Suites tragi-comiques d’un soufflet donné sur la place de Mirepoix le 17 juin 1728…

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Les suites du soufflet administré par Joseph Rouvairollis à Jean Ardenne, aux yeux de tous, le le 17 juin 1728 sur la place de Mirepoix, se trouvent consignées dans les diverses pièces de la procédure qui résulte des plaintes initialement déposées par chacun des protagonistes du drame, drame auquel Jean Rouvairollis, frère aîné de Joseph Rouvairollis se trouve également mêlé. Les plaintes vont d’abord au juge des ordinaires de Mirepoix. Entre 1728 et 1732, elles vont au tribunal extraordinaire, ou tribunal d’instance. Finalement, l’affaire se trouve portée en appel devant la cour souveraine du parlement de Toulouse, par Jean Ardenne d’abord, puis par Jean et Joseph Rouvairollis, en anticipation de l’appel de Jean Ardenne. Chacune des deux parties demande qu’on inflige à l’autre partie une amende de 3000 livres en sus des peines de droit. Ladite affaire demeure pendante le 9 mars 1733, comme en atteste la dernière des pièces conservées dans le sac du procès. On ne sait rien de la sentence qui a été rendue par la cour souveraine de Toulouse. Le sac de ce ce procès se trouve conservé aux Archives départementales de la Haute-Garonne sous la cote 2 B 14697. Il comprend 31 folios.

1. Qui sont les plaignants ?

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5 avril 1706. Baptême de Jean Ardenne. Archives dép. de l’Aude. Saint-Michel-de-Lanès (1699-1736). Document 100NUM/AC359/1E1. Vue 32.

Jean Ardenne, 22 ans, baptisé à Saint-Michel-de-Lanès dans l’Aude et domicilié chez ses parents au même Saint-Michel-de-Lanès, fils de Louis Ardenne et de Jeanne Germa, petit-fils d’Antoine Ardenne († 17 janvier 1730), marchand, puis notaire, dit-on 1C’est Maître Lacombe, procureur de Jean Ardenne, qui le dit. Mais on ne trouve pas le nom Ardenne dans l’index des notaires de l’Aude., est en 1728 « garçon chez le Sieur Dominique Malroc », marchand de fer établi à Mirepoix sous le Grand Couvert, dans la maison de Marianne Bataille 2Cf. La dormeuse blogue 3. A Mirepoix – Moulon de… la porte d’Aval, rue Courlanel, le Grand Couvert, place Saint Maurice et grande place – n°54 à 96., sa mère, veuve et héritière de feu Guillaume Malroc, marchand de fer.

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Ci-dessus : compoix de 1766. Plan 3, nºˢ 66.

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14 novembre 1708. Baptême de Joseph Rouvairollis. Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix (1699-1722). Document 1NUM6/5MI663. Vue 218.

Joseph Rouvairollis, 20 ans, baptisé le 14 novembre 1708 à Mirepoix, fils de Jean Rouvairollis, receveur des décimes du clergé, conseiller du roi, puis bourgeois, et d’Anne Niort, demeurant à Mirepoix chez ses parents au Faubourg d’Amont, dans la grande maison située à l’angle des actuelles avenue Victor Hugo et rue du Gouverneur Laprade 3Compoix de Mirepoix en 1666 : lot n° 1305 ; compoix de Mirepoix en 1766 : plan 1 nº 6., est en 1728 sans profession autre que celle de fils de famille.

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1er octobre 1691. Baptême de Jean Rouvairollis. Archives dép. de l’Ariège. Mirepoix (1686-1691). Document 1NUM3/5MI663. Vue 184.

Jean Rouvairollis dit « Rigaud », 37 ans, baptisé le 1er octobre 1691, frère aîné de Joseph Rouvairollis, demeurant lui aussi dans la maison familiale du Faubourg d’Amont, est en 1728 avocat, puis devient en 1630 assesseur criminel auprès du tribunal de Limoux. Le 26 septembre 1730, sous le nom de Jean Rouvairollis de Rigaud, il épouse à Limoux Marie de Prochite, fille de « M. Jacques de Prochite, conseiller du roi au sénéchal et siège présidial de la ville de Limoux, et de Dame Jeanne Davusteau. C’est Maître Lacombe, procureur de Jean Ardenne, qui précise, à propos de Joseph Rouveirollis, « dit Rigaud », avec omission ostensible de la particule. On sait par les actes de baptême et de mariage les prétentions nobiliaires, jamais validées jusque là par la moindre preuve, affichées par la famille Rouvairollis et rendues plus voyantes encore par le port de l’épée 4Cf. Christine Belcikowski. A Mirepoix. Essai de généalogie de la famille Rouvairollis. 1. De François et Jean Rouvairollis à Jean Clément de Rouvairollis..

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Ci-dessus : ancienne maison de la famille Rouvairollis au Faubourg d’Amont. Cf. Compoix de 1766. Plan 1. Nº 6.

2. Les faits initiaux

Il demeure difficile de démêler le vrai du faux dans l’escalade de violences dont les plaignants font état, car Maître Lacombe, procureur 5avocat qui s’occupe de procurer au tribunal les pièces que son client lui a demandé de produire, lequel client se trouve dit en conséquence « le « produisant », ou « l’exposant ». de Jean Ardenne, très offensif, parfois cinglant, fournit l’essentiel des pièces, historique détaillé de l’affaire et longue analyse de cette dernière, bien sûr à charge contre les frères Rouvairollis, tandis que Maître Alcan, procureur de Joseph Rouvairollis, et Maître Montlezun, procureur de Jean Rouvairollis, se bornent à réclamer, de façon la moins circonstanciée possible, la condamnation définitive de Jean Ardenne.

Maître Lacombe, lui seul, fait état du soufflet qui constitue, au dire de Jean Ardenne, le point de départ de l’affaire. Joseph Rouvairollis niera par la suite avoir donné ce soufflet.

« Jean Ardenne, étant en qualité de garçon chez le Sieur Dominique Malroc, marchand de Mirepoix, fut en l’occasion de voir une fille dont le Sieur Joseph Rouvairollis avait été autrefois amoureux. Ce jeune homme [Joseph Rouvairollis], qui a l’imagination échauffée, fut jaloux des visites du produisant 6Jean Ardenne, « producteur » de pièces attestant des plaintes qu’il formule à l’encontre de Joseph et de Jean Rouvairollis. et il arriva le 17 juin 1728 qu’il rencontra le produisant à promener sur la place avec quelques-uns de ses amis ; qu’il l’accosta ; et ils vinrent à parler de cette fille ; ledit Joseph Rouvairollis en parla indiscrètement ; sur quoi le produisant lui représenta son tort ; mais il [Joseph Rouvairollis] prit fort mal la représentation et la matière s’échauffa tellement qu’il donna un soufflet au produisant ; sur quoi ils se prirent aux cheveux et furent séparés à l’instant par ceux qui étaient présents. »

3. Autres violences consécutives à la querelle initiale

Suite à cette première querelle, « ledit Joseph Rouvairollis fut à l’instant chez lui pour prendre son épée, dans le dessein, disait-il de la passer au travers du corps du produisant, qui, en étant averti, prit ses précautions pour s’en défendre ; et s’étant muni d’un bâton, il vit venir à lui ledit Rouvairollis.

Il est vrai que cette deuxième attaque ne fut pas heureuse pour ledit Joseph Rouvairollis, qui reçut quelque coup de bâton, et le produisant [Jean Ardenne] eut le secret de se garantir du coup mortel qu’il [Joseph Rouvairollis] voulait lui porter ; et ils furent séparés une deuxième fois. »

Joseph Rouvairollis dira le lendemain que, « lors de cette deuxième action qui se passa dans l’allée 7De quelle « allée » s’agit-il ici ? Le terme n’est pas usité dans le compoix, qui parle seulement de rues et de promenades. Maître Lacombe parle d’une allée dans laquelle le nommé Jalabert avit l’habitude de se promener. On pense donc à la promenade d’Amont, aujourd’hui cours Louis Pons-Tande, ou encore à la promenade du Jeu du Mail, aujourd’hui cours du même nom. Mais la topographie de Maître Lacombe demeure confuse, volontairement ou involontairement. qui va à la Porte Neuve, proche de la maison de Dominique Malroc » 8La maison de Dominique Malroc est celle qui deviendra, plus tard dans le siècle, l’hôtel Malroc., le nommé Jalabert, garçon boulanger, demeurant rue de la Porte d’Amont 9Cf. Maison Jalabert : compoix de 1766, plan 3, nº 129., dans une maison voisine de celle de Dominique Malroc et confrontant cette dernière d’auta et au midi, était « complice de Jean Ardenne ».

Joseph Rouvairollis dira également le lendemain qu’il passait par là pour rentrer chez lui. Maître Lacombe, procureur de Jean Ardenne, le conteste, arguant de ce que l’allée en question se trouve « fort éloignée de la maison dudit Joseph Rouvairollis, que ce n’est là aucunement son chemin, et qu’il avait cinq autres différents chemins pour s’en aller chez lui sans passer dans cette allée. Qu’allait-il faire en cet endroit? ». Le lecteur jugera, au vu du plan reproduit ci-dessous ! Joseph Rouvairollis niera également qu’il s’était muni d’une épée.

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On reste dans le vague chez Maître Lacombe concernant le nombre et la violence des coups de bâton administrés à Joseph Rouvairollis par Jean Ardenne, et peut-être aussi par le nommé Jalabert. Ces coups, note Maître Lacombe, n’empêcheront pas Joseph Rouvairollis de repartir à l’attaque de plus belle, vers neuf heures du soir, sous le Grand Couvert.

Jean Ardenne dit qu’il n’avait « aucun dessein de rencontrer à nouveau Joseph Rouvairollis », et que c’est ce dernier au contraire « qui le cherchait partout pour lui passer son épée à travers le corps ». Jean Ardenne est-il tombé sur le nommé Jalabert, lui aussi « par hasard », alors qu’échauffé par la querelle sur la place, « il se promenait dans une allée auprès de sa maison » ? Ou, avant de rejoindre l’allée, s’est-il arrêté chez ledit Jalabert, rue de la Porte d’Amont, et l’a-t-il entraîné à sa suite dans l’allée, afin d’en découdre avec Joseph Rouvairollis, à la faveur d’un second round que tous deux prévoyaient, et peut-être même espéraient ?

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Ci-dessus : ancienne maison Jalabert, rue de la Porte d’Amont. Cf. Compoix de 1766. Plan 3. Nº 129.

Maître Lacombe continue de décliner l’historique des faits :

« Ledit Joseph Rouvairollis, mortifié sans doute de n’avoir pu exécuter son dessein, prit une nouvelle résolution avec plus d’avantage, car il fut chercher [au Faubourg d’Amont] Jean Rouvairollis dit Rigaud, son frère aîné, dans le but de tuer le produisant [Jean Ardenne].

Ces deux frères, adverses parties pour se faire justice eux-mêmes, allèrent assassiner 10Assassiner, sens vielli : se livrer à une agression, à un acte de violence odieuse. le produisant [Jean Ardenne] dans la boutique du Sieur Malroc à neuf heures du soir. »

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Ci-dessus : ancienne maison de Marianne Bataille, veuve et héritière de Guillaume Malroc (n°63 et 66) ; siège de la boutique Malroc. Cf. Compoix de 1766. Plan 3. Nº 66.

On remarque ici qu’en juin 1728, les boutiques ne ferment à Mirepoix qu’à la nuit tombée, soit vers dix heures et quart. Le chaland peut ainsi profiter de la douceur du soir pour aller négocier quelque achat ou bader sous le Grand Couvert.

« Pour exécuter leur dessein, ils [les deux frères Rouvairollis] lui sautèrent au col avec tant de rage qu’ils l’auraient étranglé s’il n’avait pas crié au secours de toutes ses forces, et si le Sieur Guillaume Malroc, frère de Dominique Malroc, et Demoiselle Lasalle, épouse de Dominique Malroc, n’y eussent accouru ; c’est dans cette action que ledit Jean Rouvairollis dit Rigaud disait à son frère que s’il ne tuait le produisant [Jean Ardenne] d’un coup de pistolet, il le tuerait lui-même.

Les adversaires, voyant que leur dessein était interrompu, se saisirent des premières armes qui s’offrirent à leur vue, furor arma ministrat 11Furor arma ministrat : la fureur trouve ses armes., et ce fut d’une romaine 12Romaine, ou peson : instrument dont on se sert pour peser avec un seul poids. Daté du 4 juin 1639, un arrêt du conseil royal enjoint aux maîtres des forges et aux marchands de fer d’avoir des romaines pour peser les gueuses, ou lingots de fonte de première fusion, coulés dans du sable et utilisé comme lest dans les navires ou comme contrepoids sur des appareils de levage. avec laquelle ils frappèrent si rudement le produisant [Jean Ardenne] qu’il en fut tout meurtri.

Les adversaires n’en demeurèrent pas là ; et fâchés de ce que le produisant [Jean Ardenne] avait été dégagé de leurs mains par le secours du Sieur Guillaume Malroc et de la Demoiselle Lasalle, ils tournèrent leur rage contre eux et les blessèrent grièvement avec les mêmes armes. »

Jean et Joseph Rouvairollis nieront par la suite avoir frappé Jean Ardenne, reconnaissant seulement s’en être pris au Sieur Guillaume Malroc et à Demoiselle Lasalle.

4. Suites judiciaires des violences rapportées ci-dessus

Le même 17 juin 1728, tard dans la nuit sans doute, Guillaume Malroc et Demoiselle Lasalle portent plainte pour coups et blessures auprès du juge des ordinaires de Mirepoix. Ont-ils été blessés aussi « grièvement » que le dit Maître Lacombe ? On ne sait.

« Sur les informations ou le rapport des médecins et des chirurgiens » en tout cas, « d’autorité des ordinaires de Mirepoix il fut décerné un décret de prise de corps contre ledit Jean Rouvairollis dit Rigaud, et d’ajournement personnel contre ledit Joseph Rouvairollis ». A noter que ce décret de prise de corps et ce décret d’ajournement ne seront pas exécutés.

Le lendemain, 18 juin 1728, Jean et Joseph Rouvairollis portent plainte à leur tour, sachant que leur plainte porte sélectivement sur la première et de la deuxième querelle survenues sur la place entre Jean Ardenne et Joseph Rouvairollis, et que, dans cette plainte, ils qualifient « d’assassinat » la deuxième querelle, « sans parler de l’épée que Joseph Rouvairollis fut chercher, ni du soufflet qu’il donna au produisant [Jean Ardenne]. »

L’affaire change alors de cours. « Ils [Jean et Joseph Rouvairollis] firent décréter Jean Ardenne de prise au corps ; et voulant de son côté faire une information, celui-ci ne put rien prouver de ce qui s’était passé. Jean Ardenne fut capturé, il rendit son audition et fut élargi ; et voyant qu’il était sans secours et sans appui, il prit le parti de s’engager dans le régiment d’Orléans, compagnie du Seigneur baron de Paulo, où il a resté quatre ans sans revenir dans le pays. »

Ses adversaires, « fins et rusés », observe Maître Lacombe, « profitèrent de cette absence pour s’accommoder avec le Sieur Guillaume Malroc et la Demoiselle Lasalle pour une somme de 200 livres. Moyennant quoi, ledit Malroc et la Demoiselle Lasalle renoncent aux poursuites faites contre lesdits adversaires, qui devaient se faire relaxer, mais qu’ils n’ont pourtant jamais osé faire. »

En 1732, de retour à Mirepoix, Jean Ardenne porte sa cause devant le tribunal d’instance :

« Il [Jean Ardenne] bailla requête à ce que, pour un préalable et avant toute œuvre, il fut fait jonction de toutes les procédures et informations, pour en être tiré telles inductions que de droit, et pour autoriser la preuve du soufflet et assassinat ; qu’il fut déclaré n’y avoir lieu d’ordonner la procédure extraordinaire contre lui, et que les adversaires fussent condamnés aux peines de droit, à une réparation publique, en 500 livres d’amende, et aux dépens, dommages et intérêts. »

Mal lui en prit. Ses adversaires se portent aux aussi devant le tribunal d’instance. C’est Maître Lacombe qui parle ici : « Sur toutes les requêtes des parties, fut rendue le 1er décembre 1732 la sentence la plus extraordinaire et la plus injuste qui ait jamais paru aux yeux de la cour. »

Le tribunal d’instance « condamne Jean Ardenne à se rendre dans la maison du Sieur Joseph Rouvairollis le jour et l’heure qui lui seront par celui-ci indiqués, ou en présence de quatre bourgeois que ledit Joseph Rouvairollis nommera ; ledit Jean Ardenne déclarera que témérairement et sans raison il l’a frappé du bâton, qu’il s’en repend et lui en demande pardon.

Condamne de plus Jean Ardenne à s’abstenir du territoire de la juridiction pendant l’espace de six années, et en la somme de 200 livres envers ledit Joseph Rouvairollis pour lui tenir lieu de dommages et intérêts. Moyennant quoi, ordonne que Jean Ardenne sera élargi des prisons où il est détenu, avec défense de récidiver, sous les peines de droit.

Et, au surplus, met ledit Jean Ardenne hors d’instance avec ledit Jean Rouvairollis, et lesdits Jean et Joseph Rouvairollis avec ledit Guillaume Malroc et la Demoiselle Lasalle, et ledit Jalabert avec lesdits Jean et Joseph Rouvairollis, dépens compensés entre ces parties.

Condamne en outre ledit Jean Ardenne envers le dit Joseph Rouvairollis aux dépens liquidés à 109 livres 6 deniers 7 sols, et au rapport taxé 20 écus, ainsi qu’appert de ladite sentence ci-produite et cotée.

Et Maître Lacombe, au soir du 1er décembre 1732, de peindre la mésaventure de son client de la sorte :

« Étant revenu pour se remettre prisonnier à l’effet de mettre fin à cette affaire, il fut capturé de nouveau dans le temps qu’il allait se remettre et fut traîné dans un cachot où il resta trois semaines, ne pouvant manger que couché. C’est un fait connu de tout Mirepoix, et tout le monde avait compassion dudit Jean Ardenne, contre qui, après qu’il eut rendu son interrogatoire, on demanda la procédure extraordinaire, et qu’il fût condamné aux peines de droit. »

5. Combat de coqs ? Le pot de terre contre le pot de fer ?

Indépendamment de leur évidente partialité, ou en raison de cette partialité même, les rapports des différents procureurs éclairent d’un jour édifiant le caractère biaisé du jeu de forces auquel se sont livrés ou abandonnés les plaignants.

Le point de départ de l’affaire est banal : deux coqs de village se prennent aux cheveux pour une fille. L’un, Jean Ardenne, garçon marchand, est fils d’un petit marchand de Saint-Michel de Lanès ; l’autre, Joseph Rouvairollis, est fils d’un ancien receveur des décimes du clergé et conseiller du roi, puis bourgeois en voie d’anoblissement, distinction qui toutefois demeure sans confirmation. La rivalité des coqs se double ici de celle de leurs conditions respectives.

Maître Lacombe, procureur de Jean Ardenne, se fait sans doute le porte-voix de son client lorsqu’il observe à propos des frères Rouvairollis que « tout le monde est instruit de l’arrogance et de l’impétuosité de leur naturel », et plus encore des airs de noblesse dont ceux-ci font outrageusement montre. Il rapporte que, dans l’affaire qui l’oppose à Jean Ardenne, Joseph Rouvairollis se serait scandalisé de l’injure à lui faite par un homme de néant ».

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« Un pareil langage convient-il dans sa bouche ? », se récrie Maître Lacombe ; « a-t-il [Joseph Rouvairollis] oublié qu’il est le fils d’un sergent ? Belle souche pour un homme soi-disant de considération ! Tout le monde sait au contraire que l’exposant [Jean Ardenne] est petit-fils d’un notaire. Quel parallèle à faire, d’un notaire à un sergent ? Si les adversaires sont de quelque considération dans Mirepoix, ils n’en ont obligation qu’à la fortune 13La fortune, ici : au double sens ironique de « chance » et de « richesse »., qui leur a été véritablement plus favorable qu’à l’exposant. Mais à quoi bon s’arrêter à ces minuties qu’on aurait dû mépriser ? »

Maître Lacombe y va là un peu fort. Outre qu’il insiste sur des « minuties qu’on aurait dû mépriser » et qu’au vrai, ni lui ni son client ne méprisent autant qu’il le dit, il prête à Jean Rouvairollis aîné, père de Joseph Rouvairollis, péjorativement qualifié de « sergent », un statut social possiblement inférieur à celui du grand-père (!) de Jean Ardenne. Or Jean Rouvairollis père, a d’abord été receveur des décimes du clergé, puis conseiller du roi, ouis bourgeois ; et c’est Jean Rouvairollis, son fils, qui, avocat devenu en 1630 assesseur criminel auprès du tribunal de Limoux, eût pu ou dû s’attirer l’épithète un brin calomnieuse de « sergent ». Maître Lacombe, on le voit, ne fait pas dans le détail. Il importe ici de stigmatiser la morgue insupportable de l’adversaire. La véritable noblesse réside, selon Maître Lacombe, précurseur inattendu du philosophe Emmanuel Lévinas, dans le « visage » de l’homme même. Honte à celui qui a souffleté ce visage !

Maître Lacombe dénonce par ailleurs la collusion inter pares, qui a permis à Jean Rouvairollis d’échapper en juin 1728 au décret de prise de corps, et à Joseph Rouvairollis d’échapper au décret d’ajournement ; puis à Jean Rouvairollis de ne point figurer en 1732 dans le dossier d’instance, par là dans le jugement qui a suivi. « L’assassin [Jean Rouvairollis] est renvoyé absous par la sentence, et le produisant [Jean Ardenne] assassiné est condamné ! » s’écrie là Maître Lacombe.

« Si tous les faits dont on vient de parler ne sont pas prouvés », remarque Maître Lacombe, « c’est que les témoins furent intimidés par le crédit du Sieur Simorre, subdélégué de de M. l’Intendant, leur intime ami [ami de la famille Rouvairollis], et la preuve en serait plus que complète si la cour voulait permettre à l’exposant [Jean Ardenne] de faire publier un chef de monitoire ». La cour ne l’a pas voulu. « Mais on ne pouvait attendre autre chose de ces juges », ajoute Maître Lacombe, « puisque, ils sont parents ou amis des adversaires [Jean et Joseph Rouvairollis] et que ceux-ci les ont eux-mêmes choisis ». Et Maître Lacomber de citer ici au titre des parents ou amis, outre le nom du Sieur Simorre, celui du Sieur Deloun, juge au tribunal d’instance, « leur ami de cœur et de bouteille… »

Lors de l’appel de février 1733, Jean et Joseph Rouvairollis réclameront « biffure des termes injurieux et autres calomnies répandues contre eux et les leurs dans les écritures du produisant [Jean Ardenne] ».

Et Maître Lacombe de mentionner aussi la prudente retraite du Sieur Guillaume Malroc et de Demoiselle Lasalle, qui, en acceptant de « s’accommoder » avec Jean et Joseph Rouvairollis moyennant la somme de 200 livres, ont évité ainsi d’avoir à témoigner au tribunal d’instance et privé par suite Jean Ardenne de l’une des preuves dont il avait grand besoin.

« Sans appui, sans secours à Mirepoix », Jean Ardenne ne faisait pas le poids, comme on dit, contre des adversaires de la taille des frères Rouvairollis, qui se voulaient « de Rigaud ». En mars 1733, il attend le jugement de la cour souveraine de Toulouse. Or la cour, dans l’attente du prononcé…

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… « ordonne le 11 février 1733 que le prévenu […] se remettra aux prisons… »

Comme indiqué plus haut, on ne sait rien du jugement qui a finalement résulté de ce procès.

Joseph Rouvairollis demeurera par la suite le fils de famille qu’il était en 1728. Il ne se mariera pas. Après avoir assisté en 1730 au mariage de Jean Rouvairollis, son frère, avec Marie de Prochite, fille de M. Jacques de Prochite, conseiller du roi au sénéchal et siège présidial de la ville de Limoux, et de Dame Jeanne Davusteau, il sera parrain ou témoin au baptême de trois des quinze enfants du couple. Joseph Thibaud Rouvairollis, son neveu le plus jeune, à qui il a légué son prénom, émigrera en 1791, servira le tzar en Russie, et ne rentrera en France qu’en 1805. Joseph Rouvairollis sera encore en 1771 le parrain de sa petite-nièce Marianne Josèphe Julie de Rouvairollis. 14Cf. Christine Belcikowski. A Caudeval et à Limoux. Essai de généalogie de la famille Rouvairollis. Après 1789, que sont-ils devenus ?

Jean de Rouvairollis, son frère, mènera une belle carrière d’avocat et d’assesseur criminel au tribunal de Limoux. En 1766, devenu seigneur baron de Caudeval, Jean Clément de Rouvairollis de Rigaud, l’aîné de ses quinze enfants, épousera Rose de Champflour, issue d’une grande famille d’Auvergne, nièce de Monseigneur de Champflour, évêque de Mirepoix.

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On ignore ce qu’il advient de Jean Ardenne entre 1733 et 1735. Le 11 janvier 1735, devenu marchand, il épouse à Castelnaudary Marie Gardelle 15Archives dép. de l’Aude. Castelnaudary (1734-1736). Document 100NUM/5E76/26. Vue 14., avec qui il s’établit à Saint-Michel-de Lanès et dont il aura douze enfants. Fort de ses expériences antérieures, il sera marchand jusqu’en 1737, hôte de 1739 à 1754, premier consul de son village en 1754, bourgeois en 1780.

Indépendamment des traverses qu’elle rencontre, des sottes incartades de la jeunesse, la vie va.

References

References
1 C’est Maître Lacombe, procureur de Jean Ardenne, qui le dit. Mais on ne trouve pas le nom Ardenne dans l’index des notaires de l’Aude.
2 Cf. La dormeuse blogue 3. A Mirepoix – Moulon de… la porte d’Aval, rue Courlanel, le Grand Couvert, place Saint Maurice et grande place – n°54 à 96.
3 Compoix de Mirepoix en 1666 : lot n° 1305 ; compoix de Mirepoix en 1766 : plan 1 nº 6.
4 Cf. Christine Belcikowski. A Mirepoix. Essai de généalogie de la famille Rouvairollis. 1. De François et Jean Rouvairollis à Jean Clément de Rouvairollis.
5 avocat qui s’occupe de procurer au tribunal les pièces que son client lui a demandé de produire, lequel client se trouve dit en conséquence « le « produisant », ou « l’exposant ».
6 Jean Ardenne, « producteur » de pièces attestant des plaintes qu’il formule à l’encontre de Joseph et de Jean Rouvairollis.
7 De quelle « allée » s’agit-il ici ? Le terme n’est pas usité dans le compoix, qui parle seulement de rues et de promenades. Maître Lacombe parle d’une allée dans laquelle le nommé Jalabert avit l’habitude de se promener. On pense donc à la promenade d’Amont, aujourd’hui cours Louis Pons-Tande, ou encore à la promenade du Jeu du Mail, aujourd’hui cours du même nom. Mais la topographie de Maître Lacombe demeure confuse, volontairement ou involontairement.
8 La maison de Dominique Malroc est celle qui deviendra, plus tard dans le siècle, l’hôtel Malroc.
9 Cf. Maison Jalabert : compoix de 1766, plan 3, nº 129.
10 Assassiner, sens vielli : se livrer à une agression, à un acte de violence odieuse.
11 Furor arma ministrat : la fureur trouve ses armes.
12 Romaine, ou peson : instrument dont on se sert pour peser avec un seul poids. Daté du 4 juin 1639, un arrêt du conseil royal enjoint aux maîtres des forges et aux marchands de fer d’avoir des romaines pour peser les gueuses, ou lingots de fonte de première fusion, coulés dans du sable et utilisé comme lest dans les navires ou comme contrepoids sur des appareils de levage.
13 La fortune, ici : au double sens ironique de « chance » et de « richesse ».
14 Cf. Christine Belcikowski. A Caudeval et à Limoux. Essai de généalogie de la famille Rouvairollis. Après 1789, que sont-ils devenus ?
15 Archives dép. de l’Aude. Castelnaudary (1734-1736). Document 100NUM/5E76/26. Vue 14.