Une visite à Peyrefitte-sur-l’Hers

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Ci-dessus : à l’entrée de Peyrefitte-sur-l’Hers, la tour, reliée via un souterrain au parc du château, constitue une relique des anciens remparts. Elle aurait servi jadis de prison. Cliquez sur les images pour les agrandir.

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Ci-dessus : vue du clocher depuis la rue qui monte à l’église Saint Martin et au château.

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Ci-dessus : sur la place, vue de la petite église Saint Martin.

Edifiée au XI siècle, maintes fois remaniée par la suite, cette église conserve un choeur de style roman et une chapelle de style ogival. D’abord simple prieuré dépendant de l’abbaye de Camon, puis au XIVe siècle de l’abbaye de Lagrasse, elle devient par la suite la chapelle du château attenant. Aujourd’hui refermée, une porte aménagée dans le mur ouest du sanctuaire donnait jadis sur la cour du château. L’ancien bénitier roman se trouve installé actuellement sous le cintre de cette porte.

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Ci-dessus : La présentation de Jésus au Temple. Tableau d’Hilaire Pader (1607-1677) installé derrière le maître autel, dans l’abside romane de l’église.

Cette abside a fait l’objet d’un spectaculaire réaménagement intérieur, datant du XVIIIe siècle sans doute. Elle abrite un décor tout en courbes, rythmé par de hautes colonnes en faux marbre, colonnes entre lesquelles le tableau, qui occupe la place centrale, se trouve flanqué de deux grands panneaux peints à fresque. La théâtralité de l’ensemble étonne dans une église si petite.

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Et lorsque furent accomplis les huit jours pour sa circoncision, il fut appelé du nom de Jésus, nom indiqué par l’ange avant sa conception. Et lorsque furent accomplis les jours pour leur purification, selon la Loi de Moïse, ils l’emmenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon qu’il est écrit dans la Loi du Seigneur : Tout garçon premier-né sera consacré au Seigneur, et pour offrir en sacrifice, suivant ce qui est dit dans la Loi du Seigneur, un couple de tourterelles ou deux jeunes colombes.
Et voici qu’il y avait à Jérusalem un homme du nom de Syméon. Cet homme était juste et pieux ; il attendait la consolation d’Israël et l’Esprit Saint reposait sur lui. Et il avait été divinement averti par l’Esprit Saint qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ du Seigneur.
Il vint donc au Temple, poussé par l’Esprit, et quand les parents apportèrent le petit enfant Jésus pour accomplir les prescriptions de la Loi à son égard, il le reçut dans ses bras, bénit Dieu et dit :

« Maintenant, Souverain Maître, tu peux, selon ta parole, laisser ton serviteur s’en aller en paix ; car mes yeux ont vu ton salut, que tu as préparé à la face de tous les peuples, lumière pour éclairer les nations et gloire de ton peuple Israël. »
Son père et sa mère étaient dans l’étonnement de ce qui se disait de lui.
Syméon les bénit et dit à Marie, sa mère : « Vois ! cet enfant doit amener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction, et toi-même, une épée te transpercera l’âme ! afin que se révèlent les pensées intimes de bien des cœurs. »
((Evangile de Luc. 2, 21-40.))

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Mains sur le coeur, visage très pâle, Marie se trouve assaillie par « l’étonnement » dont parle l’évangéliste. Il s’agit d’un étonnement douloureux : « Toi-même, une épée te transpercera le coeur ! »

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Vêtu de rouge, Syméon, l’homme « juste et pieux » qui est venu au Temple « poussé par l’Esprit, reçoit l’Enfant dans ses bras, et s’adressant à son « Souverain Maître », lui rend grâce pour avoir envoyé en la personne de cet Enfant celui qui fera son salut à lui, Syméon, et celui de tous les peuples de la terre.

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L’homme agenouillé, qui porte une sorte d’aiguière sur l’épaule droite, et un grand livre sous le bras gauche, pourrait être à la fois le peintre, qui aime à se représenter parmi les personnages de ses toiles ((Cf. Hilaire Pader. Le triomphe de Joseph (1657).)) ; et l’apôtre Luc lui-même, témoin ici d’une scène qu’il rapporte dans son évangile.

Publié en 1653, l’un des livres que nous a laissés Hilaire Pader s’intitule La Peinture parlante. « Ma Peinture parle », dit le peintre en effet, dans l’incipit de son ouvrage. Il faut prendre ce mot d’Hilaire Pader au sens propre avant que de le prendre au sens figuré.

Comme on peut s’en rendre compte dans La présentation de Jésus au Temple, le texte renfermé dans le livre que l’apôtre tient sous son bras, se trouve en quelque façon ré-ouvert par le tableau. Il ne s’agit pas toutefois d’un texte donné à lire, mais selon Hilaire Pater, d’un texte « parlé ». Il faut donc ici que, sur le mode d’une peinture qui se veut sonore bien plutôt que visuelle, ce soit une voix qui nous parle. Via le pinceau d’Hilaire Pader, c’est la voix de Syméon, habitée par le souffle de l’Esprit, qui, dans La présentation de Jésus au Temple, porte ainsi jusqu’à nous. La suppression de certains détails du texte évangélique — tels le couple de colombes, jugé sans doute trop riant — et le mouvement puissamment ascensionnel du tableau contribuent à renforcer une visée qui est clairement ici de type apologétique et dont on présume qu’elle joue un rôle essentiel et principal dans le projet pictural d’Hilaire Pader.

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Jean Lestrade. Hilaire Pader, peintre toulousain au XVIIe siècle. Page 5. Editions Edouard Privat. 1901.

Tel projet s’inscrit au demeurant dans le courant qui est celui la Contre-Réforme. On sait d’ailleurs qu’Hilaire Pradier a spécialement travaillé pour les Dominicains et les Trinitaires de Toulouse.

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Ci-dessus : beau dessin de chapiteau sur le même tableau de Pader. A noter, plus bas, l’élégante reprise des chapitaux dans le décor peint.

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Ci-dessus : beau travail de couleurs et de plis. Baroquisme de la composition.

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Ci-dessus : cette femme au fichu blanc, qu’on voit de profil en arrière-plan, pourrait-elle être cette Anne dont parle encore l’Evangéliste dans son récit de la Présentation au Temple ?
Il y avait aussi une prophétesse, Anne, fille de Phanouel, de la tribu d’Aser. Elle était fort avancée en âge. Après avoir, depuis sa virginité, vécu sept ans avec son mari, elle était restée veuve ; parvenue à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, elle ne quittait pas le Temple, servant Dieu nuit et jour dans le jeûne et la prière.
Survenant à cette heure même, elle louait Dieu et parlait de l’enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem
.

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Ci-dessus : HP.P.P. f.ᵗ 1651. H[ilaire] P[ader] P[eintre] P[oète] f[eci]t 1651. Hilaire Pader Peintre et Poète a fait ce tableau en 1651.

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Ci-dessus : putti dans un soleil de rayons, motif de gypserie situé au-dessus du tableau d’Hilaire Pader.

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Ci-dessus : grand panneau peint à fresque, situé à la droite du maître autel. Tous les motifs qui entrent dans la composition de l’ensemble ressortissent de façon complexe au domaine des honneurs ecclésiastiques (mitre, crosse) et à celui de la vie liturgique (livres du rituel, etc.) ainsi qu’aux symboles correspondants (grappes de raisin).

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Ci-dessus : grand panneau peint à fresque, situé à la gauche du maître autel. Les motifs semblent ressortir ici au domaine plus quotidien de la récolte et de la vendange. Mais les grappes de raisin et le pélican symbolisent le sacrifice, le martyre et la résurrection du Christ qui s’est sacrifié pour la rédemption des pécheurs.

L’ensemble de ce décor peint date du XVIIIe siècle. C’est probablement la famille de Polastre, ultime propriétaire du château de Peyrefitte-sur-l’Hers avant la Révolution, qui en a commandé et financé l’exécution. Les archives de l’Ariège indiquent que celle-ci a bénéficié de reconnaissances en 1636 et 1771 pour sa seigneurie de Peyrefitte sur l’Hers ((Archives notariales de l’Ariège. Reconnaissances féodales. Page 220. Cote : 5E5580.)); et en 1771 également pour sa seigneurie de Bélesta ((Ibidem. Page 221.)). Antoine Marie Joseph de Polastre, chevalier de Saint-Louis a été en 1789 représentant de la noblesse de la sénéchaussée de Castelnaudary aux Etats généraux ((Archives parlementaires. Année 1879. Volume 2. Numéro 1. Pages 553-559. Cahiers de la noblesse. Sénéchaussée de Castelnaudary.)).

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Ci-dessus : dans une niche située à gauche du maître autel, statuette romane.

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Ci-dessus : dans une devenue vide à une date qu’on ne sait pas, trompe-l’oeil créé en pendant de la statuette romane.

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Ci-dessus : au fond de la nef, ancien mécanisme d’horlogerie du clocher.

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Ci-dessus : sur l’un des murs de la nef, sous une statue de Saint Martin, plaque dédiée aux morts de la guerre de 14-18. Mention terrible : « RENIÉ Marcel disparu ».

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Comme dit plus haut, le château se trouve attenant à l’église, avec laquelle il communiquait jadis par une porte intérieure. Sur l’image ci-dessus, on voit la porte principale du château.

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Ci-dessus : autre vue de la porte du château depuis un petit escalier latéral.

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Ci-dessus : depuis la route qui longe le château, vue du flanc nord de l’édifice.

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Ci-dessus : ancienne fenêtre à meneaux ouverte dans le même flanc du château.

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Ci-dessus : derrière le château, à l’orée du parc, une belle balustrade.

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Ci-dessus : surmonté de boules en pierre, portail donnant sur le parc du château.

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Tous les piliers qui rythment la clôture du parc sont surmontés de boules en pierre, de diverses factures. Quelle famille a aimé à ce point de telles boules qu’il lui a plu d’en semer les bords du parc de façon si magnifiquement obsédante ? S’agissait-il là d’une passion des Polastre ?

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Ci-dessus : René Magritte. La voix du sang. 1961.

Est-ce la « voix du sang » qui parlait, et qui parle aujourd’hui peut-être encore, dans les boules en pierre du château de Peyrefitte-sur-l’Hers ?

À lire aussi :

Essai de généalogie et d’histoire de la branche Pierrefite de la maison de Polastre
Une visite à Peyrefitte-sur-l’Hers
Pierre Jean Fabre, médecin alchimiste, et Cécile de Polastre
Giacomo Casanova, Pierre Ambroise Choderlos de Laclos, et la famille Polastre

5 réponses sur “Une visite à Peyrefitte-sur-l’Hers”

  1. La prophétesse Anne paraît bien jeune avec ses quatre-vingt-quatre ans…
    Sur le panneau de gauche, ce qui saute aux yeux c’est l’Arche d’Alliance, accompagnée de ses brancards.
    J’ai été heureux de retrouver Hilaire Pader, une gloire de Toulouse, mon compagnon d’ouvrage, lorsque je travaillais sur l’église de Belberaud, son village d’origine. J’ignore si cette œuvre de Peyrefitte est répertoriée …
    Il peut y avoir une confusion quant à l’appartenance de Peyrefitte, à Camon et Lagrasse. Ce qui est certain, c’est que le prieuré de Peyrefitte était en réalité celui de Saint-Félix-de-Feuilhès, aujourd’hui hameau voisin.

      1. A Feuilhès, une borne dont Auguste Armengaud m’a envoyé la photo, porte les armes de Philippe de Lévis.

  2. Bonjour Mme Belcikowski,
    La statuette romane de Peyrefitte sur l’Hers ne serait-elle pas, selon l’évangile de Luc : « le retour de l’enfant prodigue » plutôt qu’une « vierge à l’enfant » ?

    1. Bonjour Monsieur Taillandier,
      Je ne sais pas. Maintenant que vous le dites, l’hypothèse me séduit. Mais la documentation manque.
      Cordialement,
      Christine Belcikowski

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