Samedi 14 octobre 2017 au Foyer Rural de Sainte-Colombe sur l’Hers, à 18 heures. Conférence de Bruno Evans, doctorant en Histoire, chargé de cours à l’université Jean Jaurès de Toulouse.
Justin Acher (1714-1792). Du marchand de jais de Sainte-Colombe sur l’Hers au secrétaire du roi au Grand Collège. Quelles furent les modalités de l’ascension socio-économique de cet entrepreneur né au pied des Pyrénées ?
J’ai assisté à cette belle conférence, et j’ai pris les quelques notes qui suivent.
Certaine tradition universitaire a longtemps nourri une vue misérabiliste du Midi pyrénéen, parlant à son endroit de retard au développement. Cette vue mérite d’être amendée. L’ensemble territorial constitué par le Pays d’Olmes et le Quercorb se signale en effet dès le XVIIe siècle par la richesse et la variété de ses productions : fer, draps, peignes, jais. Au XVIIIe siècle, du stade artisanal qui était le leur jusqu’alors, ces productions passent au stade quasi- ou proto-industriel. Le Pays d’Olmes/Quercorb participe ainsi, sans conteste, au processus de développement qui se manifeste au XVIIIe siècle dans la France toute entière. A preuve, l’éclatante réussite de l’entreprise Acher et Fils à Sainte-Colombe sur l’Hers.
Depuis ce tout petit village audois, Justin Acher parvient en effet à créer un flux international, qui, à partir de l’Espagne, alors principal fournisseur du jayet en raison du quasi-épuisement des mines ariégeoises, assure la distribution du produit fini, perles, boutons, etc., en Allemagne, à la Vera Cruz et à Lima, en Alger, au Levant et à Constantinople, sachant ici que les chapelets de jais servaient indifféremment aux Chrétiens ou aux Musulmans. Les livres de compte de l’entreprise Acher et Fils ont été conservés. Chiffre d’affaires au mitan du XVIIIe siècle : 300 000 livres.
1 juin 1714. Naissance de Justin Acher. Archives dép. de l’Aude. Sainte-Colombe sur l’Hers (1706-1765). Document 100NUM/AC336/GG4. Vue 57.
Fils et héritier de Jean Acher, marchand tenu déjà pour un gestionnaire avisé, Justin Acher doit le développement de son entreprise, dans un contexte socio-économique dont il a su exploiter le caractère favorable, d’évidence à son propre génie entrepreneurial, mais aussi à la mobilisation de sa nombreuse famille, ainsi mise au service d’une affaire conçue et dirigée comme un projet collectif.
Telle possibilité de mobiliser les énergies familiales suit des stratégies matrimoniales mises en oeuvre dès la génération de Jean Acher déjà ((Cf. Christine Belcikowski. Stratégies matrimoniales au XVIIIe siècle dans le diocèse de Mirepoix et constitution du parti des marchands.)). Jean Acher épouse successivement, en premières, puis en secondes noces, deux filles de marchands. Il marie ses filles à de riches marchands de Bayonne et Chalabre, et l’une d’entre elles encore à Noble Philippe de Saint-George de Sibra. Justin Acher, l’un de ses fils, épouse Brigitte Lassalle, fille d’un riche marchand de Bélesta désormais établi comme bourgeois, et soeur de Pétronille Lassalle, qui épouse, elle, Dominique Malroc, marchand de fer et seigneur de Lafage ((Cf. Christine Belcikowski. A propos de la réouverture de l’ancien hôtel particulier de la famille Malroc de Lafage.)). Etoilant ainsi son réseau, la famille Acher dispose en conséquence de relais à Chalabre, Bélesta, Mirepoix, ainsi qu’à Bayonne, d’où elle peut faire venir à Sainte-Colombe sur l’Hers chocolat, café et autres marchandises exotiques. Envoyé à Cadix, un frère de Justin Acher, y assure également un relais commercial d’importance.
Dans le cadre paysan de Sainte-Colombe et de sa contrée, Justin Acher achète à petit prix et commercialise la production de type artisanal – peignes et perles de jais – à laquelle la population se livre depuis le XVIIe siècle afin de compenser le faible rendement de son activité agricole, dû à la pauvreté des terres. Demeurant lui-même au village, il se trouve à même de moduler cette production au plus près, de façon que celle-ci demeure adaptée au volume des commandes. Parallèlement à leur production de peignes et de perles polies, les paysans maintiennent une activité vivrière ; ils s’accommodent en conséquence de rémunérations faibles et de périodes de baisse ou de cessation provisoire des commandes.
En Galice et en Aragon, où se trouvent les mines de jayet, Justin Acher a négocié des contrats d’exclusivité. Ceux-ci lui permettent d’acheter la matière première moins cher et ainsi de damer le pion à d’autres entrepreneurs concurrents.
Soucieux de la tenue des livres de compte de son entreprise, Justin Acher emploie à cet effet un commis. Il s’agit là d’une pratique novatrice pour l’époque, au moins en Midi Pyrénées. L’examen de ces livres de compte montre que Justin Acher a atteint au milieu du XVIIIe siècle un niveau de fortune qui le place au niveau des plus riches manufacturiers de Carcassonne. A partir de 1744 et jusqu’en 1790, il multiplie les achats de terre, acquiert plus de huit grandes métairies, et achète successivement les seigneuries de Cahuzac, de Mongascon et de Puichairic ; soit 220 000 livres d’achats fonciers.
Dans le même temps, il s’applique à établir ses huit enfants survivants en les dotant richement, en favorisant leurs mariages, toujours dans le milieu des marchands, avec d’importantes familles concurrentes, ou encore en aidant tel de ses fils, avocat, à acquérir une charge de procureur du roi à Montauban, et tel autre de ses fils, ecclésiastique, à accéder au canonicat du prestigieux Chapitre de Chartres.
En 1775, Justin Acher, seigneur de Cahuzac tente d’obtenir des lettres de noblesse. Celles-ci lui sont alors refusées. Mais en 1779, nommé secrétaire du roi en son Grand Conseil, il acquiert ainsi ce titre de noblesse auquel il aspirait au titre de sa réussite éclatante. Il jouira dix ans seulement de son nouveau statut. En 1789, ironie de l’histoire, il est élu maire, premier maire révolutionnaire de Sainte-Colombe sur l’Hers. Il meurt en 1792 dans sa commune natale. Bruno Evans souligne ici que que Justin Acher a toujours eu sa demeure dans la rue principale de Sainte-Colombe, même après qu’il fut devenu propriétaire de trois seigneuries.
12 août 1792. Décès de Justin Acher. Archives dép. de l’Aude. Sainte-Colombe sur l’Hers. Sépultures (1718-1798). Vue 189.
J’ai regretté de ne pas savoir quelle avait été la maison de Justin Acher. Le soir, après la conférence, il faisait nuit. J’ai photographié dans l’obscurité quelques maisons plausibles… Reste à consulter aux Archives départementales le compoix de Sainte-Colombe sur l’Hers afin d’identifier la maison recherchée.
A lire aussi : Pierre Arches. Une fédération locale. La confédération des pyrénées (1789-1790). Pages 26 à 33. In Bulletin d’histoire économique et sociale de la Révolution française. Année 1971. Bibliothèque nationale. Paris. 1972.
j’ai trouvé interessante et très actuelle la gestion de l’entreprise
familiale et déjà la flexibilité
bonne soirée
Oui, mais que se passerait-il s’il n’il n’y avait plus que des entrepreneurs ? Il faut bien des ouvriers à la base.