Le canal de La Bastide sur l’Hers au Peyrat – Une sortie avec les Amis des Archives de l’Ariège

 

« Rendez-vous à la païchère », le 28 août, à 15 heures, « devant l’ancienne usine Bez ». C’est à La Bastide sur l’Hers, anciennement nommée La Bastide de Congoust. Mais la païchère, qu’es aquò ?

 

Quelques uns des Amis des Archives heureusement, dont Bruno Evans, professeur d’histoire, notre guide du jour, se trouvent déjà devant la païchère. La païchère, c’est, comme on peut voir, un barrage de rivière, destiné à l’alimentation des canaux afférents. La païchère 1Cf. Robert Geuljans, Dictionnaire Etymologique de l’Occitan, Passièra. doit son nom aux pieux de bois qu’on plantait jadis dans le lit de la rivière pour retenir l’eau.

 

 

L’eau du bief ainsi constitué au seuil du barrage alimente le canal qui assurait autrefois aux entreprises de La Bastide sur l’Hers et du Peyrat l’énergie nécessaire à la production industrielle des peignes et des perles de jais. La vanne que l’on voit ci-dessus desservait ainsi, à proximité immédiate du bief, l’ancienne entreprise Bez, jadis la plus florissante de La Bastide sur l’Hers. Elle alimentait les activités des ateliers que l’on voit ci-dessus, attenants au bâtiment central, aujourd’hui, transformé en habitation. La motrice, me souffle à l’oreille un membre de l’association, était installée à l’emplacement de l’actuel patio rose.

Posté devant le site de la païchère, Bruno Evans, spécialiste de l’histoire des industries en pays d’Olmes, évoque la production et la commercialisation des peignes et des perles de jais depuis le Moyen Age jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, puis la saga des grandes familles qui ont régné sur cette production et sur ce commerce et qui en ont accéléré le développement jusqu’au début du XXe siècle.

Contrairement à l’idée ordinairement reçue, remarque Bruno Evans, la production des peignes et des perles de jais, qui remonte au moins au Moyen Age en pays d’Olmes, ne constitue pas un artisanat paysan, réservé aux longues soirées d’hiver, mais d’emblée une industrie, dont la pratique nécessite un système de canalisation des eaux, des machines hydrauliques et des ateliers, dans lesquels les ouvriers travaillent de façon postée. Dès l’époque des premiers moulins, ou tournails, le travail s’organise ainsi par équipes de 4 personnes, ainsi constituées pour assurer le fonctionnement d’un ensemble 4 à 6 meules, et ce type d’organisation, qui se perpétue en se complexifiant jusque dans les moulins hydro-électriques de l’extrême fin du XIXe siècle, permet à l’industrie du peigne et du jais d’atteindre, de façon déjà documentée sous l’Ancien Régime, une productivité remarquable. A noter que dans l’industrie du jais, les ouvriers ainsi postés sont exclusivement des femmes, qui polissent des perles à facettes, tout le long du jour, sur une meule ruisselante d’eau.

On sait également que peignes et perles fabriqués en pays d’Olmes et reconnus pour tels, comme aujourd’hui on reconnaît une marque, font de longue date l’objet d’un commerce international, puisqu’ils se vendent dès le Moyen Age jusque dans les Flandres.

 

Ci-dessus : Toujours à La Bastide sur l’Hers, cet ancien atelier, aujourd’hui transformé en gîte, constitue, malgré les apparences, un excellent témoin de l’architecture industrielle des XVIIIe et XIXe siècles en pays d’Ormes. Celle-ci ne se distingue en rien de l’architecture civile. Les bâtisseurs d’antan ont repris ici les techniques qu’ils maîtrisaient, éprouvées au demeurant de longue date.

Les moulins demeurent jusqu’à la fin de l’Ancien Régime la propriété des seigneurs, qui en délèguent la direction à des fermiers nommés par leurs soins. Les seigneurs sont représentés dans la contrée par les deux branches de la maison de Lévis, celle de Lévis Mirepoix et celle de Lévis Léran. Le pays d’Olmes relève au XVIIe siècle de la seigneurie de Lévis Léran. Les seigneurs de Lévis Léran, qui professent officiellement la religion réformée, favorisent à Léran, à La Bastide sur l’Hers et au Peyrat, le développement d’une communauté protestante, dont le génie industriel et marchand, fort des liens de solidarité propres à des coreligionnaires naguère encore persécutés, fort aussi d’un système d’alliances largement endogamique, fort enfin d’une commune aspiration au progrès des Lumières, va s’illustrer dans l’industrie du peigne et du jais, dont il accélère la révolution technique ainsi que l’essor commercial. On assiste ainsi à la naissance d’une dynastie de patrons protestants, les Bez, les Corneil, les Costes, les Courtois, dont la grande fortune, au XIXe siècle, fait aussi celle de La Bastide de l’Hers et du Peyrat.

 

Plan du canal de La Bastide sur l’Hers au Peyrat ; document communiqué pae Bruno Evans.

La fortune des patrons, remarque Bruno Evans, ne s’affiche pas ici de manière coruscante. Longtemps, les filles des dits patrons continuent de travailler aux moulins à côté des filles des ouvriers. Patrons et ouvriers, en vertu des liens de parenté intra-communautaires, sont aussi cousins et alliés. La valeur travail fait au demeurant consensus. Les salaires consentis ici aux ouvriers du peigne sont en outre supérieurs à ceux des ouvriers de l’industrie lainière. Il s’en suit que les différences de condition entre ouvriers et patrons s’y affirment moins qu’ailleurs.

Celles-ci ne susciteront de revendications violentes qu’à partir du moment où l’essor des activités de La Bastide sur l’Hers et du Peyrat nécessite l’embauche de nouveaux ouvriers, étrangers au pays d’Olmes, majoritairement « catholiques », bientôt acquis aux idées de Kropotkine, de l’anarcho-communisme, puis de la gauche ouvriériste tout court. On assiste alors, après la guerre de 14, à la création d’associations ouvrières qui entreprennent de briser le monopole des patrons, eux-mêmes politiquement marqués à gauche depuis la Révolution. Gauche ouvriériste contre gauche patronale… Le déclin s’amorce, et se précipite.

Ce déclin résulte très probablement aussi des rivalités qui opposent à la fin du XIXe siècle, des patrons, tous parents entre eux, frères, cousins, gendres, etc., néanmoins concurrents quant à la distribution – amont ou aval – de l’eau du canal, quant à la disponibilité des matières premières et quant au monopole du marché. Vu l’épuisement des gisements de jais et de la forêt de buis, sensible dès la fin du XVIIIe siècle, les patrons développent au cours du XIXe siècle, dans les anciens moulins à jayet de La Bastide sur l’Hers et du Peyrat, la fabrication des peignes en corne. Le développement de cette nouvelle fabrication entraîne l’essor de la mécanisation. Il demeure jusqu’à la fin du XIXe siècle facteur de progrès technologique, permettant ainsi à la production d’augmenter en quantité et en qualité, par là d’assurer la croissance. Puis, débordés par les rivalités qu’ils entretiennent à la fin du XIXe siècle, les patrons cessent peu à peu d’investir dans l’innovation industrielle, et leurs entreprises, au XXe siècle, sont gagnées par l’obsolescence. Inspiré par l’exemple d’Aristide Bergès (1833-1904), le passage à l’énergie hydro-électrique, constitue la dernière grande innovation avant la crise que l’on sait.

 

Ci-dessus, de gauche à droite, à La Bastide sur l’Hers, les maisons des grands patrons au bord de la païchère : 1. Anno 1680, date inscrite au fronton de la maison Bez ; 2. Façade de la maison Bez ; 3. La maison Corneil.

 

Ci-dessus : anno 1735, façade de la maison Bez au Peyrat.

 

Le quartier des ateliers à La Bastide sur l’Hers, au bord du canal. La municipalité a voulu que la plaque « Rue des ateliers » y soit apposée afin que le caractère patrimonial du site soit explicitement signalé et reconnu par tous.

 

Ci-dessus, à La Bastide sur l’Hers, diverses vues du quartier des ateliers. Empreint de la poésie mélancolique propre aux lieux dont on imagine la vie passée, le vide de ces beaux espaces s’apparente à celui des places que l’on voit sur les toiles de Chirico.

 

Ci-dessus : Giorgio de Chirico, Mystère et mélancolie d’une rue, 1914.

 

Ci-dessus : longtemps après Chirico, mystère et mélancolie d’un tag récemment apposé sur la porte d’un ancien atelier.

 

Ci-dessus : au Peyrat, ancien moulin installé au bord du canal.

 

Ci-dessus : au bord du canal, vue du ciel dans le miroir des eaux ; puis vue du système de distribution des dites eaux.

Après cette promenade qui nous a conduits, au bord du canal, de La Bastide sur l’Hers au Peyrat immédiatement attenant, rendez-vous maintenant à Camp Redon, près de Lesparrou, où une dernière fabrique de peignes en corne demeure aujourd’hui en activité.

Ci-dessus : à Camp Redon, deux vues générale du site industriel.

 

 

Ci-dessus : prises au travers du grillage posé sur une fenêtre aux carreaux cassés, vues d’un atelier de fabrication de peignes en corne, aujourd’hui désaffecté.

 

Ci-dessus, de droite à gauche : entrée de la forge à la catalane qui jouxtait autrefois la fabrique de peignes en corne ; vue de la fabrique de peignes en cornes fondée par les familles Azéma et Bigou ; pierre célébrant en 1821 (cliquez sur l’image pour l’agrandir) la fondation de l’entreprise Azéma et Bigou.

 

 

 

Ci-dessus : diverses vues du système de canalisation aménagé à Camp Redon pour l’alimentation en eau de la fabrique de peignes.

 

Ci-dessus : les Amis des Archives de l’Ariège en balade. Au centre de l’image, assis sur un muret et portant à la main un pliant, Jean-Jacques Petris, secrétaire de l’association. A sa droite, Nicole Roubichou, membre du comité de lecture de l’association.

 

Ci-dessus, de gauche à droite : 1. Jean Cantelaube, de l’université de Toulouse-Le Mirail, vice-président de l’association des Amis des Archives de l’Ariège, et Jean-Pierre Azéma, actuel propriétaire et directeur de l’entreprise Azéma-Bigou. Mainteneur d’une fabrication qui revêt aujourd’hui une valeur hautement patrimoniale bien qu’elle n’occupe plus désormais que trois ouvriers, Jean-Pierre Azéma reçoit sur rendez-vous, à Camp Redon, les visiteurs intéressés par la tradition industrielle du peigne en corne. Il a constitué à cette intention un petit musée. 2. Bruno Evans, brillant cicérone du jour, salue les Amis de l’Association des Amis des Archives de l’Ariège avant de prendre congé.

Une après-midi passionnante, dans une atmosphère de joyeuse bonne humeur. Merci à l’association des Amis des Archives de l’Ariège !

 

Pour une meilleure connaissance de la forge à la catalane : samedi 17 septembre 2011, à 14h30, Jean Cantelaube, chercheur au CNRS/FRAMESPA, conduira la visite de l’ancienne forge de Manses, à Teilhet, que le propriétaire, M.Kapfer, ouvre exceptionnellement à cette occasion. Rendez-vous ensuite avec Catherine Robin, animatrice du patrimoine, à la forge de Queille, la mieux conservée de l’Ariège.

A lire aussi sur Internet :
Echos du pays d’Olmes – Camp Redon – Visite de la fabrique de Peigne en corne
Azéma-Bigou, la saga du peigne en corne
Azema Bigou – Manufacture de peignes en corne
La forge à la catalane
Olivier Codina, « Jean Cantelaube, La forge à la catalane dans les Pyrénées ariégeoises, une industrie à la montagne (XVIIe-XIXe siècle) », Documents pour l’histoire des techniques [En ligne], 15 | 1er semestre 2008, mis en ligne le 22 octobre 2010.

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