Alors étudiant en droit, Louis Gaussen publie en 1905 En Ariège ! : histoire, sites et légendes, bel ouvrage consacré aux merveilles géologiques – les grottes, la fontaine intermittente de Fontestorbes, etc. -, puis au charme des cités et des paysages ariégeois. Il évoque ici une excursion qui le conduit de Pamiers à Montségur, en passant par Mirepoix et par la vallée de l’Hers. Fils d’Ulysse Gaussen, professeur au lycée de Foix, il est aussi le frère aîné d’Henri Gaussen (1891-1981), éminent botaniste et biogéographe, qui a partagé dès son enfance la passion familiale des Pyrénées.
Jacques Vassal, professeur honoraire de l’Université Paul Sabatier, ancien élève et « disciple » d’Henri Gaussen, m’a transmis à propos de Louis Gaussen le supplément d’information qui suit :
« Né à Saint-Mamert (Gard) en 1844, Ulysse Gaussen, qui fut professeur et pasteur à Foix, est décédé en 1914 à Foix. Il a été père de Jeanne Gaussen (1880 1884), puis de quatre fils : Louis Gaussen (1883-1931), Charles Gaussen (1886-1988), Henri Gaussen (1891-1981) et Maurice Gaussen (1899-1921). Louis Gaussen, comme ses trois autres frères plus jeunes, a été un passionné des Pyrénées et de la région sous-pyrénéenne. Des courriers l’attestent. Il pilotait probablement ses frères plus jeunes. Après des études de droit, il devient, très jeune, diplomate à l’étranger. On le retrouve dans divers pays du monde jusqu’à sa mort tragique en août 1931, mort due à la chute de sa voiture, avec Mireille Gaussen, sa fille cadette, dans un canal près de Marseille. Djénane, sa fille aînée, n’a pas pu les sauver. 1Merci à Christian Gaussen, petit-fils de Charles Gaussen, qui m’a fourni les informations ci-dessus.
En 1905, lorsqu’il publie En Ariège ! : histoire, sites et légendes, Louis Gaussen est âgé de vingt-deux ans. Il s’est manifesté déjà en 1903, soit deux ans avant la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, dans un article intitulé Soyons laïques, brochure de propagande républicaine publiée en association avec d’autres étudiants. »
Ci-dessus : Louis Gaussen, curieusement en tenue de matelot, photographié ici par son frère cadet Charles, en 1907 ou 1908, dans les Pyrénées ariégeoises, au pied de la cascade de Bassies (Vicdessos). Louis Gaussen a alors 24 ou 25 ans. Photographie communiquée par Jacques Vassal.
Montségur mis à part, l’excursion reste charmante, à condition que l’on ait soin d’abandonner l’éternel ronron du chemin de fer pour le bruit léger des grelots si doux à entendre, par cette belle route qui s’en va sous les peupliers blancs et les frênes, à travers mamelons chargés de bouquets de bois et de cultures, lesquels, selon que l’on monte ou descend, cachent ou laissent voir les lignes sublimes de la grande montagne.
A droite, nous laissâmes le Mas-Saint- Antonin, qui a remplacé l’abbaye, première cause de la guerre, et le bourg des Allemans 2Le bourg des Allemans, depuis l’époque de Louis Gaussen, a été renommé La Tour du Crieu., garnison germanique, chargée de défendre les moines contre le patriotisme méridional. La route file au sud-est, droite, interminable, entre deux grands souvenirs historiques : à droite, le château de Foix, berceau des comtes, séjour de tout héroïsme chevaleresque, dérobé par les montagnes ; à gauche, le monastère de Boulbone, sépulture de ces princes et de la chevalerie pyrénéenne. Au soleil levant, derrière nous, la plaine de Toulouse fume sous la brume.
A cette entrée de la plaine, vers St-Amadou et le Carlaret, le sol est d’une grande richesse. Les damiers de luzerne en pleine floraison violette tranchent vigoureusement sur les étendues fauves des chaumes, mais cette splendeur rustique n’est pas générale, l’énorme terrain de cailloux roulés mélangés d’argile, a bien des parties sèches. Il est inconcevable qu’en un pays parcouru par une rivière aussi abondante que l’Ariège on n’ait pas su amener les eaux sur un sol qui devrait être aussi merveilleux de fécondité que les plus riches huertas de l’Andalousie ou la campagne française du Comtat. Celte plaine pourrait devenir un des greniers de la France.
Durant une vingtaine de kilomètres nous remontâmes ainsi a distance la rive gauche de l’Hers qui descend de Mirepoix. Peu à peu nous vîmes monter et grandir la flèche effilée qui nous indiquait la ville voilée d’un boulevard circulaire de verdure ; l’approche de Mirepoix se ferait d’ailleurs deviner par la seule présence des nombreux vide-bouteilles construits au flanc des coteaux. Il y eut là jadis de petites vignes où les bourgeois venaient le dimanche ; elles ont été détruites, on n’a pas replanté et ces friches sont navrantes.
Mirepoix, cependant, a gardé une ceinture de verdure, grâce à l’Hers qui donne de la fraîcheur à son ample vallée. Les beaux arbres qui l’entourent, ceux qui ombragent ses boulevards et ses places lui font un véritable diadème. Paresseusement couché au pied de Terride, c’est incontestablement l’un des coins les plus poétiques de notre Ariège.
C’est la porte du pays de Foix ouverte sur le Languedoc et la Provence.
Au mois d’août dernier, vers les deux heures de l’après-midi, venant de la porte d’Aval, ultime vestige de ses fortifications, si vous étiez arrivés sous les galeries couvertes, soutenues par de vieux piliers de chêne, vous eussiez constaté que nul promeneur, nulle jeune fille aux claires toilettes ne venait troubler le silence de celte place, pourtant si animée, aux fêtes et à la foire de Saint-Maurice, par les danses harmonieuses ou les âpres transactions commerciales.
Louis Gaussen cite ici le félibre Albert Tournier, (1855 Pamiers-1909 Ussat) :
« C’était l’heure de la sieste; et, participant au calme général, la marchande de légumes, devant les fruits de son étal étincelants comme rubis et émeraudes, somnolait sous son vaste parapluie de colonade rouge. On se serait cru transporté dans quelque ville d’Orient. »
« Effectivement, en dépit des locomotives qui, depuis sept ou huit ans, ont fait irruption dans l’Allée des Soupirs, la ville était aussi déserte et tranquille qu’aux époques où Raymond de Verdole promenait dans ses rues ensoleillées mitre et croix pastorale, où Jean-Jacques-Régis de Cambacérès, futur archi-chancelier d’Empire, exerçant la charge de maire alternatif, y représentait paisiblement l’autorité royale… » 3Albert Tournier, Préface du Mirepoix de François Descuns, Imprimerie J. Cassé, Mirepoix, 1902 ; reprint Lacour/Rediviva, Nîmes, 1995.
Ci-contre : Albert Tournier (1855 Pamiers-1909 Ussat).
Il est peu de villes plus régulières que Mirepoix, même en ce pays de bastides. C’est que la cité, enlevée une première fois par la rupture de la digue du lac de Puivert et reconstruite sur la rive gauche, fut détruite de nouveau, mais par le feu. On la reconstruisit sur le plan adopté pour les villes neuves avec les rues tirées au cordeau, les îlots réguliers de maisons et la grande place centrale entourée de ses galeries en bois ou couverts. Une partie des remparts est restée debout, une porte les perce encore à l’ouest.
Cette petite ville est charmante, en dépit de ses rues trop régulières, car elle a gardé beaucoup de ses vieilles maisons et surtout sa cathédrale. Ce fut en effet une cité épiscopale jusqu’à la Révolution. La place, dont les couverts sont supportés par de vieilles charpentes parfois sculptées avec toute la malice de nos pères, est bordée d’un côté par la belle église que reconstruisit, au commencement du XVIe siècle, l’évêque Philippe de Lévis. Cette cathédrale n’a qu’une nef, large et harmonieuse. Sa tour, surmontée d’une flèche dentelée portant une croix à 60 mètres au-dessus du sol, passe pour la plus belle de la région pyrénéenne./p>
L’Hers, qui détruisit la cité primitive, borde au nord la ville des fleurs, du chant et de l’amour — celle qui fut aussi parfois, comme dans l’hymne italien, la ville des armes, — et la sépare d’un massif épais de collines auxquelles donne accès un beau pont qui frappa Arthur Young 4Cf. Arthur Young à Mirepoix. par son aspect monumental. La première terrasse est occupée par les restes du château de Terride, forteresse qui fut longtemps une menace pour la bourgeoisie mirapicienne. De ces ruines, classées parmi les monuments historiques, on a une belle vue sur la large vallée où l’Hers décrit d’incessantes sinuosités avant d’aller tourner vers le nord par une courbe harmonieuse, en séparant le Languedoc, dont le Mirepoix faisait partie, du pays de Foix auquel appartenaient Pamiers et Saverdun. Au Foix, l’immense plaine de l’Ariège, au Languedoc, le massif de hauteurs strié de vallons dont le bois de Bélène occupe le centre. Les villages, très nombreux dans la plaine, sont plus rares sur les coteaux, mais leur aspect est autrement pittoresque : Teilhet à l’entrée d’un petit val, Vals signalée de loin par une haute tour et une église en partie taillée dans le roc.
Ce massif, dont les formes épaisses contrastent si fort avec les chaînons étroits et découpés du Plantaurel, va finir au nord sur la large vallée où se traîne la Vixiège, descendue des collines de Fanjeaux. On trouve ici le caractère des Corbières : les roches parfumées de plantes odoriférantes, la vigne et même quelques oliviers. La ligne de faite entre l’Hers et la Vixiège sépare les départements de l’Ariège et de l’Aude. De là aussi la vue se perd sur l’immense plaine toulousaine.
La vallée de l’Hers. — Mirepoix est une ville agréable : les rues en damier annoncent l’équerre de la monarchie, et son clocher effilé révèle l’art gothique venu du Nord avec la Croisade. C’était le fief militaire et religieux des Lévis. Un de ses enfants, Frédéric Soulié, a essayé de retracer ses guerres sous la forme des romans chevaleresques de Walter Scott. L’histoire réelle est bien plus dramatique et plus épique 5Le jugement de Louis Gaussen est ici sommaire et injuste !.
Nous remontions la rive gauche de l’Hers qui s’écarte un peu vers l’Orient. Le premier village rencontré, Roumengoux appartient au canton qui si longtemps fut le séjour de la puissante famille des Lévis Mirepoix. Le hameau comprend seulement l’église et quelques maisons. Tout près de là passe le chemin de fer de Bram à Lavelanet.
La vallée de l’Hers manque un peu de pittoresque, mais si elle n’a pas de beauté propre, elle doit beaucoup de grandeur au fond lointain des grandes Pyrénées aux crêtes neigeuses, qui se profilent du Carlitte aux sommets de l’Andorre.
Des ruines relèvent la monotonie des collines. La plus puissante est celle du château de Lagarde, ancienne résidence des Lévis, très vaste, mais dont les murailles ont trop de régularité pour être d’un grand effet dans le paysage. Trois tours carrées et une tour ronde flanquent la lourde masse. Sur l’autre rive, une petite montagne escarpée porte les débris du château de Montaragou, Jadis, il y avait sur le gave un pont de las Cledas, très fréquenté dans les courses nocturnes des Albigeois. Toute cette région était surveillée par les trois châteaux de Mirepoix, de Lagarde et de Léran, et par les deux bastides de Bousignac et du Peyrat. Les collines rocailleuses de droite renfermaient les grottes de Cabanac, le château de Dun, séjour de la pieuse comtesse Philippa et du diacre Peyrota de Clermont, et enfin Peyrèlas qui donnait son nom au célèbre châtelain de Montségur.
Les coteaux, entre lesquels l’Hers dessine son cours sinueux, sont en partie recouverte de landes misérables. Une gorge étroite s’ouvre entre des pentes plus boisées : par là viennent l’Hers, les eaux rares du Touyre. Le château de Sibra, entouré de communs aux toits rouges, domine cette sorte d’abîme ; un coteau est couronné par la vieille tour de Saint-Quentin. Tous ces débris de forteresse disent assez l’ancien rôle militaire du pays. Près des ruines de Lagarde, la façade de l’église du village, pan oblong, crénelé, percé de cinq baies, est d’une allure sarrasine.
La route remonte le cours de l’Hers jusqu’au petit bourg de Camon qui semble barrer la vallée. C’est un site ravissant. La rivière décrit une boucle autour d’un rocher sur lequel une haute tour d’église surgit de la verdure. Des toits pressés, des murailles croulantes, des débris fiers encore d’un château qui constituait une abbaye fortifiée, séduisent le voyageur. L’église renferme quelques objets précieux. Autour du village les coteaux sont couverts de cultures bien soignées, blé et maïs, encadrant quelques pans de vignes.
En amont, la route pénètre dans l’Aude après avoir franchi l’Hers, non loin d’un pont élégant et hardi du chemin de fer; la rivière coule entre de beaux arbres ; sa vallée rétrécie devient plus riche. il y a d’opulentes luzernes. Autour des fermes s’en vont des bandes d’oies blanches et grises, conduites par des enfants. On met de bonne heure ceux-ci au travail : voici un bambin de trois ans à peine, tout de rouge vêtu, moins haut que ses oies et qui les mène aux champs avec une amusante habileté.
Le soir tombe, une délicieuse lumière fluide baigne toutes choses, donnant une netteté extrême aux collines des bords de l’Hers et |à-bas, vers le sud, aux monts hérissés de sapins du Plantaurel et du pays de Sault. Au débouché d’un vallon, le village de Sonnac se blottit dans les arbres, d’où émerge le petit pignon-campanile de son église.
De grands platanes forment désormais avenue sur la route, le paysage s’anime. Sur un coteau le château de Falgas offre une façade de style flamand, tandis qu’une autre est flanquée d’une tour recouverte d’un dôme surmonté d’une lanterne.
Au fond du paysage, dans un bassin qui semble fermé, voici Chalabre, signalée par la tour octogonale de son église dont la grande nef percée de fenêtres ogivales domine le groupe des toits. L’ancienne capitale de la « Terre Privilégiée » est assise au pied de hautes collines entre lesquelles s’ouvrent des vallons offrant passage à des chemins qui rayonnent vers le Razès et le Mirepoix. L’Hers, le Blau, le Chalabreil, s’y réunissent. Cette situation était excellente au point de vue militaire, à une époque où toute cette région était sans cesse menacée par les incursions espagnoles ; aussi Chalabre devint-elle la cité principale du pays après la destruction de Pendels, capitale primitive, et l’abandon de Puivert.
Chalabre n’a pas le plan correct des bastides, mais elle possède cependant la classique place centrale et ses rues indiquent un tracé préconçu. Mais la vie abandonne ce noyau féodal pour se porter sur les boulevards plantés d’arbres touffus qui ont remplacé l’enceinte. Sur un coteau, entre le Blau et le Chalabreil, se dresse encore le château des barons de Chalabre, édifice flanqué de tours carrées, couronnées de créneaux. Ce château renferme la statue de Pons de Bruyères-le-Châtiel, un des lieutenants de Simon de Montfort, à qui le conquérant donna la principauté de Kercorbis.
Malgré l’éloignement des voies ferrées qui vient seulement de cesser et le peu d’abondance de ses eaux, Chalabre est un centre industriel vivant ; ses fabriques de drap, jadis actives, que faisait mouvoir un canal dérivé de l’Hers, ont été remplacées par la chapellerie de laine. Les villages environnants sont également travailleurs. Jusqu’à la ville ariégeoise de Lavelanet, on rencontre une grande variété d’usines.
Le ruisseau de Blau n’est pas assez abondant pour alimenter des manufactures ; sa vallée, très agreste, est parcourue par une route conduisant de l’Aude à Espéraza et, par un embranchement, à Quillan. Cette région assez solitaire aujourd’hui fut jadis le coeur du pays, le sire de Bruyères ayant fixé sa première résidence au château de Puivert, dont les ruines puissantes commandent l’entrée d’un large bassin qui était un lac, même à l’époque historique ; il fut vidé en 1289 par un seigneur qui fit rompre la digue, entreprise menée avec si peu de précaution que les eaux se précipitant dans le Blau et ensuite dans l’Hers allèrent détruire la ville de Mirepoix. Les habitants changèrent l’emplacement de leur cité pour éviter une nouvelle catastrophe.
Le château de Puivert, sous lequel le lac se précipita, était célèbre bien avant la guerre des Albigeois et la conquête du Midi par le Nord ; les seigneurs que Simon de Montfort et ses alliés devaient troubler dans leur tranquillité heureuse avaient fait de leur castel un rendez-vous de troubadours ; là eut lieu le premier concours poétique dont il soit question dans l’histoire du Languedoc. La forteresse est depuis longtemps abandonnée, mais les ruines demeurent, sauvegardées par leur classement comme monument historique.
Un peu au sud de Chalabre, le Riveillou gagne l’Hers près d’une active scierie. La rivière qui vient de longer la base d’une des sections du Plautaurel, tourne brusquement vers le nord en se tordant au sein de prairies bordées d’anciennes usines. Une route bordée de platanes la remonte et traverse le bourg travailleur de Sainte-Colombe-sur-l’Hers, de prospère allure par ses maisons blanches ayant deux ou trois étages.
Sainte-Colombe a conservé ses manufactures de lainage ; elle file les laines du pays et tisse des draps, l’Hers y fait mouvoir une tournerie ou l’on fait des bâtons de chaises et deux importantes fabriques de peignes en buis et autres bois durs. Malgré la concurrence du celluloïd, ces produits conservent la faveur d’une clientèle étendue.
Cette industrie est plus considérable dans les deux bourgs très voisins du Peyrat et de Labastide-sur-l’Hers, avec lesquels nous rentrons en Ariège. Une raide arête du Plantaurel domine ici la vallée, plissée par quelques vallons ; dans l’un d’eux, sous le hameau de Rivals, sourdent des eaux minérales. Ce chaînon est nettement coupé par l’Hers, et forme un des fragments de ces petites Pyrénées sectionnées par les rivières. L’arête, qui semble tracée à la règle par quelque géomètre, a, de ce côté, son point culminant (763m) au-dessus du Peyrat, village qui ne forme en quelque sorte qu’une seule agglomération avec Labastide.
Groupe singulièrement vivant, constituant un des centres français de la fabrication du peigne. On met en oeuvre, outre le buis, la corne de boeuf du pays et la corne de bélier. Depuis quelques années, on travaille aussi la corne d’Argentine, celle d’Irlande et le buffle.
L’Hers n’étant pas toujours suffisant pour actionner les ateliers, on a recours à la vapeur.
Le Peyrat, village aux contrevents gris, possède ses usines au bord de la rivière. Une d’elles fabrique les boites en carton nécessaires à l’emballage des peignes et des perles de jais qui sont une autre industrie de Labastide. Ce dernier bourg est plus considérable ; il borde la rivière débouchant par la fracture du Plantaurel à l’entrée de laquelle sont les bains de Foncirgue, où l’on exploite des eaux salées. Les rives de l’Hers sont bordées d’une double rangée de grands platanes ; le torrent, d’une admirable transparence, car les grandes sources de Fontestorbes qui l’alimentent sont proches, fait également mouvoir les tourneries qui fabriquent les perles. Il y a dans toute cette région, un des plus curieux exemples que l’on puisse voir de coupure de montagnes par un torrent. Le Plantaurel forme deux rangées parallèles d’arêtes hautes et étroites séparées par un intervalle de deux kilomètres, que remplit un autre système montagneux aux lignes moins nettes et divisé par les vallons. L’Hers, descendu des Pyrénées, a déjà coupé une chaîne à Bélesta ; il longe un moment l’arête du Sud, tourne brusquement à droite et perce le chaînon par un fort beau défilé. A peine a-t-il achevé de franchir l’arête, qu’il rencontre le massif intermédiaire dans lequel il pénètre par un étroit vallon de prairies, avant de couper la dernière barrière, vers les bains de Foncirgue.
Un joli chemin utilise ces coupures pour relier La Bastide à Bélesta. En le suivant, on a pendant longtemps en vue le massif de Tabe, couronné par le pic Saint-Barthélémy, superbe de forme, âpre par ses flancs, ayant encore de grands pans de neige. Le couloir de l’Hers semble un vestibule qui conduit à l’admirable montagne.
Mais celle-ci est séparée du voyageur par un massif de monts d’aspect fort rude, dont l’Hers ne triomphe qu’en creusant de grands défilés dont il s’échappe vers Fougax, très pauvre encore, pour venir absorber le flot autrement puissant de Fontestorbes.
Lavelanet. — Entre deux arêtes du Plantaurel, un chemin s’élève jusqu’au petit seuil dominé par l’église isolée de Saint-Jean d’Aigues Vives et descend sur Lavelanet, ville bâtie dans une splendide situation, à l’entrée d’une des plus étonnantes coupures du Plantaurel. Malgré sa modeste population, elle est, pour le nombre des habitants groupés dans le centre, la cinquième ville d’Ariège. Au point de vue des affaires, elle est plus importante que Foix et son industrie est autrement variée que celle de Pamiers.
Quand on arrive à Lavelanet par les bords du Touyre, c’est-à-dire les défilés du Plantaurel, devant soi, au-dessus d’une première chaîne de montagnes, on découvre une cime chauve qui se dresse comme une tête d’éléphant. Une dépression du rocher forme le cou d’où se renfle l’énorme mufle ; et, le soir, le jeu des ombres aidant, on peut distinguer l’oeil, les larges oreilles de l’animal indien. Sur son vaste crâne se dessine une masse carrée, semblable à ces ornements de bronze dont les asiatiques décorent leurs éléphants de combat. Cette ruine, c’est Montségur, et le donjon féodal se montre aux yeux du voyageur émerveillé, à peu près dans le même état que le Castellum romain apparut aux regards anxieux des Albigeois fugitifs, il y a plus de sept siècles (1204).
Le soir, le temps étant à l’orage, nous vînmes coucher à Lavelanet, située, comme disent les chroniques, juxta castrum Montis Securi. Montségur se trouve à deux lieues de là, dans la montagne et le célèbre donjon apparaît encore, dominant de sa haute cime les collines boisées et rocailleuses de Serrelongue, et les nuages qui flottent sur les vallées.
Par ses belles constructions, ses rues propres, ses boutiques, les arbres touffus qui bordent les quais de l’Ile, Lavelanet donne l’impression d’une cité riante et prospère. La filature et le tissage de la laine y sont fort actifs ; à chaque instant on voit passer dans les rues des ouvriers portant des fils et des tissus, draps communs, noirs ou bruns. On y compte plus trente fabriques, plusieurs filatures et des ateliers d’effilochage pour les vieux chiffons de laine qui servent à fabriquer les tissus « renaissance ».
Construit sur le Touyre, un torrent de montagne qui sort tout écumant des gorges de Montferrier, le bourg ancien s’allonge sur sa rive droite, resserré entre deux monticules rocailleux et boisés de chênes. L’un, celui de l’Est, supporte le château ; et l’autre, celui de l’Ouest, est couronné d’une chapelle, dédiée à Sainte Ruffine. Au XIIIe siècle, le bourg et son territoire étaient le domaine indivis de Bérenger de Lavelanet et de Ramon de Pérella. Les deux cousins étaient du même âge; ils avaient la même foi ; ils partagèrent la même destinée jusqu’au trépas. Seulement, dans ce tragique drame, Bérenger, moins riche, moins viril, moins héroïque, n’est que la doublure amoindrie de Ramon, et comme son Pylade chevaleresque. Après la chute de la forteresse albigeoise, tout le pays d’Olmes confisqué fut inféodé au maréchal de la croisade dont les descendants s’intitulèrent marquis de Mirepoix, vicomtes de Lavelanet et seigneurs de Montségur, titres qu’ils ont conservés jusqu’à la Révolution française.
Au pied du château 6Ce château a été rasé dans les années 1960., dont les murs croulants et disloqués dans leurs assises ne semblent être retenus que par les crampons et les nodosités de leurs vieux lierres, se trouvent l’église et le moulin. L’église est moderne, mais son enceinte indubitablement a servi au culte albigeois. Le catholicisme, à son retour, y sculpta un monument de sa victoire : c’est la chaire. La chaire actuelle, quoique ancienne, ne remonte pas jusqu’au XIIIe siècle, mais elle a vraisemblablement été sculptée sur un modèle contemporain du catharisme vaincu. La forme en est pentagonale : les panneaux supérieurs représentent la Vierge et les quatre Evangélistes avec leurs animaux symboliques. Deux anges soutiennent et défendent la chaire de la Croisade. Elle écrase de son pied une cariatide, courbée dans une attitude pénible, les mains sur ses genoux ; sa tête est foulée par les pieds des Apôtres et de la Vierge; elle mord sa lèvre en un mouvement convulsif de rage et de douleur. Le front est noble, le nez aquilin, la face ascétique, le type oriental. Elle est coiffée d’une espèce de tiare asiatique. C’est évidemment l’image de l’Albigisme écrasé, et cette chaire un monument de la victoire romaine. Le moulin féodal est en face de l’église sur la branche factice du torrent qui bouillonne souterrainement et mugit à de noires écluses qu’il blanchit de son écume.
Aujourd’hui, la piété populaire a construit au sommet du mont Sainte Ruffine, en face des ruines du château de Castelsarrasin, au-dessus de la ville, une chapelle, au lieu même où, jadis, l’autel de la Lune s’élevait dans son bocage aérien. Cet oratoire ne manque pas d’un certain charme pittoresque et d’un vague attrait religieux, surtout lorsque sa cloche agreste fait entendre, du milieu des rameaux, les tintements mélancoliques de l’Angelus du soir. Mais combien cet édicule est mesquin en face du gigantesque autel dressé par le christianisme albigeois, sur un piédestal de montagnes et de nuages ! Nos regards ne pouvaient se détacher du sanctuaire dont la masse grise et carrée comme un tombeau se profilait vivement sur le fond noir de la chaîne centrale où se réverbéraient les rayons du soleil couchant. Des nuages sombres flottaient à sa base et suspendaient dans le ciel la grande Ruine qui reposait immobile sur ces tempêtes, et vaporeuse et rayonnante se transfigurait dans la lumière du soir comme dans la gloire de ses martyrs. La nuit tomba insensiblement ; elle nous déroba enfin l’aspect des ruines, et nous nous endormîmes au bruit des eaux qui murmurent continuellement dans les rues de Lavelanet. 7Louis Gaussen, En Ariège ! : histoire, sites et légendes, pp. 102-121 ; éditeur Gadrat aîné (Foix), 1905.
NB. Supplément d’information fourni par Jacques Vassal : « L’éditeur Gadrat aîné (Foix) était le père de François Gadrat, qui fut l’ami d’enfance d’Henri Gaussen, né comme lui en 1891. François Gadrat obtint l’Agrégation d’Histoire et Géographie en 1913 et fut grièvement blessé à la guerre de 14-18. Il termina sa carrière comme Inspecteur Général dans sa matière d’enseignement. En juillet 1971, il était présent au jubilé (80 ans) d’Henri Gaussen. Il fit là un discours très émouvant, dans lequel il évoquait les souvenirs d’enfance à Foix, les courses en montagne… Il ne survécut guère au « jubilé », car il fut renversé par une automobile en décembre 1971 et ne s’en remit pas.
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A Lavelanet
Notes