1600-1660. Un milieu, un réseau. Prodromes de l’affaire du château de Mirepoix

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Ci-dessus : ancienne maison principale de la famille Barrau à la Raillette. Cliquez sur les images pour les agrandir.

Outre François de Béon de Cazaux, Agnès et d’Hippolyte de Bertrandy, Antoine Barrau, domestique devenu l’homme de confiance de Jean de Lévis Lomagne, ainsi que Jean Calvet et X. Fortassy, et peut-être aussi Senière, Cabanier, Estève, Plasolles, Satger, ainsi que Paule Arnaude, tous domestiques du même Jean de Lévis Lomagne, se trouvent situés à l’épicentre de l’affaire qui éclate en 1660 au château de Terride ((Cf. Christine Belcikowski. La trace du serpent. Au château de Mirepoix. Editions L’Harmattan. 2014.)). Convaincu d’avoir volé le baron depuis qu’il le servait, Antoine Barrau fait l’objet d’un vaste procès criminel, et, le 7 février 1667, après diverses péripéties qui lui permettent d’être jugé contumax, il est brûlé en effigie sur la place de Mirepoix ((Cf. Ibidem. Chapitre 18. On brûle Barrau.)).

J’ai cherché à en savoir plus sur ce diable de personnage, sur le milieu dont il était issu, et de fil en aiguille, remontant jusqu’au début du XVIIe siècle, j’ai vu se dessiner un réseau d’alliances et de parrainages, réseau au sein duquel Antoine Barrau a pu bénéficier de certains concours, voire même contribuer au développement de projets ténébreux.

1. La famille Barrau et ses parrains

On se perd dans la nébuleuse que constitue de 1597 à 1660 la gens Barrau. Les registres paroissiaux indiquent passim qu’il s’agit là d’une famille de tisserands, cardeurs, pareurs de draps. Les Barreau s’allient successivement par mariage aux familles Olive, Jalabert, Boudier, Arnaud, Astre, Cabanier, Colomier, Daste, Deplait ou Plait, Fiancettes ou Francettes, etc. Parmi les parrains et marraines des enfants qui viennent aux différents couples Barrau, on relève en particulier les noms de Jean Pierre Nazary, Martin Hiriberry et Mathieu Hirribary, et Guilhalme Fiancettes.

1.1. Jean Pierre Nazary

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Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix. Document 1NUM1/5MI662 (1601-1618). Vue 69. 30 juin 1606. Baptême de Jacques Barrau, fils de Jean Barrau et de Françoise Daste.

Le 30 Juin 1606, Jean Pierre Nazary est parrain de Jacques Barrau, fils de Jean Barrau et de Françoise Daste.

Fils du premier mariage de Jean Nazary, bastier, avec Guilhalme Billard, Jean Pierre Nazary, maître bastier, est frère de Natale Nazary, mariée à Bernard Calvet, bastier de Chalabre ((Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix. Document 1NUM1/5MI662 (1601-1618). Vue 14. 9 octobre 1602. Baptême de Bernard Calvet, fils de Bernard Calvet et de Natale Nazary.)). Il épouse le 30 nov 1613 Jeanne Alard.

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Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix. Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix. Document 1NUM1/5MI662 (1601-1618). Vue 255. 3 août 1606. Mariage de Jean Nazary et de Françoise Daste.

Le 3 août 1606, Jean Nazary († 1613), son père, épouse en secondes noces autre Françoise Daste. On remarquera par suite qu’à partir de 1606, les Nazary, via les Daste, famille de marchands comme eux, font partie de la parentèle des Barrau désormais.

Lors du baptême de leurs propres enfants, les Nazary bénéficient de parrains et marraines issus de famille notables. Le 28 avril 1611, Barthélémy Nazary, fils de Jean Nazary et de Françoise Daste, a pour parrain Barthélémy Fournier, notaire royal, et pour marraine Guillaumette Vigarozy ((Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix. Document 1NUM3/5MI66 (1610-1626). Vue 70.)). Le 8 sept 1825, Marie Nazary, fille de Jean Pierre Nazary et de Jeanne Alard, a pour parrain Maître Jean Alard, docteur ès droits, et pour marraine Marie de Jalabert ((Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix. Document 1NUM3/5MI662 (1610-1626). Vue 94.)).

En janvier 1643, afin de soustraire à la cupidité de François de Béon Cazaux « meubles, or, argent, perles et pierreries » — dont les bijoux de Catherine Ursule de Lomagne — rescapés du rapt et du vol commis en novembre 1642 au château de Mirepoix ((Cf. Christine Belcikowski. Supplément d’enquête à propos du rapt et des vols commis en 1642 et 1643 au détriment de Jean Lévis Lomagne et de Louise de Bertrandy.)), Louise de Bertrandy, avec l’assentiment de Jean de Lévis Lomagne, confie ce trésor à Jean Pierre Nazary, qui occupe une maison au faubourg de Mirepoix.

A quel titre Jean Pierre Nazary jouit-il alors d’une telle confiance de part de Louise de Bertrandy et de Jean de Lévis Lomagne ? On sait qu’il a repris de son père († 1613) le métier de bastier. Il faisait sans doute merveille dans l’équipement des bêtes du château de Mirepoix. A noter que Louise de Bertrandy, en tant que fille de feu Barthélémy Bertrandy, marchand limouxin, se trouvait accoutumée sans doute à la fréquentation de milieux professionnels divers.

Le 3 février 1643, quoi qu’il en soit, Louise Bertrandy et Jean Pierre Nazary portent conjointement plainte « pour l’enlèvement et le vol fait de quantité de meubles et argent » dans la maison du faubourg d’Amont. Après cette date, Jean Pierre Nazary disparaît des archives de Mirepoix. Plus tard toutefois, Marie Nazary, sa fille, épouse à Mirepoix le maître tisserand Gabriel Merlane.

1.2. Martin Hiriberry et Mathieu Hiriberry

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Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix. Archives dép. de l’Ariège. Document 1NUM4/5MI662 (1627-1639. 1er octobre 1628. Baptême d’Anne Barrau, fille de Jacques Barrau et de Jeanne Daste.

Le 1er octobre 1628, Martin Hiriberry est parrain d’Anne Barrau, fille de Jacques Barrau et de Jeanne Daste ((Archives dép. de l’Ariège. Document 1NUM4/5MI662 (1627-1639). Vue 79.)). Le 17 avril 1638, Mathieu Hiriberry est parrain de Philiberte Larcher, fille d’André Larcher, neveu lui-même de Claude Larcher, notaire royal, et de Peyronne Denat ((Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix. Document 1NUM4/5MI662 (1627-1639). Vue 121.)). Le 18 octobre 1638, Mathieu Hiriberry est parrain de Marie Barrau, fille de Jacques Barrau et de Jeanne Daste ((Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix. Document 1NUM4/5MI662 (1627-1639).Vue 124.)).

Martin Hiriberry et Mathieu Hirriberry sont deux frères. Marchands originaires du pays basque, il se pourrait bien qu’ils aient été les fournisseurs du Bascou mirapicien et ceux de la matière première tranformée ensuite par la famille Barrau.

Martin Hiriberry et Marie Andrieu sont les parents de Louise Hiriberry, future épouse d’Antoine de Lévis Labarraque, lequel, né en 1627 ou 1628. est un fils naturel d’Alexandre de Lévis et d’Isabelle Dufaur, né entre le premier mariage de ce dernier avec Louise de Béthune et son second mariage avec Louise de Roquelaure ((Cf. Christine Belcikowski. Elisabeth de Lévis (1629-1671) ou l’abbesse intrépide, puis l’abbesse assassinée.)).

Le 19 mai 1635, le même Martin Hiriberry obtient de Jean Olin, desservant de la cathédrale de Mirepoix, « le certificat après la publication pour aller épouser à Belengard (Aujourd’hui Escueillens-et-Saint-Just de Belengard) » ((Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix. Document 1NUM5/5MI662 (1625-1639). Vue 125.)). Le nom de la nouvelle épouse n’est pas précisé. Le registre paroissial manque pour la date considérée.

3. Guilhalme Fiancettes

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Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix. Document 1NUM3/5MI662 (1610-1626). Vue 63. 18 novembre 1624. Baptême de Guilhalme Fiancettes, fille de Pierre Fiancettes et de Guilhalme Barrau ; baptême de Guilhelm Barrau, fils de Jacques Barrau et de Jeanne Daste. Marraine commune : Guilhalme Francettes, soeur de Pierre Fiancettes, veuve de Pons Arnaud.

Les deux actes de baptême reproduits ci-dessus montrent que les familles Barrau et Fiancettes se trouvent alliées par mariage depuis le début du XVIIe siècle au moins. Pierre Fiancettes et Guilhalme Fiancettes († 1650-1655), veuve de Pons Arnaud († circa 1612), maître orfèvre de la Bastide de Bousignac, sont respectivement fils et fille de Pierre Fiancettes, apothicaire, baille de Mirepoix, et d’Antoinette Alard. On ne sait rien de la filiation exacte de Guilhalme Barrau.

1.3. Les Barrau à la Raillette

En 1666, d’après le compoix, Jean Barthélémy Barrau, pareur, marié à Antoinette Deplait, tient à la Raillette maison à deux planchers et patu (lot n° 1566) qui confrontent d’auta et cers les rues, midi le canal du moulin, d’aquilon Pierre Barrau ; jardin (lot n° 1567) qui confronte d’auta le communal de la ville, cers et midi Pierre Barrau passage entre deux, aquilon le communal ; maison en sotoul et jardin qui confrontent midi la rue du Bord de l’eau (lot n° 1568) (folio 153). Pierre Barrau, pareur, tient également à la Raillette maison à deux planchers et patu (lot n° 1573) qui confrontent d’autant et cers les rues, midi Jean Barthélémy Barrau, aquilon la rue ; jardin et breil (lot n° 1574) qui confrontent d’auta Jean Barthélémy Barrau, aquilon la rivière de l’Hers ; maison en sotoul et jardin à la rue de Bord de l’eau (lot n° 1575), qui confrontent midi la rue, aquilon Jean Barthélémy Barrau. Cf. folio 154

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Ci-dessus : plan 6 du compoix de 1766. Nº 11. Pierre Barrau, brassier : « maison et la moitié du passage au pont de Raillette, dont le bas de la maison est par indivis entre lui-même et les frères de Jean Barrau, avec l’usage de l’escalier qui est dans le passage. » Nº 12. Pierre Barrau, cardeur, et Anne Barrau, femme de Nicolas Darain : « maison et moitié du passage commun et l’usage de l’escalier avec Pierre Barrau au pont de Raillette. » Nº 13. Pierre Barrau, brassier : « fenière au pont de Raillette. » Nº 14. François Simorre et Marie Barrau : « maison au pont de Raillette et à la rue du Bord de l’eau. » Nº 16. François Simorre et Marie Barrau : « maison au pont de Raillette et rue du Bord de l’eau. » Nº 19. François Simorre et Marie Barrau : « jardin et pré à Raillette. » Nº 22. Catherine Barrau, veuve de Guillaume Lateulère : « maison et jardin joignant à la rue du Bord de l’eau. »

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Ci-dessus : façade méridionale de l’ancienne maison Barrau, au bord du béal.

Au XVIIIe siècle, la famille Barrau détient toujours à la Raillette les mêmes maisons et jardins. Le plan 6 du compoix de 1766 ((Cf. La dormeuse blogue 3 : A Mirepoix – Moulon du grand chemin du pont, pont de Raillette, rue du bord de l’eau jusqu’au moulin.)) donne à voir où ces maisons et jardins se situaient dans Mirepoix. Ces maisons, en particulier, existent de nos jours encore, dont, à l’entrée de la rue du Béal (autrefois rue du Bord de l’eau), à gauche au bord du béal, la grande maison à colombages dite « la plus ancienne de Mirepoix ». C’est là sans doute qu’en 1660, Antoine Barrau accueille le vieux Jean de Lévis Lomagne, après que celui-ci a fui le château sur la colline dans lequel on lui infligeait de mauvais traitements ((Cf. Christine Belcikowski. La trace du serpent. Au château de Mirepoix. Chapitre 17. Toutefois sain d’esprit.)).

2. Antoine Barrau et Antoinette Fiancettes

2.1. Antoine Barrau

Antoine Barrau demeure de filiation incertaine, car on ne trouve pas son acte de baptême dans les registres paroissiaux de Mirepoix. On sait toutefois par le supplément d’enquête relatif au rapt et aux vols commis en 1642 et 1643 au détriment de Jean Lévis Lomagne et de Louise de Bertrandy qu’Antoine Barrau, domestique au château de Mirepoix, est âgé alors de dix-neuf ans ((Cf. Christine Belcikowski. Supplément d’enquête à propos du rapt et des vols commis en 1642 et 1643 au détriment de Jean Lévis Lomagne et de Louise de Bertrandy.)), d’où né circa 1623 ou 1624. Le 28 octobre 1649, il est le parrain d’Antoine Auriol, aux côtés de Louise de Bertrandy, marraine de l’enfant. ((Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix. Document 1NUM6/5MI662 (1597-1658). Vue 163.))

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Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix. Document 1NUM6/5MI662 (1597-1658). Vue 214. 28 avril 1658. Baptême de Louise Barrau, fille d’Antoine Barrau et d’Antoinette Fiancettes.

On ne trouve pas non plus l’acte du mariage d’Antoine Barrau avec Antoinette Fiancettes, ou Francettes, mais seulement, daté du 28 avril 1658, l’acte de baptême de Louise Barrau, fille d’Antoine Barrau et d’Antoinette Fiancettes. Parrain de la petite Louise Barrau : Noble Joseph de Saint-George, seigneur de Sibra (frère ou cousin de Louise de Bertrandy) ; marraine, Louise de Bertrandy.

2.2. Antoinette Fiancettes, fille de Pierre Fiancettes et d’Isabeau Larcher

Né le 4 avril 1599 à Saint-Aulin, Pierre Fiancettes, maître chirurgien, est issu d’une famille de marchands apothicaires. Pierre Fiancettes, son père, marié à Marguerite Genson, fille d’un marchand, a été baille de Mirepoix. Il se peut que la famille ait choisi de résider habituellement à Saint-Aulin, car on lui trouve pas de propriétés dans le compoix de Mirepoix daté de 1666.

Pierre Fiancettes, maître chirurgien, épouse en premières noces Claire Lafabrègue († 18 septembre 1627) ((La famille Lafabrègue tient alors, entre autres, une maison au Grand Couvert et la métairie de Bragot. Cf. Compoix de 1766. Charles Lafabrègue. Folio 35 sqq. Lots nºˢ 326 à 379.)), dont Guilhelme Fiancettes, née le 18 novembre 1624, et Antoinette Fiancettes, née le 11 novembre 1625 ((Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix. Document 1NUM5/5MI662 (1625-1639). Vue 29.)). Claire Lafabrègue meurt le 18 septembre 1627 ((Document 1NUM5/5MI662 (1625-1639). Vue 16.))

Pierre Fiancettes, maître chirurgien, épouse plus tard en secondes noces Isabeau Larcher, fille de Claude Larcher, notaire royal, et de Catherine de Rieutort.

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Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix. Document 1NUM4/5MI662 (1627-1639). Vue 55. 4 septembre 1634. Baptême d’Antoinette Fiancettes, fille de Pierre Fiancettes, maître chirurgien, et d’Isabeau de Larcher.

Antoinette Fiancettes, future épouse d’Antoine Barrau, naît de ces secondes noces le 4 septembre 1734. Catherine Fiancettes, sa soeur, épouse à une date qu’on ignore Jean Calvet, marchand né à Lafage. Bernard ou Bertrand Fiancettes, son frère, deviendra prêtre. Il est clerc tonsuré en 1660, lorsqu’éclate l’affaire du château de Mirepoix.

Devenu à son tour notaire, Jean François Larcher († 20 juin 1652), qui sera un peu plus tard le beau-frère de Pierre Fiancettes, prend en 1624 la succession de Claude Larcher († 13 juillet 1625). A noter que Jean Larcher, neveu de Claude Larcher, cousin de Jean François Larcher, épouse le 1er juillet 1635 une autre Françoise Daste encore.

Très tôt, Louise de Bertrandy fait de Jean François Larcher son notaire habituel. C’est auprès de lui qu’elle règle, entre autres, les affaires de gazailles ((Gazaille : contrat de location de bétail.)) et d’acaptes ((Acapte : ici, droit de mutation exigible lors de la mort d’un censitaire.)) relatives à sa métairie de Lourde, près des Issards, ou encore aux propriétés de Jean de Lévis Lomagne. Elle n’a pas manqué de nouer amitié avec lui et avec la famille Larcher, comme précédemment avec Jean Pierre Nazary et la famille Nazary.

3. Un milieu de marchands. Un réseau qui en sait beaucoup. Un faisceau d’ambitions

Antoine Barrau, qui a dix-neuf ans en 1643 et trente-six ans en 1660, émane donc d’un milieu intermédiaire, susceptible de réunir sous la coupe des marchands, par le jeu des stratégies matrimoniales, artisans, professionnels de la santé et hommes de loi. Instruit des secrets du château de Mirepoix depuis le rapt et le premier vol de novembre 1742, instruit peut-être aussi des dits secrets par Jean Nazary via les Daste, ou encore par Jean François Larcher via Antoinette Fiancettes, cousine de ce dernier, il se trouve à même de les exploiter à son profit, ou encore de les partager dans ce même milieu. On ne laisse pas de penser à l’effet de quelque collusion d’intérêts, laquelle peut intéresser même, en arrière-plan, jusqu’à certains seigneurs peu argentés.

3.1. Possible collusion d’intérêts entre marchands, artisans et domestiques

Il se peut en effet que, plus d’un siècle avant la Révolution, même s’il demeure hasardeux de parler déjà de complot des marchands ((Cf. Jean Cazanave. Ambitions familiales à Mirepoix (Ariège) de 1788 à 1795. In Révolution et Contre-Révolution dans la France du Midi (1789-1799). Presses Universitaires du Mirail. 1991.)), l’envie ait poussé chez tel ou tel d’entre eux d’aider à la ruine du vieux seigneur inutilement rencoigné dans son château sur la colline de Terride — né en 1568, Jean de Lévis Lomagne a en 1642 soixante-quatorze ans, et en 1660 quatre-vingt-douze ans —, et qu’une sorte de toile d’araignée se soit par suite invisiblement tissée autour de la solitude atrabilaire de celui-ci. On remarque en tout cas que Jean Calvet, autre domestique de Jean de Lévis Lomagne, compromis comme Antoine Barrau dans le scandale qui se découvre en 1660, était auparavant marchand. D’où l’idée lui est-elle venue de troquer son statut de marchand contre celui de domestique du baron de Terride, sinon des secrets dont il a pu avoir connaissance via son mariage avec Catherine Fiancettes, cousine de Jean François Larcher, belle-soeur d’Antoine Barrau ? Divers actes notariés enregistrés chez le notaire Dumas indiquent que Jean Calvet, domestique de Jean de Lévis Lomagne, est dans le même l’homme de confiance de François de Béon Cazaux dans les affaires de gazailles et d’acaptes propres au village de Lafage, où il a sa demeure.

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Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix. Compoix de 1766. Lot nº 714. Folio 71.

D’où vient que Jean Fourtassy, ou Fourtacy, autre domestique encore de Jean de Lévis Lomagne, compromis lui aussi dans le scandale de 1660, s’empresse de revendiquer en 1666 le statut de « bourgeois », comme indiqué par le compoix de la même année, qui le crédite « d’une maison à deux planchers, d’un patu et de deux jardins à la rue Cornanel » ou Courlanel, le tout attenant à la chapelle et au siège des Pénitents bleus ?

D’où vient que le 15 mars 1665, le juge Bories ((Juge et viguier du Lauragais.)) convoque Pierre Arnaud, dit Boulogne, voiturier, habitant de la Bastide de Bousignac ((Siméon Olive et Félix Pasquier. Archives du château de Léran. Inventaire généalogique et historique des documents de la branche Lévis Mirepoix. Tome V. Procès du XIIIe à la fin du XVIIIe siècle. Page 512.)), sinon qu’il le soupçonne d’avoir trempé, lui aussi, dans le scandale des vols commis au château de Mirepoix ? Pierre Arnaud disposait au demeurant d’une informatrice ou d’une complice dans la place, Paule Arnaude, sa parente, native de la Bastide de Bousignac comme lui, également soupconnée de vols par le juge Bories. On remarque par ailleurs que la gens Barrau de Mirepoix entretient depuis les années 1620 une parenté avec la gens Arnaud de la Bastide de Bousignac via le mariage de Pierre Barrau, pareur de draps, avec Françoise Arnaud, fille de Pons Arnaud, orfèvre, et de Guilhalme Fiancettes (cf. supra).

Et qui est cette « Françoise Nasseur » mentionnée par Siméon Olive et Félix Pasquier dans leur Inventaire des archives de Léran ((Ibidem.)), qui se trouve convoquée le 18 mars 1665 par le juge Bories ((Cf. Christine Belcikowski. Rôles des pierreries, perles, argenterie, monnaies, trouvées dans le château de Mirepoix en 1664.)) à fin de confrontation avec Antoinette Fiancettes et Bertrand Fiancettes, son frère, détenteurs d’un coffre rempli de monnaies précieuses, de bijoux et de billets à ordre, volé au château de Mirepoix ?

Antoinette et Bertrand Fiancettes auraient-ils confié à ladite « Françoise Nasseur » mission de présenter à François Desaux, orfèvre sis à Mirepoix sous le Grand Couvert, à fin d’estimation les bijoux contenus dans ce coffre ?

Le juge Bories aurait-il convoqué la dite Françoise Nasseur à fin de reconnaissance des bijoux en question ? Se pourrait-il alors que Françoise Nasseur eût déjà vu ces bijoux en 1643, soit à l’époque du vol commis par François de Béon dans la maison de Jean Pierre Nazary ?

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Nasseur ? Des Nasseur, on n’en trouve aucun dans les registres paroissiaux du XVIIe siècle mirapicien. Nasseur, Nazary…? Compte tenu des coquilles qui affectent l’impression de plusieurs patronymes ou toponymes dans l’ouvrage de Siméon Olive et Félix Pasquier — dont le drôle de remplacement du toponyme Escueillens par son paronyme Coculens ! — , on supposera que la Françoise Nasseur en question aurait pu être une Françoise Nazary ou Nassary. Mais on ne trouve pas non plus de Françoise Nazary dans les registres paroissiaux du XVIIe siècle mirapicien.

Pourrait-il s’agir d’une parente des Nazary, restée inconnue jusqu’alors ? ou encore, présentée ici sous son nom de veuve, de la Françoise Daste que Jean Nazary († 1613) a épousée le 3 août 1606 et qui pourrait avoir en 1665 autour de quatre-vingts ans ? Belle-mère de Jean Pierre Nazary, Françoise Daste aurait pu se souvenir des bijoux entreposés par Louise de Bertrandy dans la maison de ce dernier, partant, se trouver à même de dire si les bijoux contenus dans le coffre volé par Antoinette et Bertrand Fiancettes correspondaient ou non à ceux que François de Béon avait volés en 1642. A moins qu’elle n’ait été la personne chargée par Antoinette et Bertrand Fiancettes, en toute discrétion, de présenter à l’orfèvre François Desaux les bijoux volés. Mais conçoit-on une telle démarche venant d’une personne âgée quatre-vingts ans ?

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Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix. Document 1NUM7/5MI662 (1662-1667). Vue 157. 5 mars 1663. Décès de Louise Senesse, « femme de M. Dusault, orpfeuvre ».

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Archives départementales de l’Ariège. Saint-Quentin-la-Tour. Mariages. Document 1NUM/141EDT/GG1 (1615-1670). Vue 16. 27 décembre 1663. Mariage de François Desaux et de Françoise Manent.

L’identité de cette Françoise Nasseur demeure d’autant plus mystérieuse que Siméon Olive et Félix Pasquier la disent « femme de François Desaux ». Or, d’après le registre paroissial de Saint-Quentin-la-Tour, François Desaux, veuf de Louise Senesse depuis le 5 mars 1663 ((Archives dép. de l’Ariège. Document 1NUM7/5MI662 (1662-1667). Vue 157.)), a épousé le 27 décembre 1663 Françoise Manent ((Archives départementales de l’Ariège. Saint-Quentin-la-Tour. Mariages. Document 1NUM/141EDT/GG1 (1615-1670). Vue 16.)), non Françoise Nasseur ou Nazary.

Je n’ai pas trouvé à François Desaux, ni à Jean Desaux, son père, d’épouse, vivante ou morte, qui eût porté le nom de Françoise Nasseur ou Nazary. François Desaux a toutefois une soeur nommée Françoise, mais celle-ci a épousé le 8 janvier 1662 à Belcaire un certain Guillaume Petit Verniole. L’identité de Françoise Nasseur, « femme de François Desaux » demeure à ce jour impossible à débrouiller.

3.2. Stratégies éventuelles de quelques seigneurs peu fortunés

Il se peut également qu’a l’exemple de quelques marchands ou artisans, certains seigneurs peu fortunés aient vu dans la solitude de Jean de Lévis Lomagne une opportunité à saisir.

D’où vient d’abord qu’après la mort de Barthélémy Bertrandy, père de Louise de Bertrandy, Guillemette de George, mère de ladite Louise, ait songé dans les années 1600 à placer la jeune fille comme dame de compagnie auprès de Catherine Ursule de Lomagne, épouse de Jean VI de Lévis, seigneur de Mirepoix ? D’où vient ensuite que Joseph de George, seigneur de Sibra, figure en tant que parrain auprès de Louise de Bertrandy, alors compagne de Jean de Lévis Lomagne, lors du baptême de la petite Louise Barrau ?

Se pourrait-il même, qu’initié sur les secrets de Jean de Lévis Lomagne par la famille de Martin et de Mathieu Hiriberry, ses beaux-frères, Jean Antoine de Lévis Labarraque, demi-frère illégitime de Gaston Jean Baptiste Ier de Lévis, seigneur de Mirepoix, ait rêvé de recueillir quelques miettes de ce qui restait dans les années 1650 du trésor de son vieil oncle ? Il figure en tout cas le 23 avril 1664, in extremis et comme par raccroc, dans les toutes dernières lignes du testament dicté par Jean de Lévis Lomagne à la veille de sa mort, survenue le 24 avril à environ cinq heures de l’après-midi : « Plus legue & donne ledit seigneur testateur a noble Jean Anthoine de levi Sieur de la Baraque tous & chascuns les biens qu’il a assis au lieu de Villeneuve & Montferrier en quoy qu’ils puissent Consister pour en faire & disposer a ses plaisirs et volontés. » ((Cf. Christine Belcikowski. La trace du serpent. Au château de Mirepoix. Chapitre 17. Toutefois sain d’esprit.))

4. Conclusion provisoire, car je continue à explorer les registres mirapiciens du XVIIe siècle…

Considérée depuis ses coulisses, dans lesquelles on croise marchands, hommes de loi et hommes de l’art, domestiques et petits seigneurs, l’affaire qui éclate en 1660 au château de Mirepoix montre que, plus d’un siècle avant la Révolution, la société mirapicienne commence à bouger souterrainement. Plus que l’aspiration à l’égalité formelle, c’est l’envie et la perspective du partage du « gâteau » qui motivent les menées des divers protagonistes de l’affaire ainsi que les soutiens dispensés à ces derniers dans l’ombre propice. On sait qu’un siècle et demi plus tard, la Révolution des sans-culottes finira en révolution bourgeoise…