2 juin on passa messire de Levis pour aler lenterer à Mirepoix qui fut bien regreté.
Cet événement date de 1618. Il se trouve rapporté, sans autre commentaire, dans le journal du sieur Astruc, alors marguillier de Belpech. Jean Cazanave fournit une transcription de ce journal dans La transition révolutionnaire à Belpech, ouvrage publié en en 1989 aux Editions de la Municipalité de Belpech.
Ci-dessus : vue des toits de Belpech et du clocher de l’église Saint Saturnin.
Troublée par l’étrangeté des mots dont use ici le marguillier Astruc, troublée encore davantage par l’étrangeté de la vision qui s’en suit, un corps qui passe à la hauteur des hautes herbes sur les routes de l’été, j’ai cherché à savoir quel « messire de lévis » on « passait » ainsi à Belpech le 2 juin 1618 « pour aler à Mirepoix ».
Ci-dessus : pont sur la Vixiège, Belpech.
On sait que la maison de Lévis Mirepoix, jusqu’à la Révolution, enterre ses morts en la chapelle des Cordeliers, située sur la rive droite de l’Hers, à l’endroit où s’élevait l’ancien Mirepoix avant l’inondation catastrophique de 1289. Le « messire de lévis » qu’on « passe » à Belpech pour « aler à Mirepoix », est donc un membre de la maison de Lévis Mirepoix dont le corps chemine vers la dite chapelle.
Après Jean VI, mort en 1607, Antoine Guillaume de Lévis, deuxième des sept fils légitimes de Jean VI, est en 1618 seigneur de Mirepoix. Il vivra jusqu’en 1627. Philippe de Lévis, troisième fils de Jean VI, baron de Lavelanet, est mort en 1601. Jean de Lévis, fils aîné de Jean VI, vicomte de Mirepoix et de Montségur, est mort en 1603. Claude de Lévis, septième fils de Jean VI, est mort en 1617. Henri de Lévis, sixième fils de Jean de Lévis, seigneur de Gaudiès, vivra jusqu’en 1636. Jean de Lévis Lomagne, cinquième fils de Jean VI, baron de Roquefort, vivra jusqu’en 1664. On ignore la date exacte du décès de Jean Louis de Lévis, fils bâtard de Jean VI, seigneur de Saint-Jean de Paracol ; on sait seulement qu’il est mort avant 1626 1Cf. Félix Pasquier, Félix Pasquier, Archives du château de Léran – Inventaire historique et généalogique des documents de la branche Lévis Mirepoix, tome III, pp. 408-409, Privat, 1909..
Ci-dessus : clocher de l’église Saint Saturnin, Belpech.
Le corps qu’on « passe » à Belpech le 2 juin 1618 « pour aler à Mirepoix » est donc probablement celui d’Etienne de Lévis, quatrième fils de Jean VI, seigneur de Sainte-Foy, mort le 25 avril 1618, probablement au château de Lavelanet « dont il avait la jouissance », dixit Félix Pasquier 2Ibidem, p. 402 : Etienne de Lévis, seigneur de Sainte-Foy, mourut en 1618, sans être marié, laissant, par son testament du 10 août 1616, tous ses biens à sa tante Louise de Mirepoix. Aussitôt après le décès, elle fit dresser, le 25 avril 1618, un inventaire du mobilier garnissant le château de Lavelanet, dont son neveu avait la jouissance…. A moins qu’il ne s’agisse du corps de Jean Louis de Lévis, seigneur de Saint-Jean de Rouvenac, puis de Saint-Jean de Paracol, mort avant 1626, dixit toujours Félix Pasquier, archiviste du château de Léran, là encore sans précision aucune. Mais eût-on enseveli le corps d’un bâtard dans la nécropole des seigneurs de Mirepoix ?
Ci-dessus : mise au tombeau, XVIe siècle, église Saint Saturnin, Belpech. Source : Base Mérimée. Crédit photo : Jannie Long – © Monuments Historiques.
L’incertitude quant à l’identité du corps qu’on « passe » demeure toutefois planante, en raison de la bizarrerie géographique du parcours suivi par le cortège funèbre.
Si Etienne de Lévis est mort effectivement à Lavelanet, d’où vient que pour « passer » le corps de Lavelanet à Mirepoix, on ménage un excursus par Belpech ?
Si d’aventure Etienne de Lévis, seigneur de Sainte-Foy, était mort en sa propre seigneurie, on ne voit pas davantage la raison de l’excursus par Belpech.
L’évêque en exercice, qui attend sans doute le corps à Mirepoix, est alors Pierre Bonsom de Donnaud. On ne lui connaît pas de liens avec Belpech qui eussent nécessité ici l’excursus considéré.
La vie d’Etienne de Lévis, seigneur de Sainte-Foy, demeure mal connue. Félix Pasquier, qui le constate, n’indique pas noir sur blanc qu’Etienne de Lévis soit mort à Lavelanet, mais seulement qu’aussitôt après le décès, Louise de Lévis Mirepoix, sa tante, veuve de Jean-Claude de Lévis, baron d’Audou, seigneur de Bélesta, fit dresser, le 25 avril 1618, un inventaire du mobilier garnissant le château de Lavelanet, dont son neveu avait la jouissance…. Le seigneur de Sainte-Foy a pu mourir n’importe où, sur sa route violente.
Nous n’avons pu trouver, dixit Félix Pasquier, que quelques petits détails sur la participation d’Etienne de Lévis à tous les événements qui troublèrent le Languedoc. Par un arrêt du parlement de Toulouse de septembre 1607, le sire de Sainte-Foy et ses complices furent décrétés de prise de corps pour excès contre les personnes et biens des chanoines de Mirepoix. En cas de résistance, les habitants de Mirepoix devaient s’armer contre les inculpés ; les consuls étaient chargés d’assurer la tranquillité publique.
Etienne était de trop bonne race pour rester indifférent devant une provocation et pour ne pas savoir donner un coup d’épée à l’occasion. Appelé en duel par les seigneurs de Damas et de Montberault, il accepta le défi et s’adjoignit pour second le capitaine Cairol, de sa maison ; les combattants soutinrent la lutte, deux à deux, jusqu’au sang. Condamné pour cette faute, Henri IV lui accorda, ainsi qu’au capitaine Cairol, des lettres d’abolition qui furent enregistrées an parlement de Toulouse, le 23 mai 1608.
L’année suivante, en juin 1609, le même parlement rendait un arrêt de prise de corps contre Etienne de Lévis et son laquais pour avoir troublé les religieux de la Merci en la jouissance du tiers du four banal de la ville de Mirepoix. Ordre fut donné de laisser les plaignants jouir tranquillement de leurs droits.
Les relations d’amitié qui l’unissaient à sa tante Louise de Lévis Mirepoix, veuve de Jean-Claude de Lévis, baron d’Audou, seigneur de Bélesta, faisaient qu’Etienne se rendait souvent dans cette seigneurie pour aider sa tante dans ses diverses affaires. Il s’y trouvait lors du conflit que Louise de Lévis Mirepoix eut avec les protestants de Bélesta, qui avaient construit un temple malgré sa défense formelle. Etienne, outré de cette manière d’agir et poussé par son impétuosité, réunit les hommes de sa suite à ceux de sa tante et démolit, en partie, l’édifice. Les Protestants, bien que le Conseil du roi eût retenu la cause, obtinrent, le 23 mai 1615, un arrêt de la Chambre de l’Edit de Castres condamnant, pour ce fait, Louise de Lévis au bannissement perpétuel et Etienne de Lévis Mirepoix à avoir la tête tranchée, ainsi que plusieurs autres de ses complices. Dans le nombre se trouvaient le seigneur de Ventaillole, François de Lévis, el le fils du seigneur de Villesesque, beau-frère de ce dernier, Olivier de Pompadour. Le Conseil du roi révoqua cet arrêt les 21 avril, 13 août et 21 novembre 1616. 3Ibid., pp. 401-402.
Ci-dessus : ruines de la chapelle Notre Dame du Rosaire, Belpech. Source : Base Mérimée. Crédit photo : André Signoles – © Monuments Historiques.
Si le corps qu’on « passe » le 2 juin 1618 à Belpech « pour aler à Mirepoix » est effectivement celui d’Etienne de Lévis, on s’étonne, au vu des quelques détails rapportés par Félix Pasquier, de la formule de regret qui vient sous la plume du marguillier Astruc : 2 juin on passa messire de Levis pour aler lenterer à Mirepoix qui fut bien regreté. Le « messire de levis qui fut bien regreté » est-il bien ce même Etienne de Lévis, seigneur de Sainte-Foy, maintes fois convaincu de violences par les tribunaux de Toulouse et de Castres, condamné à la décapitation en 1615 ?
Ci-dessus : vestige de fresque dans la chapelle funéraire, dite aussi chapelle « de la litre », située sous le clocher de la cathédrale de Mirepoix. Là demeura momentanément le corps d’Antoine Guillaume de Lévis, seigneur de Lévis Mirepoix, avant son ensevelissement en la chapelle des Cordeliers. Cf. La dormeuse blogue : Sous le clocher de la cathédrale de Mirepoix, une chapelle oubliée.
Le décès d’Etienne de Lévis remontant au 25 avril 1618, on ignore pourquoi la translation du corps à Mirepoix n’intervient que le 2 juin 1618. Antoine Guillaume de Lévis lui-même, seigneur de Mirepoix, qui mourra le 13 mai 1637, aura, dixit Félix Pasquier, son corps déposé momentanément sous le clocher de l’église cathédrale de Mirepoix, en attendant d’être porté dans le caveau de famille, en la chapelle des Cordeliers de la ville ; la translation en fut faite ensuite par Louis Hercule de Lévis Ventadour, évêque de Mirepoix. Nous ignorons, observe Félix Pasquier, les causes du retard apporté à cette sépulture et expliqué contradictoirement 4Ibid., pp. 405.. L’archiviste ne rapporte rien de ces explications contradictoires. Dommage. Il se peut que Louis de Nogaret de La Valette, qui fut évêque de Mirepoix de 1630 à 1655 et qui détestait la famille de Lévis Mirepoix, ait refusé de présider aux funérailles d’Antoine Guillaume de Lévis en la chapelle des Cordeliers. C’est en 1655 Louis-Hercule de Lévis Ventadour, parent de la famille de Lévis Mirepoix, qui succède à Louis de Nogaret de La Valette. On en déduira que le corps d’Antoine Guillaume de Lévis a peut-être reposé dix-huit ans en la chapelle de la litre, sous le clocher de la cathédrale de Mirepoix, avant de gagner la chapelle des Cordeliers.
J’évoquais plus haut Jean Louis de Lévis, fils bâtard de Jean VI, seigneur de Saint-Jean de Paracol, mort avant 1626, comme autre propriétaire possible du corps qu’on « passe » le 2 juin 1618 à Belpech « pour aler à Mirepoix ». Jean VI, dit Félix Pasquier, aimait tout particulièrement ce bastardon. Antoine Guillaume de Lévis en revanche le détestait et entreprit de s’arroger les biens de ce dernier après la mort de Jean VI. Si Jean Louis de Lévis est mort dans son fief de Saint-Jean de Paracol et s’il a été question de translation du corps à Mirepoix, on ne voit pas, là non plus, la moindre raison d’un passage par Belpech. La carte parle d’elle-même.
Déplacé après la Révolution dans un pré voisin, portail de l’ancienne chapelle des Cordeliers. Cf. La dormeuse blogue : La fontaine des Cordeliers.
L’affaire du corps qu’on « passa » le 2 juin 1618 à Belpech pour « aler à Mirepoix » conserve au terme de cette petite enquête l’éclat obscur de l’inexpliqué. Il eût suffi que le marguilier Astruc précisât le nom du « messire de levis » passant ici, pour que l’affaire se trouvât reconduite à l’ordinaire de la vie et de la mort comme elles vont. Le nom du « messire de levis que l’on passait » allait au demeurant sans dire pour le modeste marguillier. Il n’en va plus de même aujourd’hui pour nous. C’est là souvent ce qui fait l’opacité des documents d’archive, mais aussi leur humanité mystérieuse, et l’éclat obscur de la rêverie qu’elles inspirent.
A lire aussi :
La dormeuse blogue : Sous le clocher de la cathédrale de Mirepoix, une chapelle oubliée
La dormeuse blogue : La fontaine des Cordeliers
Notes