A propos de la réouverture de l’ancien hôtel particulier de la famille Malroc de Lafage

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Ci-dessus : bois original de Clément Serveau pour Quand on conspire de Raymond Escholier ((Cf. La dormeuse blogue : Raymond Escholier. Quand on conspire.)). Editions Ferenczi et Fils, collection « Le Livre moderne illustré ». Paris. 1925.

« A peine le petit vent alerte, aiguisé de fraîcheur, avait-il ce matin répandu la nouvelle, que le portail monumental de la maison Solères s’ouvrait tout grand. Il est lourd et quelque peu rhumatisant ; il se meut péniblement dans un cliquetis de vieux fers, avec des grincements, un bruit de pont-levis qu’on abaisse. […]. Aujourd’hui, tant de gens pressés, agités, fébriles, entrent, sortent, reviennent, que le haut portail, couronné de vigne vierge et de glycine, se sentirait vraiment violenté dans ses grandes articulations. On a trouvé plus simple de le laisser ouvert à deux battants, de sorte que le premier passant venu peut entrer dans la cour semée de fin gravier, s’avancer entre les lauriers-roses, rangés comme au port d’armes dans leurs caisses vertes, monter le perron aux marches arrondies, enfin pénétrer tout de go dans la maison Solères. »

Sous le nom de « maison Solères », Raymond Escholier décrit ici l’ancien hôtel Malroc. Clément Serveau est venu à Mirepoix afin de relever sur le motif le dessin de cet édifice.

1. L’ascension sociale de la famille Malroc

Dans « Ambition familiales à Mirepoix », in Révolution et Contre-Révolution, Jean Cazanave évoque la réussite sociale qui a permis à la famille Malroc d’édifier à Mirepoix le bel hôtel qui porte ses armes :

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« Les Malroc sont un bel exemple de réussite sociale telle qu’on la comprenait au XVIIIe siècle. Jean, l’aïeul, négociant en objets de fer, entreprenant et expert en affaires, a légué à ses descendants, avec une fortune égale à celle d’un parlementaire toulousain, les moyens de prétendre à la noblesse et de pérenniser leur rang. Devenue propriétaire de la seigneurie de Lafage, la famille se lie par mariage avec de riches seigneurs nobles ou roturiers ((Cf. Christine Belcikowski. Stratégies matrimoniales au XVIIIe siècle dans le diocèse de Mirepoix et constitution du parti des marchands.)) et acquiert charges et honneurs divers. Ainsi Guillaume Malroc dit de Lafage est devenu conseiller du roi, lieutenant criminel au sénéchal et siège présidial de Lauragais à Castelnaudary.

Dès 1778 il accède à la charge de premier consul de Mirepoix. Loin d’imiter ses prédécesseurs, et en s’appuyant sur l’opposition des marchands, il affirme son indépendance et celle de la municipalité face aux prérogatives du seigneur qui lui intente un procès. Comme il le proclamera plus tard avec quelque prétention, « il a en quelque sorte devancé la Révolution à Mirepoix en soutenant seul les droits et privilèges de la ville contre le ci-devant seigneur dont il eut le courage de braver le ressentiment ». C’est dans ce climat d’affrontement qu’il démissionne après trois ans de mandat, pour occuper la charge de conseiller auditeur à la cour des comptes de Montpellier. La famille n’en conserve pas moins le contrôle de la municipalité car, bien préparée, la succession échoit à son beau-frère. » ((Jean Cazanave. Ambitions familiales à Mirepoix. In Révolution et Contre-Révolution dans la France du Midi (1789-1799), p. 47. Toulouse. Presses Universitaires du Mirail.))

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Archives départementales de l’Aude. Lafage. Document 100NUM/AC184/1E1 (1683-1792). Vue 258. 16 juillet 1777. Mariage de Messire [Jean] de Lasset, chevalier, officier gard du corps du roi, fils de Joseph de Lasset, seigneur de , et de Dame Anne de David ; et de Demoiselle Anne Malroc, fille de feu Monsieur Dominique Malroc, seigneur de Lafage, et de Dame Pétronille de Lassale.

Le beau-frère dont parle Jean Cazanave, c’est Jean de Lasset, qui sera en 1790 le premier maire révolutionnaire de Mirepoix. Guillaume Malroc, quant à lui, sera maire de Mirepoix de 1791 à 1792. Le différend politique qu’il entretient avec Gabriel Clauzel, maire de Mirepoix de 1790 à 1791, puis en 1795, lui vaudra en l’an II les malheurs que je raconte dans l’article intitulé 4 thermidor an II. Les citoyens de Mirepoix envoyés au tribunal révolutionnaire se trouvent retenus à Cahors.

2. La création de l’ancien hôtel particulier de la famille Malroc

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Archives départementales de l’Ariège. Mirepoix. Compoix de 1666. Nº 895.

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Ci-dessus : plan établi par Alain Marmion à partir du compoix de 1666. Relevés. Mirepoix. Compoix du XVIIe siècle. Plan terrier du centre ville.

Le compoix de 1666 indique que Jean Malroc tient alors à Mirepoix « une maison à deux planchers [deux étages] à la porte d’Amont », qu’il « y a en outre deux patus » [cours ou aires couvertes], et que le lot dont il est propriétaire (nº 966) confronte au midi celui de Maître Rouanet, prêtre (nº 895). C’est Dominique Malroc, l’un des fils de Jean Malroc, qui achète le lot de Maître Rouanet, et qui met en oeuvre circa 1740 la construction de l’hôtel Malroc, l’un des plus représentatifs du goût du XVIIIe siècle languedocien.

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Ci-dessus : Archives départementales de l’Ariège. Mirepoix. Compoix de 1766. Plan 3. Hôtel Malroc : nº 128.

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Ci-dessus : Archives départementales de l’Ariège. Mirepoix. Compoix de 1766. Volume 2. Vue 206.

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Fermé depuis depuis deux ans, l’ancien hôtel particulier de la famille Malroc rouvre ses portes en cette fin du mois de février 2017 sous le nom de Relais de Mirepoix. Comme tout habitant de Mirepoix, je me réjouis de savoir que je ne passerai plus désormais devant un triste portail clos. On aura derechef trouvé plus simple de le laisser ouvert à deux battants, de sorte que le premier passant venu pourra entrer dans la cour semée de fin gravier, s’avancer entre les lauriers-roses, rangés comme au port d’armes dans leurs caisses vertes, monter le perron aux marches arrondies, enfin pénétrer tout de go dans le nouveau Relais de Mirepoix…

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