La dormeuse blogue

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Autre visite au clocher de la cathédrale de Mirepoix

C’était dimanche, dans le cadre du Pays d’Art et d’Histoire, la journée du patrimoine local, dédiée cette année aux tours et aux clochers. L’office de tourisme de Mirepoix proposait, le matin, une visite du clocher de la cathédrale Saint Maurice ; l’après-midi, la découverte de la maison romane et de la tour de Sainte-Foy. Je n’étais pas libre l’après-midi ; j’ai regretté de ne pouvoir me rendre à Sainte-Foy. J’ai pu en revanche participer, le matin, à la visite du clocher de la cathédrale de Mirepoix.  

Rendez-vous à 9h45 au chevet de la cathédrale, où Martine Rouche, notre guide, nous attend déjà, munie d’un parapluie sémaphore. Il bruinait un peu, une demi-heure plus tôt. Heureusement, le ciel se dégage à l’heure prévue. Martine referme son parapluie.

Adossés au chevet de la cathédrale, qui en a vu d’autres, les petits cabanons sont des écolettes, i. e. des toilettes sèches. Outre la journée du patrimoine local, c’est aussi, aujourd’hui, la journée de l’écoconstruction et de la biodiversité à Mirepoix.

A 9h55, une question se pose soudain à propos du rendez-vous fixé "au chevet de la cathédrale" ? Le sens du mot "chevet" est-il clair pour tout un chacun ? Ouf ! Seules deux ou trois personnes attendent la visite devant le portail de la cathédrale. Désormais complet, visiblement nombreux, le groupe fait cercle autour de Martine, qui, rappelant le titre de la visite, "Le clocher de Mirepoix, de fond en comble", annonce du même coup le programme de cette dernière : de la chapelle du Saint Sépulchre au beffroi et à la galerie supérieure.

En guise de prologue, Martine nous invite à considérer d’abord le clocher depuis la place et à identifier sa structure, témoin des trois âges de sa construction. La base carrée, dotée de murs aveugles, ourlée en altitude d’un larmier qui la protège du ruissellement, est d’époque médiévale. Elle supporte une tour octogonale, percée d’élégantes fenêtres, typique du style de la Pré-Renaissance occitane. La tour est surmontée d’une flèche, adornée de multiples fleurons, héritée de l’épiscopat munificent (1497 à 1537) de Philippe de Lévis. Philippe de Lévis, au début de son épiscopat, trouve l’église médiévale en ruine, le toit crevé, la nef envahie d’arbres sous lesquels on mène les cochons. Il use de sa fortune personnelle pour restaurer progressivement cette église, l’agrandir, la doter d’une tour capable d’abriter des cloches, la parer, enfin, d’une flèche superbe afin de signaler jusque dans l’azur la dignité de la cathédrale. L’église a fait depuis lors l’objet de nombreuses modifications, tout spécialement à l’époque de Mérimée et de Viollet-Le-Duc. Seules deux des gargouilles médiévales ont survécu aux outrages des ans ; toutes les autres datent du XIXe siècle. L’ensemble des gargouilles participe en tout cas de l’histoire de la cathédrale et peuple de sa présence fantastique la place que nous avons la chance de pouvoir traverser tous les jours.  

Martine attire ensuite notre attention sur les contreforts qui soutiennent le clocher. Initialement au nombre de quatre, ils ne sont aujourd’hui plus que trois : le quatrième s’est trouvé absorbé par la nef, lors de l’agrandissement nécessaire à l’installation de l’orgue. L’un des trois contreforts restants est constitué par la tour scaligère, i. e. par la tour de circulation qui est flanquée à l’arrière du clocher et qui permet d’accéder par un escalier à vis aux différents étages du dit clocher.

Le moment est venu maintenant de visiter le clocher "de fond en comble".

Nous entrons dans la cathédrale et Martine nous conduit à la vieille porte qui donne, par un étroit corridor, sur la chapelle du Saint Sépulcre. Egalement créée par Philippe de Lévis, celle-ci se trouve enclose dans la base aveugle du clocher. Une fenêtre étroite et haute, percée à l’époque de la création la chapelle, verse sur cet espace qui sent la crypte, un jour rare. Aujourd’hui désaffectée, la chapelle sert visiblement de débarras.     

La voûte gothique, dont les arcs tombent sur des culots ornées d’étranges figures ailées, comporte en son centre un orifice circulaire qui donne sur les étages supérieurs du clocher et qui se trouve à l’aplomb du beffroi. On se sert de cet orifice, aujourd’hui comme hier, pour hisser les cloches jusqu’au beffroi.

Ci-dessus : vue des trois orifices circulaires qui permettent d’étage en étage le passage des cloches. Au centre de la colonne d’élévation, on reconnaît au jour qui filtre entre les lames, le plancher du beffroi.

Le mobilier de la chapelle a complètement disparu. L’un des murs conserve l’empreinte d’un retable ou d’un autel baroque. Sur deux des autres murs, on distingue des restes de fresque, hélas très parcellaires et très dégradés.

On sait grâce aux travaux du savant archiviste Félix Pasquier que la dépouille d’Antoine de Lévis, seigneur de Mirepoix, a été déposée ici au lendemain de son décès, en 1627, et qu’elle y est demeurée au moins jusqu’en 1655. Il y a là un fait bizarre, en tout cas contraire à l’usage qui voulait que les seigneurs de Mirepoix fussent enterrés au cimetière des Cordeliers, i. e. au pied du château de Terride, sur la rive droite de l’Hers. Les restes de décor et l’empreinte de l’autel disparu donnent à penser qu’on se trouve ici dans une chapelle réservée à l’usage funéraire, plus spécialement aux funérailles des seigneurs de Mirepoix. Un fragment de peinture noire encore bien visible sur un mur signale la présence d’une litre seigneuriale, ou ceinture funèbre, que l’on peignait à l’extérieur ou à l’intérieur de l’église, en vertu d’un droit honorifique très ancien, pour signifier la mort du seigneur. 

L’atmosphère de cette chapelle a quelque chose de souterrain. Elle pèse sur l’âme. Quittant ce lieu étrange, nous nous rendons maintenant à la porte qui ouvre sur l’escalier à vis de la tour scaligère. Eclairé de loin en loin par d’étroites fenêtres, il comporte des passages sombres. Les marches de pierre en sont usées, creusées par les pas de ceux qui ne sont plus, comme dirait-on par un ruissellement séculaire. 

Les marches sont nombreuses. Nous les gravissons d’un pas hésitant. Arrivés au premier étage, nous nous nous engageons sur le balcon inférieur, qui ourle d’une balustrade refaite au XIXe siècle l’endroit où s’opère, dans l’architecture du clocher, la jonction entre la base carrée et la tour octogonale. Tous les toits de la ville déclinent sous nos yeux leur mosaïque de couleurs fruitées.   

Puis, reprenant notre ascension, nous arrivons à l’étage des cloches. Martine nous ouvre la porte : nous entrons dans l’espace occupé par le beffroi. Il s’agit d’un énorme ouvrage de charpente, qui repose sur un rebord en pierre ménagé en saillie sur les murs intérieurs de la tour et qui supporte seul le poids, le mouvement et la vibration des cloches afin de préserver la solidité de l’appareil de pierre propre à l’édifice. Le mouvement du beffroi demeure quant à lui sans risque, car le bois dissipe dans la charpente l’essentiel de l’énergie dynamique.  

Sur la photo de droite, on voit que les fenêtres de la chambre des cloches sont pourvues d’abat-sons. Il s’agit de lames jadis faites en tôle, aujourd’hui en ardoise, qui, comme le nom l’indique, ont pour fonction de rabattre le son vers le bas, ici vers la place et les couverts, situés au pied de la cathédrale.

Ci-dessus : quelques éléments de la machinerie qui actionne le mouvement et la sonnerie des cloches.

Au sortir de la chambre des cloches, nous poursuivons encore notre ascension, et arrivés en haut de l’escalier, nous nous trouvons en face de la passerelle qui conduit, par dessus le vide, au balcon supérieur du clocher. Minute de vertige…

J’ai franchi la passerelle ; j’ai fait le tour du petit balcon ; et je n’ai pas eu le courage de m’approcher de la balustrade pour prendre d’autre photos du vide. Je me demandais si j’avais envie de monter sur la petite plate-forme qui surplombe le balcon…

 

J’ai considéré la plate-forme… et je l’ai photographiée à distance. Je me suis souvenue d’une promenade du côté de Malaquit. Qu’il est doux de considérer la flèche de la cathédrale depuis la courbe tranquille des coteaux !

Martine Rouche a placé la visite sous le signe de Frédéric Soulié. Celui-ci, dans la nouvelle intitulée Le sire de Terride(s) 1 rend un bel hommage à la ville de son enfance :

"Dans le département de l’Ariège, en suivant une route bordée de chaque côté de collines qui laissent voir à droite les hautes Pyrénées, on aperçoit, au bout de l’horizon, un clocher gracieux et effilé, dentelé, depuis le bas jusqu’au sommet, de gueules de loup artistement travaillées. Ce clocher, c’est celui de Mirepoix".

Nous avons partagé, sous l’auspice de Martine Rouche, cette vision radieuse, chère au coeur de Frédéric Soulié. Nous avons beaucoup appris sur le clocher de la cathédrale, son histoire, ses mystères. Un beau moment de culture, d’émotion, de sensations. "De fond en comble" via l’escalier à vis et la passerelle sur le vide, une belle promenade de santé, aussi 🙂 

A lire aussi :

La dormeuse blogue : Une visite au clocher de la cathédrale de Mirepoix

Notes:

  1. Frédéric Soulié, « Le sire de Terrides» , in Le Port de Créteil, éditions Michel Lévy Frères, 1858 ↩︎

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1 commentaire au sujet de « Autre visite au clocher de la cathédrale de Mirepoix »

  1. Martine Rouche

    Fichtre, quel post magnifique ! Je me devais de te remercier en priorité !
    Inutile de préciser que j’avais bien des choses encore à partager, mais le temps manque toujours … De même que j’ai commencé avec Frédéric Soulié, j’avais prévu de finir avec Victor Hugo mais il était difficle de réunir le groupe à nouveau en fin de visite. Je profite donc de ce comment pour terminer, ce jour, ce moment d’hier :

     » Le grès est assez dédaigné des géologues, qui le classent, je crois, parmi les parasites du règne minéral. Quant à moi, je fais grand cas du grès. Le grès est la pierre la plus amusante et la plus étrangement pétrie qu’il y ait. Il est parmi les rochers ce que l’orme est parmi les arbres. Pas d’apparence qu’il ne prenne, pas de caprice qu’il n’ait, pas de rêve qu’il ne réalise ; il a toutes les figures, il fait toutes les grimaces. Il semble animé d’une âme multiple.  »
    Victor Hugo, Les Pyrénées de Bordeaux au cirque de Gavarnie, éditions Encre, 1984.

    Es-tu d’accord que c’était une jolie conclusion sur le grès de la cathédrale ?

  2. Martine Rouche

    Un oubli après l’autre …
    La très belle couronne en bois doré, posée sur des brancards, servit à transporter les reliques de saint Gaudéric, il y a quelques années de cela. Certains enfants, déguisés en anges pour l’occasion, ont bien grandi depuis et faisaient partie du groupe qui visita le clocher hier … Les reliques, déposées sous cette couronne, étaient portées sur une charrette tirée par des boeufs poudrés de blanc, dont on avait peint les cornes en doré. Cela pour reprendre la légende des deux boeufs, le noir et le blanc, qui tirèrent vers Fanjeaux (le noir) et vers Mirepoix (le blanc) le char sur lequel reposait la dépouille du saint. Le boeuf blanc ayant gagné, on ne prit donc que des boeufs blancs pour la procession…. La légende locale dit que, dès la procession finie, les boeufs repartirent paître paisiblement dans la campagne, toujours cornés d’or, ce qui aurait grandement étonné des touristes américains ………

  3. La dormeuse

    Une conclusion bachelardienne, en forme de rêverie sur l’âme du grès…
    Idée somptueuse. Il y a tout un article à faire.

  4. Martine Rouche

    Aurons-nous jamais fini d'extirper des pépites des " manuscrits poudreux " , comme disait Antoine Benoît Vigarozy ? …
    Voici l'une des dernières :
    " Le 15 mars 1725 noble dame margueritte de rochechouärt veuve de noble pierre de labat et d'antignac seigneur de caudeval agee d'environ 80 ans decedee dhier apres avoir receu les sacremens a ete transportee dans la sepulture de caudeval et ses entrailles ont ete inhumees et enterrees dans la chapelle du clocher de cette parroisse en presence de moy vicaire de mirepoix.
    Garrigues prebstre & vicaire "
    (B.M.S., AM Mirepoix, orthographe et ponctuation fidèles au registre)
    Lors d'une prochaine visite, il est certain que nous ressentirons une émotion supplémentaire, à la pensée des disparus qu'ont honorés des rites funéraires parfois étranges pour nous, dans cette chapelle qui ne fut pas nommée " du Saint-Sépulcre " en vain.