Christine Belcikowski

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La chapelle des Cazazils (Lafage, Aude) en août 2019

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L'édification de la chapelle date du XIe ou du début du XIIe siècle. Aujourd'hui, sur le clocher surmonté de créneaux, un merlon, rongé à la base, menace ruine. Invisible sur l'image, le toit de la sacristie est crevé.

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Ci-dessus : plaque signalétique créée et installée par l'association des Amis de la chapelle des Cazazils.

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Simon de Montfort et Guy de Lévis

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Ci-dessus, de gauche à droite : 1. Statue funéraire de Guy Ier de Lévis érigée en l'abbaye Notre Dame de la Roche, située près de Lévis-Saint-Nom, fief initial de la maison de Lévis dans les Yvelines ; 2. Buste de Simon IV de Monfort, signé Jean-Jacques Feuchère (1807-1852), conservé au château de Versailles.

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1. Simon de Monfort

Né entre 1164 et 1175, mort le 25 juin 1218 à Toulouse, Simon IV de Monfort est fils de Simon III de Montfort, seigneur baron de Monfort [aujourd'hui Monfort-l'Amaury], gruyer (1) royal de la forêt d'Yvelines, et d'Amicie de Leicester († 1215), fille elle-même de Robert de Beaumont et de Pétronille de Leicester.

Devenu après la mort de son père seigneur baron de Monfort à son tour, puis comte de Leicester en 1204, Simon IV de Monfort, en vertu de son ascendance anglo-normande, évite de se mêler au conflit qui oppose le roi de France au roi d'Angleterre et, par suite, de s'engager en 1190 dans la troisième croisade. Il épouse circa 1191 Alix de Montmorency († 1221).

En 1194, alors qu'après un traité de paix, la guerre reprend entre la France et l'Angleterre, Simon IV de Montfort embrasse le parti de Philippe II Auguste, roi de France, contre celui de Richard Cœur de Lion, roi d'Angleterre. En 1202, il s'engage dans la quatrième croisade, mais refusant de participer en Croatie à l'attaque de la ville catholique de Zara, il retourne en France avec ses troupes. Circa 1205, victime des représailles entraînées par la guerre entre le roi de France et le roi d'Angleterre, il perd son comté de Leicester.

2. Guy Ier de Lévis

Né avant 1190, peut-être en 1160, mort en 1233, Guy Ier de Lévis est le second fils de Philippe de Lévis et d'Élisabeth de Palaiseau.

2.1. Philippe de Lévis, père de Guy Ier de Lévis

Membre de l'entourage de Philippe II Auguste, Philippe de Lévis, seigneur de Lévis-Saint-Nom, exerce au nom du roi d'importantes fonctions judiciaires et civiles. De la fin de l'été 1190 à la fin de l'année 1191, dans le cadre de la troisième croisade, il accompagne le roi jusqu'à Saint-Jean-d'Acre. Son nom se trouve mentionné ensuite dans divers actes politiques, dont le traité de paix signé en 1200 par le roi de France et celui d'Angleterre. À sa mort (circa 1204), c'est Milon de Lévis, son fils aîné, qui lui succède à la tête de la seigneurie de Lévis.

2.2. Guy Ier de Lévis

« Gui ne fut jamais seigneur de Lévis ; il ne posséda que sa part héréditaire dans cette terre patrimoniale, dont lui, ses descendants et tout le reste de sa famille portèrent toujours le nom ; mais dont la seigneurie dominante était échue à Milon, son frère aîné, lequel devait la transmettre à Marguerite, sa fille unique, et à Jean de Nanteuil, son gendre, comme le prouvent plusieurs chartes du Cartulaire de l'abbaye de la Roche.

Gui possédait à divers titres quelques autres biens dans la paroisse de Lévis ; il était, comme son père et ses frères, vassal de la riche et puissante abbaye de Saint-Denis, à cause de sa portion dans ce grand triage de forêt qui conserve encore le nom de bois des Maréchaux, et tenait des terres en censive du même monastère.

Il possédait en outre des vignes à Marly et des dîmes importantes aux Loges, d'autres dîmes à Doinvilliers et à la Villeneuve, près de Chevreuse, qu'il tenait en fief de Matthieu de Marly ; enfin il était suzerain de Ferry de Macy, mais sa seigneurie ne nous paraît pas avoir dû jamais s'étendre jusqu'à Villeneuve-le-Roi, comme l'a pensé l'un de nos érudits les plus distingués. » (2)

En 1196, Gui Ier de Lévis devient le fondateur de l'abbaye Notre Dame de la Roche. « Il avait acheté de la famille Fer-d'Asnois une charrue de terre et les deux tiers d'une dîme que, dès l'an 1196, il donna, avec une certaine portion de bois, à Gui, curé de Maincourt, pour y fonder un établissement religieux qui devint l'abbaye de Notre-Dame de la Roche » (3). Circa 1201, il épouse Guiburge, dont on dit, de façon controversée, qu'il s'agit là d'une fille de Simon III de Monfort et d'Amicie de Leicester, donc d'une sœur de Simon IV de Monfort.

« Gui de Lévis Ier eut pour femme Guiburge, dont on ignore le nom de famille et qui n'est guère connue que par quelques chartes du Cartulaire de Notre-Dame de la Roche, dans lesquelles elle est mentionnée en 1201, 1209 et 1226, comme ayant consenti à plusieurs donations faites par son mari aux religieux de ce monastère. Une autre charte du même recueil, du mois de mai 1234, la désignant par le simple titre de maréchale de Lévis et d'Albigeois, nous apprend qu'elle était dame d'un fief situé à Voisins le Thuit et dont mouvait une dîme inféodée, dépendant de l'héritage de Philippe de Limours. Elle survécut à son mari, car au mois de novembre 1234, Gui II, son fils, confirma une transaction qu'elle venait de faire avec l'abbaye de Saint-Denis au sujet de cinquante-deux arpents de terre, prés, bois et haies, situés dans la paroisse de Lévis, tant à Girouard qu'aux Bordes et autres lieux. Gui de Lévis, son mari, maréchal d'Albigeois, tenait de cette abbaye ces biens pour lesquels il lui payait annuellement treize sous parisis de chef cens, et devait une corvée de charrue à trois jours différents de l'année.

Tels sont les seuls renseignements que l'on connaisse sur cette dame ; le P. Anselme, d'après du Bouchet qui ne cite aucune preuve à l'appui, et les auteurs de l'Art de vérifier les dates, sans doute d'après ces deux généalogistes, lui donnent cependant une très illustre origine et la font naître de Simon III de Montfort, comte d'Évreux, et d'Amicie de Beaumont, comtesse de Leicester. Elle eût donc été la sœur de Simon de Montfort, le chef de la croisade contre les Albigeois, qui serait ainsi devenu le beau-frère de Gui de Lévis, maréchal de son armée.

D'après l'autorité des trois ouvrages célèbres que nous venons de citer, nous avions nous-même adopté cette opinion ; mais nous avons été bientôt obligé de l'abandonner, parce qu'elle nous semblait erronée, et parce que nous avons cru que les généalogistes anciens avaient avancé de deux générations l'alliance de la famille de Lévis avec celle de Montfort. Simon III de Montfort et Amicie de Beaumont eurent peut-être une fille nommée Guiburge ; mais cette dame ne nous paraît avoir d'autre identité que celle de son nom avec la femme de Gui de Lévis. D. Vaissette, l'historien du Languedoc, dit que l'on ignore le nom de famille de Guiburge, et nous sommes porté à nous ranger de son avis.

Dans les chartes assez nombreuses émanées de lui-même ou de Simon de Montfort et dans lesquelles il est mentionné, Gui de Lévis ne prend et ne reçoit jamais la qualité de beau-frère de ce dernier, comme cela aurait pu arriver au moins quelquefois. Bien plus, dans une charte de notre Cartulaire, par laquelle il donne quatre mille livres parisis pour bâtir l'abbaye de Notre Dame de la Roche,il veut que cette somme soit déposée entre les mains d'Alexandre des Bordes, son cousin de l'abbé des Vaux de Cernay et d'Amaury de Montfort, qu'il appelle tout simplement ses amis : or, si Guiburge de Montfort eût été sa femme, il eût été lui-même l'oncle d'Amaury, et n'aurait certainement pas manqué, dans cette circonstance, de le nommer son neveu. Enfin nous ne voyons à Gui de Lévis aucune possession dans le comté de Montfort qui puisse lui provenir de la dot de sa femme, et faire présumer de l'illustre origine attribuée à cette dame ; mais de ce que Guiburge possédait, de son propre chef, un fief situé à Voisins-le-Thuit, nous croyons pouvoir présumer qu'elle était issue de quelque noble famille de cette localité ou des environs. » (4)

S'il n'est le beau-frère de Simon IV de Monfort, Guy Ier de Lévis est en tout cas son voisin immédiat, puisque leurs deux fiefs, en Île-de-France, se trouvent contigus.

3. Quand Guy Ier de Lévis devient lieutenant de Simon IV de Montfort

En 1209, convaincu par son autre ami et voisin en Île de France, Guy, abbé des Vaux-de-Cernay, qui se trouve appelé par le pape Innocent III à prêcher la nécessité d'une croisade contre les Albigeois en Languedoc, Simon IV de Montfort bat le rappel des seigneurs de sa contrée.

Comme Bouchard de Marly, Robert de Mauvoisin, et autres, Guy Ier de Lévis vend une partie de ses biens pour financer sa levée de troupes, et il s'enrôle dans les armées de Simon IV de Monfort, dont il deviendra par la suite l'un des maréchaux les plus fidèles. Les croisés se rassemblent à Lyon où Raymond VI, comte de Toulouse les rejoint, par souci de préserver ses états. Ils marchent alors vers le Sud, et ils prennent bientôt les villes de Béziers et de Carcassonne. On connaît la suite...

En décembre 1215, Simon IV de Monfort, anciennement déchu de son titre de comte de Leicester, est fait comte de Toulouse par le pape Innocent III.

Le 12 avril 1229, après bien des péripéties, Guy Ier de Lévis tient désormais des mains du roi Louis IX la « terre du Maréchal [de Lévis] », qui s'étend dans le nouveau diocèse de ce nom et dans celui de Pamiers, vers le Midi, et se trouve séparée de l'Espagne par les Pyrénées. »

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1. Gruyer : officier public, avec une juridiction, chargé à partir du XIIIe siècle de s'occuper des forêts domaniales pour le compte d'un seigneur haut justicier. Il met en réserve les domaines boisés ou hagis, contrôle les usages coutumiers et juge en première instance les délits commis dans les forêts et les rivières de sa circonscription ou gruerie, à commencer par les déprédations ou les mésusages paysans.

2. Cartulaire de l'abbaye de Notre Dame de la Roche, p. 335-336. Édition établie par Auguste Moutié. Henri Plon Imprimeur. Paris. 1862. « L'érudit les plus distingué » est Léopold Delisle, in Notice sur les baillis du Cotentin. Article « Milon ».

3. Ibidem, p. 333.

4. Ibid., pp. 355-357.

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À propos de Saint Maurice, patron de la cathédrale de Mirepoix

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Le 22 septembre 1209, Simon de Montfort et ses hommes s'emparent de la ville de Mirepoix, située à cette date sur la rive droite de l'Hers. L'église de la ville se trouvait placée alors sous le patronage de Saint Michel. L'illustre chef de guerre aurait entrepris par la suite de substituer à ce premier patronage celui de Saint Maurice.

Le 16 juin 1289, une inondation catatrophique emporte la ville de Mirepoix ainsi que son église supposément intitulée Saint Maurice. Guy III, seigneur de Lévis Mirepoix donne sur la rive gauche de l'Hers le terrain nécessaire à l'édification de la nouvelle ville de Mirepoix.

Le 6 mai 1298, Jean Ier de Lévis Mirepoix, fils de Gui III, pose la première pierre de la future cathédrale du nouveau Mirepoix, placée derechef sous le patronage de Saint Maurice. L'église actuelle conserve ce même patronage.

1. Le martyre de Saint Maurice et des siens

On doit à Saint Eucher, évêque de Lyon, dans une lettre adressée circa 425 à Salvius, ou Silvius, évêque du Valais, et recueillie dans le texte intitulé Passio Acaunensium martyrum (1), le premier récit du martyre de Maurice et de ses compagnons. On dispose également d'un récit anonyme, légèrement postérieur au précédent (2). Ces deux récits différent parfois dans l'interprétation des faits. Le récit que nous devons au narrateur anonyme semble aujourd'hui plus conforme aux réalités de la fin du IIIe siècle.

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Ci-dessus : figure de l'imperium romain. Détail de la fresque représentant le martyre de Saint Maurice à la cathédrale de Mirepoix.

Durant l'automne 285, l'armée de Maximien Hercule, adjoint alors de l'empereur Dioclétien, franchit le col du Mont Jovis, aujourd'hui col du Grand Saint-Bernard, afin, selon Eucher, d'aller réduire en Gaule la fraction de la population qui est chrétienne ; ou afin, selon le narrateur anonyme, d'aller combattre en Gaule les Bagaudes (1) et défendre plus au nord la frontière du Rhin. Maximien ordonne le rassemblement de ses troupes à Octodurum (aujourd'hui Martigny, dans le canton suisse du Valais) selon Eucher, pour l'organisation de la persécution des chrétiens ; selon le narrateur anonyme, pour le renouvellement du serment militaire et l'offrande d'un sacrifice sur les autels des dieux.

L'effectif des troupes romaines se trouve augmenté d'une légion de Thébains, ou plutôt d'un détachement de la deuxème légion trajane, constitué de soldats choisis pour leur combativité, ordinairement affectés à la défense des frontières de l'Égypte et stationnés jusqu'alors en Thébaïde (2), d'où leur nom de Thébains.

Maurice est primicerius, ou centurion primipile (3), i.e. capitaine de cette légion thébaine ; Candide est princeps, i.e. premier lieutenant ; Exupère est signifer, i.e. porte-enseigne.

Soldats accoutumés au renouvellement du serment militaire, Maurice, Exupère et Candide ne sauraient en revanche participer au sacrifice sur les autels des dieux, car, comme leurs cinq cents hommes, ils sont chrétiens. C'est pourquoi, brûlant l'étape d'Octodurum, ils choisissent d'établir leur camp à Agaune (aujourd'hui Saint-Maurice, à 15 km de Martigny, dans la canton suisse du Valais), endroit où la vallée du Rhône se resserre pour former une sorte de défilé.

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Ci-dessus : vue du pont Saint Maurice sur la route de Saint-Maurice.

Maximien fait savoir à Maurice qu'il requiert le retour de la légion thébaine à Octodurum. Comme Maurice et ses hommes s'y refusent au nom de leur foi, Maximien ordonne qu'on procède à leur décimation pour rébellion. Comme la décimation ne suffit pas à ébranler la résistance des Thébains, Maximien ordonne qu'on les tue tous. Maurice, Exupère, Candide et tous les Thébains s'offrent alors d'un seul cœur, armes déposées au sol, au massacre annoncé.

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Ci-dessus : Martyre de Saint Maurice. Fresque non documentée. Cathédrale de Mirepoix.

Vers 360-380, les corps des martyrs sont « révélés » à Théodore, évêque d'Octodurum. Celui-ci les fait ensevelir à Agaune, où il bâtit une basilique en leur honneur. (4)

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Ci-dessus : vue de l'abbaye Saint Maurice, aujourd'hui.

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Ci-dessus : Saint Maurice. Détail. Chapelle Sigismond à l'abbaye Saint Maurice.

2. Preuves du martyre de la légion thébaine

À partir de la fin du XVIIe siècle, nombre d'auteurs protestants contestent l'authenticité du martyre de Maurice et des siens.

2.1. La controverse

Ézéchiel Spanheim (1629-1710), diplomate brandebourgeois à Paris, est le premier à dire, dans son Introduction à l'histoire ecclésiastique, que le martyre de la Légion thébaine n'est qu'une fable. Il fonde son assertion, entre autres arguments, sur la constatation que Sulpice Sévère (v. 360-v. 420) n'en a point parlé dans son Abrégé d'histoire sacrée. Il est suivi dans sa critique par nombre de ses coreligionnaires, dont plus spécialement Johann Jakob Spreng (1699-1768) en Suisse, et Voltaire en France, dans son Traité de la tolérance, (1762-1763) : « Qu’on voie combien la fable de la légion thébaine ou thébéenne, massacrée, dit-on, tout entière pour la religion, est une fable absurde. » (5)

2.2. Des preuves

« Le temps, remarque circa 425 Saint Eucher, n'a pas encore jeté l'oubli sur la mort des Martyrs d'Agaune. C'est pourquoi il se propose de noter avec fidélité ce que rapporte la tradition constante. Il indique qu'il a pris soin de s'informer sur cet objet, ayant le souci de connaître la vérité. Pour cela, il a interrogé Isaac, vieillard, évêque de Genève. Ce dernier tient ses informations de Théodore, évêque du Valais, qui a fait relever les corps des martyrs vers 360-380. » (6)

Pierre de Rivaz (1711-1772), notaire à Saint-Maurice, qui a longtemps travaillé sur les preuves du martyre d'Agaune et laissé à ce propos des Éclaircissements sur le martyre de la Légion thébénne, ouvrage publié en 1779 par l'abbé Anne Joseph Rivaz, son fils, affiche la certitude suivante :

« Moins de cent ans après le martyre, Théodore a relevé les corps. L'endroit où ils se trouvaient a pu être indiqué par des chrétiens qui ont été les témoins du martyre ou qui ont été renseignés par leurs parents. Si le martyre n'avait pas eu lieu, le geste de saint Théodore serait une farce inimaginable. Face à une population qui ne connaît rien de l'événement, il affirme qu'il a découvert les restes de chrétiens martyrisés aux portes de la localité, moins de cent ans auparavant. Il pousse l'audace jusqu'à construire une chapelle en leur honneur. Devant un tel acte, la population aurait protesté. Or rien de tel ne s'est produit, ce qui permet de conclure que le martyre des soldats était connu de la population agaunoise. » (7)

3. D'où vient que l'église cathédrale de Mirepoix ait été placée sous le patronage de Saint Maurice ?

3.1. De Marseille à Mazerette, le culte de Saint Maurice ?

Le culte de Saint Maurice s'est développé au IVe siècle dans l'Est de la France, et plus spécialement dans la vallée du Rhône, i.e. à proximité du lieu du martyre de la légion thébaine. Comment en est-il venu à s'implanter en Languedoc et à supplanter à Mirepoix le culte plus ancien de Gauderic, le saint local ?

Il se trouve qu'avant 1079, des moines venus de l'abbaye de Saint Victor de Marseille fondent sur le site de l'ancienne ville de Mirepoix, sur la rive droite de l'Hers, le prieuré de Mazerette. En 1079, ils reçoivent confirmation du pape Grégoire VII. Il n'est pas impossible qu'ils aient transporté avec eux jusqu'à Mazerette le souvenir du martyre de Saint Maurice.

Composée vers la fin du IVe ou au commencement du Ve siècle, l'histoire de Saint Victor de Marseille comporte en effet un passage relatif aux martyrs thébains :

« L'arrivée de Maximien à Marseille jeta l'épouvante parmi le grand nombre de nos chrétiens, à cause du sang des Fidèles qu'il avait répandu, avec plus de cruauté que ses prédécesseurs, partout et spécialement dans toutes les Gaules, et principalement à cause du fameux massacre des Thébains à Agaune. » (8)

3.2. De Simon de Montfort à Saint Maurice

Parti de Lyon, patrie de Saint Eucher, évêque sous l'épiscopat duquel le culte de Saint Maurice avait commencé de se développer, Simon de Montfort pourrait y avoir puisé l'idée de faire de Maurice, un saint militaire, l'emblême très politique de la croisade qu'il est censé mener en Languedoc au nom de la droite foi. D'où, après 1209, le caractère plausible du patronage mauricien dont aurait pu se réclamer bientôt l'église du premier Mirepoix.

En 1081, l'évêque Bennon, témoin des jeux de pouvoir auxquels se livrent au cours de son siècle les papes et les rois, s'intéresse aux raisons sur lesquelles se fonde alors l’utilisation politique de la passion de Saint Maurice et des siens. « Conformément au texte d’Eucher de Lyon, il note que les Thébains, respectueux de leurs engagements envers Dieu et envers l’empereur, ont refusé de porter les armes contre leurs co-religionnaires et qu'ils ne les ont pas utilisées davantage contre Maximien. Se référant ensuite à Grégoire le Grand, il rappelle la fonction exemplaire qui est celle des saints. Se plaçant là sous l’autorité de Jérôme, il souligne la nécessité de ne pas trahir les serments faits au nom de Dieu. Il poursuit son raisonnement avec le modèle du Christ qui se soumettait aux lois des rois de la terre pour ne pas être cause de scandale et qui avait exigé de Pierre, à l’entrée de Caphernaüm, qu’il paie les deux drachmes du péage.

Au moment où les serments s’oublient, où on les prête et les dénonce au gré des circonstances et des intérêts, la palme que porte le martyr est autant une solennelle exhortation qu’une revendication politique. Grégoire VII déclare pouvoir délier des sujets de leur fidélité à leurs seigneurs si ceux-ci sont iniques ; Bennon rappelle, lui, que l’important n’est pas de savoir à qui l’on prête serment mais au nom de qui. Gagner le camp adverse, fût-ce avec le soutien pontifical, c’est négliger le divin témoin des promesses faites alors qu’il en est le garant.

Fondé sur le martyre qui fit de Maurice et de ses compagnons des saints à vocation exemplaire, le raisonnement ne peut être mis à mal que par la négation de leur sainteté. Cette exécution des Thébains est fortement instrumentalisée car, plus que l’inébranlable foi qui les habitait, on met en exergue, en s’appuyant sur des récits hagiographiques reconnus, leur fidélité absolue. Avertissement pour les uns, encouragement pour les autres, l’image de la victime remplit parfaitement la mission pédagogique qui est sienne. Elle est aussi la manifestation consciente d’un choix politique assumé et l’instrument efficace d’une propagande solidement fondée. » (9)

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Ci-dessus : détail de la fresque dédiée à Saint Maurice. Cathédrale de Mirepoix.

C'est là en tout cas, dixit la tradition, ou la légende ? la propagande que Simon de Monfort aurait choisi de faire valoir à Mirepoix après 1209 ; et c'est là, très clairement, la propagande que Jean de Lévis fait sienne quand il pose en 1298 la première pierre de la future cathédrale Saint Maurice. « Dieu aide au second chrétien Lévis », dit la devise de cette maison. En plaçant cette cathédrale sous le patronage de Saint Maurice, le chrétien Lévis fait du saint militaire le modèle dont tout chrétien doit se réclamer comme lui : fidélité absolue, et à Dieu et à l'Empereur, ici au Roi, et au seigneur qui tient du Roi son pouvoir.

Il importe peu, dans ces conditions, de savoir si Saint Maurice était blanc ou noir. On trouve ici et là les deux versions. Dieu, de toute façon, reconnaît toujours les siens.

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Ci-dessus : Saint Maurice, portant la palme du martyre. Miniature extraite de la Passion de saint Maurice et de ses compagnons de Jacopo Antonio Marcello. 1453.

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Ci-dessus : Rencontre de Saint Anselme et de Saint Maurice. Mathias Grünewald. 1520-1524.

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1. Bagaudes : nom donné aux bandes armées de paysans sans terre, d'esclaves, de soldats déserteurs et de brigands qui ont rançonné le nord-ouest de la Gaule du IIIe au Ve siècle.

2. Thébaïde : nom d'une province égyptienne du Bas-Empire romain. Capitale : Thèbes.

3. Primipile, littéralement : premier javelot (pilum).

4. Cf. Claude Martingay. Les Passions de S. Maurice d'Agaune : essai sur l'historicité de la tradition et contribution à l'étude de l'armée pré-dioclétienne. Chez l'auteur. Genève. 1989.

5. Jean-Michel Roes. Le martyre de la Légion Thébaine et la controverse autour de l’historicité du XVIe au XVIIIe siècle. 2003.

6. Henri Michelet. Pierre de Rivaz, inventeur et historien (1711-1772). Troisième partie : Études historiques. Chapitre 1 : Éclaircissements sur le martyre de la légion thébaine, pp. 201-228.

7. Ibidem.

8. Ibid.

9. Esther Dehoux. Le martyr, l’empereur, le roi. L’instrumentalisation de la victime ? (Empire – royaume de France, XIe-XIIIe siècle) », La victime. I – Définitions et statut.

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Un problème, parmi d'autres, dans la lecture des actes d'état-civil

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19 juin 1791. Mariage de Raymond de Gaston et d’Anne Mailhol. Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix (1787-1792). Document 1NUM6/5MI665. Vue 152.

Le 19 juin 1791, Raymond de Gaston, juge de paix de la ville de Foix, épouse à Mirepoix Anne Mailhol, fille de l'écrivain Gabriel Mailhol (1). En septembre 1791, Raymond Gaston, qui ne porte plus sa particule désormais, est élu député de l’Ariège à l’Assemblée législative. Il s'installe à Paris, tandis qu'Anne Mailhol, son épouse, enceinte, attend de faire ses couches à Mirepoix. Le 7 avril 1792, toujours à Mirepoix, Marie Anne Mailhol accouche d’un garçon, baptisé sous le nom de Michel Etienne Pascal Antoine Jean Jacques Gaston. Elle gagne ensuite Paris avec son enfant afin d'y rejoindre son époux, qui vient d'être réélu député à la Convention. Celui-ci siège, de jour et de nuit quasiment, dans les rangs de la Montagne.

En juillet 1793, Raymond Gaston soupçonne Anne Mailhol de le tromper. Il commande à cette fin un rapport de police, qui se révèle concluant. Cf. Christine Belcikowski. Jeunesse, mariage et ascension politique de Raymond Gaston, député de l’Ariège à l’Assemblée nationale

Le 9 germinal an III (29 mars 1795), Raymond Gaston se remarie avec Denise Claudine Ramaget. On le sait par la Table des mariages et des divorces célébrés à Paris de 1793 à 1802, document rescapé de l'incendie qui, le 24 mai 1871, a détruit l'Hôtel de ville de Paris, et avec lui l'état-civil de la ville.

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Archives de Paris: série V.10E 1-12. Extrait des microfilms des originaux reconstruits par noms de famille. N° de film : 007822452. Dupui - Giguet. Vue 365 sur 455.

Cette Table des mariages et des divorces célébrés à Paris de 1793 à 1802, comprend une entrée « Raymond Gaston ». La ligne correspondante indique que Raymond Gaston a épousé Denise Claudine Ramaget le 9 germinal an III (29 mars 1795). En dessous de cette première ligne, une seconde ligne concerne Anne Mailhol. Elle fournit une date dépourvue d'explicitation : « 13 ventôse an 9 » (22 février 1801).

Une telle date étonne. Il ne peut s'agir de la date du divorce du couple Gaston-Mailhol, puisque Raymond Gaston a épousé Denise Claudine Ramaget en légitimes noces le 9 germinal an III (29 mars 1795) ! Il ne s'agit pas non plus de la date d'un éventuel second mariage d'Anne Mailhol, puisque le nom de cette dernière ne se trouve là assorti d'aucun nom d'époux. Et il ne peut s'agir là d'une date de décès, puisque la table dans laquelle cette date figure, n'intéresse que les mariages et les divorces.

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Archives de Paris: série V.10E 1-12. Extrait des microfilms des originaux reconstruits par noms de famille. N° de film : 007822455. Leu - Mely. Vue 267 sur 469. Détail.

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Ci-dessus : même vue 267, complète cette fois.

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Ci-dessus : autre détail de la vue 267. Anne Mailhol est fille de Gabriel Mailhol. Le nom de la mère manque parce qu'il ne se trouve à Paris personne qui le connaisse. Jeanne Brigitte Faure, mère d'Anne Mailhol, est morte le 3 décembre 1772 à Saint-Papoul (Aude) (2).

La même table comprend également une entrée « Anne Mailhol ». La ligne correspondante fournit cette fois-ci les indications suivantes : « Mailhol Anne |Gaston Raymond |13 ventôse 3 » (3 mars 1795). Il s'agit là probablement de la date du divorce de Raymond Gaston et d'Anne Mailhol. Raymond Gaston a épousé Denise Claudine Ramaget 26 jours plus tard. La date du « 13 ventôse an 9 » (22 février 1801) mentionnée dans l'entrée Raymond Gaston concernant le divorce de ce dernier provient sans doute d'une erreur dans l'ancienne réindexation de la Table des mariages et des divorces célébrés à Paris de 1793 à 1802.

Que sont devenus par la suite Anne Mailhol et Michel Etienne Pascal Antoine Jean Jacques Gaston, son fils, né le 7 avril 1792 à Mirepoix (3) ? Je cherche depuis longtemps à les retrouver. Leur trace se perd. Une femme et un enfant disparaissent. La lecture des archives suscite dans ce cas-là une sorte d'inquiétude dérangeante.

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1. À propos de Gabriel Mailhol, cf. Christine Belcikowski. À Paris, au XVIIIe siècle, difficile réception de l’œuvre de Gabriel Mailhol, dramaturge et romancier audois.

2. 3 décembre 1772. Décès de Jeanne Brigitte Faure. Archives dép. de l’Aude. Saint-Papoul (1771-1777). Document 100NUM/5E361/4. Vue 49.

3. 7 avril 1792. Baptême de Michel Etienne Pascal Antoine Jean Jacques Gaston. Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix. Baptêmes, Mariages (1787-1792). Document 1NUM6/5MI665. Vue 196.

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L'auteur des Mémoires du Diable !

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Ci-dessus : Frédéric Soulié, auteur des Mémoires du Diable, vu par un caricaturiste anonyme. Dessin à la mine de plomb.

En 1837-1838, la publication des Mémoires du Diable fait scandale. Ce roman de Frédéric Soulié serait un pousse-au-crime. Il inciterait les femmes à se débarrasser de leur époux lorsque celui-ci les encombre. Il aurait d'ailleurs inspiré le crime de Marie Fortunée Capelle, plus connue sous son nom d'épouse, Marie Lafarge. En 1847, alors qu'on mène la dépouille de Frédéric Soulié au Père-Lachaise, Alfred Nettement, député du Morbihan, déclare l'écrivain responsable du crime commis par Mme Lafarge, « sur le guéridon de laquelle on trouva les Mémoires du Diable ouverts quand on vint l’arrêter au Glandier. » (1)

Sur le dessin reproduit ci-dessus, le Diable souffle à l'oreille de Frédéric Soulié ses mémoires. Frédéric Soulié, lui-même, a les pieds fourchus et la queue du Diable. Le soulier sert de légende.

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Ci-dessus : frontispice des Mémoires du Diable. Imprimerie Jules Le Clere. 1876.

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Cf. Christine Belcikowski. Le roman vrai de Frédéric Soulié. II. À Paris. Chapitre 4. Les Mémoires du Diable et le crime de Madame Lafarge. Pages 63-66.

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