Le Rameau musical de Dun chante à Belpech pour le 7e centenaire de la pose de la première pierre de l’église Saint Saturnin

 

Belpech fêtait cette année le septième centenaire de la pose de la première pierre de l’église Saint Saturnin, et, par la même occasion, le souvenir de sa propre histoire. C’est le 14 juin 1312 en effet qu’a eu lieu la pose de la dite pierre par Guillaume de Gascogne, recteur de l’église vieille, après, dit-on, que, s’arrêtant un jour à Belpech au décours d’un voyage qui le menait en Avignon, le pape Clément V, qui avait été évêque de Saint-Bertrand-de-Comminges, se fut ému de l’exiguïté de l’église vieille, et qu’il eut décidé d’initier alors le financement nécessaire à la construction d’une église neuve, plus vaste, mieux adaptée à la communauté grandissante des Bellopodiens.

Hier soir, 19 octobre 2012, le Rameau musical de Dun donnait concert en l’église Saint Saturnin de Belpech, clôturant ainsi le programme du septième centenaire. Nous nous y sommes rendues à trois, depuis Mirepoix. Arrivées tout exprès de bonne heure, nous avons profité du soir tombant pour flâner dans la vieille ville.

 

Nous sommes descendues d’abord au bord de la Vixiège. L’ombre déjà venait dans les peupliers.

 

Nous avons marché ensuite, ou rôdé, comme on dit ici, dans les petites rues et les andrones du vieux Belpech. Même ruiné par endroits, celui-ci constitue un admirable répertoire des formes et des façons architecturales qui ont été celles de la société languedocienne d’antan !

 

Nous nous sommes arrêtées bien sûr devant les deux plus belles suites de fenêtres de la ville, celles de la maison du cardinal Curti (XIVe siècle), puis celles de la demeure seigneuriale du marquis de Mauléon Barousse (XVIIe siècle).

 

 

Au passage, par goût des légendes urbaines, j’ai photographié cet emblématique Café du Commerce, aujourd’hui fermé.

 

Revenues à proximité de l’église, nous nous sommes arrêtées encore devant la maison Amigues, dotée d’un rare encorbellement double (16e siècle). Les embouts des sommiers ressemblent fort, ici, à ceux qu’on voit aux maisons des couverts, à Mirepoix.

 

L’heure du concert approche. Nous nous dirigeons vers l’église Saint Saturnin.

 

Daté du XIIe siècle, conservé en 1312 lors de l’édification de la nouvelle église gothique, le portail demeure un vestige de l’ancienne église romane. Construite à partir de 1312 dans le style gothique, l’église neuve a connu par la suite nombre de vicissitudes : interruption des travaux, due à l’insuffisance du financement ; destruction, à l’époque des guerres de religion ; reconstruction au XVIIe siècle ; réaménagement du décor intérieur au XIXe siècle ; etc. Seuls subsistent de cette église gothique la chapelle du Saint Sépulcre et l’enfeu qui abrite le gisant de Jean de Cojordan, né à Beaupuy (aujourd’hui Belpech), plus tard évêque d’Avignon, puis évêque de Mirepoix de 1348 à 1361.

 

Ci-dessus : seuil de la chapelle Sainte Madeleine.

Monseigneur de Cojordan se trouve enterré ici, dans la chapelle Sainte Madeleine, conformément au testament dans lequel il avait formulé ce voeu et dont un exemplaire a été plus tard retrouvé dans le coussin sur lequel le gisant repose sa tête.

Qui était Jean de Cojordan, natif de Belpech – anciennement Beaupuy ou Beaupouy de Rouaix -, issu sans doute de l’une des maisons seigneuriales qui se disputaient jadis la baronnie de Belpech, élevé plus tard au rang d’évêque d’Avignon, puis de Mirepoix ?

Jean de Cojordan doit sans doute les différentes étapes de sa carrière ecclésiastique à Jacques Fournier, natif de Canté près de Saverdun, qui est nommé en 1317 évêque de Pamiers, puis en 1326 évêque de Mirepoix, qui exerce à ce titre la fonction de co-président du tribunal de l’inquisition, et qui accède au pontificat en 1334 sous le nom de Benoît XII. Jean de Cojordan se trouve d’abord nommé, à proximité de Belpech, recteur du château d’Antioche 1Cf. Couleur Lauragais : Des châteaux à découvrir ; Nouvelles balades à la découverte du Lauragais., où Roger de Mirepoix,en mai 1242, avait attendu le retour des faydits chargés par ses soins d’aller assassiner Guillaume Arnaud et Étienne de Saint-Thibéry, membres du tribunal de l’inquisition, et leur suite, à Avignonet. Nommé ensuite archidiacre de Béziers, puis en 1335 évêque d’Avignon et trésorier pontifical, il devient l’homme lige et le commensal de Benoît XII. C’est dans le cadre de son épiscopat avignonnais que, lors du synode de 1337, il prescrit aux curés la lecture d’une sentence d’excommunication à l’encontre de ceux qui se rendent coupables de charivaris ou de ceux qui les favorisent pendant ou après la célébration des mariages 2Cf. Contra facientes ludum qui vocatur « charavarie », vel alias vociferationes in solempnisatione matrimonii ; cité par I.H. Labande, Autour du mariage – Moeurs et coutumes avignonnaises des xiv et xve siècles, in La Correspondance historique et archéologique, volume 1-2, pp. 18-23, Imprimerie H. Bouillant, Saint-Denis, 1894.. Nommé en 1349 évêque de Mirepoix, il se préoccupe là essentiellement de soulager les misères et d’aider par des dons au financement des hôpitaux diocésains. Le 12 juin 1361 à Avignon, Guillaume de Curti 3Guillaume de Curti se trouve ailleurs autrement nommé Guillaume de Court Novel, ou Guglielmo Curti, ou encore le cardinal blanc, en raison de la couleur de son habit., cardinal, natif de Belpech, neveu du pape Benoît XII, meurt de la peste en Avignon. Il lègue ses biens à l’abbaye de Boulbonne, à charge pour cette dernière de donner sa maison paternelle à Belpech à fin de fondation d’un hospice, et plusieurs milliers de florins « pour servir à recevoir et nourrir les pauvres de la ville ». Le 9 octobre 1361, Jean de Cojordan meurt à son tour. Il lègue la totalité de ses biens aux pauvres de Belpech. Il existe dans la chapelle de l’hospice dont Mgr de Curti a été le fondateur et dont Jean de Cojordan a été le bienfaiteur, dit Henri Reynard-Lespinasse en 1874 4Henri Reynard-Lespinasse, Armorial historique du diocèse et de l’état d’Avignon, in Mémoires de la société française de numismatique et d’archéologie, section d’art héraldique, pp. 40-41, Paris, 1874., les blasons de l’un et de l’autre : celui de Curti, de gueules plein à un écu d’argent en abyme, et celui de Cojordan, tel qu’il se trouve dans la chapelle de la Madeleine, et au-dessous duquel on lit l’inscription suivante :

 

 

Jules de Lahondès, à propos de la chapelle Sainte Madeleine et de la tombe de Monseigneur de Cojordan, consigne en 1834 la description suivante :

L’arcature qui l’abritait a été détruite, mais le sarcophage, en pierre de talc, qui prend le poli du marbre, mais qui demeure molle et sans accent sous le ciseau, est encore intact. L’évêque est allongé, les pieds appuyés sur un lion, vêtu de la chasuble, coiffé d’une mitre ornée d’ogives, de trilobes et de roses à redents. Ses mains gantées, sont croisées sur sa poitrine. A côté de lui, la crosse accompagnée du sudarium a perdu sa volute. Un dais très élégant couronne 1a tête de l’évêque, et au-dessous de ses pieds droits est sculpté son blason : un aigle au vol abaissé, broché d’une bande. […].

Sur la face du sarcophage, sept niches ogivales contiennent autant de statuettes en haut relief, représentant les personnages qui figurent habituellement dans les cérémonies funèbres, depuis l’acolyte jusqu’à l’évêque. 5Jules de Lahondès, Belpech de Garnagois, in Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France, Société archéologique du Midi de la France, Toulouse, 1834.

 

La figure tombale de Jean de Cojordan présenterait, d’après Jules de Lahondès en 1834, une grande analogie d’attitude, de costume et de précieux travail, avec celle de l’évêque de Rieux, Jean de la Teyssandière, antérieure à peine de quelques années, que l’on voit au musée de Toulouse 6Ibidem.. Michèle Pradalier-Schlumberger tient aujourd’hui que le gisant de Jean de Cojordan sort d’un autre atelier que celui de Jean Tissandier, attribué au Maître de Rieux.

Le tombeau de l’évêque de Mirepoix, Jean de Cojordan, témoigne, dit Michèle Pradalier-Schlumberger, du travail d’un sculpteur qui commence à oublier les inventionns stylistiques du Maître de Rieux, et n’en retient que le côté richement ornemental.

Le gisant, les mains croisées sur la poitrine, est revêtu, comme les évêques de l’atelier du Maître de Rieux, de somptueux vêtements liturgiques. Il porte une mitre à bordure orfèvrée et à remplages rayonnants simplifiés, un collet d’amict divisé en quadrilobes, des gants ornés d’un médaillon ajouré, et les traditionnels étoles, manipules et dalmatiques frangés. Ces vêtements sont drapés selon les mêmes procédés plastiques que les gisants de Jean Tissandier et d’Hugues de Castillon, mais ce sont là les seuls rapprochements que l’on puisse faire avec les oeuvres du Maître de Rieux. Les autres éléments du gisant, la tête, le lion placé à ses pieds, relèvent d’une conception tout à fait différente. La tête, ronde, sous un immense front lisse dénué de sourcils, a des traits écrasés, un nez plat, une toute petite bouche, et des yeux très ronds à demi-fermés sous des paupières larges. La chevelure, rare, disposée en deux mèches profondément striées au-dessus et au-dessous de l’oreille n’est absolument pas traitée comme les exubérantes chevelures du Maître de Rieux. Pour des raisons stylistiques, F. Español 7Cf. Francesca Español, Joan Avesta, sculpteur de Carcassonne. L’influence de l’atelier de Rieux sur la Catalogne, in Bulletin monumental, t. 151-II, 1993, p. 383-403. a attribué le gisant de Jean de Cojordan à Joan Avesta, auteur du tombeau bien documenté de l’évêque Bertrand de Montrodon (1381) à la cathédrale de Gérone 8A lire également, sur recommandation d’Auguste Armengaud, président de la Société d’histoire du Garnaguès : Barbara Mundt, « Der Zyklus des chapelles de Rieux und seineKunstlerische Nachfolge » in Jahrbuch Berliner Museum, 9, p.26-80, 1967.. Joan Avesta est un sculpteur originaire de Carcassonne, qui a fait l’essentiel de sa carrière en Catalogne. 9Cf. Michèle Pradalier-Schlumberger, Toulouse et le Languedoc: La sculpture gothique, XIIIe-XIVe siècles, p. 264, Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, 1998.

 

Située sur la gauche du choeur, la chapelle du Saint Sépulcre était fermée pour cause de restauration en octobre 2010, lors du premier concert que le Rameau musical de Dun donnait alors dans l’église Saint Saturnin de Belpech. La chapelle aujourd’hui est à nouveau accessible, derrière sa magnifique grille, qui date du XVIe siècle. Cette grille conservait des « restes de polychromie », lit-on sur la base Mérimée. Elle arbore, après restauration, des couleurs hardies, un brin surprenantes.

 

Jules de Lahondès brosse en 1834, dans l’article cité plus haut, une description de l’aspect et du contenu de la chapelle du Saint Sépulcre :

La chapelle du choeur, du côté de l’évangile, couverte d’une élégante voûte à liernes et tiercerons, conserve une mise au tombeau du commencement du seizième siècle , dont les figures grêles et alanguies, empreintes d’un sentiment de souffrance résignée, gardent le caractère des années antérieures. Nicodème et Joseph d’Arimathie déposent dans le tombeau le corps du Sauveur, sur lequel pleurent la Vierge et les trois saintes femmes, reconnaissables à l’expression diverse de leurs visages. Les gardes endormis sont sculptés avec de plus petites dimensions sur le devant du tombeau. Sous l’arcature, en anse de panier, formée par une gorge dans laquelle s’enroulent des feuilles de chardon frisé, des anges, d’un style assez vulgaire, portent les instruments de la passion ; celui du milieu présente un écusson.

 

Un des derniers moines de Boulbonne, originaire de Belpech, put sauver du pillage de l’abbaye et rapporter dans sa ville natale quatre panneaux sur lesquels sont peints à l’huile, au dire des commentateurs du XIXe siècle, le pape Benoît XII, Guillaume de Curti, né à Belpech, évêque d’Albi, puis de Nîmes, cardinal au titre des Quatre Couronnes, mort de la peste à Avignon quatre mois avant Jean de Cojordan, après avoir institué pour son héritière universelle l’abbaye de Boulbonne où il avait été moine, Jean de Cojordan, évêque de Mirepoix, et Arnaud, abbé de Boulbonne, leur contemporain. 10Cf. Jules de Lahondès, article cité supra.

A noter que ces identifications, au XIXe siècle déjà, demeurent discutées, puisque M.B. Benezet, dans Etude sur un manuscrit historique intitulé Cajer rénovélé (1585-1654) et continué suivent lés circonstances du tems et aproportion qu’elles sont arrivés de mon tems depuis 1736 jusques à 1797 11M.B. Benezet, dans Etude sur un manuscrit historique intitulé Cajer rénovélé (1585-1654) et continué suivent lés circonstances du
tems et aproportion qu’elles sont arrivés de mon tems depuis 1736 jusques à 1797
, in Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France, Toulouse, 1880.
, tient sur la foi du dit « cajer », que le portrait du quatrième « Boulbonnien » est celui de Pierre Erbolet, également abbé de Boulbonne.

Rapportant ici ces diverses identifications sur la foi du cartel installé dans l’église, j’ai appris d’Auguste Armengaud, président de la Société d’histoire du Garnaguès, que, « pour ce qui est des panneaux peints, il y a ici une erreur qui se transmet malheureusement depuis le XIXe siècle : ce ne sont pas les Boulboniens – les tableaux seulement sont issus de l’abbaye de Boulbonne, non les personnages -, mais les quatre docteurs de l’Eglise », soit Saint Augustin, Saint Grégoire, Saint Jérôme, et Saint Ambroise.

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Ci-dessus, de gauche à droite et de haut en bas, les « Boulbonniens » invoqués par la tradition du XIXe siècle : Benoît XII, pape ; Guillaume de Curti, cardinal ; Jean de Cojordan, évêque ; Arnaud, abbé de Boulbonne, ou Pierre Erbolet, également abbé de Boulbonne. Ou bien, dans une interprétation plus moderne, les quatre docteurs de l’Eglise : Saint Augustin, Saint Grégoire, Saint Jérôme, et Saint Ambroise

Les figures, remarque Jules de Lahondès, digne représentant de l’interprétation du XIXe siècle, sensible par ailleurs à la qualité singulière des portraits en question, sont très individuelles, sauf celle du pape, que l’artiste n’avait pas vue ; elles sont empreintes d’un sentiment intense de la nature, et elles marquent une face trop oubliée de l’art français, se signalant déjà, dans ces lointaines origines, par une conscience délicate et une interprétation sincère de la vie. 12Cf. Jules de Lahondès, article cité supra.

 

Parmi les nombreuses statues et les croix discoïdales conservées dans la chapelle du Saint Sépulcre, une rare et touchante Vierge enceinte, qui date du XVe siècle.

 

Toujours vêtu de ses belles mantes rouges, le Rameau musical de Dun vient de paraître devant le maître autel. Il s’agit ce soir d’une formation réduite. Le concert revêt ici, sous les hautes voûtes, une sorte de couleur intimiste. J’ai songé un moment à la ferveur des premiers chrétiens, réunis à la clarté des flambeaux dans les catacombes.

 

Le Rameau musical de Dun interprète comme toujours des pièces courtes, empruntées au répertoire sacré des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles – de Roland de Lassus à Pergolese -, puis à la tradition orthodoxe et à Liszt, enfin à quelques contemporains – De Marzi, Luciani, Real. L’accent est mis sur la joie et la louange, et, au besoin, sur la consolation des peines. Les voix tissent dans l’air, chaque fois, les motifs passagers d’une sorte de tapisserie mouvante, dans laquelle l’alternance des tessitures fait venir impromptu comme des effets de lumière et d’ombre, de transparence et de profondeur.

 

L’interprétation du Signore delle cime de G. de Marzi m’a fait penser au père Mario, qui a quitté depuis peu la cure de Mirepoix, et qui aimait particulièrement ce morceau.

 

J’ai songé ensuite, en écoutant ce quatuor de voix féminines à l’onyx si délicatement travaillé des Causeuses de Camille Claudel.

 

Le concert se termine sur un Canticorum Jubilo de Haendel. Sur la route qui reconduit à Mirepoix, la musique nous accompagne, de ses harmonies invisibles qui continuent à sonner silencieusement dans la nuit.

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