Christine Belcikowski

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Pierre Jean Fabre, médecin alchimiste, et Cécile de Polastre

Rédigé par Belcikowski Christine Aucun commentaire

Je m'efforce de débrouiller, ces derniers temps, la foisonnante généalogie de la famille de Polastre.

Cette famille semble descendre pour partie de Pierre Polastre, dit le Vieux, marchand de Montmaur (Aude), bourgeois d'Avignonet-Lauragais (Haute-Garonne), sieur de Lourmarède, marié à Renée de Rigaud, fille de Balthazard de Rigaud (†1551/) et de Francoise de Pradines.

Les descendants de Pierre Polastre le Vieux ont tenu ou partagé en leur temps les seigneuries de Nogaret (Haute-Garonne) et d'Engarrevaques [aujourd'hui Garrevaques, Tarn), et encore celles de Peyrefitte-sur-l'Hers (Aude), et de Bélesta en Lauragais ()Haute-Garonne ; et ils ont donné plusieurs conseillers du Roi au Parlement de Toulouse, plusieurs présidents à la sénéchaussée du Lauragais, ainsi que plusieurs officiers dans les régiments royaux.

Au cours de mon enquête, qui se poursuit toujours, j'ai noté que Cécile de Polastre, fille de Grégoire de Polastre, président de la sénéchaussée du Lauragais, et de Jeanne d'Aymeric, a été la troisième et dernière épouse de Pierre Jean Fabre, dit Pierre Jean de Fabry, médecin alchimiste, qui a été célèbre en son temps.

1. Cécile de Polastre, une silhouette mal connue

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4 septembre 1651. Mariage de Pierre Jean Fabre et de Cécile de Polastre. AD11. Castelnaudary. Mariages. 1646-1663. Document 100NUM/AC76/GG22. Vue 30.

On sait par son acte de mariage que Cécile de Polastre est fille de Grégoire de Polastre et de Jeanne d'Aymeric, mais on ne dispose pas de son acte de baptême.

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20 août 1617. Acte de baptême d'Imberte de Polastre. AD11. Castelnaudary. Actes de baptême. 1617-1620. Document 100NUM/AC76/GG8. Vue 4.

Dans le registre paroissial de Castelnaudary qui court de 1617 à 1620, on trouve seulement l'acte de baptême d'Imberte de Polastre, née le 16 août 1617. Puis, après une lacune qui affecte les années 1620 à 1629, on trouve les actes de baptême de Jean de Polastre, né le 2 janvier 1632, et celui de Germain de Polastre, né le 6 mai 1633. L'année 1635 manque ensuite. Après 1635, on ne trouve plus d'enfants nés de Grégoire de Polastre et de Jeanne d'Aymeric. Grégoire de Polastre épouse en secondes noces Anne de Bonnal, ou de Bonnald, à une date qu'on ignore. Le 27 octobre 1647, le nouveau couple fait baptiser Marguerite de Polastre, qui deviendra religieuse à Prouille. Suivent encore, de 1647 à 1659, neuf autres enfants.

Des données rassemblées ci-dessus, il résulte que Cécile de Polastre ne peut être née qu'entre 1620 et 1629, ou alors en 1635, auquel cas elle n'aurait eu que 16 ans l'année de son mariage. Il semble plus probable qu'elle ait eu entre 23 et 31 ans le 4 septembre 1651, jour où elle épouse à Castelnaudary Pierre Jean Fabre. Né en 1588, Pierre Jean Fabre, est âgé alors de 63 ans.

2. Pierre Jean Fabre, un héritier de Paracelse

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Ci-dessus : portrait de Pierre Jean Fabre. Détail de la page de titre du Palladium spagyricum / Petri Joannis Fabri doctoris medici monspeliensis philochymica castronouidarensis. Tolosae, Apud Petrum Bosc, 1624.

Fils d'Antoine Fabre, bourgeois de Castelnaudary, Pierre Jean Fabre poursuit des études de médecine la faculté de Montpellier. Il y est reçu docteur en 1615. Contre l'avis de ses maîtres, qui ne jurent alors que par Hippocrate et Galien, il s'intéresse à l'œuvre de Paracelse et, comme préconisé par ce dernier, à l'usage de divers médicaments iatro-chmiques, dont l'antimoine (stibium), administré comme purgatif dans le traitement de certaines maladies. Plus particulièrement inspiré par le De praeparatione medicamentum dudit Paracelse, paru en 1581, puis traduit en français en 1603 sous le titre Trois discours de la préparation des médicaments, il développe par la suite une médecine innovante, qui se réclame de « l'art spagyrique ».

Fondée sur les cinq piliers quintessentiels que sont, d'après Paracelse, puis d'après Pierre Jean Fabre, l'alchimie, la philosophie, l'astronomie, l'astrologie, et la vertu, la stagyrie développe une approche holistique des choses du monde, dans laquelle les humains se trouvent compris. Elle suppose entre toutes ces choses le jeu permanent des correspondances. Celui-ci exercerait son action à la fois sur les corps physiques et sur ce que les ésotéristes appellent « corps énergétique » de l'être humain.

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Ci-dessus : portrait de Paracelse, alias Philippus Aureolus Théophratus Bombast von Hohenheim (1493-1541).

Dans Opus paramirum, Paracelse désigne sous le nom d'« art spagyrique » la technique alchimique de décomposition des substances, qui va « en rétrogradant à la première de toute chose ». Sachant que toute matière est composée de trois principes, mercure, soufre, sel, partant, que nos corps le sont aussi, le médecin stagyrite se propose de rééquilibrer ses patients dans leur harmonie intrinsèque et extrinsèque, via l'administration de préparations issues de la combinaison et de l'interaction des trois principes ci-dessus.

3. Pierre Jean Fabre, médecin de Louis XIII

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Ci-dessus : portrait de Louis XIII, peint par Pierre Paul Rubens entre 1622 et 1625.

En 1622, Louis XIII, âgé alors de 21 abs, entreprend à la tête de son armée de chasser les huguenots des villes que ceux-ci tiennent un peu partout en Languedoc. Après avoir assiégé Montauban, le Roi s'arrête à Toulouse au soir du 3 juillet, où il se trouve mal portant. Jean Héroard, son Premier Médecin, note dans son journal les détails suivants :

« Le 4, lundi. Éveillé à trois heures et demie après minuit, il se plaint, criant et me disant avoir eu froid étant couché dans le lit, et fort peu dormi, les yeux chauds et la tête pesante. Levé, blême, il se sent foible et lassé ; vêtu, botté, prié Dieu, déjeuné à quatre heures. Il part de Toulouse et arrive à dix heures et demie à Villefranche de Lauraguais ; à onze heures et demie il se plaint encore des mêmes choses qu'il avoit fait ici dessus ; dîne pourtant. Il va après en sa chambre, en son cabinet; son lit n'étoit pas venu, il se met tout vêtu sur une paillasse qu'on lui avoit apprêtée de paille fraîche. À une heure dévêtu, mis au lit, pouls plein, égal, un peu hâté, chaleur aux yeux, douleurs aux tempes et au chignon du col, chaleur âcre ; il clignotoit, altéré. A deux heures il s'endort jusques à quatre et demie, se trouve mieux; levé assez gai, soupé en son cabinet.

« Le 5, mardi. Il arrive à Castelnaudary, après avoir entendu les harangues des magistrats au faubourg. Entrée à onze heures. »

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Ci-dessus : difficile à déchiffrer en raison de son écriture très cursive, page tirée du manuscrit de Jean Héroard. Mardi 5 juillet 1722. Arrivée de Louis XIII à Castelnaudary. Quelques mots relevés passim dans cette page : « dragée de fenouil la petite cuillérée : va de son cabinet au Conseil ; à trois heures va dans sa chambre ; fait ses affres [affaires], grisâtres, mol, beaucoup, mis au lit... pouls plein, égal, chaleur aussi dans ses yeux ; à six heures et demie clystère purgatif avec de la casse et du catholicum ; à sept heures, rendu une grande quantité d'excréments et de gros phlegmes [glaires] ; remis au lit, dit qu'il n'a plus la démangeaison au pourpoint... peu après, clair et peu de phlegmes, remis au lit ; à sept heures et demie dragée de fenouil la petite cuillérée ; lieu de robe à neuf heures ; remis au lit à neuf heures et demie ; le mercredi éveillé à huit heures après minuit, douleur, pouls égal, pausé, chaleur du ?, pissé jaune, beaucoup ; à huit heures et demie, purgé avec deux drachmes et demie de séné, avec de la cannelle et huit ? de ptisane ; à dix heures entend la messe à sa chambre ; à dix heures trois quarts fait la grande quantité de phlegmes, ... comme tripes de molue [morue] teintes de jaune... » (1)

« Le 14, jeudi. Il arrive à Carcassonne, reçoit les harangues, y entre pour la première fois, va à l'église, puis au conseil. » (2)

Louis XIII s'arrête donc neuf jours à Castelnaudary. Il souffre de maux divers, démangeaisons, brûlures aux yeux, douleurs abdominales, diarrhées, lésions proctologiques. Régime, clystères, bains, dragées ou sirops de plantes, « les soins que prodigue au Roi son Premier Médecin se révèlent sans effet. D'après l'Histoire de Castelnaudary, manuscrit conservé à la Bibliothèque municipale de Castelnaudary, cité par Michel Noize dans Dom Jean-Albert Belin, évêque et alchimiste du XVIIe siècle (1973), sa thèse d'État, le Roi fait alors appeler à son chevet les trois médecins de la ville : Clément Guilhermy, Jean Ferrand et Pierre Jean Fabre.

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Ci-dessus : portrait de Jean Héroard, né le 22 juillet 1561, mort le 11 février 1628 devant La Rochelle, durant le siège de la ville. Estampe anonyme.

Dans son journal, pour la raison qu'on devine, Jean Héroard omet de mentionner l'intervention de ces trois autres médecins.

Après avoir examiné le Roi, Pierre Jean Fabre diagnostique "une dysenterie pernicieuse" [aujourd'hui évocatrice d'une poussée de la maladie de Crohn]. Le Roi est impressionné par sa science. Pierre Jean Fabre s'applique à soulager le mal du roi et, [au moins provisoirement], il y réussit. » (3)

Le jeudi 14 juillet, Louis XIII quitte Castelnaudary pour gagner Carcassonne. Il accorde à Pierre Jean Fabre la charge prestigieuse de Médecin du Roy.

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Ci-dessus : frontispice du Palladium Stagyricum de Pierre Jean Fabre. Chez Pierre Bosc. Toulouse. 1624.

En 1624, Pierre Jean Fabre publie à Toulouse un premier livre intitulé Palladium Spagyricum. Il le dédie à son illustre patient.

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Ci-dessus : dédicace à Louis XIII du Palladium Spagyricum.

4. Pierre Jean Fabre, auteur de nombreuses publications savantes et expérimentateur de la transmutation du plomb en argent

Auteur de nombreuses publications savantes, Pierre Jean Fabre doit l'essentiel de sa notoriété intellectuelle à la publication de son célèbre Alchymista christianus, paru chez Bosc à Toulouse en 1632. Dès 1652, ses ouvrages sont traduits en Allemagne, où la médecine stagyrite s'est perpétuée jusque dans les années 1960, via l'œuvre de Conrad Johann Glückselig (1864–1934), puis celle d'Alexander von Bernus (1880-1965).

Comme relevé par Bernard Joly in La rationalité de l'alchimie au XVIIe siècle (4), Pierre Jean Fabre doit une autre part de sa notoriété « au fait qu'il est supposé avoir réalisé une transmutation » du plomb en argent. Pierre Jean Fabre raconte cette transmutation dans son Alchymista Christianus, dédié au pape Urbain VIII, qui ne paraît pas avoir récusé cet ouvrage :

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Pierre Jean Fabre. Alchymista Christianus. Chapitre XXVI, p. 182. Chez Bosc. Toulouse.

« L'an du seigneur 1627 à Castelnaudary, le 22 juillet, jour de la fête de Sainte Madeleine, j'ai expérimenté la vertu de ce fameux sel physique, en présence et avec l'aide de plusieurs personnes dignes de confiance. Le révérend Père en J.-C. Anaclet et le vénérable Père Adrien, très dévots religieux de l'ordre des Capucins, se trouvaient là, ainsi que le sire de Sérignol, magistrat plein d'équité, lieutenant présidial en la sénéchaussée de Lauragais, chargé des enquêtes judiciaires. En grand secret, ce dernier m'a assisté dans presque toutes les opérations. Il maniait lui-même les soufflets et activait le feu, pour que, dans une expérience si rare, si inouïe, si incroyable, de transmutation métallique, on ne pût concevoir le moindre soupçon de fraude. Un demi-grain de poudre de ce sel admirable (5), en l'espace d'une demi-heure, transforma une once entière de vif-argent [mercure] en argent absolument pur, beaucoup plus net et éclatant que l'argent ordinaire. Ce grain, recueilli et pesé avec soin, se révéla non seulement plus rouge, mais aussi plus gros et plus lourd qu'il ne l'était primitivement. Sa puissance ne s'était nullement épuisée dans la première transmutation d'une once de vif-argent : il lui en restait encore et, grâce à elle, une drachme de plomb fut changée en argent pur et véritable, dans une dernière expérience contrôlée. » (6)

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Ci-dessus : Anonyme. Dans le laboratoire de l'alchimiste, le feu. XVIIe siècle.

5. Pierre Jean Fabre, médecin de la peste

À partir de 1628, la peste frappe le Lauragais. Pierre Jean Fabre tire de son expérience de soignant un Traicté de la peste selon la doctrine des médecins spagyriques, ouvrage publié à Toulouse en 1629, puis en 1653 à Castres, et repris sous le titre de Remèdes curatifs et préservatifs de la peste à Toulouse en 1720.

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Pierre Fabre. Traicté de la peste selon la doctrine des médecins spagyriques. Chapitre X. Des préservatifs de la peste en général, pour les villes & provinces, p. 61. Attention à la coquille : à la place de « chair viue », il faut lire « chaux viue », i.e. « vive ».

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Pierre Fabre. Traicté de la peste selon la doctrine des médecins spagyriques. Chapitre X, p. 68.

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Pierre Fabre. Traicté de la peste selon la doctrine des médecins spagyriques. Chapitre XI. Des antidotes et préservatifs de la peste, pour les particuliers, p. 73 sqq.

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Pierre Fabre. Traicté de la peste selon la doctrine des médecins spagyriques. Chapitre XI. p. 75.

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Pierre Fabre. Traicté de la peste selon la doctrine des médecins spagyriques. Chapitre XI. p. 76.

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Pierre Fabre. Traicté de la peste selon la doctrine des médecins spagyriques. Chapitre XI. p. 77.

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Pierre Fabre. Traicté de la peste selon la doctrine des médecins spagyriques. Chapitre XI. p. 78.

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Pierre Fabre. Traicté de la peste selon la doctrine des médecins spagyriques. Chapitre XI. pp. 78-79.

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Pierre Fabre. Traicté de la peste selon la doctrine des médecins spagyriques. Chapitre XI. pp. 78-79.

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Pierre Fabre. Traicté de la peste selon la doctrine des médecins spagyriques. Chapitre XVI. Des préservatifs chimiques contre la peste, tirés des Minéraux ; et premièrement du sel, p. 117. N.B. Bézoard : formation, au niveau de l'estomac, d'une accumulation compacte des fibres végétales (phytobézoard) ou de cheveux ou poils ingérés (trichobézoard), ne pouvant s'éliminer naturellement par le tube digestif et pouvant faire obstacle au transit gastrique normal.

En matière de traitement de la maladie pesteuse, Pierre Jean Fabre préconise le recours à la chirurgie (saignées, vésicaires, etc.), aux animaux (préparations à base de vipère, crapaud, araignée, etc.), aux plantes, et d'abord et avant tout au « sel ». In sole & sale naturae sunt omnia. Dans le soleil et le sel, réside le tout de la nature.

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Pierre Fabre. Traicté de la peste selon la doctrine des médecins spagyriques. Chapitre XVII. De l'Or et autres métaux particuliers, préservatifs de la peste, pp. 121-123.

Contre l'avis d'Hippocrate, de Galien, et de leurs successeurs, très nombreux encore au XVIIe siècle, Pierre Jean Fabre préconise, comme Paracelse avant lui, l'usage thérapeutique des minerais et métaux. L'administration de minérais et métaux se trouve tolérée par les corps humains, car ceux-ci, d'après les alchimistes, participent de la même substance originelle que lesdits minérais et métaux.

De même que minérais et métaux se révèlent après réduction « composés de sel et de cendre », n'est-il pas vrai, dit Pierre Jean Fabre, que nous le sommes aussi, « puisque c'est notre dernière matière en laquelle nous sommes réduits, de quoi le Saint Esprit nous fait souvenir pour nous ôter le levain de l'orgueil et superbe si désagréables à Dieu. Memento homo quia finis es & in cinerem reverteris, Souviens-toi, ô homme, que tu es cendre et que tu retourneras en cendre : et les métaux et minéraux sont-ils autre chose que sel et cendre ; puisque la calcination chimique les y réduits tous ». Pierre Jean Fabre est, sur de telles bases, un pionnier de la pharmacopée chimique, par là un précurseur de la pharmacopée moderne.

6. Pierre Jean Fabre courtisan

En 1636, devenu familier de la Cour, Pierre Jean Fabre dédicace à Gaston d'Orléans, frère du Roi, son Abrégé des secrets chymiques.

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Ci-dessus : portrait de Gaston d'Orléans, conservé au chateau de Blois. Œuvre anonyme.

« À Monsieur, frère unique du Roi, duc d'Orléans

Monseigneur,
Tout le monde vénère et honore, voire quasi adore votre Grandeur ; vu que votre naissance leur promet des bonheurs non pareils, à cet effet un chacun vous adresse ses vœux : moi le moindre de vos serviteurs en grade et en qualité, mais en affection et amour, depuis que j’eus l’honneur de vous saluer dans Toulouse en qualité de Consul député de la ville de Castelnaudary, et dans Bruxelles, comme passager, j’ai conçu outre mon naturel devoir, je ne sais quel feu d’amour pour vous, que j’ai depuis toujours travaillé de tout mon pouvoir, à le vous faire paraître ; et n’ayant d’autre moyen que ma plume, sachant que vous êtes naturellement porté à la recherche des secrets naturels, j’ai jugé être mon devoir, que cet abrégé des Secrets Chimiques, qui montre la Nature à nu, et fait voir à un chacun ce qu’elle a de plus rare dans l’être des animaux, végétaux et minéraux, vous fut présenté et dédié : Vous-même me l’avez témoigné pour agréable, lorsque dans Bruxelles vous me fîtes l’honneur de me demander ce qui était écrit dans cet œuvre, et que vous souhaitiez de le voir imprimé ; j’ai fait mon possible à y mettre la dernière main ; Votre Altesse Royale trouvera à mon avis, l’œuvre curieuse, bien que rude en son langage, mais toute pleine d’affection et d’amour à vous rendre mes devoirs par tous les lieux du monde où je puisse être, en qualité de, Monseigneur, Votre très humble, très affectionné, très obéissant et très fidèle Serviteur. » (7)

On notera ici que Gaston d'Orléans avait pour Premier Médecin le protestant Abel Brunier, adepte de la médecine par les plantes, nommé en 1636 directeur du jardin botanique du château de Blois, propriété du duc d’Orléans, et auteur de l'Hortus regius Blesensis, catalogue des fruits et fleurs des jardins de Blois, publié en 1653.

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Ci-dessus : portrait d'Abel Brunier par Pierre Landry (ca 1630–1701).

6. Dernières années de Pierre Jean Fabre. Descendance et succession

En 1649, lorsque la peste frappe Barcelone à son tour, Pierre Jean Fabre se trouve appelé, une fois encore, au secours des autorités. Devenu très riche, il acquiert la charge de conseiller du Roi et il est élu consul de Castelnaudary. Gestionnaire sourcilleux de sa fortune, il se montre un prêteur rigoureux, et, concernant la vente des produits de ses propriétés, il n'hésite pas à poursuivre les mauvais payeurs. Un exemple :

« 1647. Audiences du présidial. Requête présentée en la cour par Jehan Fabre, docteur en médecine, contre M. Jean de Villeroux, docteur et avocat au présent siège, pour qu'il soit contraint de prendre livraison des 12 charges de vin qu'il lui a achetées, à raison de 7 livres 4 sous la charge. » (8)

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Ci-dessus : Marie Jules Eugène Lomont (1864-1938), dit Eugène Lomont. L'Alchimiste.

Soucieux de la traduction de ses livres, Pierre Jean Fabre entreprend à cet effet divers voyages en Flandres et en Allemagne. Propriétaire du domaine de Fabry, à proxmité de Castelnauday, il s'y réfugie l'été pour lire et écrire. Sur la façade de son domaine figure alors la devise suivante : Hos lapides erexit alchymia quae reliqua dilapidat pro lapide. « Ces pierres, l'alchimie les a élevées, elle qui dissout les autres pierres pour obtenir la Pierre [Philosophale] ».

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« Porte de gueules à un forgeron de carnation, contourné à senestre, habillé d'argent, avec des ornements d'or et des brodequins de même, tenant de sa main dextre écuée un marteau d'argent, et de l'autre tenant des pincettes de même avec lesquelles il tient une pièce de monnaye d'or appuyée sur une enclume d'argent, le tout accompagné de rais de soleil d'or mouvantes de l'angle senestre du chef ». Armes de Pierre Jean Fabre. In Volumes reliés du Cabinet des titres : recherches de noblesse, armoriaux, preuves, histoires généalogiques. Armorial général de France, dressé, en vertu de l'édit de 1696, par Charles d'Hozier (1697-1709). Tome XIV. Languedoc.

Curieuse de Fabri, le domaine de Pierre Jean Fabre, j'ai cherché à savoir s'il subsiste aujourd'hui encore et, le cas échéant, à quoi il peut bien ressembler. Comparez ci-dessous ce qu'on voit du hameau de Fabri sur la carte de Cassini, et ce que donne actuellement la vue aérienne. je n'ai pas eu la possibilité d'aller voir sur place

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Ci-dessus : vue du hameau de Fabri sur la carte de Cassini. Ce hameau se situe à 3 km de Castelnaudary.

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Ci-dessus : autre vue du hameau de Fabri sur la carte de Cassini.

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Ci-dessus : vue sur Geoportail de Fabry-le-Grand, successeur de l'ancien hameau de Fabri.

On ne sait rien du couple que Pierre Jean Fabre et Cécile de Polastre ont formé. A-t-elle partagé l'aventure intellectuelle de son époux ? L'a-t-elle suivi dans ses voyages ? On ne trouve pas l'acte de baptême de leur fils unique dans le registre paroissial de Castelnaudary.

Avant Cécile de Polastre, Pierre Jean Fabre a épousé en première noces Marie de Charles de Folcarde ; puis en deuxièmes noces, circa 1637, Marie de Gay. De ses premières et deuxièmes noces, il a quatre enfants, nés en 1631, 1632, 1635 et 1637, trois garçons et une fille, dont on ne connaît pas le destin. De ses troisièmes noces avec Cécile de Polastre, il a encore un fils, Paul de Fabry.

« En 1654, sa santé déclinant, Pierre Jean Fabre donne 1100 livres aux Cordeliers du couvent de Saint-François pour qu'ils célèbrent chaque jour de sa vie une messe basse du Saint-Esprit, et après sa mort une messe de Requiem, « ainsi chaque jour, suivant en tout l'ordre de l'Eglise, tant pour son âme et pour celles de feues demoiselle Marie de Charles et demoiselle Marie de Gay, ses défunctes femmes, que pour celle de la demoiselle de Polastre à présent sa femme » (9). Il lègue à la collégiale Saint-Michel de Castelnaudary sa riche bibliothèque, ainsi que huit pièces de tapisserie. » (10)

Pierre Jean Fabre meurt à Castelnaudary au début de l'année 1658. Il est enseveli dans la chapelle des Pénitents blancs le 4 janvier 1658.

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4 janvier 1658. Funérailles de Jean Pierre Fabre. AD11. Castelnaudary. Baptêmes, mariages, sépultures. 1656-1659. Document 100NUM/AC76/GG30. Vue 48.

Le 15 octobre 1676, Paul de Fabry, fils de feu Pierre Jean Fabre et de Cécile de Polastre, épouse à Castelnaudary Jeanne de Pradal, fille de Jean Pierre de Pradal, avocat, et de Marie de Guiscard, fille elle-même de Pierre de Guiscard, seigneur de Ricaud (Aude), et de Claire du Cup.

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15 octobre 1676. Mariage de Paul Fabre et de Jeanne de Pradal. AD11. Castelnaudary. Baptêmes, mariages, sépultures. 1676. Document 100NUM/AC76/GG43. Vue 54.

Après la mort de Pierre Jean Fabre, sa famille s'occupe de gérer la fortune qu'il a laissée. En 1679, M. Paul Fabre, avocat, co-seigneur directe de Castelnaudary, plaide devant le tribunal « pour obliger les consuls modernes de cette ville à lui consentir nouvelle reconnaissance, conformément aux stipulations des reconnaissances du 20 août 1623, pour « une fournial et four au-dedans d'icelle, dans l'enclos de ladite ville, au port de Bordes et à la rue qui fait sortie à Gonferrand », ladite fournial sujette à la censive annuelle d'un denier toulza. » (10)

« En 1694, dame Cécile de Polastre, veuve de M. Pierre Fabre, docteur en médecine, agissant comme tutrice des enfants de M. Paul Fabre son fils, demandeur, requiert contre les consuls de Castelnaudary, en paiement d'une somme de 50 livres pour le premier pac du droit d'indemnité, main-morte du four de Gonferrand, qui eût dû être fait au temps de l'appointement du 26 avril 1673 ; ensemble pareille somme chaque 25 ans à compter dudit appointement. » (11)

Au début de l'année 1699, « demoiselle Cécile de Polastre, veuve de Jean Fabre, docteur en médecine, plaide contre Denis Vaissière, meunier du moulin à vent (de la Pomarède), et contre messire Guillaume de Saint-Étienne, seigneur et baron du lieu, en paiement de 261 livres » (12). Elle meurt le 8 août de la même année.

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8 août 1699. Sépulture de Cécile de Polastre, « âgée de soixante ans ou plus, veuve de Maître Fabre, docteur en médecine ». AD11. Castelnaudary. Baptêmes, mariages, sépultures. 1698-1700. Document 100NUM/5E76/12. Vue 47.

Paul Fabre, fils de Pierre Jean Fabre et de Cécile de Polastre, et Jeanne de Pradal ont deux enfants. Pierre Jean de Fabry (1679-1750), co-seigneur de Castelnaudary, epouse le 12 janvier 1705 à Montréal (Aude) Françoise de Rigaud. Jeanne Françoise de Fabry (1680-1740) épouse le 26 juillet 1701 à Castelnaudary Guillaume III de Bonaffos (1670-1728), écuyer.

À lire aussi :
Essai de généalogie et d'histoire de la branche Pierrefite de la maison de Polastre
Une visite à Peyrefitte-sur-l’Hers
Giacomo Casanova, Pierre Ambroise Choderlos de Laclos, et la famille Polastre

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1. Journal de la vie active du roy Louis [XIII], exactement descrit » depuis le premier janvier 1605 jusqu'au « XXX... janvier... 1628... par messire Jehan Hérouard, seigneur de Vaugrigneuse, son premier médecin ». Journal de Jean Héroard, 1er janvier 1622-30 janvier 1628. Manuscrit autographe.

2. Journal de Jean Héroard sur l'enfance et la jeunesse de Louis XIII (1601—1628). Extrait des manuscrits originaux, publié par Eud. Soulié et Ed. de Barthélémy. Tome II (1610-1628). Année 1622. Reprint numérique de l'édition Firmin-Didot. Paris. 1868.

3. Alain Calmettes. Couleur Lauragais nº 196. Pierre-Jean Fabre, alchimiste et médecin du Roi. Octobre 2017.

4. Bernard Joly. La Rationalité de l’alchimie au XVIIe siècle, p. 35 sqq. Librairie philosophique Vrin. Paris. 1992.

5. Ce « sel admirable », c'est le mystérieux « alkahest », qui, fort de son pouvoir de dissolution, reconduit les métaux à la pureté de leur simple matérialité première. « La Nature commence la production de toutes choses par un sel qu’elle a, central et radical, qui comprend en soi et enferme en son sein les autres deux principes naturels, qui sont le feu naturel, et son humide radical que nous appelions en Chimie Soufre et Mercure », dit Pierre Jean Fabre dans son Abrégé des secrets chimiques. Cf. Encyclopédie de Diderot et d'Alembert. « ALCAHEST, s. m. (Chimie) est un menstrue ou dissolvant, que les Alchimistes disent être pur, au moyen duquel ils prétendent résoudre entièrement les corps en leur matière primitive, et produire d'autres effets extraordinaires et inexplicables. »

6. Traduction de René Nelli. In « Un médecin alchimiste : Pierre-Jean Fabre ». La Tour Saint-Jacques, n° 16. Paris. 1958.

7. Pierre Jean Fabre. Abrégé des secrets chymiques, où l’on voit la nature des animaux, végétaux et minéraux entièrement découverts : Avec les vertus et propriétés des principes qui composent et conservent leur être ; et un Traité de la Médecine générale. Édition Arbre d’Or. Cortaillod, (ne). Suisse. Avril 2009.

8. MM. Mouynès et Dupond. Inventaire sommaire des archives antérieures à 1790. Série B. Tome II, p. 337. P. Labau. Carcassonne. 1891.

9. Cité par Auguste Faurès, in Les hommes de l'Aude, p. 150, 1891, d'après un manuscrit conservé à la Bibliothèque municipale de Castelnaudary.

10. MM. Mouynès et Dupond. Inventaire sommaire des archives antérieures à 1790. Série B. Tome II, p. 74. P. Labau. Carcassonne. 1891.

11. MM. Mouynès et Dupond. Inventaire sommaire des archives antérieures à 1790. Série B. Tome II, p. 98. P. Labau. Carcassonne. 1891.

12. MM. Mouynès et Dupond. Inventaire sommaire des archives antérieures à 1790. Série B. Tome II, p. 374. P. Labau. Carcassonne. 1891.

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