En 1618 – Un corps passe… (2)

 

Ci-dessus : portail de la chapelle des Cordeliers, vestige du couvent du même nom à Mirepoix.

Le 26 juillet 2012 je mentionnais ici comment en 1618, un corps passait à Belpech…

2 juin on passa messire de Levis pour aler lenterer à Mirepoix qui fut bien regreté, dit le journal tenu entre 1585 et 1654 par les différents curés de Belpech, puis continué entre 1736 et 1797 par le marguillier Astruc, – journal publié en 1989 par Jean Cazanave en annexe de La transition révolutionnaire à Belpech 1Jean Cazanave, La transition révolutionnaire à Belpech, Editions de la Municipalité de Belpech, 1989.. Le corps qui passait en 1618 était celui de « messire de levis », dit le « cajer ». – Oui, mais le corps duquel des messieurs de cette illustre maison ?

J’examinais, après mentionné l’événement, diverses hypothèses concernant l’identité du « messire de levis » dont le corps passait en 1618. Aucune de ces hypothèses ne permettait toutefois d’établir l’identité du « messire de levis » qu’on ne sait pas.

Trois mois de lectures plus tard, j’ai trouvé une édition plus ancienne du journal en question, intitulée conformément à l’original Cajer rénovélé (1585-1654) et continué suivent lés circonstances du tems et aproportion qu’elles sont arrivés de mon tems depuis 1736 jusques à 1797. Il s’agit d’une édition annotée, publiée en 1880 par M.B. Benezet à Toulouse dans les Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France. « Nous devons, dit M.B. Benezet, « la découverte de ce curieux manuscrit aux recherches de M. l’abbé Francés, curé de Belpech, ancien professeur au petit séminaire de Carcassonne, un des prêtres les plus instruits et les plus vénérés de nos contrées » 2M.B. Benezet, Etude d’un manuscrit historique intitulé Cajer rénovélé (1585-1654) et continué suivent lés circonstances du tems et aproportion qu’elles sont arrivés de mon tems depuis 1736 jusques à 1797, in Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France, Toulouse, 1880., moderne successeur de ces « âmes sereines et honnêtes » qu’ont été avant lui les chroniqueurs du « cajer ».

 

Ci-dessus : transcription du « cajer » bellopodien établie par M.B. Benezet. Plus conforme aux réquisits de l’édition moderne, la transcription fournie par Jean Cazanave se révèle en de nombreuses occurrences plus fidèle. Là où M.B. Benezet transcrit « pour aler l’ensevelir à Mirepoix », Jean Cazanave transcrit « pour aler lenterer à Mirepoix ». Je m’en tiens ici à la transcription plus authentique de Jean Cazanave.

M.B. Benezet indique dans une note en bas de page que « messire de Levis » qui passe le 2 juin 1618 « pour aler lenterer à Mirepoix » est Jean de Levis, vicomté de Carcassonne. On sait par Georges Martin, biographe de la maison de Lévis 3Cf. Georges Martin, Histoire et généalogie de la maison de Lévis, p.36, Imprimerie Sud Offset, La Ricamarie, 2007., et les siens, que Jean de Levis, fils aîné de Jean VI de Lévis Mirepoix, successeur désigné de ce dernier, a longtemps combattu contre la Ligue aux côtés du duc de Joyeuse, qu’il a été nommé par le roi sénéchal de Carcassonne et de Béziers, puis gouverneur de la ville de Foix, et qu’il est mort avant son père à Toulouse, le 31 août 1603. Georges Martin rapporte à propose de Jean de Lévis, vicomte de Carcassonne, cet éloge, formulé par l’écrivain protestant Olhagaral :

Sa gravité et présence, autant grave que de seigneur de son temps, avait quelque chose de doux, qui donnait libre accès à ceux qui désiraient l’aboucher… 4Cf. Ibidem.

Le propos de l’écrivain protestant Olhagaral éclaire ici celui du marguillier Astruc concernant « messire de levis… qui fut bien regreté ».

 

Le mystère toutefois demeure entier de la raison pour laquelle le corps du vicomte qui est mort le 31 août 1603 à Toulouse passe à Belpech, « pour aler lenterer à Mirepoix », le 2 juin 1618 seulement, soit quinze années plus tard !

Jean VI meurt en 1607 5Attention à la coquille dans l’Histoire et généalogie de la maison de Lévis par Georges Martin : Jean VI n’est pas mort en 1603, mais en 1607, comme l’indique la date d’accession d’Antoine Guillaume, second fils de Jean VI, à la tête de la seigneurie de Lévis Mirepoix.. Antoine Guillaume, son fils cadet, lui succède, dans le contexte difficile qui est celui de la guerre des deux religions, et par ailleurs celui d’un conflit d’héritage entre les 7 membres survivants de la fratrie seigneuriale.

La lecture du « cajer » tenu par les recteurs de Belpech durant les années qui vont de 1603 à 1618 permet de mesurer l’horreur des batailles qui se livrent alors entre les « hérétiques » et les « catolics » dans le diocèse de Toulouse et dans celui de Mirepoix. Mazères, Pamiers, Belpech sont en butte à des attaques quotidiennes et régulièrement mises à feu et à sang. Le 2 septembre 1606, une « pluie abondante » emporte à Limoux « partie du pont de Lers et partie du portail de Tournefeuille ». La peste sévit sporadiquement.

Il se peut que dans le contexte évoqué ci-dessus, le corps de Jean de Lévis, vicomte de Carcassonne, ait attendu à Toulouse des temps moins troublés qui permettent de le transférer à Mirepoix sans crainte d’outrages. Il se peut aussi qu’Antoine Guillaume de Lévis, successeur imprévu de Jean VI, doté d’une personnalité moins charismatique que celle de son frère aîné, soucieux par suite d’asseoir sa légitimité propre, ait tardé à organiser ce transfert, auquel il répugnait politiquement. Il se peut enfin que l’état de dévastation ou de délabrement dont souffraient alors les routes de la contrée ait rendu le dit transfert durablement impossible.

Hormis l’apposition d’une litre sur les églises de la seigneurie et le choix du couvent des Cordeliers comme lieu d’ensevelissement, on ne sait pas grand chose des pratiques qui étaient, en matière de funérailles, celles de la maison de Lévis Mirepoix. Après un temps d’exposition et de célébration ménagé au sein de la chapelle funéraire de la cathédrale, le corps du défunt passait en cortège le pont de bois jeté sur l’Hers et après un dernier office, célébré cette fois dans la chapelle du couvent des Cordeliers, rejoignait la nécropole seigneuriale, sise elle-même dans le périmètre du dit couvent. Il se peut ici qu’en raison des désastres de la guerre et/ou des paroxysmes du climat, Mirepoix se soit trouvée privée de pont durant le premier quart du XVIIe siècle, voire même plus longtemps. On imagine mal le cortège des funérailles qui aurait eu à passer l’Hers en barque.

Ci-dessus : Jean Colombe (XVe siècle), enlumineur, Scène de funérailles : l’ensevelissement après la cérémonie, in Heures de Louis de Laval.

Le corps d’Antoine Guillaume de Lévis lui-même, qui mourra le 13 mai 1637 sous l’épiscopat de Louis de Nogaret de La Valette, demeurera dix-huit ans sous le clocher de l’église cathédrale de Mirepoix, « en attendant d’être porté dans le caveau de famille, en la chapelle des Cordeliers de la ville ; la translation en fut faite ensuite par Louis Hercule de Lévis Ventadour » 6Félix Pasquier, Archives du château de Léran – Inventaire historique et généalogique des documents de la branche Lévis Mirepoix, tome III, pp. 405, Privat, 1909., successeur de Louis de Nogaret de La Valette. La date de la translation semble coïncider ici, de façon vraisemblablement politique, avec celle de la nomination du nouvel évêque, qui appartenait en l’occurrence à une branche cousine de celle des Lévis Mirepoix.

Ci-dessus : reste de fresque encore visible sur l’un des murs de la chapelle funéraire présente sous le clocher de la cathédrale de Mirepoix. Cf. Sous le clocher de la cathédrale de Mirepoix, une chapelle oubliée ; Autre visite au clocher de la cathédrale de Mirepoix.

Je livre ici la somme de questions qui demeurent concernant le passage de « messire de Levis », le 2 juin 1618 à Belpech, « pour aler lenterer à Mirepoix ».

S’il s’agit bien du corps de Jean de Lévis, vicomte de Carcassonne, celui-ci est parti de Toulouse où il reposait depuis le 31 août 1603. Venant de Toulouse, il passe logiquement à Belpech, compte-tenu des cartes du temps, qui veulent qu’on aille alors de Toulouse à Mirepoix plus sûrement via Belpech.

Concernant l’identité du corps qui passe, l’avis de M.B. Benezet, nourri et fondé par celui de l’abbé Francès, fait autorité. Reste qu’on ne sait toujours pas de façon sûre pourquoi le corps de Jean de Lévis, vicomte de Carcassonne, a stationné quinze années à Toulouse avant de retourner à Mirepoix. La nécropole qu’il a rejointe en 1618 a été détruite au cours de la Révolution. Il ne subsiste rien de ce lieu d’histoire, pas une inscription, pas une pierre. Mon enquête en conséquence s’arrête là. Les questions qu’elle soulève mûrissent toutefois, je l’espère, comme ailleurs en histoire le possible de réponses latentes. De telles questions méritent à ce titre d’être régulièrement réouvertes et opiniâtrement poursuivies.

A lire aussi :
En 1618 – Un corps passe…
Autre visite au clocher de la cathédrale de Mirepoix
Sous le clocher de la cathédrale de Mirepoix, une chapelle oubliée
A Mirepoix – La fontaine des Cordeliers

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