Christine Belcikowski

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Petite chose vue au MiMa

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Madame Sosostris, famous clairvoyante,
Is known to be the wisest woman in Europe,
With a wicked pack of cards. Here, said she,
I see crowds of people, walking round in a ring.
Thank you. If you see dear Mrs. Equitone,
Tell her I bring the horoscope myself :
One must be so careful these days.
 (1)

Madame Sosostris, célèbre voyante,
est connue pour être la femme la plus sage d'Europe,
avec un jeu de cartes du diable. Voilà, dit-elle,
Je vois des foules qui tournent en rond.
Merci. Si vous voyez la chère madame Equitone,
Dites-lui que j'apporterai l'horoscope moi-même :
Il faut être très prudent, de nos jours.

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1. T.S. Eliot. The Waste Land. 1922.

Classé dans : Poésie Mots clés : aucun

Au château de Léran, en songe

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« Nous galopâmes longtemps, jusqu'à ce que ce rêve en devint un autre, se fondit en lui sans coupure ; et le sable embrasé où j'avais trouvé ce cheval d'émir aboutit au gazon frais de notre château d'enfance.

Ce château est entouré d'une terrasse toujours verte. C'est là que le cheval s'arrêta. Un peu d'écume, en tombant, étoila l'herbe rase et ce furent... les pâquerettes que je ramassais jadis.

Une odeur saine de nature montait du pelage et du gazon foulé. Je me laissai glisser de ma selle ; l'odeur partit comme un oiseau. Ma main crut encore serrer la bride. Mais déjà il n'y avait rien ; le cheval n'était plus là...

Je me retrouvai seule, les membres encore tremblants de la course, tout contre le château, là où le mur du midi semble un peu doré, là où s'ouvrent, tout en bas, les boutons du Bengale, et tout en l'air les trois fenêtres de ma première et tant belle chambre.

« Tout est pareil », me dis-je... Mais à peine l'avais-je pensé, qu'un changement commença.

Avec la rapidité et les mouvements secs des machineries de théâtre, un grand entonnoir se creusa dans le sol de la terrasse, vers l'angle, là où le donjon s'élève du rocher.

Pendant cette transformation, le sol alentour se souleva comme une étoffe. Dans le creux apparurent les couleurs du prisme, tremblantes et moirées. La plupart se dissipèrent et il n'en resta que trois, le bleu, le rose et le safran, avec la qualité exacte des tons que leur donnait l'Angelico dans ses peintures. À tel point que son nom me vint aux lèvres.

Quelque chose se préparait sous ces couleurs, et sans doute par elles.

Je les vis s'épaissir, tournoyer, puis se diviser en formes exquises qui tenaient le milieu entre la peinture et la vie. Ni garçons, ni filles, anges des paradis peints, ces êtres se groupèrent autour d'un grand oranger qui venait de naître avec eux et qui seul possédait des teintes naturelles. Il était garni en arbre de Noël, avec beaucoup de bougies allumées entre les oranges, des fils d'argent et des guirlandes diamantées. De menus paquets ficelés, suspendus à l'extrême bout des branches, m'inspiraient envie et curiosité.

Les créatures aux robes peintes firent une ronde autour de l'arbre. Les mains et les pieds étroits étaient agiles, mais les visages gardaient une immobilité d'émail.

Des chants s'élevèrent : ces êtres chantaient à bouches closes. J'en étais certaine, c'était bien d'eux qu'émanaient les voix. Ils ne paraissaient ni heureux ni tristes, ces deux mots n'avaient pas de sens autour de cet arbre, et les voix, qui chantaient en latin un air d'église, répandaient des ondes de tranquillité.

Dans le creux où tout cela venait de naître, la terre brillait, devenue blanche, sans rayonner du froid. Je pensai au givre artificiel dont on parsème les crèches. Et toutes les apparences de cette petite « cour céleste » correspondaient à son chant perlé, à son chant glacé.

Comme tout à l'heure pour les spahis, nulle différence ne marquait les figures. Liées en guirlandes, elles se ressemblaient comme des fleurs. Dans la poudre blanche, leurs pieds laissaient des empreintes d'oiseaux. Le château lui-même semblait prendre plaisir à regarder la ronde, par ses fenêtres entr'ouvertes.

Et voici qu'en levant la tête je m'aperçus que la façade — solitaire auparavant — s'était garnie de visages. Je retrouvais de vieilles personnes rajeunies par ce Noël solaire et qui m'apparaissaient, à ces croisées, avec les aspects et les modes qu'aux jours de mon enfance je leur avais connus. Il y avait là des religieuses qui m'avaient appris à lire, l'archiviste qui me donnait des bonbons, plusieurs dames du village et des petites villes d'alentour, accompagnées de leurs fils disparus à la grande guerre. Du salon de compagnie me regardaient deux vieilles demoiselles aux visages enfarinés, aux perruques d'astrakan, qui venaient toujours « nous rendre visite pour la bonne année ». À cette fenêtre elles minaudaient comme par le passé, mais bien plus gaiement, et elles agitaient vers l'oranger les mêmes mouchoirs de cérémonie, brodés dans leur jeunesse et qu'elles arboraient trois fois l'an.

Toutes ces personnes, à ma souvenance, étaient venues souvent au château, quand il n'était pas encore, pour elles, question de mourir... Elles étaient bien pareilles à leur ancien temps ; un peu plus émaciées peut-être. Toutes regardaient l'arbre et souriaient.

Et moi, je regardais, je regardais les fenêtres, en haut surtout, vers les plus chères des chambres.

Mais les seuls visages que j'appelais ne se montrèrent pas et, sans que fût changé l'air serein, tout le château s'embua par mes propres yeux. »

Ci-dessus : extrait de « Noël d'été », in Lumière cendrée, de Claude Silve sive Philomène de Lévis Mirepoix. Librairie des Champs-Éysées. Paris. 1941.

Albert Bausil. La Terrasse au soleil. Musiques dans le parc. Le tennis

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Musiques dans le parc... Cette danse, Qui n'a d'intérêt que par sa cadence. À mes petites Nièces de Vernet.

« Les adolescents et les jeunes filles
Sont vêtus de blanc sous les arbres verts.
Cinq heures de soir. Les jeux sont ouverts ;
L'ombre langoureuse est sous les charmilles.
Rasant le filet, la balle qui brille
Trace des sillons d'argent dans les airs.
Les adolescents et les jeunes filles
Courent en riant sous les arbres verts.

Les adolescents et les jeunes filles,
Souples sous la laine et sous le linon,
Évoquent parfois avec leurs quadrilles
Des frises de vase ou de Parthénon.
Plus harmonieux dans leurs souquenilles
Que joueur de flûte ou de tympanon,
Les adolescents et les jeunes filles
Campent des Diane et des Actéon !

... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ...
Les adolescents et les jeunes filles
Quittent, maintenant, le tennis ombreux.
La nuit violette interrompt les jeux ;
La troupe chantante a passé les grilles.
Bondissants, légers, dans leurs espadrilles,
Sans songer au soir qui descend sur eux,
Les adolescents et les jeunes filles
Rentrent dans la nuit par les chemins bleus. » (1)

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Albert Bausil. La Terrasse au soleil, p. 63. Musiques dans le parc. « Le tennis ». Edition du Coq Catalan. Imprimerie Ch. Latrobe, Barrière & Cie successeurs. 1921.
Albert Bausil, né à Castres (Tarn) le 16 décembre 1881 et mort à Perpignan (Pyrénées-Orientales) le 2 mars 1943, est un descendant de François Bauzil, baptisé le 23 juillet 1741, bourgeois de Mirepoix (Ariège).

Romain Rolland.« Nous allons au-devant de l’alouette »

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« Je passe d’abord chez ma fille, pour prendre ma petite Glodie. Nous faisons tous les jours notre promenade ensemble. C’est ma meilleure amie, ma petite brebiette, ma grenouille qui gazouille. Elle a cinq ans passés, plus éveillée qu’un rat et plus fine que moutarde. Dès qu’elle me voit, elle accourt. Elle sait que j’ai toujours ma hotte pleine d’histoires ; elle les aime autant que moi. Je la prends par la main.

— Viens, petite, nous allons au-devant de l’alouette.
— L’alouette ?
— C’est la Chandeleur. Tu ne sais pas qu’aujourd’hui elle nous revient des cieux ?
— Qu’est-ce qu’elle y a été faire ?
— Chercher pour nous le feu.
— Le feu ?
— Le feu qui fait soleil, le feu qui fait bouillir la marmite de la terre.
— Il était donc parti ?
— Mais oui, à la Toussaint. Chaque année, en novembre, il s’en va réchauffer les étoiles du ciel.
— Comment est-ce qu’il revient ?
— Les trois petits oiseaux sont allés le chercher.
— Raconte… [...].
— Raconte, père-grand, les trois petits oiseaux…
(J’aime à me faire prier.)
— Les trois petits oiseaux sont partis en voyage. Les trois hardis compères : Roitelet, Rouge-Gorge et l’amie l’Alouette. Le premier, Roitelet, toujours vif et remuant comme un petit Poucet, et fier comme Artaban, aperçoit dans les airs le beau feu, tel un grain de millet, qui roulait. Il fond sur lui, criant : « c’est moi ! je l’ai. C’est moi ! » Et les autres crient : « Moi ! Moi ! Moi ! » Mais déjà le Roitelet l’a happé au passage et descend comme un trait… « Au feu ! au feu ! il brûle ! » Telle bouillie bouillante, Roitelet le promène d’un coin de bec à l’autre ; il n’en peut plus, il bâille, et la langue lui pèle ; il le crache, il le cache sous ses petites ailes… « Ahi ! Ahi ! Au feu ! » Les petites ailes flambent… (As-tu bien remarqué ses taches de roussi et ses plumes frisées ?…) Rouge-Gorge aussitôt accourt à son secours. Il pique le grain de feu et le pose dévotement en son douillet gilet. Voilà le beau gilet qui devient rouge, rouge, et Rouge-Gorge crie : « J’en ai assez, assez ! mon habit est brûlé ! » Alors Alouette arrive, la brave petite m’amie, elle rattrape au vol la flamme qui se sauvait pour remonter au ciel, et preste, prompte, précise comme une flèche, sur la terre elle tombe, et du bec enfouit dans nos sillons glacés le beau grain de soleil qui les fait pâmer d’aise… 

J’ai fini mon histoire. Glodie caquette, à son tour. Au sortir de la ville, je l’ai mise sur mon dos, pour monter la colline... » (1)

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1. Romain Rolland. In Colas Breugnon. I. L'alouette de la Chandeleur. Librairie Ollendorff. 1919.

Classé dans : Poésie Mots clés : aucun

Prêter attention aux mots, selon Thom Satterlee

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Dans Le double était parfait, polar étonnant, signé par le poète et traducteur américain Thom Satterlee, Daniel Peters, qui est américain et qui travaille depuis vingt au Danemark à l'établissement d'une traduction scientifique de l'œuvre du philosophe danois Søren Kierkegaard, parle de sa passion des mots. N'est-ce pas là, au plus près, une description du travail du poète ?

« Le travail que j'aime... prêter attention aux mots, entendre ce qu’ils disent et rendre ce qu’ils signifient, ce qu’ils pourraient signifier ou ce que vraisemblablement ils signifieraient en anglais plutôt qu’en danois ; dans un certain sens, ce que les mots signifient, au-delà des deux langues, fait partie d’un autre langage plus essentiel, qui est comme un océan dans lequel je jette mes rets pour en sortir des mots, en en rejetant certains et en en gardant d’autres ; et je fais cela encore et encore dans ma tête, jusqu’à ce que des phrases entières composées des mots justes se forment avec un rythme qui les tient comme un câble tendu… » (1)

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Thom Satterlee. Le double était parfait. « Titre original (États-Unis) : The Stages. 2013. Crooked Lane Books. New York. Édition française : Calmann-Lévy. Paris. 2019.

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