Le château d’Arvigna

 

C’est un château qui n’existe plus. Propriété de Raimon d’Arvigna, seigneur de Dun 1Cf. Gwendoline Handke, « La famille d’Arvigna, seigneurs de Dun, à l’époque du catharisme », in Revue de l’association des Amis des Archives de l’Ariège, n°3, 2011., il a été détruit au XIIIe siècle, après la fin de la Croisade. Mais le toponyme est resté. Le site continue de s’appeler Le Château 2Pour la bonne compréhension, j’écrirai dans la suite de cet article « le château » en minuscules pour désigner l’édifice disparu, et « Le Château » en majuscules pour désigner le hameau éponyme., ou Le Castel. Il constitue l’un des multiples hameaux de la commune d’Arvigna.

Auteur de plusieurs romans historiques, dont Manses, escale de la Croisade, qui a obtenu en 2000 le prix Lacour au Salon du Livre d’Histoire Locale de Mirepoix, Geneviève Mouton habite une partie de l’année Arvigna. Elle situe au château d’Arvigna le début du roman qu’elle publie cette année, Gontran, un croisé pour Jérusalem 3Le livre est disponible auprès de l’auteur et à la librairie des couverts, à Mirepoix..

Gontran, fils de Galeran du Merviel, revient au château d’Arvigna où, suite à la mort de son père, il a vécu depuis l’âge de huit ans. Raimon d’Arvigna a recueilli en effet les deux fils de Galeran, son ami, pour les éduquer et en faire des hommes d’armes 4Geneviève Mouton, Gontran, un croisé pour Jérusalem, p. 1..

La maison des chevaliers était située à l’opposé de l’entrée principale, à proximité de la courtine ouest. Pour y arriver, il fallait contourner la motte sur laquelle était érigé le donjon. Dominant la vallée, l’édifice de forme oblongue comprenant deux étages, en plus de la basse-fosse. Il était surmonté d’une construction de bois aux fonctions militaires qui datait du temps de Guillaume le jeune, père de Raymond. Cette masse austère n’était éclairée que par six fenêtres géminées et quelques percées rectangulaires. La résidence du seigneur était un lieu sombre. 5Ibidem, p. 7.

Je connais bien Arvigna. J’ai entendu parler de son château depuis mon enfance. Mon père disait qu’au temps de sa propre enfance, il allait « rôder » – c’est un mot d’ici – au bord des ruines du château, pierres éparses au sol, bases de murs, qui demeuraient alors encore visibles. Il y avait découvert, racontait-il, les restes d’une fenêtre géminée, et, par une sorte de soupirail qui s’ouvrait à ras de terre dans un fragment de mur, une salle basse, voûtée.

Je me suis souvenue du récit paternel, lorsque j’ai lu le roman de Geneviève Mouton. Ma curiosité s’en est trouvée réveillée. Je suis montée au Château afin de prendre des photos du site dans son apparence actuelle.

 

Ci-dessus : la motte, recouverte d’un épais taillis. Sous la végétation, on distingue une élévation.

 

Le site du Château se trouve aujourd’hui traversé par la petite route qui aboutit, plus haut dans les collines, au Soula. Il n’y a plus de route au-delà. Le site abrite, à droite de la route en montant, une ferme, adossée à une motte revêtue d’un taillis inextricable, et à gauche, une maison issue de la restauration de ruines qui subsistent, envahies de ronces, à côté de la dite maison et qui semblent constituer les reliques d’une autre ferme.

Le taillis qui a poussé sur la motte ne permet pas de voir s’il subsiste des pierres. La motte présente toutefois sous la végétation une forme ronde, d’apparence anciennement architecturée. Ses flancs figurent la continuité d’un mur.

 

Sur l’une des façades latérales de la maison restaurée s’ouvre une porte ancienne. On peut supposer qu’elle est faite de pierres de remploi, prélevées jadis sur les ruines du château.

 

Le Château dispose d’un seul puits, situé en contrebas, dans un talus, au bord de la route. C’est au demeurant un lieu sec, battu en altitude par le vent.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : vue sur Vira depuis Le Château ; vue sur Arvigna, également depuis Le Château.

Depuis Le Château, situé sur une ligne de crête qui domine la vallée du Douctouyre, l’on a vue, d’un côté sur Vira, dans la direction de Dun, de l’autre côté sur Arvigna,et plus loin, sur la moyenne vallée de l’Hers, jusqu’à Vals dont on aperçoit l’église, sur l’image ci-dessus, en arrière-plan.

Autrefois visible depuis le fond de la vallée dans les deux directions mentionnées plus haut, le château constituait une figure de l’autorité seigneuriale. Il avait pour fonction première de signifier la portée ubiquiste de cette dernière.

 

Depuis Le Château, l’on a vue également, en contrebas, sur l’église d’Arvigna.

Il se peut que les seigneurs d’Arvigna, connus pour leurs sympathies cathares 6Cf. Gwendoline Handke, « La famille d’Arvigna, seigneurs de Dun, à l’époque du catharisme », in Revue de l’association des Amis des Archives de l’Ariège, n°3, 2011. D’après l’Histoire générale du Languedoc de Claude Devic et Joseph Vaissette, citée par Gwendoline Handke, le fils de Felipa de Dun, épouse de Raimon Rogier, comte de Foix de 1188 à 1223, mentionne devant l’Inquisition, le 12 mars 1241, les faits suivants : « Et quand sa mère s’était faite hérétique, elle demeura à [lacune, Dun ?] et il lui rendit souvent visite. Parfois il mangea avec elle, parfois il y entendit les prédications des hérétiques. Et il y vit les chevaliers Raimon d’Arvigna, Raimon de Tourtrol et Raimon des Pujols qui y écoutèrent de temps à autre les prédications des hérétiques »., aient choisi d’édifier ici un château ostensiblement situé en amont de l’église – si dans une version primitive cette église existait déjà 7Cf. Base Mérimée – Architecture et Patrimoine : Midi-Pyrénées ; Ariège ; Arvigna ; église paroissiale Saint-Vincent et Saint-Martial. -, afin de signifier la supériorité de leur foi sur celle d’une catholicité jugée perverse et déchéante, au demeurant compromise dans la tragédie de la Croisade.

D’après la chronique locale, le village d’Arvigna aurait disposé au Moyen Age d’une chapelle située sur le coteau qui s’étend au bord de la D12, entre le hameau d’Enterraine et celui des Bordes, laquelle chapelle correspondrait à un prieuré. Il se peut donc que l’édification de l’église située sous le château soit postérieure à la destruction de ce dernier et qu’elle ait été décidée afin de signifier qu’au-delà de la catholicité, point de salut. Plus loin, sur la route, l’ancien château en tout cas n’était déjà, dans les années 1210, plus qu’un tas de ruines, et c’est la fin du monde en avançant, puisque la route s’interrompt au seuil de la sèrra 8Cf. Louis Alibert, Dictionnaire Occitan-Français, p. 633, Institut d’Estudis Occitans, Toulouse, 1966 : Sèrra ou sèrre : « mot pré-latin ; crête de montagne ; colline ; bord de plateau, de coteau ; chaînon de collines »., fortement boisée…

Je me suis attardée ici sur un sujet minuscule, quasiment dépourvu de substance et probablement dénué d’intérêt pour quiconque ignore tout du modeste village d’Arvigna. J’y ai, pour ma part, trouvé matière à rêver d’un passé obscur, dont l’imagination me porte à croire qu’il en subsiste quelque chose, caché dans le paysage comme dans ces images rébus publiées jadis par les imagiers d’Epinal. De semblables rêveries sur le passé, les gens disent ici, à la façon ancienne, qu’on y tient plaisir. J’ai tenu plaisir à écrire cet article, en effet, et j’espère qu’il y a matière à partage dans ce plaisir-là.

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