1800-1801, Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège par le Citoyen Mercadier

 

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, imprimerie Pomiès Aîné, Foix, Frimaire an 9.

Jean Baptiste Mercadier (1750-1816) [1]Cf. La Dépêche : Lavelanet. Un touche-à-tout extrêmement doué., à la demande de Pierre François Brun, premier préfet de l’Ariège, livre dans ce document de quatre-vingts pages une description des ressources naturelles dont jouit notre département, et, dans le contexte difficile de l’an IX, il formule diverses observations relatives à la possible optimisation de ces dernières. Je recommande la lecture de ce document, qui demeure très intéressante aujourd’hui encore.

 

Ci-dessus : à l’angle du couvert Servant et de la rue du Gouverneur Laprade, ici au centre de l’image, l’ancienne maison Mercadier à Mirepoix. Le père de Jean Baptiste était secrétaire de François Tristan de Cambon, évêque de Mirepoix de 1768 à 1790.

Je rassemble ici quelques extraits du document rédigé en 1800 par Jean Baptiste Mercadier. J’ai sélectionné les passages qui intéressent plus particulièrement Mirepoix et sa contrée.

Règne animal

 

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, p. 10.

Sciences et art

 

Ci-dessus : à Mirepoix, sous le Petit Couvert, ancienne maison de Jacques Vidal.

Après avoir rendu hommage au grand Pierre Bayle [2]Cf. La dormeuse : Pierre Bayle, enfant du Carla d’Ariège., originaire du Carla, Jean Baptiste Mercadier célèbre les mérites de l’astronome mirapicien Jacques Vidal [3]Cf. La dormeuse blogue : Jacques Vidal astronome, « un pareil homme dans l’enceinte de cette petite ville » ; Jacques Vidal astronome et coetera… De Mirepoix aux Pyrénées – 2ème journée … Continue reading :

Les hommes y sont en général vifs et courageux, et propres aux sciences et aux arts, qu’un petit nombre de citoyens cultivent avec succès. On y distingue le citoyen Vidal, un des meilleurs astronomes de la France. Il a fait de Mirepoix une infinité de précieuses observations qu’on a rapportées dans la connaissance des temps, particulièrement sur Mercure. Il a déterminé la marche de cette planète, et il l’a observée un plus grand nombre de fois lui seul, que tous les auges astronomes de l’Europe ensemble, qui, suivant la remarque du célèbre Lalande, n’auront ainsi besoin de l’observer. Il continue toujours ses utiles travaux avec une précision infatigable.

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, p. 11.

Salubrité de l’air

L’air, en général, y [en Ariège] est salubre. La commune de Mirepoix, entourée de fossés pleins d’eau bourbeuse, était autrefois très fiévreuse : elle ne l’est plus depuis que ses fossés ont été à peu près comblés.

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, p. 11.

Variété du sol

Le sol du pays est très varié. On y voit des terres fortes et fauves, principalement aux environs de Mirepoix, de Lézat et de Daumazan ; des terres légères et grises, comme à la plaine appelée la Boulbonne, entre Mirepoix et Pamiers…

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, p. 12.

Des communaux de la plaine

 

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, p. 15-16.

A propos du communal et des propriétés qui bordaient en 1766 la rivière de l’Hers, cf. à titre de comparaison, La dormeuse blogue 3 : A Mirepoix – Moulon du grand chemin du pont, pont de Raillette, rue du bord de l’eau jusqu’au moulin ; A Mirepoix – Moulon de partie de la porte d’Aval et Condamine del Ministre ; A Mirepoix – Moulon du Mayrial – Moulon de la métairie de Gailhadé dépendante de Saint Jean de l’Herm, et partie du Mayrial.

Cherté du bois

Le bois a doublé à peu près de prix dans sept à huit ans. Il est actuellement à environ six francs le stère dans les communes qui en manquent le moins, comme à Pamiers et à Mirepoix. Il est à huit ou neuf francs dans celle de Foix, et on ne peut en avoir à aucun prix dans certaines communes. Sa rareté est si grande, qu’il est très à craindre que plusieurs partes du département ne deviennent inhabitables pour en être entièrement dénuées…

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, p. 18-19.

Espèces d’arbres qu’on trouve dans les bois

La meilleure espèce d’arbres qu’on trouve dans les bois est le chêne, surtout le noir ; et c’est en même temps la plus commune. On y voit aussi de l’orme, du frêne, de l’alisier, du tilleul, du pin et plusieurs autres espèces de bois, notamment du sapin et du hêtre, dont on trouve des forêts entières, principalement sur les montagnes.

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, p. 22.

Des mûriers

Il y a dix ans que dans certaines communes de la plaine, comme aux environs de Pamiers et de Mirepoix, on bordait les champs et les chemins de mûriers pour élever des vers à soie ; mais depuis que la soie a diminué de valeur, on ne cultive guère cette espèce d’arbres, dont l’utilité n’égale plus le préjudice qu’il porte à la récolte.

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, p. 22.

Des plantations aux bords des routes

 

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, p. 23.
NB : Mont Libre = Mont-Louis.

Des manufactures de draps

Il n’y a pas, à proprement parler, de manufactures de draps dans le département pour l’emploi de ces laines. Les négociants d’Ax qui en font venir environ seize mille…

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, p. 38.

Il y a néanmoins des fileurs ou des fileuses et des tisserands dans toute l’étendue du département ; mais ces ouvriers qui ont diminué par l’effet des réquisitions et des conscriptions, comme ceux de tous les autres genres, ne travaillent le plus souvent que pour d’autres départements, et particulièrement pour celui de l’Aude. On ne fait guère pour celui-ci que des étoffes grossières à l’usage des habitants de la campagne.

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, p. 39.

L’ancienne administration avait été frappée, en 1788, de l’heureuse position de la ville d’Ax pour tirer les laines d’Espagne par des échanges, pour les laver avec ses eaux chaudes, pour se procurer des huiles de l’ancien Roussillon dont elle n’est pas éloignée, pour établir des foulons et des ateliers de teintures auxquels l’eau de ses rivières est également propice.

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, p. 39.

Elle accorda des encouragements à des négociants qui entreprirent cet établissement. Les mouvements d’une grande révolution ont dérangé ces essais : il faut espérer qu’on les reprendra lorsque le calme sera tout à fait rétabli.

Plusieurs autres communes, telles que Pamiers, Saint-Girons et Mirepoix offrent aussi de grands avantages pour de pareils établissements, et déjà quelques fabricants ont commencé de travailler dans la première.

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariègep. 40.

Tanneries

Nous avons encore à Mirepoix une fabrique de vache brune et de cuir blanc à l’alun.

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, p. 42.

Marnes

Nous avons des marnes en abondance dans certaines communes, telles que celles de Mirepoix, de Pamiers et de Saverdun ; et il y a déjà longtemps qu’on a commencé d’en faire usage avec succès, pour fertiliser les champs qui en sont à portée, et dont les terres sont ordinairement grises ou fauves, légères, fiables et propres à recevoir cet amendement.

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, p. 42.

Poterie

Nous avons des terres fortes près de Mirepoix, dont on fait d’excellente poterie pour les viandes salées, qui s’y conservent sans la détruire.

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, p. 42.

Houille

Il y a certainement des mines de houille dans le département de l’Ariège. Gensane en a découvert une veine à fleur d’eau près de la digue du moulin de Mirepoix…On en a remarqué aussi à la Bastide de Bousignac…

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, p. 43.

Pierre de taille de grès

La belle pierre de taille de grès, dure et grise, est abondante aux environs de Labastide de Bousignac et de Lagarde, d’où l’on en a extrait plus de dix mille mètres cubes pour la construction du pont de Mirepoix sur le Lers, de celui de Sibra sur le Touyre, et de celui de Rieucros sur le Douctouyre…

Cette pierre ne résiste pas au feu qui la fait éclater. Il y en a qui n’a pas ce défaut, mais qui n’est ni si dure ni si agréable, et dont la couleur est roussâtre. On en trouve dans la plupart des mêmes communes, et plus particulièrement à Campredon, à Lavelanet, à Celle et à Labarre.

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, p. 44.

Vieux châteaux

 

L’un des plus beaux châteaux qu’il y eût dans le pays était celui de Lagarde,où il se faisait environ pour quinze à vingt mille francs de réparations tous les ans, quoique depuis longtemps il fut en bon état. Il aurait pu servir à bien des usages ; mais il a été démoli depuis six ans, par la sottise ou la méchanceté d’un homme abject, qui l’indiqua comme un château fort, quoique les tours dont il avait été flanqué eussent été démolies et remplacées par des objets d’agrément, ainsi que tout ce qui avait été fait dans le principe pour le fortifier.

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, p. 63.

Edifices remarquables

On ne fera pas ici l’énumération de tous les châteaux du Département. Plusieurs ont été brûlés ou démolis dans le cours de la révolution, et entre autres celui de Ganac, bâti par Gaston Phébus. Ceux de Mazères, de Montaut, Mauvesin et Fornex, qui ont été bâtis par le même Comte de Foix, n’ont rien de remarquable.

 

Les autres édifices du Département ne méritent pas non plus une grande attention. On peut distinguer néanmoins, 1° le clocher gothique de la ci-devant Cathédrale de Mirepoix : sa flèche est une pyramide octogonale très déliée et d’une belle élevation, dont les murs, qui n’ont qu’environ deux décimètres d’épaisseur, sont hérissés sur tous les angles d’une sorte de consoles ou de modillons qui ont une grande saillie ; […] ; 5° le pont de Mirepoix [4]Cf. La dormeuse blogue : Arthur Young à Mirepoix., à sept arches en pierre d’environ vingt mètres d’ouverture, construit d’après les principes du célèbre Perronet, et quelques autres ponts en pierre, faits depuis un petit nombre d’années.

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, p. 64-65.

 

Ci-dessus : petit frère du pont de Mirepoix, édifié en même temps que ce dernier, le pont sur le Douctouyre à Rieucros ; cf. La dormeuse blogue : Le dessous des ponts.

 

Ci-dessus : pont sur l’Hers à Mirepoix.

 

Ci-dessus : vue du pont de Mirepoix depuis la terrasse du château de Terride.

Mauvais état des routes et des ponts

Après avoir noté que la principale grande route du département, celle de Toulouse à Puicerda, si « importante pour le commerce d’Espagne, d’où nous tirons de la laine et du numéraire, et où nous envions des bestiaux, des étoffes, des toiles, de la cire, des merceries et quelquefois du grain, n’est faite que jusqu’à Ax, et ensuite ébauchée jusqu’à Mérens », Jean Baptiste Mercadier déplore le mauvais état de la plupart des autres routes :

 

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, p. 65 sqq.

Idée d’un nouveau canal

La navigation demeurant pratiquement nulle dans le département, et l’Ariège et le Salat, qui sont les plus considérables de ses rivières, ne commençant d’être « navigables, et pour la descente seulement, qu’au moment où elles sortent du dit département », Jean Baptiste Mercadier nourrit, en guise de conclusion à son Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, une idée audacieuse :

Ce qu’il y aurait de plus à désirer, ce serait une navigation qui pût servir à porter dans le département les charbons et toutes les denrées qui lui sont nécessaires, et à en sortir les fers, et s’il était besoin la mine. Or c’est ce qu’on ne saurait obtenir qu’autant qu’on joindrait l’Ariège avec le canal du midi ; et si cette jonction, comme on pourrait le croire, n’est pas impraticable, elle procurerait de si grands avantages, que le département, qui en général est un pays pauvre, deviendrait au contraire très florissant.

Ebauche d’une description abrégée du département de l’Ariège, p. 70.

Comme Antoine François de Gensanne [5]Cf. La dormeuse, encore : Le diocèse de Mirepoix vu en 1776 par Antoine de Gensanne, ingénieur géologue, commissaire des Etats du Languedoc. en 1766, puis Arthur Young en 1787, Jean Baptiste Mercadier jette sur le département de l’Ariège, et plus particulièrement sur la ville de Mirepoix, le regard du savant, plus curieux d’arts et techniques que d’art tout court, soucieux avant tout d’évaluer les possibilités de développement économique et, plus encore de promouvoir le progrès à venir. Tandis qu’Antoine François de Gensanne, homme du siècle de Watteau et de Fragonard, témoigne d’une subtile attention à la beauté des paysages, Jean Baptiste Mercadier, homme de la Révolution et de ses suites économiques désastreuses, se borne, dans une situation d’urgence, à fournir à Pierre François Brun, premier préfet de l’Ariège, nommé à ce poste au début de l’année 1800, les renseignements tout pratiques dont celui-ci a besoin pour entreprendre de redresser la situation du département. Mais on voit à « l’idée d’un nouveau canal », que Jean Baptiste Mercadier mûrit aussi une sorte de génie prospectif, un enthousiasme créateur, qui s’inscrit en quelque façon dans la mouvance du grand Riquet. Destitué pour des raisons politiques après le retour des Bourbons, il meurt en 1816, à l’âge de 67 ans.

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