jean Baby, agréé pour la restauration des monuments historiques. Il se déplace toutefois régulièrement afin de surveiller l’avancement des travaux.
Vient ensuite le tour de la grande terrasse. M. Wailly s’occupe là de l’ornementation des pilastres du jardin suspendu, pilastres sur lesquels il fait déposer soit des pyramides, soit des sarcophages – « à défaut de statues », disait-il. Il fait également aménager une vasque entre les deux escaliers.
Son projet se trouve axé sur l’orangerie. C’est face à cette orangerie que seront établis le labyrinthe et, perpendiculairement, les deux parterres qui lui serviront de pendants. A cette fin, M. Wailly fait décaisser leurs emplacements sur 40 centimètres de profondeur ; les terres ainsi dégagées sont mises en remblai, car la largeur de la terrasse se trouve par endroits un peu limite pour le projet. Des apports de terre végétale sont mis en place, parfaitement nivelés et roulés, suivis d’un piquetage méticuleux, piquetage relativement auquel tous les angles des parterres, grands ou petits, doivent être matérialisés par des broches de fer à béton de 40 centimètres de longueur, enfoncées au ras du sol, afin qu’à tout moment l’on puisse en retrouver le tracé.
La petite terrasse sera traitée de la même façon, ainsi que les haies qui délimitent l’enceinte de la cour d’honneur et de la grande terrasse. Au cours de l’hiver, on procède aux plantations du labyrinthe, massifs de berbéris rouge, puis multitude de plantes vivaces, soigneusement choisies, qui dés le printemps éclatent en une débauche de fleurs multicolores qui s’épanouissent tout au long de l’année. M. de Wailly termine son oeuvre par la création des paliers inversés, situés coté ouest, paliers qui permettront aux gradines de déboucher sur la terrasse dans l’axe du grand escalier et de produire ainsi un parfait effet de symétrie.
Une anecdote, ici, qui n’a rien à voir avec le château. Au cours des séjours qu’il a effectués à Roques, M. de Wailly m’a demandé un jour de profiter du dimanche pour lui faire visiter les curiosités de la région, ce que j’ai fait bien volontiers. Le jour de son départ, je lui dis qu’il lui faut visiter une curieuse église. Il s’agissait de l’église de Vals.
En admiration devant ce site qu’il venait découvrir, M. de Wailly répétait « Que c’est beau, quel dommage que vous ne m’ayez pas fait voir cela plus tôt ! » L’abbé Durand, curé de Vals, avait fait déplâtrer l’intérieur de l’église, où par endroits le plâtre partait en lambeaux à cause de l’humidité, ce qui lui avait permis de découvrir des fresques datées du XIIe siècle, que tout le monde ignorait.
Au moment de franchir l’escalier qui devait nous conduire à la tour, M. de Wailly s’aperçoit q’une petite surface, de deux mètres carrés à peine, avait été crépie. — Pourquoi ce crépi, me dit-il ? Je lui précisai alors que seuls le parement de bel appareil et le rocher émergeant seraient maintenus en l’état, et que les autres murs de moindre aspect seraient recrépis. Ma réponse l’a fait bondir. — Mais c’est une hérésie de faire pareille chose, un véritable gâchis que de recouvrir ces murs de ciment ! Ce crépi indique tout simplement que ces murs ont été construits à une époque antérieure ; et il faut les maintenir dans leur version d’origine. A ma connaissance disait-il encore, il n’existe que deux sites équivalents au sud de la Loire, l’oppidum d’Ensérune et l’église de Vals !
Au cours du trajet qui le conduisait à la gare de Pamiers, M.de Wailly a insisté pour que je rencontre l’abbé Durand et que le lui conseille de ne pas persister à couvrir de ciment les murs d’une si belle église, bref de ne pas persister à en détruire la beauté. Une fois de retour, je me suis rendu chez l’abbé, je lui ai fait part de la visite de M. de Wailly, ainsi que de ses réflexions et commentaires. Regrettant de n’avoir pas eu l’occasion de rencontrer ce Monsieur, l’abbé, qui se trouvait à Vals le lendemain matin avant ses maçons, leur a demandé de ne pas continuer à crépir, mais de défaire, au contraire, ce qui avait été déjà fait. Ainsi, si aujourd’hui les murs de la nef de l’église de Vals ont pu retourner à leur aspect d’origine, c’est un peu à Jacques de Wailly que nous le devons.
Ci-dessus : datée de 1960, vue aérienne du même château de Roques, repris par Christian Vieljeux, avec le précieux concours de René Boulot, architecte décorateur à Paris, et de Jacques de Wailly, architecte paysagiste à Abbeville. (Somme).
En 1956, les travaux et aménagements extérieurs du château sont terminés. Reste l’intérieur de ce dernier, dans lequel quelques autres embellissements sont en cours, notamment celui de la cheminée monumentale de la grande salle à manger, confié à un doreur de Toulouse, M. Courtiade, qui, avec son épouse, effectue plusieurs séjours au château pour réaliser l’ensemble des travaux de restauration.
En 1965, soucieux de confort, Monsieur Vieljeux fait installer au château le chauffage central et goudronner les chemins d’accès. Suite à quoi, il s’y installe définitivement avec son épouse. Il meurt le 26 mars 1976 à Roques, à l’âge de 82 ans, après avoir laissé l’empreinte d’un homme hors du commun. Marguerite Faustine, son épouse, meurt à son tour en 1987 à Roques, elle aussi, à l’âge de 87 ans. Christian Georges Vieljeux, fils aîné du couple, assure la succession de ses parents, mais il meurt en 1990 à l’âge de 66 ans. Paule Vimal de Flechac, son épouse, fait supprimer en 1992 l’un des parterres créés par M. de Wailly, afin d’installer à cet endroit une piscine. En 1995, elle fait restaurer et transférer à Roques côté Ouest, i.e. à l’orée du chemin créé jadis par le comte Henri de Portes, le portail monumental de l’ancien château de Portes, qui datait de 1830.
Ce portail constitue l’un des rares vestiges laissés par le quatrième marquis de Portes à son apogée. Dans la partie supérieure du portail, deux lions majestueux présentent le blason de la maison de Portes, surmonté de la couronne du marquisat. Ce blason est d’azur à face d’argent, accompagné en chef de 3 merlettes rangées en pointe, d’une tour d’argent maçonnée, crénelée et ouverte. Il porte la devise Per pla aïre, « Pour bien faire. »
Plus tard, Mme Paule Vieljeux fait gravillonner la cour d’honneur du château, ainsi que les allées de la grande terrasse. Elle choisit à cet effet un gravillon d’un joli blond, qui s’harmonise parfaitement avec la brique rose de la bâtisse, ce qui rend le site encore plus agréable.
En octobre 2006, la famille Vieljeux vend le château de Roques à M. Jean Michel Estèbe, industriel basé à Tarascon-sur-Ariège. Jean Michel Estèbe accueille désormais dans ce château mariages, séminaires, concerts, et autres festivités.