Ci-dessus : n°167 à 184 ; détail du plan 3 du compoix de 1766.
Les parcelles n°167 à 184 du plan 3 du compoix de 1766 abritaient jadis au sud de la place, devant la cathédrale, trois pâtés de maisons à encorbellements, réunis sous le nom de couvert du Midi. Le pâté central (n°176 à 179 du pan 3) a été démoli à la fin du XIXe pour faire place à la halle, construite dans le style d’architecture métallique initié à Paris par Victor Baltard. Les halles parisiennes ont été détruites en 1972-1793 ; la halle mirapicienne, par chance, est restée.
Ci-dessus : halle de Mirepoix dans les années 1950 ; J. C. Gautrand, Destruction des halles à Paris en 1972-1973.
Ci-dessus : halle de Mirepoix en novembre 2012.
Ci-dessus : à la place du pâté de maisons disparu, halle de Mirepoix aujourd’hui.
Ci-dessus : vue de la halle depuis la tour de la maison Lévis, cours Louis Pons-Tande ; derrière la halle, rue Clauzel (autrefois rue Courlanel), la cathédrale, et, à droite de la cathédrale, reconnaissable à ses fenêtres à meneaux, le palais épiscopal.
Devant le pâté de maisons (n°176 à 179 du plan 3 de 1766) que la halle métallique a remplacé, se tenait jadis la bourse aux grains. La rue qui longe ce pâté de maisons sur son flanc est s’appelle rue de l’Eglise aujourd’hui encore. La rue qui borde ce même pâté de maisons sur son flanc ouest s’appelait avant la Révolution, pour la raison qu’on devine, rue de l’Argent.
L’emplacement des mesures à grain se trouve figuré sur le plan de 1766.
Ci-dessus : partie ouest du couvert du Midi ; de gauche à droite, anciennes maisons de Jean Clerc ; de Marguerite Astré ; de Jean Paul Pauc ; de François Rabinel.
Deux de ces mesures ont été conservées. Délogées de leur site antérieur, elles trônent désormais devant la porte de l’office de tourisme. Cherchez les mesures sur l’image ci-dessus.
Frédéric Soulié a vu fonctionner la bourse aux grains du marché de Mirepoix en 1832 encore. J’ai déjà cité sur ce blog 1La dormeuse blogue : Quand Frédéric Soulié retourne en Ariège – 3. Je t’avais bien promis que tu me verrais ! ; La dormeuse blogue 2 : A Mirepoix – Sur les pas de Frédéric Soulié. les lignes qu’il lui consacre dans Deux séjours – Province, Paris. Mais, outre que j’aime à faire revivre la mémoire de cet Ariégeois mal-aimé, je tiens que, pour la vérité de la chose vue, il faut revenir chaque fois que possible aux souvenirs de Frédéric Soulié, Ariégeois quand même 2Cf. La dormeuse blogue 2 : Frédéric Soulié, Ariégeois mal-aimé, Ariégeois quand même.. C’est en tout cas chez ce très parisien Ariégeois quand même, et chez lui seulement, qu’on trouve à savoir quel aspect présentait le couvert du Midi dans les années 1830 :
Le marché se tient, à Mirepoix, sur cette place : c’est un espace entouré de maisons dont le premier étage est élevé sur des arcades en bois, comme peut être le Palais-Royal à Paris, si ce n’est que l’espace libre qui se trouve sous ces arcades est beaucoup plus large.
Sur l’un des côtés de cette place s’élève un petit amphithéâtre, et sur cet amphithéâtre, de vastes setiers en pierre, où se mesurent le blé et les grains qui se vendent dans le marché. 3Frédéric Soulié, Deux séjours – Province, Paris, p. 279 (272), 1835.
Ci-dessus ; derrière la halle, façade du palais épiscopal, telle qu’on peut la voir aujourd’hui, après démolition des masures qui s’appuyaient jadis sur cette dernière.
Frédéric Soulié ne mentionne pas ici de maisons qui se seraient élevées en arrière-plan, derrière l’amphithéâtre susdit. Il faut en déduire que ces maisons, par trop ruinées, comme nombre d’autres bâtisses qui avaient souffert de manque d’entretien pendant la Révolution, sont tombées avant 1832 déjà. Les pierres auront servi à rehausser la structure en forme de banc qui supportait naguère, comme on voit sur le plan de 1766, les mesures à grain. L’espace situé derrière les dites mesures sera, dans le même temps, demeuré libre et vague. Les fenêtres du Grand Couvert de 1832 donnaient donc, par-delà ces mesures, sur un vide urbain, et par-delà ce vide, sur un pâté de masures croulantes qui masquait alors à la vue la façade noblement délabrée du palais épiscopal. Frédéric Soulié en tout cas, tel qu’il se raconte, n’avait pas en 1832 cette façade dans son champ de vision, ou du moins il n’en a rien dit, auquel cas ce silence ne laisserait pas d’étonner, venant d’un passionné de vieilles pierres qui achètera en 1838 les ruines de l’Abbaye-aux-Bois près de Bièvres et entreprendra d’en financer la restauration à la sueur de sa plume, et par suite au prix de sa vie. 4Cf. La dormeuse blogue : La maison de Frédéric Soulié à l’Abbaye-aux-Bois ; De l’abbaye Notre-Dame de la Roche à l’Abbaye-aux-Bois – Le cercle topographique – Frédéric Soulié et la maison de Lévis Mirepoix..
J’ai déjà mentionné dans une présentation générale du moulon 3, dit « Moulon de… la porte d’Aval, rue Courlanel, le Grand Couvert, place Saint Maurice et grande place », les noms des propriétaires du moulon disparu. Je les rappelle ici pour mémoire : Jean Pierre Soum, marchand (n°176) ; Pierre Bauzil, dit La Gouïre, baigneur (n°177) ; Joseph Gailhard, bourgeois (n°178) ; et le Vénérable Chapitre de Mirepoix (n°179), également propriétaire d’une maison servant de collège (n°220) à la rue dite justement « du collège », d’une maison avec jardin, etc. à Paraulettes (plan 18 n°1), et d’une métairie à Grateloup et Saint Jean de l’Herm (plan 13 n°1).
Nommée Capitoul, car propriété du « vénérable chapitre cathédral », la maison n°179 constituait alors, au mitan de la place, une sorte d’avant-poste de la cathédrale et de l’évêché, dont le chapitre co-administrait les ressources à l’échelle du diocèse 5En 1768, par exemple : « permission au Chapitre cathédral de Mirepoix d’emprunter 12 000 livres », in Inventaire sommaire des Archives départementales antérieures à 1790. Haute-Garonne. Archives civiles. Série B. [Parlement de Toulouse]. 1903. et dont il assurait l’oeuvre d’enseignement 6En 1756 : « Enregistrement de l’arrêt du Conseil et des lettres patentes qui autorisent à la fondation destinée l’entretien d’un second régent chargé d’enseigner la religion, la grammaire et les humanités aux jeunes gens de la ville de Mirepoix et aux étrangers indistinctement ». In Inventaire sommaire des Archives départementales antérieures à 1790. Haute-Garonne. Archives civiles. Série B. [Parlement de Toulouse]. 1903.. La ruine du pâté de maisons qui abritait en 1766 la maison du chapitre cathédral parachève dans le paysage urbain le processus de nettoyage par le vide opéré à Mirepoix comme ailleurs par le nouveau régime dans le paysage idéologique et sociétal de la France passée.
Ci-dessus, à droite sur l’image : ancienne maison de François Rabinel Calzan, aujourd’hui mairie de Mirepoix.
Ci-dessus : vue de la place depuis le second étage de la mairie.
Cependant que le siège du chapitre disparaissait de « midi la place », signe des temps, au même « midy la place » la ville se dotait d’une mairie nouvelle. Abandonnant l’ancienne maison commune, acquise à l’état de ruine au XVIIe siècle sous le Grand Couvert, jamais complètement aménagée faute alors de ressources suffisantes, la commune acquiert en 1804 l’imposante maison qui était en 1766 celle de François Rabinel Calzan, receveur des tailles, et, suite à d’importants travaux de restauration, elle fait de cette maison le nouveau siège de son administration. La puissance publique jouit dès lors ici de la possibilité d’embrasser depuis ses fenêtres hautes le paysage de la place entière. Elle atteint de la sorte, symboliquement du moins, au possible de la gouvernance panoptique.
Les trois pâtés de maison qui s’élèvent en 1766 devant la cathédrale abritent sans surprise une population composée majoritairement de marchands ou de marchands fabricants et d’artisans et de prestataires de service en rapport avec les besoins du temps. On trouve ainsi, donnant sur la place face au Grand Couvert, Jean Malot, Bertrand Manent, Jean Pierre Soum, Maurice Bauzil, marchands ; Jacques Pons, bastier ; Jean Pierre Arnaud, cordonnier ; Marguerite Astré, femme de Paul Estevé, cordonnier ; Maurice Bauzil, chaussatier ; Pierre Bauzil, baigneur. On trouve encore, rue Courlanel, Charles Chabaud, cordier, et Louis Astré, perruquier.
Les marchands dont les archives ne précisent pas la spécialité sont probablement de type « mercier ». L’Encyclopédie de Diderot indique qu’un mercier est « marchand de tout & faiseur de rien ». Ce corps est très nombreux ; c’est le troisième des six corps marchands : il a été établi en 1407, par Charles VI. Le dictionnaire Larousse du XIXe siècle précise que « le corps de la mercerie, divisé en vingt classes, faisait, à peu d’exceptions près, le commerce des métaux bruts et ouvrés, des armes, des bronzes, des soies, des tissus, des rubans, des dentelles, de la passementerie, de la tapisserie, des pierres précieuses et des bijoux, des éventails, des parapluies, de la papeterie, des meubles, des tableaux, des drogues, des teintures, de l’épicerie, de la menue mercerie ».
Marchands fabricants, artisans et prestataires de service répondent, quant à eux, à des besoins plus spécifiques, témoins des modes de vie et des pratiques du temps. Certains de ces artisans et prestataires se trouvent, fort heureusement pour eux, en situation de monopole.
Chevaux, ânes, mulets, sont d’usage quotidien, pour le trait comme pour la monte. Jacques Pons, bastier, fournit à Mirepoix la totalité du bât, i. e. du dispositif que l’on attache sur le dos des animaux pour leur faire porter une charge.
Inutile d’insister sur la multiplicité des usages – traction, ligature, etc. – dont la corde fait l’objet dans un bourg du XVIIIe siècle, familier encore des pratiques paysannes, dépourvu de tout moyen mécanique dans la mise en oeuvre de ces dernière. Charles Chabaud et les siens sont à Mirepoix, en 1766, les seuls fabricants de corde.
Les hommes portent couramment des chausses, lesquelles, dit le dictionnaire, sont « partie du vêtement masculin qui, autrefois, selon la mode, couvrait le corps de la ceinture jusqu’aux genoux (haut-de-chausses) ou jusqu’aux pieds (bas-de-chausses) ». Maurice Bauzil (n°173), chaussatier, habille ainsi, sans doute en « prêt-à-porter », la plupart des hommes de la ville, tandis qu’Ignace Peilhe (plan 3 n°87), maître tailleur pour homme, et Jean Pierre Sicré (plan 3 n°124), dit Larideu, maître tailleur pour homme lui aussi, coupent et cousent les culottes de la petite minorité des beaux messieurs de Mirepoix.
Les maisons n’ont pas l’eau courante, mais seulement ça et là, chez les plus fortunés, un puits privé. Les moins fortunés vont aux puits publics, situés respectivement à l’angle nord-est et et à l’angle nord-ouest de la place ; ils vont également à l’Hers, rivière au bord de laquelle champ, pré, gravier (plan 6 n°1), sous le pont de bois, sont propriété de la commune 7Cf. La dormeuse blogue 3 : A Mirepoix – Moulon du grand chemin du pont, pont de Raillette, rue du bord de l’eau jusqu’au moulin.. La salle d’eau, même rudimentaire, n’existe pas encore, sinon dans les demeures de la minorité fortunée. Le reste de la population se contente d’aller, quand elle le peut, chez Pierre Bauzil (n°177 et 155), dit La Gouïre, baigneur. Seul de sa catégorie, Pierre Bauzil détient là encore un monopole très sûr.
Louis Astré (n°182), maître perruquier, ainsi qu’Etienne Fouet (plan 3 n°93, rue Saint Antoine ou del four) et Jacques Mathieu (plan 4 n°11, rue du grand faubourg Saint Jammes), perruquiers, assurent en trois endroits de la ville la fabrication et l’entretien des perruques. La perruque, dans le Mirepoix de 1766, se portait donc plus qu’on croit.
Les gens du bourg, au XVIIIe siècle, ont rarement plus d’une paire de chaussures ; ils la font durer. D’où le nombre des cordonniers qui contribuent à la survie de cet accessoire très nécessaire. Non loin du couvert de la la porte de La Roque où se tiennent en 1766 la plupart des cordonniers de la ville, le couvert du Midi abrite la maison de Jean Pierre Arnaud (n°171), dit Cent Francs, cordonnier là encore. Jean Pierre Arnaud tient en outre, englobé dans la maison de François Genson, le n°134 de la rue de la porte d’Amont.
On observe au passage que la grande famille Bauzil en 1766 se taille sur la place et en ville la part du lion :
- plan 2 n°21 : Anne Bauzil, hôtesse, veuve de Pierre Campagne : maison à la rue du grand faubourg Saint Jammes
- plan 3 n°46 : Thomas Bauzil, avocat, consul : décharge, jardin, aire à la rue de la Trinité et derrière les Houstalets 8Cf. La dormeuse blogue 3 : A Mirepoix – Moulon de… la porte d’Aval, rue Courlanel, le Grand Couvert, place Saint Maurice et grande place – n°25 à 46.
- plan 3 n°88 : Thomas Bauzil, avocat, consul : plan 3 n° 88 : maison, aire, couverts, patu, et 9 cannes du dessus du couvert du devant la maison de Bertrand Simorre, au grand couvert de la place 9Cf. La dormeuse blogue 3 : A Mirepoix – Moulon de… la porte d’Aval, rue Courlanel, le Grand Couvert, place Saint Maurice et grande place – n°54 à 96.
- plan 3 n°92 : Françoise Mir, veuve d’Antoine Bauzil, chaussatier : maison à la promenade Saint Antoine
- plan 3 n°94 : Anne Gaignoulet : veuve de Pierre Bauzil, dit Pôtre : maison à la rue Saint Antoine ou del four
- 155 : Pierre Bauzil, bourgeois, et Jacques Pons, bastier : maison et 2,5 cannes ciel ouvert à la rue servant de passage à tous les aboutissants et proches de la porte de La Roque
- plan 3 n°172 : Marie Fabré, veuve et héritière de François Bauzil : maison, couvert et ciel ouvert au couvert de midi la place
- plan 3 n°173 : Maurice Bauzil, chaussatier : maison et couvert au couvert de midi la place
- plan 3 n°177 : Pierre Bauzil, baigneur : maison et couvert au couvert de midi la place
- plan 3 n°200 : Pierre Bauzil, bourgeois : maison à la rue Courlanel faisant coin à celle de la porte de La Roque
- plan 3 n°204 : Jean Bauzil, bourgeois : maison et jardin à la rue de la porte d’Aval.
Ci-dessus, de gauche à droite : ancienne maison de Jacques Arnaud, incluse dans celle de Jean Gibelot ; vestige de l’ancienne porte de Jacques Arnaud.
Seuls de leur catégorie, Jacques Arnaud et Joseph Gailhard, bourgeois, tiennent maison parmi les marchands, en 1766, au couvert de « midi la place ». Joseph Gailhard, qui a « en vis-à-vis de sa maison » (n°178) les mesures de la ville » et qui est par ailleurs propriétaire de la métairie de Bragot, vit sans doute de la vente des produits de cette dernière. Jacques Arnaud, propriétaire de la maison n°168, incluse dans celle de Jean Pierre Gibelot (n°169) à la rue de la porte de La Roque faisant coin avec la rue Courlanel, tient également la maison n°127 à la rue du faubourg d’Amont autrefois al Sautadou. Semblablement à la famille Bauzil, à laquelle elle se trouve alliée 10Demoiselle Paule Bauzil, par exemple, est veuve de François Arnaud et mère de François Arnaud, bourgeois, de Joseph Arnaud, dit Donnezan, de Joseph Arnaud, habitant de Bonnaure, et de Jean Arnaud, chirurgien., la famille Arnaud jouit à Mirepoix d’un patrimoine immobilier important.
- plan 3 n°6 : Jean Arnaud, chirurgien : maison et patu à la rue de la Place neuve et porte d’Amont
- plan 3 n°18 : Joseph Arnaud, habitant de Bonnaure : maison avec cour, ciel ouvert et deux jardins, joignant à la rue du grand faubourg Saint Jammes faisant coin avec celle de la Trinité 11Cf. La dormeuse blogue 3 : A Mirepoix – Le moulon où sont la maison de M. Simorre, la Trinité et les Houstalets..
- plan 3 n°72 : Joseph Arnaud, dit Donnezan, marchand : boutique au Grand Couvert
- plan 3 n°73 : Joseph Arnaud, dit Donnezan, marchand : maison, couvert, ciel ouvert, jardin, Grand couvert
- plan 3 n°127 : Jacques Arnaud : maison à la rue du faubourg d’Amont autrefois al Sautadou
- plan 3 n°168 : Jacques Arnaud : maison, couvert, ciel ouvert au couvert de La Roque faisant coin avec la rue Courlanel
- plan 3 n°194 : Demoiselle Jeanne Arnaud : maison, ciel ouvert, au couvert de cers la place
- plan 57 n°3 : Jean Arnaud, chirurgien : métairie à Rimbaud
- plan 72 n°3 : Joseph Arnaud, dit Donnezan : métairie à Badia
La propriété de la place, et plus généralement celle du périmètre intérieur de l’ancienne bastide, se partagent, comme on voit, entre une poignée de grandes familles, parentes ou alliées, qui doivent chaque fois leur promotion sociale à la réussite de quelque marchand, présent dans leur parentèle ou parmi leurs ascendants.
Donnezan (Arnaud) Fils sera procureur syndic de la commune pendant la Révolution. Jean François Dominique Bauzil remplacera à la mairie de Mirepoix, en octobre 1793, Jean Marie Raymond Rouger, son beau-frère, destitué par le comité de salut public pour avoir fait montre de « crainte dans l’exercice de ses fonctions publiques et de pusillanimité contraire aux progrès de la Révolution dont elle retarde la marche en communiquant aux administrés l’indifférence dont ils sont animés » 12Cf. Registre du conseil municipal, 12 octobre 1793..
Jean Gibelot (n°169), docteur en médecine, et Jean Clerc (n°180), demeurent plus difficiles à classer dans la micro-société qui tient les maisons autour de la place.
Jean Gibelot, « docteur en médecine », incarne rue Courlanel (aujourd’hui rue Clauzel) le savoir universitaire, l’autorité de la faculté, l’efficience de la médecine moderne. Il exerce ici dans un périmètre fortement médicalisé, face à la maison de Simon Lestrade (plan 3 n°166), chirurgien ; non loin de la maison d’Antoine Cairol (plan 3 n°148), autre médecin ; non loin aussi des maisons de Jean Arnaud (plan 3 n°6), chirurgien, et de Raymond Bilhard (plan 3 n°1), apothicaire. Ensemble, ces hommes de l’art assurent à l’est de la place une sorte de marche sanitaire entre le coeur de la bastide et le grand faubourg industrieux , ou, comme on dit aujourd’hui, entre « l’hypercentre » et « les quartiers ».
Ci-dessus, à gauche : corbeau sur l’ancienne maison de Jean Pierre Gibelot à l’angle du couvert de la porte de Laroque et de la rue Courlanel.
Ci-dessus : ferrure de soutien sur les anciennes façades de Jean Pierre Gibelot et de Jacques Arnaud. Menacées d’effondrement par la poussée consécutive au remaniement des deux maisons après 1766, ces façades ont dû être renforcées 13Edifiée en 1746 si l’on en croit l’année mentionnée sur le corbeau de pierre visible à l’angle du couvert de la porte de Laroque et de la rue Clauzel (autrefois rue Courlanel), la maison de Jean Pierre Gibelot souffrait peut-être de malfaçons initiales. Les cartels d’audience, dires des procureurs, conclusions du procureur juridictionnel et décisions en date de 1789-1790 consécutives du juge mentionnent l’affaire « Jean-Pierre Gibelot, docteur médecin de Mirepoix, contre Pierre Guillaume et Jacques Escaraguel, menuisiers de La Cassaigne » ((Cf. Archives départementales de l’Aude avant 1790..
On ne sait si les deux médecins, Jean Pierre Gibelot et Antoine Cairol, ont affaire aux mêmes patients, s’ils travaillent en association ou en concurrence. On ne sait rien non plus des rapports qu’ils entretiennent avec les deux chirurgiens et l’apothicaire. Jean Pierre Gibelot travaille possiblement de conserve avec Simon Lestrade : leurs deux cabinets sont en vis-à–vis. A la différence d’Antoine Cairol, qui, issu d’une grande famille d’hommes de loi, allié à la plupart des autres grandes familles de la ville, se montrait influent au sein du réseau social mirapicien, Jean Gibelot, issu quant à lui d’une lignée de médecins implantés à Mirepoix depuis le XVIIe siècle, semble avoir mené carrière sans se départir de son quant à soi et consacré sa vie à l’exercice de la médecine, sans chercher distinctions ni marques de reconnaissance autres que professionnelles. Outre la maison de la rue Courlanel, il possède également « maison et jardin à Capitoul » (plan 20 n°16), et « maison, fumier ou aire, à Sibra » (plan 21 n°50).
La présence de Jean Clerc, brassier, qui tient la maison n°180 à l’angle de la rue de l’église et du couvert du Midi, étonne dans cet environnement très sélectif. Elle met en lumière le caractère flou du statut auquel ressortit le brassier. Le socio-type est celui du prolétaire. Mais la lecture du compoix montre que le brassier peut-être propriétaire et que certains brassiers cumulent diverses propriétés immobilières, partant, échappent à la stéréotypie du pauvre.
Ci-dessus : « Jean Clerc Hoirs, sont Bernard Clerc & ses frères hants de Laurac le grand », dixit le compoix mirapicien de 1666 14A consulter sur le site de la famille Marmion..
Habitants de Laurac-le-Grand, Bernard Clerc et ses frères acquièrent au XVIIe siècle à Mirepoix « maison en plancher et jardin au grand faubourg [Saint Jammes] ». On ne sait quelle fortune ils y trouvent par la suite. Il se peut que Jean Clerc, brassier, descende de ces primo-arrivants.
Ci-dessus : Jean Clerc sur le compoix mirapicien de 1766.
Propriétaire de la maison (n°180) qui fait angle entre la rue de l’Eglise et le couvert du Midi, Jean Clerc figure sur le mode du rajout à la page 217 du volume 2 du compoix de 1766, i. e. à la toute fin de l’ouvrage. Son bien est donc d’acquisition récente. Celle-ci date probablement de 1765-1766, puisque Jean Pierre Escarguel, géomètre féodiste chargé de la rédaction du compoix, termine en 1766 le travail à lui baillé par la ville de Mirepoix le 15 mars 1761. Qui est le Jean Clerc de 1766 ? S’agit-il d’un homme en voie d’ascension sociale ?
Ci-dessus : Jean Clerc sur le rôle des contributions de Mirepoix en 1791.
Le rôle de l’impôt foncier de 1791 indique que la maison anciennement enregistrée sous le n°180 du plan 3 n’appartient plus maintenant à Jean Clerc, mais à Louis Astre (n°182), perruquier, qui a pour locataire « Laziroule, prêtre salarié ». L’ancienne maison du chapitre (n°179), quant à elle, est devenue propriété de Bernard Méric, boulanger; et celle de Jean Paul Pauc (n°183), prêtre et prébendier du chapitre, appartient désormais à Jacques Robert, « chevalier de Saint Louis, salarié public ».
On notera au passage que, peu instruit du compoix de 1766 et de ses plans, le rédacteur de l’impôt foncier nouveau régime s’est perdu dans la numérotation des parcelles façon ancien régime. Toutes les numéros d’antan sont erronés sur la page dont je reproduis un détail ci-dessus. On dispose toutefois d’un repère sûr : c’est la dénomination de Capitoul, assignée ici comme en 1766 à la maison du chapitre. Mais le même rédacteur supprime les accents aigus ajoutés auparavant sur le e final des noms de famille : il n’écrit plus « Louis Astré », mais « Louis Astre ». Il initie de la sorte une nouvelle façon d’écrire, – une façon de la modernité.
Liste des propriétaires des parcelles n°167 à 184 du plan 3 du compoix de 1766
167. Jean Malot, marchand : maison et couvert au couvert de midi la place
168. Jacques Arnaud, bourgeois : maison à la rue de la porte de La Roque faisant coin avec la rue Courlanel
169. Jean Gibelot, docteur en médecine : maison à la rue Courlanel faisant coin à celle de la porte de La Roque
170. Jacques Pons, bastier : maison et couvert au couvert de midi la place
171. Jean Pierre Arnaud, dit Cent Francs, cordonnier : maison et couvert au couvert de midi la place
172. Marie Fabré, veuve et héritière de François Bauzil : maison, couvert et ciel ouvert au couvert de midi la place
173. Maurice Bauzil, chaussatier : maison et couvert au couvert de midi la place
174. Charles Chabaud, cordier : maison à la rue courlanel faisant coin à celle de la porte de La Rroque
175. Bernard Manent, marchand : maison et couvert, indivis avec Marie Manent, au couvert de midi la place.
Ci-dessus : anciennes maison de Bernard Manent (n°175), Charles Chabaud (n°174), Marie Fabré (n°172), Jacques Pons (n°170), Jean Pierre Gibelot (n°168), rue Clauzel (autrefois rue Courlanel).
176. Jean Pierre Soum, marchand : maison et couvert au couvert de midi la place
177. Pierre Bauzil, baigneur : maison et couvert au couvert de midi la place
178. Joseph Gailhard, bourgeois : maison, couvert, ciel ouvert, au couvert de midi la place et vis à vis des mesures de la ville
179. Chapitre : maison servant de cave et grenier, couvert, le tout appelé Capitoul au couvert de midi la place.
Pas de photos : les maisons ont été remplacées par la halle.
180. Jean Clerc, brassier : maison, couvert, au couvert de midi la place
181. Marguerite Astré, femme de Paul Estevé, cordonnier : maison et couvert au couvert de midi la place
182. Louis Astré, maître perruquier : maison, ciel ouvert, à la rue Courlanel
183. Jean Paul Pauc, prêtre et prébendier du chapitre : maison, ciel ouvert, au couvert de midi la place
184. François Rabinel Calzan, receveur des tailles : maison, couvert, ciel ouvert, au couvert de midi la place.
Ci-dessus : vue de l’ancienne maison Rabinel Calzan à l’angle du couvert Saint Antoine et de la rue Clauzel (autrefois rue Courlanel).
Ci-dessus : vue des anciennes maisons de Francois Rabinel Calzan (n°184), Jean Paul Pauc (n°183), Louis Astré (n°182), rue Clauzel (autrefois rue Courlanel).
Notes