Quelques éléments d’histoire relatifs aux Trinitaires français, et plus particulièrement aux Trinitaires de Mirepoix

 

Ci-dessus : Jean de Matha dans la forêt de Cerfroid en 1193, par Eugène Louis Chevreau, dessin scolaire de peintre ou sculpteur, Beaux-Arts de Paris, 1881.

Je tire de l’ouvrage publié en 1903 par Paul Deslandres, L’ordre des Trinitaires pour le rachat des captifs, les quelques éléments d’histoire rassemblés ici concernant les Trinitaires de Mirepoix. Pour une meilleure connaissance de l’ordre des Trinitaires français, je recommande bien sûr la lecture de l’ouvrage entier 1Paul Deslandres, L’ordre des Trinitaires pour le rachat des captifs, tomes 1 et 2, édition Privat, 1903..

Paul Deslandres consacre à l’histoire du couvent de Mirepoix quelques mentions éparses. Voici l’essentiel des renseignements que j’ai pu glaner.

Ce couvent a été fondé en 1233, d’après Baron, en 1402 d’après le P. Ignace de Saint-Antoine, qui en attribue l’origine à Léonard de Lévis 2NdR : Je n’ai pu débusquer nulle part aucune information sur ce Léonard de Lévis, qui ne se trouve en tout cas jamais mentionné dans l’ouvrage de référence consacré par Georges Martin à l’Histoire et à la généalogie de la maison de Lévis.. Une bulle d’indulgence de Nicolas IV prouve toutefois que ce couvent existait avant le 27 juin 1290. Il est situé dans la ville ; le ministre 3Ministre, au sens premier de « serviteur » : terme utilisé chez les Trinitaires pour désigner le supérieur de leurs couvents. est nommé à vie par le duc de Mirepoix et confirmé ensuite par le Général 4Général, ou Grand Ministre de l’ordre : cf. infra..

En 1576, le couvent accueille à Mirepoix Bernard de Bonast, chassé de son ermitage de Laroque d’Olmes par les désordres des guerres de religion :

Ci-dessus : Bernard de Bonast reçu comme religieux au couvent des Trinitaires de Mirepoix ; pièce justificative n°130, in op. cité.

En 1669, Jean Dupuy, provincial, fait sa visite avec Nicolas Campaigne, ministre de Narbonne. Se reportant à son registre de visite de 1666, le P. Dupuy trouve en plus un tableau représentant la Descente de croix, donné par le marquis de Mirepoix, mais il manque vingt plats, trente assiettes et trois écuelles et du linge ; le P. Laroche, précédent ministre, est furtivement parti du couvent avec toutes les clefs, après avoir enfermé les religieux, de façon que, le feu ayant pris au lit du serviteur du couvent, ils ne puissent sortir qu’en enfonçant les portes.

Le 7 mai 1689, le frère Estienne Ségla, docteur en théologie, ministre du couvent de Mirepoix, enregistre à l’adresse de Jean Pierre Miraloup, ministre du couvent de Montpellier et commissaire général pour la tenue du chapitre provincial des provinces de Languedoc et Guyenne de l’ordre des Trinitaires, une plainte contre le même Nicolas Campagne, alors ministre du couvent de Toulouse :

Ci-dessus : extrait de l’acte de réquisition enregistré en 1689 par Estienne Ségla contre Nicolas Campagne ; pièce justificative n°231, in op. cité.

Le 8 mai 1734, Bonaventure Milhau, commissaire général, i. e. remplaçant du ministre provincial, du Languedoc, donne acte à Nicolas Fournier, ministre de Mirepoix, de son élection comme troisième définiteur provincial 5Définiteur : cf. infra..

 

 

Ci-dessus : tableaux commandés par Nicolas Fournier circa 1750, aujourd’hui renfermés et oubliés à la sacristie de la cathédrale de Mirepoix ; photos communiquées par Martine Rouche.

Vers 1750, le même Nicolas Fournier fait faire des tableaux représentant saint Jean de Matha et saint Félix de Valois. Le droit pour le seigneur de nommer le ministre suscite encore et toujours l’objet de contestations avec le provincial de Toulouse ; le château de Léran, appartenant au duc de Lévis-Mirepoix, renferme trente-deux pièces relatives à ces conflits. Le couvent, qui a, en 1768, 1500 livres de rente, ne comptait initialement que deux religieux jusqu’à ce que le bâtiment commencé fût fini.

Du puissant raccourci qui conclut ce passage, on retiendra le nombre de 2 religieux en tout et pour tout à l’époque de la création du couvent mirapicien, et la faiblesse du revenu de 1768. On relève le même nombre de 2 religieux à l’époque de la création du couvent de Terraube dans le Gers, et une pauvreté plus grande encore en 1768, puisque ce couvent a dû se résoudre à la réunion avec le couvent de Toulouse, dont il ne constitue plus dès lors qu’une dépendance.

La règle voulait initialement dans chaque couvent une communauté limitée à 7 frères : 3 clercs, 3 laïques ou « donnés » 6Appelés frères lais, convers, ou donnés, ces laïques prêtaient le serment de ne jamais demander le statut clérical, mais se donnaient aux religieux avec tous leurs biens pour vivre dans le couvent le reste de leur vie durant., et le ministre. Elle autorise par la suite l’accroissement de cette communauté, en fonction des nécessités et des ressources de la maison concernée. On ignore le nombre exact des frères qui ont oeuvré au cours des siècles à Mirepoix. On sait toutefois que, comme dans la plupart des autres couvents provinciaux, ces frères n’ont jamais formé qu’une communauté très réduite. L’ordre se voulait pauvre, il l’était effectivement, et il l’est resté jusqu’à sa dissolution, décrétée par le gouvernement révolutionnaire le 17 août 1792.

Ci-dessus : portail du couvent mirapicien des Trinitaires, rue Vidal-Lablache, autrefois rue de la Trinité.

Le Languedoc comptait à la fin du XVIe siècle 11 couvents de Trinitaires : Castres, Cordes, Limoux, Mirepoix, Montpellier, Narbonne, Orthez, Saint-Gaudens, Saint-Laurent de Médoc, Terraube, Toulouse. On sait par le chapitre national de 1768, qu’il en reste 8 à la fin du XVIIIe siècle, Terraube ayant été réuni à Toulouse ; Saint-Gaudens à Cordes ; Narbonne à Montpellier.

 

Ci-dessus : La rade de Tunis, illustration tirée de Historie van Barbaryen en des Zelfs zee-roovers, (Histoire de Barbarie et de ses corsaires, divisée en six livres… Ensemble des grandes miseres & des cruels tourmens qu’endurent les Chrestiens captifs parmy ces infideles), ouvrage traduit du Père Pierre Dan par G. Broekhuizen ; édition J. Ten Hoorn, Amsterdam, 1684.

Le fondateur de l’ordre est Jean de Matha, ou Jean de Matte, né vers 1160 à Faucon, dans les Basses-Alpes, non loin de Marseille où résidait sa famille maternelle. Le jeune homme vint sans doute bien souvent dans cette ville maritime ; il put y apprendre les maux que les pirates sarrasins faisaient éprouver aux chrétiens, il put y voir les esclaves musulmans que les chrétiens capturaient par réciprocité. Dès son adolescence sans doute il voua sa vie à cette tâche extraordinaire du rachat ou, mieux encore, de l’échange entre les captifs des deux rives méditerranéennes, oeuvre qui devait profiter à une ville aussi commerçante que Marseille.

Après avoir obtenu à Paris le grade de docteur en théologie, puis exercé quelque temps la fonction de professeur, Jean de Matha est ordonné prêtre. Il nourrit, lors de sa première messe, la vision d’un Ange vêtu de blanc, portant sur la poitrine une croix rouge et bleue, les mains croisées sur deux captifs, l’un noir, l’autre blanc, comme pour les échanger. Engagé par Maurice de Sully, évêque de Paris, et par l’abbé de Saint Victor d’aller soumettre ses projets au pape Innocent III à Rome, Jean de Matha se retire auparavant, deux années de suite, à Cerfroid, près de La Ferté-Milon, auprès de l’ermite Félix de Valois et de quelques autres compagnons de vie pénitente.

Ci-dessus : Laurent de La Hyre (1606-1656), Saint Jean de Matha debout, tenant des chaînes, © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Thierry Le Mage.

 

Ci-dessus : Saint Jean de Matha, le Cerf et la Trinité.

La légende veut que Jean de Matha et Félix de Valois aient vu un jour un cerf blanc, familier de leur ermitage, portant sur sa tête la même croix rouge et bleue que sur la poitrine de l’Ange, et frappant le sol à l’endroit d’où jaillit alors une fontaine.

 

Ci-dessus : Prise de protection de l’ordre des Trinitaires en 1198 par le pape Innocent III, auteur inconnu, XVIIIe ; église Notre Dame et Saint Michel, Mirepoix.

Jean de Matha et Félix de Valois se rendent ensuite à Rome. D’abord peu convaincu par les projets des deux visionnaires, Innocent III a un jour, lui aussi, lors de la messe qu’il célèbre au Latran, la vision de l’Ange à la croix bicolore. Il autorise la fondation de l’ordre des Trinitaires et avalise les statuts de ce dernier par la bulle du 11 décembre 1198.

 

Ci-dessus : Rachat de captifs par les Trinitaires auprès du Miramolin sultan du Maroc vers 1200, auteur inconnu, XVIIIe ; église Notre Dame et Saint Michel, Mirepoix.

Moins de trois mois après la bulle, partirent les premiers rédempteurs, avec une lettre du pape pour le souverain du Maroc, le « miramolin », datée du 8 mars 1199. « Des hommes divinement inspirés, dit le pape, viennent racheter les chrétiens captifs détenus dans votre empire, soit à prix d’argent, soit par échange avec ceux de votre pays que les chrétiens détiennent ». A Rome, Innocent III donne à l’ordre, sur le mont Célius, le couvent de Saint Thomas de Formis.

Ci-dessus : mosaïque apposée vers 1210 au-dessus de la porte principale de l’hôpital trinitaire de San Tommaso in Formis, à Rome.

En France, Jean de Matha et Félix de Valois bâtissent leur premier monastère à Cerfroid (aujourd’hui commune de Brumetz, dans l’Aisne). La Maison de la Trinité de Cerfroid restera jusqu’à la Révolution la maison mère de l’ordre. On prête à Jean de Matha divers miracles, opérés lors de ses voyages à Tunis et à Valence. Après la mort de Félix de Valois, Jean de Matha se retire à Rome, dans son hôpital de Saint Thomas de Formis. Il y meurt le 17 décembre 1213. Ses restes sont plus tard transférés à Madrid. L’ordre des Trinitaires obtiendra la canonisation de Jean de Matha et de Félix de Valois le 27 janvier 1671.

La part du légendaire, on l’aura remarqué, demeure importante dans l’histoire de Jean de Matha.

Elle inspire une iconographie très typée, délibérément exploitée par les Trinitaires, en particulier dans les tableaux d’église, pour valoriser leur mission de rédemption et stimuler la générosité des fidèles en faveur de cette dernière.

Compris dans la légende, le personnage dit Félix de Valois demeure indocumenté. Il aurait été de la famille royale éponyme. Hugues II, comte de Vermandois et de Valois, fils du comte Raoul Ier de Vermandois et d’Éléonore de Blois ??? Ou personnage fictif, inventé par les Trinitaires au XVIIe siècle ?

Ci-dessus : statues de Saint Jean de Matha et de Félix de Valois sur le pont Charles à Prague, 1714.

 

On ne sait d’où vient, chez Jean de Matha, la dévotion à la Trinité. L’ordre fondé par ses soins s’intitule très exactement ordre de la Sainte Trinité et de la rédemption des captifs. Conformément à la règle établie sous le pontificat d’Innocent III 7Cf. Paul Deslandres, L’ordre des Trinitaires., les Trinitaires portent jusqu’à la Révolution un habit de laine blanche, orné d’une croix pattée, composée d’un montant rouge et d’une traverse bleue. Le blanc symbolise la perfection du Père ; le bleu, les souffrances de la passion du Fils ; le rouge, le Saint-Esprit. Les Trinitaires vont, par humilité, montés sur un âne ou sur une mule. D’où leur surnom de fratres de Asinis ou de « frères aux ânes ». Ils obtiendront plus tard l’autorisation de voyager à cheval.

Leur règle a connu quelques variations au cours du temps. Elle stipule en tout cas, pour l’essentiel, qu’ils prendront peu de vin ; qu’ils jeûneront, du 13 septembre à Pâques, les lundis, mercredis, vendredis, samedis ; qu’ils ne pourront faire gras que le dimanche, de Pâques à l’Avent, de Noël à la Septuagésime, ainsi que les jours de Noël, de l’Epiphanie, de l’Ascension, de l’Assomption, de la Chandeleur et de la Toussaint ; qu’ils ne pourront jamais manger de poisson qu’en voyage ; que, lorsqu’ils partiront pour la rédemption des captifs, ils ne pourront loger qu’à leurs couvents, s’il en existe dans la ville où ils descendent, et tout, au plus boire de l’eau dans les maisons honnêtes ; qu’il y aura dans chaque couvent, une infirmerie ; que les hôtes seront bien reçus, et cependant invités à se contenter de l’ordinaire du couvent ; que les religieux observeront le silence ; que tous les dimanches, le ministre tiendra le chapitre avec ses religieux ; que le chapitre général aura lieu, tous les ans, à l’octave de la Pentecôte, ou, plus tard, le quatrième dimanche après Pâques, dit de Cantate ; que le ministre de chaque couvent sera élu parmi les prêtres de ce dernier et par le suffrage de tous les frères ; qu’une fois élu, il ne pourra être déposé que par le grand-ministre et trois ou quatre ministres. Le grand-ministre ne pourra être déposé que par quatre ou cinq ministres des plus religieux, choisis à cet effet par le chapitre général ; que le postulant, avant d’entrer dans l’ordre, devra faire un an de noviciat à ses frais, sauf pour la nourriture ; qu’il ne pourra être reçu avant l’âge de vingt ans ; que tout malade sera confessé le jour de son entrée à l’hôpital ; que, tous les soirs, au moins dans les hôpitaux, on priera devant les pauvres pour l’Église romaine et pour toute la chrétienté ; que les heures régulières seront dites selon les rites de l’abbaye de Saint-Victor de Paris ; que les usages de Saint-Victor seront aussi suivis pour la barbe : les frères lais seuls la laisseront pousser.

Le supérieur de chaque couvent porte chez les Trinitaires, comme indiqué plus haut, le nom de ministre. Le ministre doit tenir le chapitre particulier chaque dimanche, solliciter l’assentiment du chapitre pour tout engagement financier, bail ou dette, et faire inscrire les comptes par le secrétaire du chapitre dans le livre. Il peut être par ailleurs, en fonction des besoins du diocèse, surtout au XVIIIe siècle, desservant d’une cure ou titulaire d’une prébende. Tous ses revenus sont divisés en trois parties égales : les deux tiers sont pour le couvent et pour l’exercice de l’hospitalité, le dernier tiers pour le rachat des captifs. Théoriquement élu par l’ensemble des frères de sa communauté, clercs et laïques, parmi lesquels, à Terraube et à Mirepoix, le seigneur en titre, le ministre du couvent de Mirepoix sera durant des siècles, au mépris de la règle, directement nommé par le seigneur, sous réserve de confirmation par le (ministre) Général. Très attachés à ce droit, les seigneurs de Lévis Mirepoix nourriront de longs conflits avec le (ministre) Provincial de Toulouse, qui entendait mettre fin à l’exercice d’un tel droit.

Le Général, ou Grand-Ministre, qui doit être déjà ministre d’un couvent, est élu à vie, à la majorité absolue, dans le cadre du chapitre général des Trinitaires. Il se trouve en fait presque toujours désigné d’avance par son prédécesseur. Cette désignation ne requiert aucunement l’approbation du pape. Le Vicaire général remplace le Général en cas d’absence ou de maladie ; il assure par ailleurs, sous le nom de Custos, ou gardien, l’intérim entre deux élections. Nommé par le Général, il constitue chaque fois le probable successeur de ce dernier.

 

Ci-dessus : vue du couvent des Mathurins au XVIIe siècle.

Il n’y a eu aucun Général issu d’un couvent du Midi avant le XVIIe siècle. La plupart des Généraux élus par la suite ont été d’abord ministres du couvent parisien des Mathurins 8Edifié à proximité de la chapelle Saint Mathurin, dont subsiste aujourd’hui une arcade, 7 rue de Cluny, dans le 5e arrondissement, ce couvent a pris, dans l’usage populaire, le nom de la dite chapelle. D’où le surnom de Mathurins, ou Matelins, attribué aux Trinitaires de Paris et plus généralement à ceux du nord de la France.. Le Général cependant n’est astreint à aucune résidence fixe. Les premiers Généraux résident ordinairement à Cerfroid. A partir du XVIe siècle, issus du couvent des Mathurins, les Généraux inclinent à résider au sein de leur maison d’origine.

Aucun Général des anciens Trinitaires n’a au vrai le temps de « résider ». Le Général s’attache en effet à remplir quatre lourdes tâches, ainsi définies : 1. Visitation ; 2. Réformation ; 3. Confirmation des bénéfices électifs (élection du ministre Provincial ; élection du ministre lors de la fondation d’un couvent) et collation des bénéfices collatifs ; 4. Maintien des privilèges de l’ordre. Largement occupé par ces quatre tâches, il ne participe pas lui-même aux activités de rédemption, i. e. de rachat des captifs. Mais il ordonne les campagnes de rédemption et il fournit les passeports nécessaires aux rédempteurs sélectionnés.

Ci-dessus : Pierre Chauvier, ex-profès de La Gloire-Dieu en Champagne, ministre du couvent des Mathurins, conseiller, aumônier, prédicateur ordinaire du roi, dernier général de l’ancien ordre des Trinitaires avant la Révolution.

Afin de pouvoir subvenir aux nécessités de sa charge, le Général lève sur chacun des ministres une contribution annuelle. Celle-ci est de 3 livres au XVIIe siècle. A part ce droit annuel, le général n’a point de traitement fixe ; il ne posséde que les revenus de Cerfoid et, plus tard, ceux des Mathurins de Paris. Parfois, on donne au Général les revenus d’un petit couvent alors désert pour accroître ses ressources, qui ne sont jamais bien considérables.

Ci-dessus : le couvent de Cerfroid au XVIe siècle.

En vertu du devoir de visite, le Général peut se présenter à tout moment dans n’importe lequel des couvents de l’ordre. Il ne manque pas de satisfaire à ce devoir, lors de grandes tournées à la faveur desquelles il joue l’effet de surprise ou requiert d’être reçu solennellement. Il rédige ensuite les actes de sa visite d’après tout ce qu’il a remarqué de bon et de mauvais, sous forme d’articles qui seront observés comme une ordonnance, il laisse une copie du procès verbal et fait une exhortation aux religieux. Peu à peu, les Généraux se borneront à visiter les couvents du nord de la France, et délègueront à leur Vicaire général, ou bien au Provincial concerné, le soin de visiter les couvents, spécialement ceux du Midi, dans lesquels ils ne pouvaient se rendre. Censés ratifier tout acte de vente ou d’échange engagé par tel ou tel ministre, ils laisseront également ce soin aux Provinciaux.

En vertu du devoir de réformation, le Général exerce un droit de correction sur les ministres, au demeurant nommés à vie. Il peut ainsi les déposer, ou bien les absoudre, sans autre forme de procès. Il peut aussi déléguer deux ministres de confiance pour instruire un procès en forme contre tel ou tel ministre concerné. A partir du XVIe siècle, si nécessaire, le Général nomme le ministre lors de la création d’un nouveau couvent.

En vertu du devoir de maintien des privilèges de l’ordre, le Général partage avec l’évêque le pouvoir d’instituer les prieurs-curés. Il dispose par ailleurs d’un représentant permanent à la cour de Rome, le Procureur général, qui est chargé de défendre les privilèges et les intérêts de l’ordre auprès du pape, seule autorité à laquelle, en vertu du droit d’exemption 9Garanti par le pape, le droit d’exemption rend l’ordre des Trinitaires, au moins théoriquement, indépendant de l’autorité royale. Les Trinitaires exciperont ce droit pour justifier leur refus de payer l’impôt., cet ordre se trouve rattaché.

D’abord annuel, puis rendu triennal pour cause d’organisation trop coûteuse, le chapitre général se tient le plus souvent à Cerfroid, quelquefois à Paris, au couvent des Mathurins, comme en 1421 lors de la guerre anglaise, en 1655 lors de l’élection du Général, en 1768 lors de l’élaboration d’une nouvelle constitution. Ce chapitre, au XVIIIe siècle, ne se réunit plus que pour l’élection du Général. Tous les ministres sont en principe habilités à participer au chapitre général. Ils s’en trouvent de fait empêchés par l’éloignement. Au cours du XIIIe siècle, l’usage s’établit de n’y convoquer que les ministres des quatre provinces du nord de la France, Ile de France, Champagne, Picardie, Normandie. Les autres provinces tiennent leurs chapitres sous le contrôle de définiteurs, qui dirigent les délibérations. Les provinces du Midi seront tout de même représentées aux chapitres généraux de 1473 et de 1508, puis, à partir de 1692, aux derniers chapitres du XVIIIe siècle.

Ci-dessus : seul vestige du couvent parisien des Mathurins, arche visible au 7 de la rue de Cluny, Ve arrondissement.

 

Ci-dessus : vue ancienne de l’entrée de la chapelle de Cerfroid.

 

Ci-dessus : Cerfroid aujourd’hui.

Nommés par le Général, les définiteurs ont pour fonction de définir les points obscurs de la règle. Leur autorité s’impose à tous, y compris au Général. Ils sont d’abord 3, puis 4, dédiés respectivement à la France, à la Picardie, à la Champagne, à la Normandie ; puis 6, à partir de l’avénement des Trinitaires Réformés ; puis 9, au XVIIIe siècle, dont 5 pour la France, 1 pour l’Italie, 1 pour le Portugal, et 2 pour l’Espagne. Le 8 mai 1734, Bonaventure Milhau, commissaire général, i. e. remplaçant du ministre provincial, du Languedoc, donne acte à Nicolas Fournier, ministre de Mirepoix, de son élection comme troisième définiteur provincial :

Ci-dessus : Paul Deslandres, op. cité, pièce justificative n°283.

On se réunit et on travaille, au sein du chapitre général, par province. Le chapitre général nomme et révoque les écoliers, choisit les ministres députés au rachat des captifs, accorde aux bienfaiteurs de l’ordre, dont Saint Louis en 1256, l’association spirituelle ou les prières. Il valide les comptes des couvents. En cas d’insuffisance de moyens pour nourrir les religieux dans tel ou tel couvent, il prescrit la reductio, ou réunion du couvent trop pauvre à un couvent plus riche. Il dispense éventuellement des secours aux ministres dont le couvent a été victime d’une catastrophe. Il s’occupe par ailleurs d’assurer l’historiographie de l’ordre et nomme à cet effet, si nécessaire, un chronographe.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : Louis Bénigne François Bertier de Sauvigny, puis Abel François Poisson de Vandières, marquis de Marigny, tous deux envoyés du roi au chapitre général des Trinitaires de 1781.

Tous les actes du chapitre général, jusqu’en 1781,importants sont rédigés et déclarés en latin. Le français demeure réservé aux détails. Il l’emporte peu à peu dans les registres des visites du Général. Divers envoyés royaux assistent au chapitre général afin de veiller au contenu des débats et à la conformité de ces derniers avec les statuts de l’ordre. Dépêchés par Louis XVI, Louis Bénigne François Bertier de Sauvigny (1737-1789), intendant de Paris, Etienne Mignot de Montigny (1714-1782) et Abel François Poisson de Vandières, marquis de Marigny (1727-1781), tous deux de l’Académie des sciences, et Pierre René Le Monier (1731-1796), commissaire des guerres au département de Paris, siègent ainsi au dernier chapitre général des Trinitaires, en 1781.

Le plus souvent originaire de sa province, nommé par le Général, assisté par des définiteurs provinciaux, responsable d’une quinzaine de couvents en moyenne, le Provincial est « pour sa province, ce que le Général est pour l’ordre tout entier ». Il doit être nommé à l’unanimité par les ministres de la province, ou, à défaut, par le Général. Il provient habituellement du couvent le plus important de sa province, soit Toulouse, en Midi-Pyrénées. Il se trouve chargé plus spécialement des visites et enquêtes relatives à sa province. Le Commissaire général, en cas d’empêchement le remplace.

Outre la contribution qu’il fournit à l’exercice des tâches pastorales dans le cadre local du diocèse, la célébration des messes et des obits, laquelle ne doit pas concurrencer, ni par là priver de ressources, le clergé diocésain ; outre les fonctions d’enseignement, dans le cadre des écoles de latin ; outre l’accomplissement des tâches hospitalières, dans le cas des couvents (Marseille, Arles, etc. Mirepoix n’est pas connu pour avoir développé cette activité très coûteuse.) qui accueillent spécifiquement des malades et des pauvres gens, l’ordre des Trinitaires s’occupe essentiellement de collecter des dons et d’organiser des quêtes afin de réunir les sommes nécessaires à la rédemption des captifs.

Des dons, consentis souvent par de riches personnages, Les Trinitaires tirent des ressources en rentes et en biens immeubles. Plus spectaculaires, les quêtes, qui doivent être autorisées par l’évêque, par le roi et par le parlement, rapportent moins, même si elles confèrent à la cause une aura publique. Elles sont par ailleurs cause de violentes rivalité avec l’ordre de la Merci, concurrent direct des Trinitaires sur le terrain de la rédemption. Nonobstant les pressions royales en faveur du rapprochement des deux ordres, ceux-ci demeureront rivaux jusqu’à la Révolution. La confrérie des Pénitents noirs et celle des Pénitents blancs assistent les deux ordres dans ces quêtes. Chaque couvent a par ailleurs un tronc des captifs. Les ressources ainsi collectées sont ensuite centralisées au couvent des Mathurins de Paris et gérées par un Procureur des captifs. Le Père Brunel fut de 1785 à 1791 le dernier procureur des captifs.

Ci-contre : église Saint Eloi de Dunkerque, captif enchaîné au tronc de la rédemption..

Les Trinitaires chargés de la rédemption sont tous des ministres, d’abord choisis dans les provinces du nord de la France, plus tard dans les provinces du sud, davantage concernées par l’origine des captifs. Les rédempteurs doivent être « éminents sous tous les rapports, d’une forte santé, d’une vertu éprouvée, d’une charité inépuisable ».

Ils partent chargés de présents, qui font partie de la nécessité protocolaire. Ils s’embarquent à Marseille ou à Toulon, à destination d’Alger ou de Tunis, sur des bateaux les moins chers possible, afin d’économiser sur le « trésor du rachat ».

 

Après les coups de canon qui marquent leur arrivée et les civilités d’usage auprès du dey, ils procèdent aux démarches relatives à la sélection des captifs à racheter. Le dey impose un lot de 5 captifs, choisis généralement parmi les moins utiles ; les Trinitaires s’intéressent en priorité aux catholiques, de tout âge et de tout sexe, et, parmi ces derniers, aux plus anciens, aux plus méritants, ou encore à ceux pour qui ils disposent d’un fonds spécial. Le roi de France interdit le rachat des déserteurs.

En 1580, le sixième sur la liste des chrétiens rachetés par les Trinitaires espagnols est Miguel de Cervantès, alors âgé de trente-huit ans. « En 1737, le dey exige 1000 piastres pour un captif ordinaire, 5000 pour un officier, et 100 000 pour un chevalier de Malte ». Les familles parfois contribuent au paiement sous forme de rançon. En 1680, l’écrivain Jean François Regnard, qui est captif en Alger depuis 1778, se trouve racheté de la sorte. Il raconte son aventure dans un roman posthume, intitulé La Provençale. Après sa libération, lors du voyage de retour, Zelmis, alias Regnard, et Elvire, sa compagne provençale, « rencontrent, en faisant leur route, un vaisseau de Marseille, qui portoit en Alger quelques religieux, lesquels y alloient racheter des captifs. Ils arrivent enfin à la Cioutat, où on leur donne le lendemain
des gardes de santé pour les conduire à Marseille, et y faire quarantaine au lazaret » 10Jean François Regnard (1655-1709), La Provençale, roman posthume, première édition en 1731 ; in Oeuvres complètes, tome 1, édition J.L.J. Brière, Paris, 1823.. En 1756, Voltaire lui-même, dont on sait la détestation des ordres religieux, excepte de cette dernière, dans son Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, l’ordre des Trinitaires. « Une autre congrégation plus héroïque », dit-il, car ce nom convient aux trinitaires de la rédemption des captifs, établis en l’an 1120 par un gentilhomme nommé Jean de Matha. Ces religieux se consacrent depuis six cents ans à briser les chaînes des chrétiens chez les Maures. Ils emploient à payer les rançons des esclaves leurs revenus et les aumônes qu’ils recueillent, et qu’ils portent eux-mêmes en Afrique. En 1785, lors de leur dernière campagne de rédemption, les Trinitaires parviennent à racheter 313 esclaves.

Une fois pourvus de leur carte de franchise, les ex-captifs sont ensuite rapatriés à Marseille ou à Toulon, où ils doivent encore, pour cause de peste récurrente à Tunis et en Alger, patienter le temps de la quarantaine. Suite à quoi, ils se trouvent reconduits, de couvent en couvent, jusqu’à leur province d’origine, éventuellement jusqu’au siège des Mathurins à Paris. Ce voyage doit emprunter l’un ou l’autre des deux itinéraires autorisés, dont l’un passe par la Provence et le Dauphiné, et l’autre par le Languedoc et le Poitou. Il donne lieu à de grandes processions, qui constituent autant de fêtes populaires, dans chacune des villes habitées par un couvent des Trinitaires. Mirepoix a connu ainsi une dernière procession de rédemption en 1785.

Alain René Lesage évoque le passage de ces processions, dans le Paris plutôt sombre qui est en 1707 celui de son Diable boiteux :

Pendant qu’ils s’entretenoient de cette sorte ils entendirent tout à coup de grands cris que poussa la populace à la vue des captifs qui marchoient en cet ordre. Ils alloient à pied deux à deux sous leurs habits d’esclaves et chacun ayant sa chaîne sur ses épaules. Un assez grand nombre de religieux qui avoient été au-devant d’eux les précédoient, montés sur des mules caparaçonnées d’étamine noire comme s’ils eussent mené un deuil, et un de ces bons pères portoit l’étendard de la Rédemption. Les plus jeunes captifs étoient à la tête ; les vieux les suivoient ; derrière ceux-ci paroissoit sur un petit cheval, un religieux du même ordre que les premiers, lequel avoit tout l’air d’un prophète. Aussi étoit-ce le chef de la mission. Il s’attiroit les yeux des assistants par sa gravité ; et on lisoit sur le visage de ce Moïse la joie inexprimable qu’il ressentoit de ramener tant de chrétiens dans leur patrie. 11Alain René Lesage (1668-1747), Le Diable boiteux, chapitre XIX.

De façon plus pittoresque, Laurent Pierre Bérenger détaille en 1819, dans la dix-huitième lettre de ses Soirées provençales, adressée à M. de Chateaubriand, le « consolant spectacle » des processions qu’il a vu passer à Marseille, avant la Révolution :

La croix, les bannières, les drapeaux, les fifres, les timbales, précèdent ce cortège, et l’annoncent avec pompe et fracas. Suivent les pauvres captifs, deux à deux, en casaque rouge ou brune, et portant encore les fers de l’esclavage. Ils étalent, en implorant la pitié publique, les cruelles mutilations que les Turcs leur font essuyer pour les moindres fautes. Les uns ont les joues marquées d’un fer chaud ; les . autres sont déchirés d’incisions profondes sur la tête et les bras ; ceux-là sont tailladés en losanges, ou dégarnis d’oreilles ; ceux-ci n’ont plus de langue, et ouvrant la bouche, ne profèrent que des sons inarticulés ; presque tous sont chauves, et noircis, comme des charbons, par l’ardeur du soleil vertical d’Afrique, et consumés. desséchés parles travaux les plus durs de l’agriculture. Tous versent, à la vérité, des larmes de joie, en revoyant les murs de leur chère patrie : mais hélas! ceux qui ont vieilli dans les chaînes, se trouvent étrangers dans, son sein, et pour ainsi dire, méconnus de leur mère. Semblables à des hommes d’un autre siècle ou d’un autre hémisphère, que devenir, que faire dans l’âge des besoins et de l’abandon des forces ? […] Je n’ai pas besoin de vous dire qu’au moment où cette procession si tragique se forme au milieu du cours, la foule est innombrable, les fenêtres de toutes les belles maisons élevées et symétrisées par le Puget, offrent le coup d’oeil le plus curieux, le plus étonnant. L’humanité, la générosité, toutes les vertus qui ennoblissent l’homme, brillent sur tous les fronts ; et la moitié des spectateurs, n’y pouvant tenir, se livre tout franchement au plaisir si doux de verser des larmes d’attendrissement, sans autre embarras que de les essuyer. 12Laurent Pierre Bérenger (1749-1822), Les soirées provençales, ou Lettres de M. Bérenger écrites à ses amis pendant ses voyages dans sa patrie, Edition Durey, Paris, 1819.

 

Ci-dessus : Ordre et marche de la procession des captifs françois racheté par les deux ordres de la Redemption : scavoir celui des chanoines réguliers de la Sainte Trinité dit Mathurins et celui de Notre Dame de la Mercy sortant de l’abbaye de Saint Antoine pour se rendre en l’eglise cathedrale de Notre Dame de Paris, le 17 octobre 1785 ; estampe anonyme, publiée à Paris chez J. Chereau en 1785.

Jacques Philippe Laugier de Tassy, diplomate français, chancelier du consulat en Alger en 1717-1718, puis commissaire de la marine à Amsterdam en 1725, demeure, note Paul Deslandres, « un peu sceptique à l’endroit des malheurs des esclaves ». Il prétend dans son Histoire du royaume d’Alger, publiée en 1725, « qu’à ces processions ils ont des chaînes qu’ils n’ont jamais portées dans leur captivité et qu’on leur fait à dessein pousser la barbe et les cheveux pour les rendre plus horribles ».

 

Ci-dessus : scènes de supplice, illustration tirée de Historie van Barbaryen en des Zelfs zee-roovers, (Histoire de Barbarie et de ses corsaires, divisée en six livres… Ensemble des grandes miseres & des cruels tourmens qu’endurent les Chrestiens captifs parmy ces infideles), ouvrage traduit du Père Pierre Dan par G. Broekhuizen ; édition J. Ten Hoorn, Amsterdam, 1684.

Les Trinitaires usent en effet systématiquement du grand spectacle pour mieux faire appel à générosité publique, et aussi pour mieux certifier qu’ils ont bien dépensé tout l’argent qui leur a été confié. Ils diffusent par ailleurs, à fin toujours de sensibilisation à leur cause, des images reproduites de l’Histoire de Barbarie et de ses corsaires du Père Dan, choisies parmi les plus horribles afin d’illustrer de façon frappante les « grandes miseres & cruels tourmens qu’endurent les Chrestiens captifs parmy les infideles ». De nombreux exemplaires de ces images ont été retrouvés dans les archives du couvent des Mathurins. Les historiens estiment que, moyennant une telle instrumentalisation des processions et collectes, les Trinitaires ont pu racheter au cours des siècles grosso modo un total de 90 000 captifs.

L’histoire propre des couvents trinitaires est quant à elle, note Paul Deslandres « celle d’une ruine graduelle ». Outre des intempéries, des incendies et des guerres, ainsi que divers désordres internes dus au relâchement éventuel de la règle, la plupart des couvents ont eu à souffrir de l’insuffisance chronique de leurs revenus propres, aggravée localement par des fautes d’administration. Nombre d’entre eux ont dû, pour survivre, réduire le nombre des frères qu’ils abritaient, celui des malades qu’ils assistaient, puis se laisser réduire à l’état de simples dépendances d’un couvent plus riche, comme en Languedoc, celui de Toulouse. Nombre des plus petits couvents se trouvent abandonnés au fil du temps. Les grands couvents, installés à Paris ou dans les capitales provinciales, Paris, Marseille, Toulouse, où ils bénéficient de riches protecteurs, résistent mieux. L’ordre a ainsi son âge d’or au début du XVIIe siècle, sous le généralat de Louis Petit. Puis il commence à se déchirer entre Trinitaires d’ancienne obédience, Réformés, et Déchaussés, à nourrir des querelles d’influence avec les Trinitaires d’Espagne et ceux d’Italie, et à devoir partager le droit de faire quête avec son concurrent de toujours, l’ordre de la Merci. A partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, tous les couvents peinent à répondre aux nécessités urgentes. En 1761, suite à de mauvaises récoltes, le couvent de Toulouse, qui n’abrite plus que dix frères 13Cf. Michel Taillefer, Vivre à Toulouse sous l’Ancien Régime, p. 350, éditions Perrin, 2000.. doit ainsi emprunter 1000 livres. En 1768, assiégé par une foule de créanciers, le couvent de Pontoise, est autorisé par le Général à négocier un emprunt de 12 000 livres. Etc. On ne sait rien de la situation financière du couvent de Mirepoix. Elle est sans doute difficile là aussi, puisqu’elle l’est pour son protecteur, le seigneur de Lévis Mirepoix, tout autant.

Le dernier chapitre général de l’ordre des Trinitaires se tient à Cerfroid en 1781. Les couvents des Pays-Bas sont à cette occasion supprimés. L’éclat de la rédemption de 1785 ne suffit pas à éclairer l’avenir. Le 20 février 1790, l’assemblée nationale envoie des commissaires dans les différents couvents parisiens afin de prendre la mesure de la situation de ces derniers. Le 2 avril 1791, elle délègue à Etienne de Larivière, juge de paix, et à Antoine Laurent de Jussieu, savant botaniste, le soin d’enquêter sur les revenus de Pierre Chauvier, ministre des Mathurins. « Les Mathurins sont 18, non compris le Général, son secrétaire, et deux frères convers. Le Père Chauvier, le père Hue, son secrétaire, et deux autres religieux déclarent vouloir conserver leur état. Les autres envisagent de le quitter et ne savent ce qu’ils deviendront. Le Père Chauvier « meurt de douleur » en 1791. Les autres Trinitaires prennent rarement part au mouvement révolutionnaire. Certains deviennent curés assermentés ; d’autres, plus rares, se marient. D’autres encore, qui se trouvaient alors au Maghreb, y sont restés, et ils ont continué d’y soigner les pestiférés jusqu’à la fin du XIXe siècle.

On ne sait rien de ce que sont devenus les Trinitaires de Mirepoix. Après le passage des émeutiers de 1791, note le registre municipal de Mirepoix, les commissaires ont trouvé dans les chambres du couvent des objets de literie, dont des couvertures de laine et une couverture d’indienne piquée, des chandeliers de cuivre, des prie-dieu, des crucifix, dont un peint en bleu, et dans la bibliothèque 122 livres, que l’on n’a ensuite plus jamais revus.

Il ne reste de nos jours presque rien des lieux qui furent autrefois ceux des anciens Trinitaires. La plupart des couvents, églises, chapelles, cimetières associés à ces derniers, sont aujourd’hui disparus. Le 17 mars 1799, le couvent des Mathurins est vendu au titre des biens nationaux ; le bâtiment sera détruit dans les années 1850, à l’occasion du percement du boulevard Saint-Germain.

 

 

Ci-dessus : deux vues de ce qui reste du couvent des Mathurins dans les années 1840, avant sa démolition.

 

Ci-dessus : le couvent des Mathurins en cours de démolition.

 

Ci-dessus : Henri Le Secq, vue de la démolition des Mathurins, 1852.

Egalement vendu au titre des biens nationaux, le couvent de Mirepoix est devenu, à la faveur de la Révolution, propriété de la famille Villeneuve, – une dynastie de marchands.

 

Ci-dessus : quand l’ancien couvent mirapicien des Trinitaires est devenu « école supérieure ».

Le couvent a été, au cours du XIXe siècle, transformé en lycée. Quoique robustement revisitée, l’architectonique du bâtiment n’y a cependant rien perdu de son caractère monachique.

 

Moins touchées au XIXe siècle, certaines dépendances, situées rue Maréchal Foch (autrefois rue de derrière la Trinité), ont pu conserver quelque chose de leur style du XVIIIe siècle.

Converti en médiathèque dans les années 1980, l’ancien lycée a perdu dans cette opération la chapelle qui constituait ici le dernier vestige du couvent initial. Le portail seul a été conservé rue Vidal-Lablache (autrefois rue de la Trinité), et avec lui un peu du style qu’on trouve ailleurs, dans ce qui reste des anciens couvents, églises, chapelles, des Trinitaires. Par exemple en Arles ou à Metz.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : portail de l’ancienne chapelle des Trinitaires d’Arles ; portail de l’ancien couvent de Mirepoix ; portail de l’ancienne église des Trinitaires de Metz.

 

Ci-dessus : ancienne chapelle des Trinitaires en Arles.

 

Ci-dessus : ancienne église des Trinitaires à Metz.

Personne, à ma connaissance, n’a songé à photographier les fresques qui subsistaient encore dans la chapelle du couvent mirapicien, le jour où celle-ci a été détruite. L’endroit où se trouvait l’ancienne chapelle des Trinitaires de Mirepoix, c’est aujourd’hui, au coeur de la médiathèque, la salle de cinéma.

 

Ci-dessus : chapelle Notre Dame du Bon Remède dans la chapelle des Trinitaires de Saint-Etienne-de-Tinée (Alpes-Maritimes), 17e siècle.

On sait par les archives qu’à partir de la seconde moitié du XVIIe, la plupart des églises et des chapelles trinitaires ont été ornées de tableaux représentant, de façon stéréotypée, les deux saints fondateurs de l’ordre, la prise de protection de l’ordre des Trinitaires en 1198 par le pape Innocent III, le rachat de captifs auprès du sultan ou du bey, ou encore Notre Dame du Remède, qui faisait chez les Trinitaires l’objet d’une dévotion particulière 14Les Trinitaires vouaient également une dévotion toute spéciale à Saint Pierre aux liens. Une bannière dédiée à ce saint se trouve reléguée dans un coin de la sacristie de l’église de Saint Aulin, près de Mirepoix. Cf. La dormeuse blogue 2 : Nostalgie de Saint Aulin..

On sait plus précisément qu’à Mirepoix, comme indiqué plus haut, le ministre Nicolas Fournier a souhaité en 1750 orner sa chapelle de tableaux représentant saint Jean de Matha et saint Félix de Valois.

Il s’agit là sans doute des tableaux qui se trouvent renfermés aujourd’hui, toujours à Mirepoix, à la sacristie de la cathédrale et au sein de la petite église Notre Dame et Saint Michel (cf. supra), où personne ne peut les voir puisque la dite sacristie n’est pas accessible aux fidèles et puisque la dite église Notre Dame et Saint Michel demeure continuellement fermée.

Les archives parlent également d’un tableau représentant la Descente de croix, donné aux Trinitaires par le marquis de Mirepoix entre 1666 et 1669. Ce tableau est aujourd’hui disparu, détruit, volé, ou conservé quelque part ailleurs, on ne sait. Concernant la représentation de la descente de Croix, j’ai cherché quelque oeuvre de référence dans ce qui subsiste de l’art et de l’iconographie des Trinitaires français. Je n’en ai trouvé aucune.

 

Ci-dessus : Marc Antoine Raimondi, La Sainte Trinité, XVIe siècle.

 

Ci-dessus : José de Ribera, La Sainte Trinité, circa 1635.

 

Ci-dessus : Charles Errard (1606-1689), dessinateur, et Gilles Rousselet (1610-1686), graveur, La Sainte Trinité ; in Breviarium Romanum. Recueil. Oeuvres de Laurent de La Hyre, Chauveau, Jacques Sarazin, Louis de Boullogne, et Bon de Boullogne, Dorigny, Ch. Errard, Jean Cotelle, Chapron ; 1646-1647.

J’ai appris toutefois que, par effet de mise en abîme, les Trinitaires figurent la descente de Croix dans leur représentation de la Trinité. On voit ainsi le Père, tenant le Fils en croix dans ses bras, ou encore supportant sur ses genoux le Fils descendu de croix, et, au-dessus d’eux ou au centre de l’image, une colombe qui représente le Saint-Esprit.

 

Ci-dessus : François Girardon, Tabernacle de l’ancienne chapelle de la Trinité du château de Fontainebleau, 1687.

En 1678, François Girardon use de la même représentation sur le tabernacle en marbre et bronze doré créé par ses soins à destination de la chapelle de la Trinité du château de Fontainebleau. Après la Révolution, ce tabernacle a été déplacé à l’église Saint Louis du même Fontainebleau. Il comporte trois bas-reliefs en bronze doré, représentant au centre la Trinité, et de part et d’autre du motif central, Félix de Valois et Jean de Matha.

Il se peut que la Descente de croix donnée par le marquis de Mirepoix, dans les années 1660, au couvent mirapicien des Trinitaires ait été destinée à figurer dans un retable, de conception comparable à celle du tabernacle représenté ci-dessus.

 

Ci-dessus : bassin et fontaine baroque, qui restent du jardin des Trinitaires de Mirepoix.

 

Ci-dessus : vu en gros plan, mascaron sculpté sur le rebord de la fontaine qui subsiste encore dans un jardin, sur le site de l’ancien couvent mirapicien des Trinitaires.

Le site occupé jadis par le couvent mirapicien des Trinitaires abrite encore, enclose au coeur d’un jardin invisible de la rue, une fontaine en pierre, qui faisait peut-être le centre de l’ancien cloître et qui se trouve ornée, dans le style baroque, de draperies et de mascarons rendus énigmatiques par une sorte de monstruosité funèbre. L’oeuvre n’est pas documentée. Elle date du XVIIe ou du XVIIIe siècle. Je la trouve extraordinaire. Personne ne se soucie de l’entretenir, encore moins de la conserver. Cet abandon est une honte. Il y a au demeurant tant d’autres trésors qui souffrent du même abandon à Mirepoix, et plus généralement en Ariège !

Je rappellerai, pour finir cet article, qu’après une longue absence, l’ordre des Trinitaires a depuis les années 1970 retrouvé sa place en France et qu’il oeuvre désormais, dans notre pays et dans le monde, au soutien des personnes incarcérées, des malades hospitalisés, et plus généralement de tous ceux qui souffrent.

Site des Trinitaires de France : http://trinitairesdefrance.free.fr
Site international des Trinitaires : http://www.trinitari.org.

La statue de Jean de Matha créée par Ernest Eugène Hiolle et achetée en 1876 par l’état s’élève depuis cette date au Panthéon.

A lire aussi :
Paul Deslandres, L’ordre des Trinitaires pour le rachat des captifs, tomes 1 et 2, édition Privat, 1903
A Mirepoix – Le moulon où sont la maison de M. Simorre, la Trinité et les Houstalets
A Mirepoix – Moulon de partie de la porte d’Aval et Condamine del Ministre
Emmanuelle Bermès, Le couvent des Mathurins de Paris et l’estampe au XVIIe siècle, thèse de l’école des Chartes, 2001.

 

Notes[+]

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