Détail de la carte de l’état-major de 1820-1866. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.
Issu de la branche des Lévis Montbrun, branche collatérale des Lévis Mirepoix, et fils d’Hector de Cardailhac, comte de Bioule et marquis de Cardailhac, Louis de Cardailhac épouse en 1624 Lucrèce d’Elbenne, puis en 1643, en secondes noces, Marie Izabeau Mitte de Saint Chamond. Mort sans postérité en 1666, il laisse Marie Izabeau Mitte de Saint Chamond, comtesse de Bioule, héritière de sa baronnie de Lapenne, et de toutes les dépendances de cette dernière, dont Manses et la Mondonne, l’un des écarts du village.
En 1694, Marie Izabeau Mitte de Saint Chamond cède à Guy Henri de Bourbon, marquis de Malauze, originaire du Tarn, l’usufruit de la baronnie héritée de son époux.
Suite à cette transation, une archive non datée signale que le marquis de Malauze a conçu le projet de créer un canal d’amenée afin d’alimener un moulin situé au lieu-dit La Mondonne ((Mondar, en occitan : moudre.)) :
« Le Chapitre de Mirepoix a délibéré de permettre aux agents du seigneur marquis de Malauze de faire faire le nouveau canal du dit moulin, dans la pièce labourable que le chapitre possède noblement au masage d’Embarou, à l’endroit qui leur agrée, à charge pour le dit marquis de Malauze de payer au dit chapitre la valeur de la terre qui sera prise dans cette pièce pour la confection du dit canal, et les dommages et intérêts qui pourraient en résulter ». Le marquis de Malauze n’aura toutefois pas le temps de mener à bien le réaménagement qu’il prévoyait pour le moulin de la Mondonne.
En 1708, soit un an après la mort du marquis de Malauze ((Guy Henri de Bourbon Malauze est mort le 18 août 1706 à Lacaze, dans le Tarn, à l’âge de 52 ans.)), les héritiers substitués de la famille de Lévis cèdent à Dame de Bourbon Malauze, comtesse de Poitiers, héritière du marquis de Malauze, la nue-propriété dont ils jouissaient encore sur la baronnie.
En 1745, Joseph François de Portes, baron de Pardailhan, originaire de l’Hérault, acquiert de Dame de Bourbon Malauze la baronnie de Lapenne et toutes ses dépendances, dont Manses, rebaptisée Portes en la circonstance.
En 1683, Marie Izabeau Mitte de Saint Chamond , comtesse de Bioule possédait à Manses les parcelles suivantes, bâties et non bâties ((Cf. En 1683, les biens de la comtesse de Bieule, ou Bioule, à Manses.)) :
- dans le lieu de Manses, un château à deux étages, entouré de murailles, avec canaux, gabions et sentinelles, les dépendances, où il y a porche, grenier, grange, écurie et remise de carrosse.
- toujours à Manses, une terre labourable où il y a un bâtiment de moulin à vent. Plus, trois maisons à étages et deux pezens ; plus, un haut de maison, le bas appartenant aux héritiers de Guillaume Cabanier
- toujours à Manses, une pièce de terre où il y a un pigeonnier à quatre pieds ; le passage du dit pigeonnier est entre les jardins des dits Armengaud et Sivé
- plus un moulin à blé appelé la Mondonne, équipé de deux meules volantes, et une maison à étage et appentis y jouissant ; plus une maison acquise d’Antoine Jalabert, chemin de Manses au moulin entre deux.
Au XIXe siècle, une délibération du conseil municipal de Teilhet concernant une procédure engagée contre la commune par un certain Rivelange qui contestait l’usage d’un chemin traversant ses terres, nous apprend que la chaussée d’alimentation du canal a été construite en 1672. Le maire de Teilhet fait valoir dans sa plaidoirie que les habitants de Teilhet empruntent ce chemin pour se rendre à Dreuilh depuis un temps immémorial. Il précise que lorsque le canal de la forge a coupé le chemin, un petit pont en bois a été construit pour maintenir le libre accès au chemin en question. Il conforte encore son argumentation en précisant que la chaussée qui alimente le canal a été construite en travers de l’Hers, sur la commune de Besset, en 1672. Et il ajoute qu’à défaut de titre, l’usage de ce chemin se trouve largement acquis par effet de prescription.
En raison de la faible déclivité de la rivière de l’Hers sur ce tronçon, 1 mètre au kilomètre, il a fallu remonter le cours de cette rivière sur 4 kilomètres pour établir sur la commune de Besset, à hauteur de Bigot, le captage permettant d’obtenir une chute d’eau de 3 mètres, minimum nécessaire pour faire tourner le moulin.
Des vannes permettaient à l’eau retenue par la chaussée de s’écouler dans le canal de dérivation qui traversait les terres d’Embarou, longeait la route de Lapenne à Mirepoix, et à nouveau traversait la plaine de Berbiac, franchissait le ruisseau de Manses à travers un tunnel, cheminait encore de près de 300 mètres pour rencontrer un dénivelé assez conséquent permettant d’établir une chute de plus de 3 mètres de hauteur, différence de niveau entre le canal d’amenée et le canal de fuite. Un pont voûté donnait accès au moulin et à la maison d’Antoine Jalabert.
Ci-dessus : Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. Moulins à vent et à eau. Planche V.
A cette époque la majorité des moulins à eau étaient équipés d’une roue à aubes. Il s’agissait d’une roue pendante verticale, de 3 mètres de diamètre, pesant 3 à 5 tonnes que l’on construisait sur place.
La roue à aubes était solidement fixée à un arbre en bois de forte section. Une niche pratiquée dans le mur et un coussinet lui permettait d’actionner un renvoi d’angle et mettre en rotation l’arbre de la meule tournante.
Les meules étaient généralement constituées d’une seule pièce taillée dans un bloc de pierre très dure, de 25 centimètres d’épaisseur et d’un mètre vingt de diamètre, parfaitement plane pouvant peser près d’une tonne. Une des meules, la dormante, était fixe ; la tournante de même section, l’épousait parfaitement.
Bien que rudimentaires, ces installations fonctionnaient parfaitement. Cependant la roue à aubes était d’un faible rendement, de 25 à 30 %. Malgré des améliorations, elle ne parvenait pas à utiliser rationnellement la force du courant qui la faisait tourner. Une grande quantité d’eau était perdue.
Au cours des années 1830, la turbine hydraulique, simple, plus légère et facile à installer se vulgarise, et nombre de meuniers l’adoptent, à cause de son rendement élevé, de 85 à 90 %.
La turbine était constituée d’une roue horizontale en fonte de 1,20 de diamètre sur laquelle étaient vissées des pales. La roue était fixée à un arbre qui entraînait la meule volante, sans intermédiaire. Une trompe sur laquelle était fixé un injecteur dirigeait l’eau sur les pales. Lorsque l’on ouvrait la vanne, l’eau s’engouffrait avec force dans la trompe, et un puissant jet d’eau mettait la turbine en mouvement.
Le meunier était constamment occupé. A l’aide des vannes il modulait la rotation des meules, ce qui était possible avec la turbine, de 1 à 2,5 tours minute. Une vitesse excessive pouvant provoquer des étincelles entre les meules et en détériorer le piquetage. Une came fixée sur la meule tournante heurtait à chaque tour une petite cloche qui indiquait au meunier la vitesse de la meule.
Il fallait une heure pour moudre 150 kilos de blé, et le meunier devait veiller à ce que la trémie soit régulièrement approvisionnée afin qu’il y ait en permanence une couche de grain entre les meules. Un mécanisme astucieux assurait de façon régulière l’écoulement du grain. La farine était récupérée à travers une trappe reliée à une goulotte.
La mouture, mélange de son et de farine, ainsi recueillie, devait être tamisée pour séparer le son de la farine. Les particuliers le faisaient eux-mêmes à l’aide d’un tamis approprié. Les familles aisées disposaient d’un farinier (petit blutoir), meuble à l’intérieur duquel était fixé, légèrement en pente, un cylindre de 50 à 60 centimètres de diamètre sur lequel étaient tendus et fixés solidement des tamis de soie.
Une trémie recevait la mouture. Et un dispositif permettait de régler le débit qui alimentait le cylindre. La rotation se faisait à l’aide d’une manivelle. Cette trémie était compartimentée. Dans la première cloison, on récupérait la fleur de farine, destinée à la pâtisserie ; dans la seconde, une farine un peu moins raffinée, destinée à faire le pain ; et dans la troisième, le son et les issues destinés à l’alimentation du bétail.
Les moulins plus évolués disposaient d’un blutoir plus important. Le principe restait le même, mais la rotation était mécanisée.
La farine en l’état ne se conservait pas très longtemps (il n’y avait pas de conservateur à l’époque). Les paysans venaient donc régulièrement au moulin faire moudre la quantité de blé nécessaire à la consommation de leur famille.
Les sacs à farine, en tissu serré, étroits et longs, conçus pour être portés à dos d’âne, étaient très pratiques pour transporter le blé au moulin et en ramener la farine. Le sac, posé à califourchon sur le dos de l’âne, répartissait la charge de chaque côté, ce qui assurait une stabilité parfaite.
Le meunier ne recevait pas d’argent, il se rémunérait en prélevant une quote-part sur le grain à moudre. Cette quote-part variait selon les régions de 1/16ème, à 1/24 et à 1/32ème, ce qui sur 100 kg correspondait à 1/16 = 6,800 kg, 1/24 = 4,200 kg, 1/32 = 3,100 kg.
Il est fort probable qu’au cours des années 1840, Adolphe François René de Portes, (1790-1852), quatrième marquis de Portes, qui entreprenait alors au château de Manses de gros travaux, ait également décidé de moderniser son moulin, en le dotant de turbines, et en y ajoutant une troisième meule. En 1846, il fait installer aussi une scierie à proximité du moulin, sur le canal de fuite.
En 1950 avant que le mécanisme du moulin ne soit livré au ferrailleur, l’on pouvait encore voir les 3 turbines et les trompes qui les alimentaient, ainsi que le dispositif qui permettait de régler le débit des vannes.
Le meunier était fermier de son moulin, dans les conditions stipulées par son bail. Retrouvé, l’un de ces baux se trouve formulé ainsi :
« Le 16 septembre 1876, Paul François Thomas Georges de Portes (1839-1880), cinquième marquis de Portes, a cédé à Antoine Maury et Célestine Subra son épouse, pour une durée de 9 années :
- le moulin de la Mondonne sur un canal dérivé de la rivière de l’Hers, garni de trois paires de meules montées à la française
- une maison d’habitation à étage contiguë au dit moulin
- La scierie près du dit moulin.
Au prix et somme de 2400 francs le moulin, et 400 francs la scierie ; soit le prix total de 2800 francs, payable chaque année en quatre termes égaux de 700 francs tous les trois mois et d’avance.
Fait et passé à Mirepoix en l’étude l’an 1876 le 26 septembre, en présence de Valentin Servat, coiffeur, et Auguste Pesteil, limonadier, habitants de Mirepoix, témoins, qui après lecture ont signé avec les parties et le notaire, savoir : Euryale Rességuier, mandaté par le marquis de Portes, Marceline Sibra, Antoine Maury, Valentin Servat, Auguste Pesteil, Amédé Roubichou, ce dernier notaire. »
Le moulin de la Mondonne a cessé de tourner, brusquement, au début du mois de février 1917, une importante crue de l’Hers lui ayant été fatale. Dans son journal, Joseph Ferré, habitant Mirepoix, rapporte qu’il a plu pendant trois jours sans interruption, ce qui a provoqué un violent et exceptionnel débordement de la rivière et de très importants dégâts tout le long de la vallée.
Une photo publiée dans la Dépêche du Midi, témoigne de cet épisode. Il ne manquait que cinquante centimètres environ pour que les eaux atteignissent la hauteur des arches du pont de Mirepoix.
Dans la commune de Besset, la rivière s’est créé alors un nouveau lit entre deux méandres, emportant une partie du canal du moulin, tout en délaissant la chaussée.
Sur la commune de Teilhet, le conseil municipal enregistre le 2 février 1917, à cinq heures de l’après-midi, une crue d’une violente inouïe, qui a provoqué l’effondrement d’une arche du pont de Dreuilh, construit en 1874. Ce pont sera repris sept ans plus tard, puis remplacé par une structure métallique en 1924.
Ainsi se termine l’histoire du moulin de la Mondonne, dont il reste quelques vestiges, notamment la cave des turbines.
Courrier de Georges Aligant :
« Auguste Armengaud et Claude Rivals (1932-2002), qui ont produit une étude importante sur les moulins (Moulins à vent & meuniers des pays d’Oc. Editions Loubatières. Portet-sur-Garonne. 1992. Cf. BnF : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb35507656w), signalent que dans le Midi, et particulièrement dans le Lauragais, les moulins à eau étaient équipés plutôt d’une roue à aubes horizontales, comme par exemple l’ancien moulin du béal de Pamiers, et nombre d’autres moulins de la contrée. »
Coupe d’un moulin à eau à roue horizontale. En bas, la chambre des roudets (aubes), voûtée, en briques. On distingue : à droite, l’orifice d’où provient l’eau qui se projette sur la roue ; à gauche, le canal de fuite. Au rez-de-chaussée, la chambre des meules, avec deux jeux de meules à droite, protégées par les archures, les trémies au-dessus. A gauche, une machine tournante à axe horizontal, un blutoir probablement, pour séparer la farine panifiable du son. Au premier étage, l’habitation du meunier.
Source des images : E. Farenc. Les moulins de la montagne. E. Périé.