La dormeuse blogue

Choses vues, choses lues, choses rêvées…

Sous le clocher de la cathédrale de Mirepoix, une chapelle oubliée

Je racontais dans l’article précédent une visite au clocher de la cathédrale de Mirepoix. Je n’ai pas tout dit. Je souhaitais saisir et me représenter plus clairement ce que j’ai vu. On ne voit jamais tout de suite, dans le clair-obscur de la conscience imageante, ce que l’on voit, sans recul, avec les yeux du corps.

Lorsque nous sommes redescendues du clocher, Martine Rouche, dans la cathédrale, a sorti une grosse clé et ouvert une autre porte. Nous avons traversé une sorte de resserre. Au bout de la resserre, encore une autre porte, difficile à ouvrir.La porte grince. Nous entrons.

Nous nous trouvons dans une salle carrée, dotée d’un plafond en ogive. Les arcs qui tombent de cette dernière portent sur un butoir, orné de figures curieuses, sortes de putti, d’allure mi-candide mi-grotesque. Située en altitude, une fenêtre, de ligne sévère, verse dans l’ombre un jour oblique. Le sol est dépourvu de revêtement. De la terre, simplement battue, s’exhale une odeur humide, comme il s’en trouve dans une remise à charrettes ou une crypte. Il fait froid.

Je songe à ces appartements d’une extrême fraîcheur, dans lesquels on n’était jamais incommodé du soleil, – ceux que l’Inquisition assigne à Candide après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne, et après que Candide eut écouté avec un air d’approbation la parole du toujours optimiste docteur Pangloss 1.

Après un moment d’accommodation, j’y vois mieux.

Levant la tête, je remarque, au centre de l’ogive, une ouverture circulaire, identique à celles que j’ai vues tout à l »heure dans le clocher. Nous nous trouvons donc sous le clocher, à l’intérieur de la base carrée qui supporte la tour octogonale, la chambre des cloches, la flèche !

Je n’avais jamais soupçonné l’existence de cette salle enclose.

Martine Rouche me demande impromptu ce que je vois. Le jour qui tombe de la fenêtre joue sur l’un des murs de la salle. Le mur ainsi éclairé présente des cloques et, par places, des morceaux de couleur.

Je cherche la bonne distance. Il faut que j’accommode. Puis je vois.

Il y a une fresque ici…

Je vois successivement des ailes, un ange, le profil d’une Jérusalem céleste.

Puis une tenture, ou une draperie, peut-être un catafalque, peut-être un écusson…

De quelle époque, la représentation d »un tel ange ?

La posture pourrait être celle d’un cavalier brandissant une épée.

D’autres menus détails apparaissent encore, mais incertains, fantomatiques, au point qu’on ne sait plus si ce sont là choses vues ou choses imaginées.

La photographie, seule, fixe et donne à voir ce type d’images fuyantes, limbiques.

Martine Rouche attire mon attention sur le mur qui qui s’élève au fond de la salle, perpendiculairement à la fenêtre et à la fresque. Il s’agit d’un mur dénudé, sur lequel on observe, outre une bande noire, effacée par endroits, l’empreinte d’une forme, haute et large, relative, semble-t-il, à un élément de décor ou un meuble, qui a été grossièrement arraché.

Martine Rouche m’indique que cette forme correspond à un autel, autrefois installé dans cette salle, puisque celle-ci a été, et demeure, dans le triste état où nous la trouvons, une chapelle.

La bande noire, quant à elle, constitue la litre seigneuriale, ou litre funèbre, ornement, souvent accompagné d’armoiries, qui était d’usage, sous l’Ancien Régime, lors des funérailles du seigneur du lieu.

ENCYCLOPÉDIE OU DICTIONNAIRE RAISONNÉ DES SCIENCES, DES ARTS ET DES MÉTIERS (1751-1772)

LITRE, s. f. ou ceinture funebre, (Jurisprud.) est un lé de velours noir, sur lequel on pose les écussons des armes des princes & autres seigneurs lors de leurs obseques.

On entend aussi par le terme de litre une bande noire, peinte en forme de lé de velours sur les murs d’une église en dedans & en dehors, sur laquelle on peint les armoiries des patrons & des seigneurs hautsjusticiers après leur décès.Le terme de litre vient du latin litura, à cause que l’on noircit la muraille de l’église.

On l’appelle aussi ceinture funebre, parce qu’elle ne s’appose qu’après le décès des personnes qui sont en droit d’en avoir.

Le droit de litre est un des principaux droits honorifiques, ou grands honneurs de l’église, & en conséquence il n’appartient qu’aux patrons & aux seigneurs hauts – justiciers du lieu où l’église est bâtie.

L’usage des litres n’a commencé que depuis que les armoiries sont devenues héréditaires. Il a d’abord été introduit en l’honneur des patrons seulement; & a été ensuite étendu aux seigneurs hauts – justiciers.

Le patron a droit de litre, quoiqu’il n’ait ni le fief, ni la justice sur le terrein où est l’église, parce que le seigneur en lui permettant de faire bâtir une église en son territoire, est censé avoir consenti que le patron eût les premiers honneurs, à moins qu’il ne se les soit expressément reservés. Le patron ecclésiastique ne peut pas mettre ses armes de famille sur sa litre, il doit y mettre celles de son église.

Le seigneur haut – justicier a aussi droit de litre à ses armes. La coutume de Tours, article 60, & celle de Lodunois c. v. art. ij. en contiennent une disposition expresse. Dans l’église la litre du patron est au – dessus de la sienne; au – dehors de l’église, c’est celle du seigneur qui est au – dessus de celle du patron.

La largeur ordinaire de la litre est d’un pié & demi, ou deux piés au plus. Maréchal, en son traité des droits honorifiques, dit qu’il n’y a que les princes pour lesquels on en peut mettre de plus larges, telles que de deux piés & demi : les écussons d’armoiries sont ordinairement éloignés de 12 piés les uns des autres.

[…]

Le fondateur d’une chapelle bâtie dans une aîle d’une église, dont un autre est patron ou seigneur haut – justicier, ne peut avoir de litre que dans l’intérieur de sa chapelle, & non dans le choeur, ni dans la nef, ni au – dehors de l’église. Le patron du corps de l’église peut même étendre sa litre jusques dans la chapelle fondée par un autre, & faire poser sa litre au – dessus de celle du fondateur de la chapelle.

Je me suis souvenue d’une observation que j’avais relevée chez Félix Pasquier (1846-1929, savant archiviste paléographe) et que, faute de connaître l’existence de la chapelle, je n’arrivais pas à visualiser.

On remarque, sur les pans coupés du chevet, à deux mètres du sol, une bande noire de 15 centimètres de largeur qui se prolonge sans interruption […]. C’est une litre ZONA FUNEBRIS, c’est-à-dire la bande que l’on peignait autour d’une église, lorsque mourait le seigneur patron ; de distance en distance se détachaient les armoiries du défunt et des insignes mortuaires. Si, après un certain délai, la litre était enlevée, il arrivait aussi qu’on la laissait subsister et qu’à l’occasion, suivant les besoins, on se contentait de rafraîchir les couleurs et de modifier les écussons. Tel nous semble être le cas pour Mirepoix ; la litre, dont on voit la trace, avait été peinte à l’occasion de la mort d’un des derniers seigneurs, peut-être du maréchal duc de Mirepoix 2.

La chapelle dans laquelle nous nous trouvons a donc reçu, entre le début du XVIème siécle, date de l’édification du clocher, et le 4 août 1789, date de l’abolition des privilèges seigneuriaux, la dépouille de l’un, ou de plusieurs, ou de tous les seigneurs issus de la maison de Lévis-Mirepoix.

Félix Pasquier, qui invoque « l’un des derniers seigneurs, peut-être le maréchal duc de Mirepoix », songe à Gaston Pierre Charles de Lévis-Lomagne (1699-1757), marquis puis duc de Mirepoix, maréchal de France.

La lecture de l’article « Litre » de l’Encyclopédie montre que le privilège de la litre a pu s’appliquer indifféremment, depuis Jean V, mort en 1533, à tous les seigneurs de Lévis Mirepoix. Le privilège a pu s’appliquer également à Philippe de Lévis, bâtisseur de la cathédrale et du clocher, frère de Jean V, puisque « le fondateur d’une chapelle bâtie dans une aîle d’une église, dont un autre est patron ou seigneur haut – justicier, peut avoir une litre dans l’intérieur de sa chapelle ».

La fresque n’est pas forcément contemporaine de la litre. La datation de la litre et celle de la dite fresque permettraient de savoir lequel ou lesquels des membre de la famille Lévis Mirepoix ont reposé ici sous l’aile des anges. Tout un monde de solennités anciennes demeure inscrit sur les murs de cette chapelle, laquelle constitue à ce titre, même désaffectée, un lieu de mémoire.

Certes il s’agit ici d’une mémoire qui s’entretient sous le couvert d’effigies incertaines, fortement dégradées, et, si l’on n’y fait rien, proches du palimpseste. Martine Rouche me dit qu’elle a signalé l’existence de la fresque et conduit une visite en compagnie des représentants de la Société archéologique du Midi de la France ainsi que du spécialiste qui a réalisé l’admirable restauration des fresques de l’église de Vals.

Avant de quitter la chapelle oubliée sous le clocher de la cathédrale de Mirepoix, salut à Joseph, l’inconnu de la cathédrale. Tailleur de pierre ou sans-culotte marteleur d’armoiries, Joseph est passé ici.

Il savait signer.

Notes:

  1. Voltaire, Candide, VI ↩︎

  2. Félix Pasquier, Mirepoix et ses environs, éditions Lacour-Rediviva, Nîmes, 2002, p.p. 43-45 ↩︎

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1 commentaire au sujet de « Sous le clocher de la cathédrale de Mirepoix, une chapelle oubliée »

  1. Martine Rouche

    Génial! Que dire d’autre? Si ce n’est le bonheur d’avoir été à l’origine de la visite qui suscita ce texte? Celui de trouver en écho un enthousiasme égal au mien, qui me pousse parfois à me demander si je garde un regard raisonnable? Mais après tout, quelle importance?
    Ces traces oubliées me ravissent. Il faut toujours plusieurs étapes: le choc initial, ou son absence, le temps pour l’oeil de s’adapter au lieu, puis de voir, d’appeler des souvenirs ou des connaissances. Il est vrai que les photos fixent malgré nous et nous montrent plus.
    Qui reste dans le souvenir de cette litre? Plusieurs hypothèses, effectivement.
    Dans son Inventaire historique et généalogique des documents de la Branche Lévis-Mirepoix, 1909, tome III, page 453, notre ami Pasquier écrit:
    « Antoine-Guillaume de Lévis, rentré dans ses terres, fit son testament, le 15 octobre 1626, et mourut le 13 mai 1627. Son corps fut déposé momentanément sous le clocher de l’église catédrale de Mirepoix, en attendant d’être porté dans le caveau de famille, en la chapelle des Cordeliers de la ville; la translation fut faite ensuite par Louis-Hercule de Lévis-Ventadour, évêque de Mirepoix. Nous ignorons les motifs du retard apporté à cette sépulture et expliqué contradictoirement. »
    La silhouette découpée dans la peinture murale côté est nous donne immédiatement l’idée d’un très imposant autel et son retable. Plutôt de style baroque, certainement. Que sont-ils devenus? Nul ne le sait, à part Joseph, peut-être…..

    8 juin

    Horrible ! Je me permets de corriger notre ami Pasquier : en 1627, l’évêque de Mirepoix était Pierre de Donnaud et non Louis-Hercule de Lévis-Ventadour. Il est vrai que le prénom double a une autre allure …

  2. Martine Rouche

    Je bats ma coulpe à petits coups pressés ! Félix Pasquier, qui savait forcément mieux que moi, indique en réalité que la dépouille d’ Antoine-Guillaume de Lévis demeura dans cette chapelle de 1627 à 1655 au moins, date de l’arrivée de Louis Hercule de Lévis-Ventadour comme évêque de Mirepoix. Ce qui fait un laps de temps de 28 ans au minimum. D’où le terme de « translation » utilisé par Felix Pasquier, terme que l’on trouve généralement utilisé pour des dépouilles ou des reliques, pas pour un corps qui aurait passé un temps normal dans une chapelle ardente avant d’être enseveli. Il y a là un petit mystère … que Felix Pasquier lui-même n’a pu élucider !

  3. La dormeuse

    Parviendrons-nous un jour à élucider ce mystère ?

  4. Gironce Jacques

    si j'ai bonne oreille ,je n'entends jamais seize cloches.Un carillon ne consiste jamais à mettre les cloches à la volée,mais à les faire tinter tel un instrument de musique.Si ledit carillon vient d'être restauré,pourquoi ce mutisme ?Nous possédons un patrimoine que nous ne savons utiliser;que c'est dommage!