1740-1789. Désordres en Ariège

Conservé aux Archives départementales de l’Ariège, le dossier 1J379 1Archives dép. de l’Ariège. Entrées par voie extraordinaire : pièces isolées et petit fonds. Document 1J379. rassemble une suite de plaintes relatives à divers désordres survenus à Lavelanet, Mirepoix, la Bastide de Bousignac, Camon, Lapenne, Coussa, Bélesta, etc. Les fauteurs de ces désordres sont de « mauvais sujets », vagabonds, déserteurs, ou fils de famille dévoyés, qui arborent des armes et en usent, alors même qu’ils n’ont jamais sollicité ni obtenu l’autorisation de les porter. « Il est peu de manants qui n’aient des armes », observe par ailleurs le comte de Fumel 2Joseph de Fumel (1720-1794), baron de Paulhac et de Lavelanet, seigneur de Hautes-Vignes, Passac, Haut-Brion, Margaux, lieutenant général des armées du roi, maire de Bordeaux, guillotiné le 27 juillet 1794., baron de Lavelanet. Ces « manants-là » font peur.

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Les honnêtes gens sollicitent et obtiennent en conséquence l’autorisation de s’armer, eux aussi. En 1765 par exemple, comme M. d’Estissac 3Louis François Armand de la Rochefoucauld (1695-1783), duc de Liancourt et d’Estissac. En 1778, dans le cadre des États du Languedoc, il remettra à l’archevêque de Narbonne un mémoire recommandé par le ministre au sujet de la jonction du chemin de Mirepoix à Bélesta avec celui de Carcassonne à Mont-Louis, traversant une partie de ses forêts. Cf. États du Languedoc. Délibération du 19 novembre 1778. se plaint de ce que « le nommé Gabarrou, boucher à Bélesta, mauvais sujet qui marche toujours armé d’un pistolet et d’un couteau, suive partout Baptiste Gaston Cailhau, son régisseur », ledit Baptiste Gaston Cailhau obtient l’autorisation de porter une arme lorsqu’il est en campagne. Un peu plus de vingt ans avant la Révolution, l’Ariège se trouve de la sorte largement équipée en armes, armes dont elle usera à des fins qu’on sait, lorsque le moment historique en sera venu.

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Le dossier 1J379 fait état également d’une sorte de dérive des mœurs et, plus largement, d’un climat d’insubordination qui devient manifeste dans certains lieux, tels que la ville de Lavelanet.

1. À Lavelanet, affaires de mœurs, impiété, désordres, excès, vols, faux, libellés diffamatoires, rébellions, assassinats, concussion

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« Depuis plusieurs années, Lavelanet est renommé pour un bourg habité en la plus grande partie par des gens abrutis à toute sorte d’excès. Les voisins qui sont forcés de communiquer avec eux, en usent avec le plus de précaution, le font très en garde, crainte de devenir victimes de leurs méfaits. Les huissiers, même les cavaliers de la maréchaussée, ne se portent qu’avec peine à y mettre à exécution les ordonnances de justice. Enfin, n’y ayant plus de subordination, on se roidit contre toute autorité… »

Le 26 février 1765, M. le Comte de Fumel, baron de Lavelanet, adresse à M. de Simorre 4Jean de Simorre (1688-1781), co-seigneur de Lourde, avocat en parlement, capitoul en 1750. Marié à N. Charly, sœur de François Xavier Charly., subdélégué de l’intendant du Languedoc au diocèse de Mirepoix, un mémoire relatif aux divers excès qui se commettent dans Lavelanet et qui témoignent, d’après lui, d’un climat d’insubordination quasi général. Il réclame en conséquence l’envoi d’une compagnie de cavaliers ou de dragons à Lavelanet et la mise en oeuvre d’un désarmement de la population toute entière. »

Le comte de Fumel détaille ensuite point par point les « excès » mentionnés plus haut :

1.1. Exposition d’enfant, inceste, adultère, rapt et viol

« Ces excès sont quasi généraux, et de tout genre. On impute à certaines femmes l’avortement, l’exposition du part [enfant nouveau-né], l’adultère ; l’inceste y est prouvé par l’audition d’une fille. On impute à plusieurs jeunes gens le rapt, le viol, dans plusieurs circonstances ; les trois dernières [victimes] remontant au mois de décembre 1764 : l’une chez Luc Darnaud, hôte, en la personne d’une vendeuse de châtaignes, du lieu de Roquefort, qu’on enferma dans une chambre ; l’autre en la personne d’une fille du lieu de Montferrier, qu’on retint dans une grange plus de cinq heures ; et l’autre en la personne d’une fille de Lavelanet, qu’ils trouvèrent, dit-on, un soir sur la porte de sa maison et emportèrent de force hors du lieu. »

1.2. Vols et larcins

« Le vol et le larcin sont des crimes très familiers à Lavelanet. Entre autres, il y a environ trois ans qu’une nuit, chez le sieur Rouzaud Morancy, on enfonça une porte extérieure, trois portes intérieures, armoires et coffres, auquel on vola bien d’effets, billets et argent ; on en fit autant au sieur Brustier un jour de fête, pendant la messe de paroisse. Maurice Février, fournisseur de la boucherie, a été également beaucoup volé, en cuirs, vin et viande, aussi avec effraction de portes. »

« Dans plusieurs circonstances, on a volé des grains aux fermiers des moulins, une fois considérablement, et une nuit du commencement de cette année, environ six setiers de millet ; dans une autre circonstance, vol d’une balle de toiles, de mousseline, rouen [tissu de coton] et autres. L’église n’a pas été exemptée : on y vola une chaudière servant à un bénitier; et encore le 13 de ce mois de mars, en plein jour, on y enfonça et vola un tronc. »

« Les jardins sont continuellement piratés, les arbres coupés, les treillages abattus, les portes enfoncées, et les murs de clôture démolis, notamment les jardins du seigneur, et celui de son juge. Le 24 décembre dernier, et ce mois de mars, ceux des sieurs Curé, Sicre, Soula, Jambert et autres. »

« L’année dernière 1764, on enfonça les portes d’un pigeonnier et le vola d’un pigeon ; on enfonça également une porte et on enleva la volaille du sieur Laffitte ; tous ces faits étant sans preuve, le corps du délit d’iceux est établi par des verbaux. »

1.3. Impiétés

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« On impute à certains le blasphème, en portant un Christ dans la rue, lui donnant du vin à boire, appelant les passants et leur disant, par dérision, « Voilà ton maître » ; en tirant un coup de fusil au coq d’une croix de mission ; et en exhortant un moribond de se souvenir de Bacchus, en présence du vicaire qui voulait l’administrer. Il est vrai, ces derniers faits sont anciens et arrivés il y a environ douze ans. »

1.4. Crimes de faux

« Il est d’autres gens qu’on accuse de faire signer aux huissiers des actes de justice sans notifiés, les uns de force, les autres par surprise, en se prévalant de l’ineptie de ces suppôts. Plusieurs autres, qui lorsque les huissiers vont leur protester des lettres de change ou billets, sont accusés d’enlever d’entre leurs mains lesdites lettres et billets, sans quoi il y a deux procédures. De façon qu’à présent bien d’étrangers, pour éviter l’événement en envoyant des huissiers faire pareilles commissions à Lavelanet, font déposer le billet chez le juge, pour qu’au cas on aille le voir ou acquitter chez lui. »

1.5. Affiches de libelles diffamatoires

« Il a paru cette année plusieurs libelles diffamatoires, affichés au pilier de justice de la place dudit Lavelanet, pour des injures verbales ou même réelles, et par voie de fait. Le greffe de la juridiction est garni de procédures. »

1.6. Assassinat

« Les assassinats ne sont pas ignorés à Lavelanet. Celui arrivé en 1763, en la personne de Maître Manent, vicaire, manqué d’un coup de pistolet, en est une preuve. »

1.7. Rébellion aux actes de justice

« Il n’est pas d’huissier qui ne craigne, en allant mettre à exécution à Lavelanet des mandements de justice. Le fait est constant, plusieurs y ont été excédés. Il en est même un, nommé Ormières, qui pour une simple signification se fit escorter, il y a environ un an et demi, par deux cavaliers de la maréchaussée de Chalabre. Il arriva encore le premier mars de l’année dernière que le sieur Rouillet, de Quillan, envoya lesdits deux cavaliers de maréchaussée et trois huissiers pour faire saisir les meubles de Jean Lasaigues, lesquels procédant à cette saisie, quatre hommes à demi déguisés, armés de bâtons étant survenus, firent lâcher prise, mirent dehors et maltraitèrent lesdits cavaliers et les huissiers ; l’un desquels cavaliers laissa sa perruque dans la mêlée. Il est vrai que en dressant le verbal de rébellion, les cavaliers ne voulurent pas qu’il fut chargé des mauvais traitements que eux personnellement avaient reçus ; mais le fait n’est pas moins vrai. »

« Il y a environ huit jours qu’un huissier de Foix, quoique assisté de deux recors, étant à Lavelanet pour une saisie, ayant fait rencontre sur le Grand Pont d’un homme contre lequel il avait autrefois fait quelque acte de justice, [et qui] sur les reproches de celui-ci [l’huissier], le menaçait de le frapper d’un bâton qu’il [l’homme] avait en main, fut si fort effrayé qu’il prit la fuite et gagna à course la campagne sans plus songer à la commission qu’il venait faire. »

1.8. Mépris de l’autorité consulaire

« La subordination n’étant plus reconnue à Lavelanet, les consuls y sont souverainement méprisés, et très souvent grièvement insultés, sans qu’ils osent rien faire ni dire, tant ils sont subjugués ; et en conséquence [ils] se donnent garde d’exercer aucun acte de police ; si fort qu’il n’est pas plutôt nuit qu’on entend quasi continuellement dans les rues des libertins s’y promener, jetant les hauts cris, lâchant des coups de pistolet sans fin, et généralement troublant le repos public, sans que certaines gens osent sortir des maisons, quelle nécessité qu’ils en aient, crainte d’essuyer les excès dont usent lesdits libertins en pareille circonstance. »

1.9. Concussion ou levées d’argent sans permission

« Le joug desdits consuls est même si pesant qu’ils souscrivent en aveugles au caprice de trois ou quatre particuliers, qui en ont ameuté d’autres, et qui, pour comble de délire, font de vains efforts pour se soustraire à l’autorité d’un seigneur légitime, bienfaisant et débonnaire ; lesquels particuliers (à qui tout semble licite), sous ce frivole prétexte, sur la fin de l’année dernière, se sont avisés, sans permission, de lever la somme de cent cinquante livres et plus sur nombre d’habitants dudit Lavelanet, en usant tantôt des menaces les plus outrées, tantôt de promesses vis-à-vis du grand nombre qui leur refusaient, ne cessant encore de menacer ceux qu’ils n’avaient pu vaincre, de les faire charger à l’avenir de subsides. »

« On ne finirait de longtemps, si on voulait tracer avec exactitude tous les crimes commis et on ne saurait dépeindre avec des traits assez hideux le grand nombre d’habitants dudit lieu. M. de Simorre sait lui-même en partie ce qu’ils font, et ce qui lui est arrivé, en venant faire subir le sort à Lavelanet, en 1758. »

1.10. Mépris des censures ecclésiastiques pour rendre témoignage

« Et enfin le plus grand des fléaux, cette peste publique, les faux témoins infectent si fort ledit Lavelanet que de là naît l’inutilité des procédures et l’impunité des crimes. Un fait s’est-il passé en plein jour et [en] présence de dix témoins, personne ne l’a vu. Les censures ecclésiastiques très multipliées y ayant toujours été méprisées, tout ce lieu est corrompu, de façon que la voie de la justice ordinaire étant devenue inutile, il ne saurait être question de remédier à tant de maux, qui sont quasi généraux, ce à leur comble, si une autorité ne s’en rend maître. »

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Dans son mémoire, M. de Fumel nomme quelques-uns des « libertins » et autres « particuliers » par qui le désordre arrive à Lavelanet :

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« Le désordre qui arrive communément dans ce lieu est fait par une troupe de jeunes gens, entre autres par le nommé Jean Baptiste Eristaud, bastier ; le fils cadet de Berdier ; le fils cadet du sieur Clauzel ; le fils plus jeune de Germain Forgues ; le fils d’Arnaud Autié ; le fils cadet de Mathieu Clanet, charron ; le sieur Laprotte cadet. Ces gens portent quasi toujours sur eux des armes à feu, et dans la nuit des sabres et des couteaux de chasse.

Concernant « les gens qui ont des fusils et pistolets dans leurs maisons, M. de Fumel rappelle que « tout le monde en a ; peu de paysans même en manquent, et ceux qui n’en ont pas sont très rares ».

Observant à propos des « libertins et autres particuliers » mentionnés ci-dessus, qu’il s’agit là de jeunes gens à qui, pour reprendre ses mots, « tout semble licite », M. de Fumel indique de la sorte ce qu’il entend par le mot « libertins ». Le Dictionnaire de l’Académie française daté de 1694 donne du libertin la définition suivante : « qui prend trop de liberté et ne se rend pas assidu à son devoir ; licencieux dans les choses de la religion, soit en faisant profession de ne pas croire ce qu’il faut croire, soit en condamnant les coutumes pieuses, ou en n’observant pas les commandements de Dieu, de l’Église, de ses supérieurs » 5Dictionnaire de l’Académie françoise. Tome I (A-L), p. 645. Chez la Veuve Jean Baptiste Coignard. Paris. 1694.. La chronique locale, quant à elle, rapporte qu’à Lavelanet, on surnommait ces « libertins » les chapeaux noirs », au vu du couvre-chef qu’ils arboraient de façon reconnaissable et qui tranchait avec l’ordinaire du temps.

Concluant ainsi son mémoire, M. de Fumel de Fumel réclame de l’autorité de M. de Monclan l’envoi d’une compagnie de cavaliers ou de dragons « pour contenir la mutinerie de queelques étourdis, et le désarmement de la population de Lavelanet toute entière :

« Je voudrais éviter à toutes ces familles des procès ruineux pour elles et pour moi. La plupart [des fauteurs de trouble] sont décrétés de prise de corps, et si je donne suite à ces procédures, ils risquent non seulement d’être ruinés, mais encore flétris ; c’est pour ne pas en arriver à cette extrémité que j’ai recours à votre autorité, Monsieur, pour faire quelques exemples de sévérité contre les plus mutins de ces jeunes gens, exemples suivis d’un désarmement général qui ferait cesser tous les désordres et remettrait la sûreté et la tranquillité dans ce canton. »

M. de Simorre confirme, de son côté, « qu’une compagnie de cavalerie ou de dragons trouverait à Lavelanet assez de foin et des écuries pour y faire subsister ses chevaux. »

2. Quelques « libertins »

Le dossier 1J379 fournit encore quelques autres noms de ces « libertins », qui sévissent à Lavelanet, mais aussi à Mirepoix, la Bastide de Bousignac, Camon, Lapenne, Coussa, Bélesta, etc.

2.1. À Camon,

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Le 30 juillet 1746, Jean Demailhos, écuyer, commandant la brigade de maréchaussée de Chalabre, se transporte au lieu de Camon avec les cavaliers François Morel, Pierre Amat et Jean Sanegre, suivant l’ordre de Monseigneur de Ladevèze, lieutenant général des armées du roi, commandant du Languedoc, afin d’arrêter les nommés Pierre Serrus, fils d’autre Pierre, dit Lauverny ; François Serrus, fils de Barthélémy, dit Sardouille ; Jean Mort, fils de Pierre, cardeur ; Valentin More, fils de Joseph, maréchal ; Jacques Roques, dit le Lorrain ; et Guillaume Gaspart, dit Tremesaigues ; tous paysans de Camon, qui fréquentent habituellement les cabarets 6En avril 1800, poursuivi par une compagnie de chasseurs venue de Mirepoix, le bandit Guillaume Sibra, dit Jean Dabail, trouvera refuge dans un cabaret de Camon, où il prendra le temps de boire un verre avec quelques autres mauvais sujets de sa connaissance, et la population du village se liguera ensuite toute entière pour empêcher, avec succès, son arrestation. Cf. Christine Belcikowski. Les chemins de Jean d’Abail ou la dissidence d’un fils du petit peuple de Mirepoix au temps de la Révolution française. Editions L’Harmattan. 2014., qui sortent de là toutes les nuits et qui ravagent, surtout pendant le temps de la récolte, les jardins, vignes et vergers des particuliers, et enlèvent les gerbes et autres grains, le foin et légumes ; et, dès être arrêtés, de les faire conduire aux prisons seigneuriales dudit Camon ou autres qui sont des plus voisines, à savoir Lagarde et Mirepoix, pour y être reçus et gardés pendant six jours, après lequel temps, ils pourront être mis en liberté, ayant préalablement payé tous les frais de la maréchaussée pour leur capture.

Dans la nuit du onze au douze juillet, ces quelques libertins ont causé les désordres suivants :

« Il n’est pas possible, Monseigneur, de vous détailler le dégât qu’ils ont fait aux Révérends Pères Bénédictins. Ces scélérats sont à même de continuer à détruire la petite rivière de Camon, seule ressource pour les religieux.

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On vit escaladées les murailles du jardin des Révérends Pères, et entièrement détruits et ravagés les parterres que nous avons vus ci-devant ornés de fleurs et d’arbustes ; les plantes rares et de toute espèce, rien ne fut épargné ; nous vîmes les portes et les plates-bandes desdits parterres renversées et mises en pièces, et les serrures violées et emportées. Déclare de plus, moi Taberne, consul de Camon, ayant été requis le lendemain du fait, par des religieux, pour faire des recherches et découvrir quelque trace du vol, je me serais transporté avec le syndic dans plusieurs maisons de Camon, où nous aurions trouvé plusieurs pieds de fleurs que les enfants y avaient portés, et hors d’état d’être transplantés, par la précaution qu’on avait prise de les hacher. Déclare pareillement avoir trouvé beaucoup de ces fleurs dans les rues et dans les chemins qui conduisent à la rivière de l’Hers, où l’on jeta la plus grande partie, qui furent ensuite trouvées par les pêcheurs et autres passants. »

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Le « genre de vie » des « scélérats » qui ont commis ce saccage est « à enlever ce qu’il y a de plus rare aux jardins et aux vignes des particuliers. Votre autorité, Monseigneur, est le seul remède, en renouvelant vos ordre touchant la pêche et les vols des raisins qui se font tous les ans aux vignes : les raisins sont portés à vendre à la ville de Chalabre ou à celle de Mirepoix… »

2.2. À Lavelanet, François Laprotte

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Dès 1752, M. Charly 7François Xavier Charly (1706-1790), procureur du roi à Pamiers., alors subdélégué de l’intendant du Languedoc, rapporte au marquis de Mirepoix que tout le villages de Lavelanet est « tourmenté par quatre libertins nommés [La]Protte, [L]Acube, Fay et Lanta. »

En 1758, François Laprotte, frère aîné du « libertin » signalé en 1752 par M. Charly, fait à grands éclats procès à Marie Salva, sa mère, veuve, au motif que celle-ci envisagerait de se remarier, auquel cas, selon lui, ce mariage « déshonorerait » leur famille. Ces éclats lui valent d’être arrêté et emprisonné. François Laprotte se signale à cette occasion par des faits de rébellion. M. de Simorre parle ici d’un « furieux ».

Le procès que François Laprotte fait à Marie Salva, sa mère, résulte de la succession de Jean Laprotte, son père, marchand, décédé en 1749. Marie Salva s’en explique dans une longue lettre, datée du 5 juillet 1759 et adressée à M. de Moncan 8Jean Baptiste de Marin, comte de Moncan (?-1779), lieutenant général des armées du roi, grand-croix de l’ordre militaire de Saint Louis, gouverneur militaire du Languedoc. Il a commandé en 1764 les battues organisées pour chasser la bête du Gévaudan..

« Voici le fait, Monseigneur,

Par le testament clos de feu Jean Laprotte, mon mari, du 24 septembre 1749, je fus instituée héritière de tous ses biens, à la charge de les rendre à tel des enfants mâles provenus de notre mariage, que j’en jugerais le plus digne d’y succéder.

Peu de temps après cette disposition, mon mari mourut, laissant quatre garçons et trois filles, tous pupilles, à l’exception de François Laprotte, qui est l’aîné.

Indépendamment de cette nombreuse famille, la succession se trouvait d’autre côté chargée de dettes, que j’ai payées pendant le temps que j’ai régi les affaires de la maison, soit par l’économie que j’ai observée à l’égard des dépenses, soit par les gains que j’ai pu faire sur un fonds de boutique en draperie, que j’établis dès après la mort de mon mari.

Quoique François Laprotte, mon fils aîné, m’eut donné tout lieu de mécontentement, par sa mauvaise conduite et ses débordements effrénés, qui avaient déjà donné lieu à une arrestation émanée de Monseigneur, votre prédécesseur [M. de La Devèze 9Pierre Paul de Clerc, marquis de Ladevèze (1667-1748), lieutenant général des armées du roi, commandant du Languedoc ; marié le 6 mars 1697 à Saint-Pons-de-Thomières avec Magdeleine de Portes de Pardaillan, fille de Jean François de Portes de Pardaillan et de Marie de Guibbal], et à cinq ou six procédures criminelles pour fait de perturbation, vol de fruits dans les jardins, menaces contre les supérieurs ou battements, j’eus la faiblesse de le soustraire à tous les châtiments qu’il avait mérités, et d’espérer qu’un mariage pourrait mettre un frein à ses désordres.

Cette espérance, quoique mal fondée, me fit consentir au mariage forcé de mon fils avec demoiselle Hélène Raynal, et encore à lui restituer le fidéicommis pour certaines réservations, quoique cette restitution ne fût requise qu’au temps de mon décès.

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Peu de temps après ce mariage, j’eus le chagrin de me voir maltraitée de mon fils, par les injures les plus atroces contre mon honneur, même par des coups de pied, coups de poing, et d’autres instruments qu’il trouvait à la portée. Et enfin, dans le mois de juillet de l’année 1757, ledit François Laprotte, mon fils, eut la cruauté et l’audace de me chasser de la maison avec Anne Laprotte, ma fille, nous menaçant à l’une et à l’autre avec des armes à feu, qui heureusement n’étaient pas chargées.

Quelques temps après cette fuite forcée, ayant réfléchi sur les avantages que je pouvais faire à quelqu’un de mes autres enfants, eu égard à ma constitution, augment ou biens paraphernaux ; il me fit solliciter de revenir chez lui, à quoi je consentis, sur les promesses réitérées qu’il me fit d’avoir de bons égards pour moi à l’avenir.

Sur ses artificieuses promesses étant rentrée dans la maison, j’eus de nouveau le désagrément d’être sollicitée même par des menaces plus vives à lui faire donation d’une partie de mes droits. Mais le souvenir de la récompense qu’il avait appliquée à mes premiers bienfaits m’ayant déterminée à ne pas condescendre à de pareilles instigations, il redoubla encore ses tyrannies, au point de me déjeter de nouveau de la maison, ainsi qu’à ladite Anne, ma fille, par des traitements moins supportables que ceux dont il avait usé ci-devant ; ne nous laissant pour toute provision que les seuls habits dont nous étions vêtues.

Et maintenant qu’il ne peut plus user librement des mêmes violences, il ne se contente pas de me voir mendier mon pain, que me voyant sans doute à regret jouir de la vie, il a tenté une infinité de fois pendant la nuit de venir avec une troupe de gens à lui dévoués investir et assiéger à grands coups de pierres la maison où j’ai été forcée de me retirer, au point d’en abattre les fenêtres.

Voilà, Monseigneur, le raccourci de l’état pitoyable où je me vois réduite depuis l’époque que j’ai eu l’honneur de vous retracer et qui atteindra bientôt la deuxième année ; obligée de réclamer des personnes bienfaisantes, de quoi fournir à ma subsistance et à celle de deux de mes fille qui sont auprès de moi ; hors d’état de recourir à la justice ordinaire par le manque de fonds nécessaire pour fournir aux frais que la procédure entraîne : la seule ressource qui me restait sur les lieux était d’intéresser M. l’Évêque de Mirepoix pour qu’il me fît rendre justice, lequel après s’être informé des faits et de mes prétentions, a bien voulu faire des représentations et des propositions à mon fils, mais qui ont été rejetées avec mépris.

Je ne rapporterai pas ici bien d’autres faits semblables à ceux dont j’ai déjà fait le portrait. Ce n’est pas non plus pour réclamer une punition contre mon fils que j’ai dressé une semblable plainte. La nature et le sang ne sauraient me donner assez de liberté. C’est donc, Monseigneur, pour chercher un moyen prompt et efficace à me procurer des droits qui me sont si justement acquis ; et me dérober à l’état de misère où les vexations de mon fils m’ont plongée. »

M. de Simorre, qui succède en 1758 à M. Charly dans la charge de subdélégué de l’Intendant du Languedoc, se trouve instruit de « la mauvaise conduite et des débordements effrénés de François Laprotte qui ont déjà donné lieu en 1752 à une plainte du comte de Fumel, en 1758 à l’arrestation du jeune homme en raison du défaut de paiement de la pension qu’il doit à sa mère, et à cinq ou six procédures criminelles pour fait de perturbation, vol de fruits dans les jardins, menaces contre les supérieurs ou battements ». M. de Simorre se trouve également instruit du placet que François Laprotte, depuis sa prison, entend adresser à M. de Moncan, et encore des consultations que le même François Laprotte a engagées auprès d’un avocat toulousain.

Pour plus de certitude sur l’affaire, M. de Simorre prend soin d’effectuer une enquête de moralité concernant Marie Salva.

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« Nous, conseillers et principaux habitants de la communauté de Lavelanet soussignés, attestons à tous ceux qu’il appartiendra comme la demoiselle Marie Salva, veuve du sieur Jean Laprotte, habitante de ce lieu, s’est toujours comportée, et notamment depuis son veuvage, en honnête femme, et que qui que ce soit ne peut attaquer son honneur par aucun genre de reproches. »

Au terme de cette enquête de moralité, M. de Simorre formule à l’intention de M. de Moncan les observations suivantes :

« J’ai vérifié que la plainte qu’il [François Laprotte] porte contre sa mère, de vouloir faire un mariage qui déshonore sa famille, est une pure calomnie, suivant le témoignage que m’ont rendu les principaux habitants de Lavelanet, par un certificat, par eux signé du 20 du même mois de novembre, que je joins ici. J’y joins encore le placet que ce jeune homme vous a fait présenter. J’ai différé à vous l’envoyer, dans l’espérance où j’étais qu’il ferait raison à sa mère, ainsi qu’il avait déclaré vouloir le faire. Mais j’ai lieu de croire qu’il persiste toujours dans sa mauvaise volonté puisqu’il n’en a rien fait, et que la pension alimentaire n’est pas au-delà de la portée de son bien.

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Il [François Laprotte] avoue dans le placet qu’il s’est avisé de refuser à sa mère la pension qu’elle s’était réservée en lui remettant la succession de son père. C’est cependant la seule ressource qui reste à cette mère pour subsister. Il y a trois ans qu’elle en est privée et qu’elle et ses filles vivent de la charité de l’évêque. Il expose dans le même placet que, suivant les consultations de plusieurs fameux avocats du parlement de Toulouse, il est fondé à refuser à sa mère cette pension, et de demander qu’elle lui rende compte de plusieurs effets, en raison de quoi il plaide la justice réglée.

« J’ai vérifié qu’il [François Laprotte] a eu une consultation de Maître Désirat, fameux avocat du Parlement de Toulouse. Elle est en date du 19 mars dernier, elle porte expressément qu’à la faveur des prétentions de ce jeune homme, il ne peut pas empêcher sa mère de jouir des réserves qu’elle a faites en lui restituant le fidéicommis, parce qu’elle était en droit de jouir de l’entière hérédité de son mari, et la mère ne demande pas mieux que de s’en tenir à la décision de l’avocat, ou de quelque autre.

Il [François Laprotte] ajoute à la fin de son placet qu’il est las de la justice réglée au sujet des contestations qu’il a avec sa mère, mais j’ai vérifié que la justice ordinaire l’ayant condamné à une provision alimentaire de 90 livres, il a nouvellement refusé de la payer, mais encore fait rébellion le 25 novembre 1758, ainsi que j’ai eu l’honneur de vous l’observer dans ma lettre du 4 septembre dernier.

L’aveu qu’il [François Laprotte] fait de devoir à sa mère cette pension alimentaire, sous le refus de la payer et la rébellion qu’il a faite à l’exécution des ordres de justice, me déterminent à croire qu’il doit être de votre bon plaisir de déclarer qu’il n’y a pas lieu d’accorder à François Laprotte l’élargissement qu’il demande, mais plutôt de le recommander au commandant des prisons de la Cité de l’empêcher de vaguer dans la ville et de le tenir plus resserré, jusqu’à ce qu’il ait fait payer à sa mère les arrérages de cette pension alimentaire, qui étant liquide et avouée, ne peut souffrir quelque compensation avec les exceptions vagues qu’il oppose.

Le 25 octobre 1759, un certificat de M. Lapalme, commandant des prisons de Carcassonne, confirme que François Laprotte a été conduit derechef auxdites prisons par une brigade de la maréchaussée de Chalabre.

2.3. Rigaud Rouvairollis, de Mirepoix

En 1761, l’un des onze fils de Jean Rouvairollis de Rigaud et de Marie de Prochite 10Cf. À Paris, Chartres, Nancy, Givet, Landreville, etc. Histoire à énigme de Louis Rouvairolis de Rigault et des siens ; À Mirepoix. Essai de généalogie de la famille Rouvairollis. 1. De François et Jean Rouvairollis à Jean Clément de Rouvairollis., fils dont le prénom n’est pas indiqué, doit être enfermé au fort Brescou « pour s’être mal conduit avec ses parents ». On se souviendra à cette occasion qu’entre 1728 et 1732, Joseph et Jean Rouvairollis de Rigaud, fils également d’autre Jean Rouvairollis et d’Anne Niort, se trouvaient déjà poursuivis pour s’être mal conduits dans Mirepoix et chez Dominique Malroc, marchand de fer sous le Grand Couvert 11Cf. Christine Belcikowski. Suites tragi-comiques d’un soufflet donné sur la place de Mirepoix le 17 juin 1728.. La nature des faits qu’on lui reproche n’est pas indiquée non plus. Le 2 janvier 1765, sur ordre M. de Beauvau, commandant en chef du Languedoc, « Rigaud Rouvairollis » sera transféré à la citadelle de Carcassonne. On ignore quand il a été libéré et ce qu’il a pu devenir.

2.4. À Bélesta, Paul Baylé

En 1764, les habitants, le curé et le duc d’Estissac, seigneur de Bélesta, déposent plainte contre Paul Baylé, ex-milicien du bataillon de Carcassonne, alors chirurgien de Bélesta, pour port d’armes, violences, coups et blessures.

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M. de Simorre mène l’enquête : On m’a certifié que tous les faits sont vrais, et du mauvais usage qu’a fait Baylé, dans plusieurs occasions, de son fusil, des pistolets de poche et d’arçon, dont il est muni et dont il fait parade, malgré la défense du port d’armes. Baylé m’a été dépeint comme un homme des plus audacieux, sans mœurs, sans religion, devenant par là odieux aux honnêtes gens, et à charge à sa femme et à ses deux filles, qu’il a à Bélesta. »

Enquête faite, M. de Simorre préconise auprès de M. de Monclan l’incarcération de Paul Baylé à Bélesta plutôt qu’ailleurs :

« Il me paraît convenable, pour la tranquillité publique, et même s’il était corrigible, pour son propre intérêt et celui de sa famille, qu’il vous plût ordonner aux cavaliers de la maréchaussée de mon département, d’arrêter cet homme, de le conduire dans les prisons de Bélesta, pour y être détenu jusqu’à nouvel ordre, et de lui saisir les armes qui se trouveront dans sa maison.

Je suis instruit que M. le duc d’Estissac, qui ne désire que la tranquillité de ses habitants, et plutôt la conversion de Baylé que sa perte, serait plus satisfait que cet homme soit détenu, de votre autorité, dans les prisons de Bélesta plutôt que partout ailleurs, pour contenir par cet exemple les autres habitants de ses terres, et pour la salutaire correction de celui-ci. »

2.5. À Lapenne et à Coussa, Mathieu Sicre Lasbaysses et ses cousins

De 1765 à 1768, François Antoine Auguste de Portes de Pardailhan, marquis de Portes (Manses), se plaint régulièrement de « Lasbaysses, bourgeois », possédant une métairie à Lapenne, qui se prétend gentilhomme et qui va le plus souvent armé, bien que sa condition ne l’y autorise pas.

Les documents ne mentionnent pas le prénom du Lasbaysses en question, mais la référence à la métairie de Lapenne suffit à indiquer qu’il s’agit de Barthélémy Sicre Lasbaysses, originaire de Coussa, arrière-petit-fils de Noble Manaud de Traversier. Cf. Christine Belcikowski. A propos de Coussa. 3. De la famille Traversier à la famille Sicre Lasbaysses, puis à la famille Lasbaysses de Traversier.

Mort à Coussa en 1646, Manaud de Traversier descendait peut-être, sur le mode bâtard, des Traversier de Niaux, marchands de fer ennoblis au XVIe siècle par le comte de Foix. Sa titulature noble ne sera pas confirmée en 1699, lors de l’enquête menée sur ordre du roi Louis XIV par Claude Bazin de Bezons. Peut-être fils de Noble Paul de Traversier, capitaine, sieur de Ludiès, et de Damoiselle Charlotte de la Maison ; d’où, en vertu de l’usage in infinitum ordine primogeniturae du titre « Noble », frère aîné de Pierre Traversier, « recepveur » des tailles à Mirepoix, Manaud de Traversier a été père d’un fils, sans descendance connue, et de trois filles, dont l’une, Magdeleine Traversier, épouse en 1636 Antoine Sicre, dit Sicre Lasbaysses, — du nom d’une pièce de terre que celui-ci tient à Nalzen.

Antoine Sicre Lasbaysses, leur fils aîné, épouse circa 1680 Françoise Barrié, et, né en 1687 de ce mariage, Mathieu Sicre Lasbaysses s’installe à Lapenne avec Marie Thérèse Villevert de Chantillot, son épouse. Il y tient la métairie nommée Castille, au hameau de Broques, et il y meurt en 1745. Dans une cause de 1786, Demoiselles Madeleine et Marguerite Sicre de Lasbaysses, filles de Mathieu Sicre de Lasbaysses, plaideront contre Noble Barthélémy Sicre de Lasbaysses, leur frère, habitant de la métairie de Castille, dans la paroisse de Lapenne 12Jean-Lucien Orliac, Félix Pasquier. Inventaire sommaire des Archives départementales antérieures à 1790. Série B. Sénéchaussée de Pamiers. Page 342.. C’est ce « Noble Barthélémy Sicre de Lasbaysses » dont se plaint le marquis de Portes.

Entiché de sa noblesse prétendue, « tête légère » observe M. de Simorre, Barthélémy Sicre Lasbaysses se distingue en 1768 par un comportement arrogant et querelleur. Non loin de la métairie de Broques, dans le même temps, le marquis de Portes fait creuser un canal d’amenée nécessaire au bon fonctionnement de son moulin.

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« Il [Barthélémy Sicre Lasbaysses] menaçait, sans avoir alors des armes, que si l’on touchait sur son bien, à l’occasion du canal, qu’il crut devoir passer sur son bien, il s’opposa au travail qu’on faisait sur le fonds d’autrui avant même qu’on ne fût venu au sien. Il maltraita d’un coup de bêche un des ouvriers qui y travaillaient, en disant que « Si j’avais mon fusil et ma baïonnette, je ferais un meurtre. »

Le marquis de Portes alors se renseigne : « J’ai appris que le sieur Lasbaysses n’est pas gentilhomme, il n’est pas par conséquent en droit de porter des armes ; on m’a dit qu’on l’a vu assez souvent l’épée au côté, et avoir des pistolets d’arçon quand il va à cheval. Ce privilège uniquement alloué à la noblesse ne peut avoir lieu en faveur d’un bourgeois. Le commandant du pays de Foix, par ailleurs, l’a cassé de son emploi d’enseigne des milices bourgeoises du comté de Foix. Cet homme, en outre, est réputé très dangereux dans le pays ». Le marquis réclame par suite à M. de Moncan qu’on procède au désarmement du sieur Lasbaysses.

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M. de Simorre formule à l’intention de M. de Moncan un avis favorable à la requête du marquis de Portes. « Je serais d’avis qu’il n’y a nul inconvénient de lui faire faire de pareilles défenses, de votre autorité, par un cavalier de la maréchaussée, pour qu’il ne s’avise plus de porter des armes dans votre département, ainsi que M. de Portes vous le demande. C’est un jeune homme à tête légère. Cette défense pourrait le contenir et lui devenir salutaire. »

En 1768 toujours, M. de Lasrives 13Jean Joseph de Lafille, seigneur de Lasrives, coseigneur de Vals., garde du corps du roi, dénonce au même comte de Moncan les agissements d’Antoine Sicre Lasbaysses et de Jean Traversier, domiciliés tous deux à Coussa, « frères, dit-il, de Barthélémy Sicre Lasbaysses ». Il se trompe cependant sur la nature du lien de parenté que les deux frères entretiennent avec Barthélémy Sicre Lasbaysses de Lapenne. Fils de Guillaume Sicre Lasbaysses et de Marie Flouret, lesdits Antoine Sicre Lasbaysses et Jean Traversier sont cousins germains dudit Barthélémy Sicre Lasbaysses. Ils n’en nourrissent pas moins la même prétention nobiliaire et le même comportement arrogant et querelleur.

« Ce sont des braconniers de profession qui, sans égard pour le temps prohibé et les possessions des seigneurs limitrophes, dévastent les campagnes et les récoltes », déclare M. de Lasrives. M. de Simorre hésite toutefois à les faire désarmer. De façon quelque peu embrouillée, il s’en explique ici auprès de M. de Monclan :

« J’ai lieu de croire M. de Lasrives mal instruit, en ce qu’il expose que « les deux frères sont braconniers de profession, qui sans égard au temps prohibé dévastent les campagnes ». Il aurait pu se borner à dire, sans risque, d’être contredit, que ces deux frères, sans être d’une qualité qui leur donne le port d’armes, ont chassé avec fusil et chien dans une de leurs métairies – qu’ils font valoir entourée de beaucoup de bois -, et peut-être ailleurs, par la tolérance de M. de Mirepoix, tant par rapport à leur état de principaux bourgeois du marquisat, qui se piquent de vivre noblement, que par la faculté de détruire les loups et les renards et autres bêtes plus nuisibles au gibier ; que la chasse qu’on leur a tolérée ainsi qu’à leur père qui, âgé de 85 ans, a deux autres fils, l’un avocat au parlement de Toulouse où il fait sa profession, et l’autre dans la cléricature, résidant à la ville de Pamiers.

Pour ce motif, et pour obéir aux ordres de votre Altesse, en ce qu’elle me demande mon avis ; j’estime qu’il doit être de son bon plaisir d’épargner à cette famille le désagrément d’être désarmés par la voie de la maréchaussée et de laisser les choses en l’état ; si mieux n’aime votre Altesse qu’il leur soit fait par son ordre, et de ma part, une monition en défense de chasser ». Au cours de l’année 1768, les deux frères Sicre Lasbaysses Traversier viennent de leur plein gré remettre – temporairement ? – leurs fusils aux autorités.

Datée de juillet 1780, une lettre adressé par M. de Lasset à M. de Périgord 14Gabriel Marie de Talleyrand (1726-1795), comte de Périgord, successeur en 1771 de M. de Moncan dans la charge de commandant en chef en Languedoc. Gabriel Marie de Talleyrand est par ailleurs l’oncle de Charles Maurice de Talleyrand Périgord, dit Talleyrand, dont on sait la carrière politique exceptionnelle. indique que « le sieur de Lasbaysses [Barthélémy Sicre Lasbaysses], écuyer, résident de Lapenne près de Mirepoix, se plaint des vexations essuyées journellement de la part des habitants du hameau de Broques » 15Ce conflit ne laisse pas d’évoquer par avance celui qui se développera entre la famille de Portes et le village de Portes [Manses] à partir de 1832, date à laquelle, suite à une procédure engagée le 21 avril 1821 par les maires de Lapenne, Saint Félix de Tournegat, Manses et Villautou, à propos du droit d’usage de la forêt de Bélène, la Cour d’appel de Toulouse se prononce en faveur des héritiers du marquis de Portes. Cf. Émile Kapfer. Histoire des marquis de Portes en Ariège.. « Je vais prendre, au regard », dit M. de Lasset, « tous les éclaircissements nécessaire pour remettre en état d’infliger aux coupables, s’il y a lieu, la punition qu’ils se trouveront avoir méritée ».

2.6. Aux Pujols, Pieril Letourneur, dit Boisard

À la fin de l’année 1768, sur ordre de M. de Moncan, reçu de Fontainebleau le 11 octobre 1767, M. de Simorre « donne l’ordre que le premier prévôt, sur ce requis, fasse fouiller en présence d’un consul du lieu, dans la maison d’un nommé Pieril, dit Boisard, fils de feu Letourneur, de la Barraque, paroisse des Pujols, pour qu’il lui enlève les armes qui pourront s’y trouver et lui faire payer l’amende de 10 écus (cours légal). »

Quelques mois plus tard, suite à un second ordre de perquisition à l’endroit dudit Boisard, M. de Simorre plaide la suspension des poursuites :

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« Cet ordre fut signifié au susdit Boisard par un cavalier de la maréchaussée dès le 28 du même mois, et l’amende de 10 écus fut payée par la veuve Letourneur, mère du susdit, en l’absence de son fils, quoiqu’on n’y trouva point d’armes. Je crois que votre Altesse agréera que j’aie suspendu l’exécution du second ordre qu’elle m’adressa à mêmes fins contre le même en date du 17 du mois passé, sur des avis certains que j’ai eus que ce jeune homme est occupé habituellement à faire valoir son bien ; c’est par ordre des gens d’affaires de M. le marquis de Mirepoix, seigneur d’Espujols, ou à la prière d’autres gentilshommes voisins, pour leur aide, dans l’occasion, à prendre quelque pièce de gibier, et par la certitude où je suis que, si cet homme avait fait un aussi mauvais usage de ses armes, M. de Mirepoix, qui n’est pas le plus endurant des seigneurs des terres, aurait eu le soin de le déprimer. »

2.7. À la Bastide de Bousignac, François Carrogis cadet

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Le 30 juillet 1772, Maître Damase Leuillet, curé de la Bastide de Bousignac, et Barthélémy Piles, consul dudit lieu, « témoins oculaires des mauvais traitements et procédés que le nommé François Carrogis cadet, âgé de trente ans, fils de Raymond Carrogis, ménager du lieu de la Bastide, a commis depuis quelque temps dans ce lieu, et nuitamment dans la maison de sondit père, certifient et attestent que la conduite dudit Carrogis, fils cadet, est contraire à la nature, à la religion et à la paix, et qu’à moins qu’il ne soit imbécile, elle mérite un frein pressant pour arrêter les voies de fait que ce fils ingrat a exercées et pourrait exercer contre son père, frère et autres parents, qui nous ont requis de leur délivrer le présent [témoignage]. »

Dans le même temps, Raymond Carrogis, père du « mauvais sujet », s’adresse à M. de Moncan. Il sollicite de son Altesse « une protection contre un fils nommé François Carrogis cadet, âgé de trente ans, qui ne cesse de le menacer et qui l’a même battu ; et comme il a tout à craindre pour ses jours et qu’il voudrait éviter à sa famille et à lui la rigueur de la justice, il a l’honneur de vous supplier de lui accorder un ordre pour le conduire dans le château de Carcassonne pendant quelque temps, où il puisse revenir de ses grandes fautes. »

On suppose que François Carrogis cadet a été conduit dans le château de Carcassonne. Le dossier 1J379 ne fournit aucun autre renseignement relatif à cette affaire.

2.8. À Lavelanet, François Clauzel

En 1772, Clauzel père, marchand à Lavelanet, adresse à M. de Moncan un placet relatif à la mauvaise conduite de François Clauzel, son fils cadet :

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« Monseigneur,
Les différents traits de libertinage que François Clauzel, mon fils cadet, âgé d’environ dix-neuf ans, exerce au mépris de l’éducation que je me suis efforcé de lui donner, de mes représentations et corrections souvent réitérées, m’obligent à secouer le joug de la tendresse paternelle et à supplier votre Grandeur de m’accorder un de vos ordres pour faire enfermer ce fils indocile dans la tour de la cité de Carcassonne, où j’offre de le faire conduire et de lui payer sa pension afin de le ramener s’il est possible au devoir d’un homme digne de la société, du moins incapable de la troubler par des désordres qu’il peut commettre, s’étant lié malgré mes défenses à de mauvais sujets qui sont publiquement reconnus pour des malfaiteurs. En attendant cette grâce de votre Grandeur… »

Conformément à la procédure, M. de Moncan renvoie ce placet à M. de Simorre, pour avis. En réponse à M. de Moncan, M. de Simorre formule l’avis suivant :

« J’ai notifié que les faits exposés dans ce placet sont vrais, et que ce fils a des fréquentations avec des gens mal famés, dont le nombre est trop fréquent dans ce bourg de Lavelanet, et qu’entre plusieurs incartades que ce même fils avait fait à son père, avant son placet ; il a été vérifié que du depuis, il a tenté d’enfoncer, avec effraction, une fenêtre vitrée et fermée avec des barres de fer, au bas de la chaussée, où il tenait son père l’argent de son commerce, que sur le bruit qu’il fit, son père, et ses voisins y étant accourus, il fut surpris et arrêté, avant qu’il n’eût achevé de forcer les barres de fer dont cette fenêtre était munie. Moyennant ce, je suis d’avis, Monsieur, que, vu qu’il ne s’agit que d’une correction paternelle, il doit être de votre bon plaisir d’accueillir favorablement les fins du placet qui nous sont demandées, sur l’offre que fait ce père de payer les frais de la conduite et de l’entretien de son fils. »

2.9. À Camon. Étienne Pibouleau, dit Fougax

En 1782, les consuls de la communauté de Camon et le procureur juridictionnel des oridnaires du prieuré de Camon signalent à M. de Périgord le cas d’Étienne Pibouleau, dit Fougax, originaire du lieu de Fougax, boucher, habitant de Camon, qui mène « une vie des plus désordonnées et des plus scandaleuses à tous égard » et qui fut décrété de prise de corps le 5 septembre de la même année. Revenu peu de temps après, loin de mettre un frein à ses débauches, Étienne Pibouleau « attaque à tort et à travers tous les habitants de cette contrée. Outre, ledit Pibouleau est marié, et vit publiquement avec deux femmes non mariées qu’il a débauchées et auxquelles il a fait plusieurs enfants. »

« Sur les représentations qui lui ont été faites en différents temps en raison dudit scandale par les exposants [les consuls de Camon] ou par Maître Isarn, religieux bénédictin, seigneur dudit Camon, toute sa réponse n’a été que de dire qu’il était son maître, qu’il n’était obligé de rendre compte à personne, et il les a menacés de les battre, ou de coups de couteau. »

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Qualifiant cet homme qui fait « menaces à tout un chacun de les tuer », de « scandaleux sujet, homme vagabond et sans aveu, perturbateur du repos public, capable de toutes mauvaises actions, menant une vie débordée, entretenant toujours son commerce incestueux », les consuls de Camon supplient M. de Périgord de bien vouloir « délivrer la communauté de ce mauvais sujet, qui n’est qu’une occasion de scandale et de trouble, ou du moins de lui interdire pour toujours l’entrée dans le lieu et juridiction de Camon, où il n’a qu’une petite portion de maison misérable. »

2.10. Aux Pujols. Régis Teulié

Dans un placet adressé à M. de Périgord, Jean Teulié, de la métairie de Couchart, juridiction des Pujols, « réclame le secours de l’autorité contre Régis, son fils, qu’il accuse de l’avoir frappé et de le menacer journellement d’attenter à ses jours. »

M. de Périgord renvoie ce placet à M. Charly 16Jean Baptiste François Etienne Charly (1748-1813), fils de François Xavier Charly. Il sera nommé conseiller à la Cour impériale de Toulouse après 1800., pour avis. Le 24 octobre 1782, M. Charly adresse à M. de Périgord l’avis suivant :

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« Il paraît que ce fils dénaturé a déjà été puni par la prison à la réquisition du procureur du roi, de Pamiers, et que le père, n’ayant pas eu les moyens de l’y retenir, désirerait qu’on l’expatriât. Il faudrait pour cela des ordres du roi, dont l’exécution nécessiterait des frais de capture, de conduite, de nourriture et détention. »

2.11. À Saint-Amadou. Gens de cette contrée, qui sont dans l’usage de porter des armes, sans en avoir le droit

En 1783, une lettre du comte de Montlezun 17Philibert Antoine de Montlezun (1707-1790), comte de Montlezun, baron de Belpech, seigneur de Pailhès et de Madière, qui, le 23 août 1762, a cédé à Henry Joseph de Lafage la seigneurie de Pailhès et Madière contre celle de Saint-Amadou. Cf. Christine Belcikowski. La famille de Lafage et les seigneuries de Saint-Amadou, Saint-Martin d’Oydes, Pailhès. et un procès verbal des consuls de Saint-Amadou signalent à M. de Périgord que « des gens de la contrée sont d’usage de porter des armes sans en avoir le droit. »

M. de Périgord prie M. Charly de vouloir bien s’informer de ces gens et de dresser un état contenant leurs noms, surnoms, professions et demeures ; et observant d’y désigner par une marque particulière +, ceux qui sont mal famés et accoutumés à abuser du port d’armes. »

2.12. À Mirepoix. Tailleurs de pierre et artisans locaux

En avril 1783, M. de Lasset, maire de Mirepoix, M. Amiel, lieutenant du maire, et M. Malot, consul de Mirepoix, rapportent à M. de Périgord les désordres qui accompagnent la construction du pont sur l’Hers, et, pour réduire de tels désordres, ils réclament le secours de la force armée. Le 21 avril 1783, M. Charly reçoit pour avis copie de leur supplique :

Monsieur,

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« Il y a environ six ans qu’on travaille ici à la construction d’un pont en pierre de taille à sept arches, et il y en a encore pour autres six ans avant que cette entreprise prenne fin : de manière que l’immensité de cet ouvrage a attiré et attirera nécessairement beaucoup de tailleurs de pierre ici, qui sont ordinairement au nombre de quarante. Il est arrivé que ces ouvriers, jaloux de leur nom de compagnons et de certains droits attachés au compagnonnage, ont cherché plusieurs fois dispute à nos artisans, au point d’avoir des batailles meurtrières et sanglantes, employant des couteaux, des compas, des bâtons, etc. »

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L’antipathie qui règne entre deux classes de gens, les malheurs qui sont arrivés et ceux qui arriveront infailliblement à l’avenir, tout cela nous met dans le cas de nous précautionner et de nous procurer une force que nous n’avons pas eue jusqu’à présent : c’est-à-dire, nous assurer d’une main-forte capable d’arrêter et contenir des hommes furieux et attroupés. Quel malheur pour nous qu’en nous intéressant pour l’humanité et pour le bon ordre, nous courrions le danger de compromettre nos vies et nos charges !

Frappés par l’exemple, et voulant prévenir les suites des malheurs déjà arrivés […], nous venons vous supplier, Monsieur, d’avoir la bonté de donner de tels ordres que vous jugerez convenables, par la voie de votre subdélégué, afin que par une partie de votre autorité, nous puissions nous procurer toutes les fois que le cas le requerra une main-forte suffisante, et lever par là la difficulté de bien exercer nos fonctions dans les circonstances qui le méritent le plus. »

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M. Charly fait savoir à M. de Périgord qu’il valide, moyennant certaines restrictions relatives à l’emploi permanent des cavaliers, la supplique des consuls de Mirepoix :

« Il est très sûr que certaines disputes sont souvent trop fortes et trop nombreuses pour que les consuls, accompagnés seulement de leurs valets de ville, puissent parvenir à les apaiser, et que dans ces circonstances les cavaliers de la maréchaussée sont nécessaires pour rétablir le bon ordre. Il est encore très vrai qu’il est difficile de faire marcher une brigade s’il n’y a point de l’argent à gagner, et il arrive souvent que les jeunes gens qui ont des querelles ne sont point dans le cas de pouvoir en fournir ; en sorte qu’il me paraîtrait que les cavaliers devraient être tenus de prêter main forte aux consuls dans les cas de nécessité, et qu’ils ne devraient pas être autant intéressés, lorsque les circonstances ne permettent point de leur procurer une forte rétribution. Toutes ces considérations me déterminent à croire qu’il doit être de votre bon plaisir, Monsieur, de permettre à MM. les consuls de Mirepoix d’appeler les cavaliers de la maréchaussée dans toutes les occasions où leur secours sera nécessaire pour apaiser le trouble qui pourrait s’élever dans la ville, ou de m’adresse les ordres nécessaires pour les faire marcher avec les consuls, après toutefois que ces derniers m’auront prévenu du besoin pressant. »

Conclusion

La lecture de ce dossier 1J379 montre que les désordres relevés entre 1740 et 1789 en Ariège sont principalement le fait de fils aînés ou cadets qui s’impatientent d’avoir à supporter le joug de l’autorité des pères ou des mères. Ceux-ci tiennent les biens, les clés, et ils ont le droit pour eux, tandis que ceux-là, qui attendent d’avoir leur tour, lequel tarde à venir, et qui aspirent à la liberté, laquelle ne vient pas davantage, se distinguent par de mauvaises conduites ou versent carrément dans la délinquance. Le rappel aux principes de la religion a perdu de son efficace. Ces fils libertins se font fort de les braver. Il en va de même concernant le rappel aux principes de l’ordre social. Bien que la noblesse jouisse seule du droit de porter des armes et de chasser, les armes pullulent, et nombre de fils de bourgeois, comme les fils Rouvairollis ou les fils Sicre Lasbaysses Traversier, usent ostensiblement de ce droit qu’ils n’ont pas. Reste donc pour tout moyen de maintenir l’ordre, le recours à la force armée et à la détention. Ce recours au demeurant ne s’exerce pas sans se heurter à des résistances ou à des rébellions caractérisées.

Les pièces réunies dans ce même dossier 1J379 fournissent un bon exemple de la procédure que nécessite tel recours à la force ; un bon exemple aussi des conditions dans lesquelles s’opère la détention. Après qu’un père de famille a réclamé au gouverneur militaire du Languedoc une lettre de cachet à fin de correction de son « fils ingrat » et promis d’assurer les frais de la détention correspondante ; ou encore après qu’un consul a sollicité l’envoi de la maréchaussée pour désarmer des « écervelés », ledit gouverneur sollicite l’avis du subdélégué, puis lui dépêche les ordres, que celui-ci se charge de faire exécuter, recourant pour cela soit aux consuls et aux valets de ville, soit à la maréchaussée, constituée d’une compagnie de cavaliers ou de dragons stationnée à Chalabre.

Deux gouverneurs militaires se succèdent en Languedoc de 1740 à 1789. Il s’agit de Jean-Baptiste de Marin, comte de Moncan, lieutenant général des armées du roi, grand-croix de l’ordre militaire de Saint Louis ; puis de Gabriel Marie de Talleyrand (1726-1795), comte de Périgord, colonel du régiment de Normandie, brigadier, maréchal de camp, lieutenant général.

Trois subdélégués se succèdent en Ariège dans le même temps : François Xavier Charly (1706-1790), procureur du roi, domicilié à Pamiers ; puis Jean de Simorre (1688-1781) de Simorre, co-seigneur de Lourde, avocat en parlement, capitoul en 1750, domicilié à Mirepoix ; puis Jean Baptiste François Etienne Charly (1748-1813), fils de François Xavier Charly. À noter que, choisis par l’Intendant parmi les personnes de confiance, souvent dans la magistrature, les subdélégués exercent leur fonction à titre bénévole, même s’ils peuvent bénéficier parfois de quelques gratifications.

Les avis rendus par M. de Simorre éclairent sa personnalité d’un jour très intéressant. L’homme fait montre de prudence et de modération dans les avis en question. Il s’attache ainsi à prévenir toute humiliation qui serait inutilement infligée aux « principaux bourgeois du marquisat », par exemple aux Sicre Lasbaysses. Il justifie éventuellement le port d’armes chez certains « manants », quand ceux-ci, comme le dénommé Pieril Letourneur, dit Boisard, sont d’honnêtes garçons, occupés habituellement à « faire valoir leur bien » et ne chassent « qu’à la prière de quelque seigneur ». Comme M. Charly plus tard aussi, il s’inquiète des moyens de fournir une réponse légale à la requête d’un père ou d’une mère qui n’aurait pas les moyens financiers de se défendre des menées d’un fils « ingrat » et violent. Il sait par ailleurs prononcer un avis très ferme, quand les circonstances le requièrent. Il se montre alors des plus pragmatiques concernant le coût de l’intervention militaire envisagée et la rémunération due aux exécutants de cette dernière. On retiendra le souvenir de cet excellent homme qui est mort à la tâche, le 31 juillet 1781, à l’âge de 93 ans.

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Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix (1779-1787). Document 1NUM4/5MI665. Vue 434.

References

References
1 Archives dép. de l’Ariège. Entrées par voie extraordinaire : pièces isolées et petit fonds. Document 1J379.
2 Joseph de Fumel (1720-1794), baron de Paulhac et de Lavelanet, seigneur de Hautes-Vignes, Passac, Haut-Brion, Margaux, lieutenant général des armées du roi, maire de Bordeaux, guillotiné le 27 juillet 1794.
3 Louis François Armand de la Rochefoucauld (1695-1783), duc de Liancourt et d’Estissac. En 1778, dans le cadre des États du Languedoc, il remettra à l’archevêque de Narbonne un mémoire recommandé par le ministre au sujet de la jonction du chemin de Mirepoix à Bélesta avec celui de Carcassonne à Mont-Louis, traversant une partie de ses forêts. Cf. États du Languedoc. Délibération du 19 novembre 1778.
4 Jean de Simorre (1688-1781), co-seigneur de Lourde, avocat en parlement, capitoul en 1750. Marié à N. Charly, sœur de François Xavier Charly.
5 Dictionnaire de l’Académie françoise. Tome I (A-L), p. 645. Chez la Veuve Jean Baptiste Coignard. Paris. 1694.
6 En avril 1800, poursuivi par une compagnie de chasseurs venue de Mirepoix, le bandit Guillaume Sibra, dit Jean Dabail, trouvera refuge dans un cabaret de Camon, où il prendra le temps de boire un verre avec quelques autres mauvais sujets de sa connaissance, et la population du village se liguera ensuite toute entière pour empêcher, avec succès, son arrestation. Cf. Christine Belcikowski. Les chemins de Jean d’Abail ou la dissidence d’un fils du petit peuple de Mirepoix au temps de la Révolution française. Editions L’Harmattan. 2014.
7 François Xavier Charly (1706-1790), procureur du roi à Pamiers.
8 Jean Baptiste de Marin, comte de Moncan (?-1779), lieutenant général des armées du roi, grand-croix de l’ordre militaire de Saint Louis, gouverneur militaire du Languedoc. Il a commandé en 1764 les battues organisées pour chasser la bête du Gévaudan.
9 Pierre Paul de Clerc, marquis de Ladevèze (1667-1748), lieutenant général des armées du roi, commandant du Languedoc ; marié le 6 mars 1697 à Saint-Pons-de-Thomières avec Magdeleine de Portes de Pardaillan, fille de Jean François de Portes de Pardaillan et de Marie de Guibbal
10 Cf. À Paris, Chartres, Nancy, Givet, Landreville, etc. Histoire à énigme de Louis Rouvairolis de Rigault et des siens ; À Mirepoix. Essai de généalogie de la famille Rouvairollis. 1. De François et Jean Rouvairollis à Jean Clément de Rouvairollis.
11 Cf. Christine Belcikowski. Suites tragi-comiques d’un soufflet donné sur la place de Mirepoix le 17 juin 1728.
12 Jean-Lucien Orliac, Félix Pasquier. Inventaire sommaire des Archives départementales antérieures à 1790. Série B. Sénéchaussée de Pamiers. Page 342.
13 Jean Joseph de Lafille, seigneur de Lasrives, coseigneur de Vals.
14 Gabriel Marie de Talleyrand (1726-1795), comte de Périgord, successeur en 1771 de M. de Moncan dans la charge de commandant en chef en Languedoc. Gabriel Marie de Talleyrand est par ailleurs l’oncle de Charles Maurice de Talleyrand Périgord, dit Talleyrand, dont on sait la carrière politique exceptionnelle.
15 Ce conflit ne laisse pas d’évoquer par avance celui qui se développera entre la famille de Portes et le village de Portes [Manses] à partir de 1832, date à laquelle, suite à une procédure engagée le 21 avril 1821 par les maires de Lapenne, Saint Félix de Tournegat, Manses et Villautou, à propos du droit d’usage de la forêt de Bélène, la Cour d’appel de Toulouse se prononce en faveur des héritiers du marquis de Portes. Cf. Émile Kapfer. Histoire des marquis de Portes en Ariège.
16 Jean Baptiste François Etienne Charly (1748-1813), fils de François Xavier Charly. Il sera nommé conseiller à la Cour impériale de Toulouse après 1800.
17 Philibert Antoine de Montlezun (1707-1790), comte de Montlezun, baron de Belpech, seigneur de Pailhès et de Madière, qui, le 23 août 1762, a cédé à Henry Joseph de Lafage la seigneurie de Pailhès et Madière contre celle de Saint-Amadou. Cf. Christine Belcikowski. La famille de Lafage et les seigneuries de Saint-Amadou, Saint-Martin d’Oydes, Pailhès.