Deux oeuvres du Maître de Philippe de Lévis

Alors que je flanais sur le site de l’Agence photographique de la Réunion des Musées Nationaux, ou RMN, j’ai eu la curiosité de voir ce que donnait la requête « Mirepoix« .
 
Outre les photographies de diverses pièces d’orfèvrerie, dues sans doute à l’art de Samson Gagnolet et fils, originaires du hameau de Niort, près de Mirepoix, j’ai obtenu la reproduction de deux miniatures et enluminures, issues des antiphonaires de Philippe de Lévis, qui fut évêque de Mirepoix de 1497 à 1537.
 
Dispersés à partir de la Révolution, ces antiphonaires ont été démembrés, leurs pages arrachées, les miniatures découpées et vendues, de telles sorte que celles qui subsistent et qui ont pu être rachetées par des musées, se trouvent conservées aux quatre coins du monde, y compris en Australie, mais aucune à Mirepoix !

J’ai donc noté, non sans pester contre la distance, qu’on peut admirer deux de ces miniatures au musée du Louvre et au musée national de la Renaissance d’Ecouen. Quelques autres miniatures issues des mêmes antiphonaires subsistent heureusement aux Archives départementales de Foix et de Toulouse. Mais les reproductions manquent.

Voici la documentation qui accompagne la miniature reproduite ci-dessus :

Cote cliché : 03-006115. N° d’inventaire : RF52752-recto. Fonds : Miniatures et enluminures. Titre : Initiale D sur fond d’or avec, dans la lettre, le baptême de Christ. Description : Vers 1534-1535. Auteur : Maître de Philippe de Levis-Mirepoix (1466-1537). Crédit photographique : (C) RMN (Musée du Louvre) / Thierry Le Mage. Période : 16e siècle, Renaissance (période). Technique/Matière : enluminure, parchemin. Hauteur : 0.265 m. Longueur : 0.219 m. Localisation : Paris, musée du Louvre, D.A.G. Acquisition : Achat avec une aide extérieure (HSBC) en 2003.

Ma surprise est venue de l’attribution de cette miniature, dans sa formulation nouvelle, au demeurant bien meilleure que l’ancienne. On attribuait jusqu’ici ce type de miniatures à un légendaire « cordelier manchot », ou à Antoine Nyort, prêtre mirapicien, ou encore à « Raimond Lavella, qualifié d’ »escripteur » dans le terrier de Mirepoix vers 1510″ 1Cf. Jeanne Bayle, Les livres liturgiques de Philippe de Lévis, évêque de Mirepoix de 1497 à 1537.. Avec l’actuelle attribution des miniatures des antiphonaires de Mirepoix au « Maître de Philippe de Lévis, on rend mieux justice au grand art du peintre et au génie du mécène ; on valide ainsi le statut du chef d’oeuvre et l’on célèbre la mémoire de son commanditaire.

J’ai déjà commenté cette représentation du baptême du Christ par le Maître de Philippe de Lévis, dans l’article intitulé Philippe de Lévis, la Résurrection et le Minotaure. On relève de troublantes analogies entre la représentation du Christ dans la miniature reproduite ci-dessus, et la représentation du Minotaure sur le carreau central du labyrinthe installé dans la cathédrale de Mirepoix.

Voici la seconde des deux miniatures mirapiciennes reproduites sur le site de l’Agence photographique de la RMN. Elle représente la Pentecôte.

Cote cliché : 11-553087. N° d’inventaire : Ec1947. Fonds : Manuscrits et imprimés. Titre : Miniature : la Pentecôte. Crédit photographique : (C) RMN / Philippe Fuzeau. Hauteur : 0.525 m. Localisation : Ecouen, musée national de la Renaissance.

Aux bourgeonnements des rinceaux qui forment la lettre dans laquelle la Pentecôte est représentée, on reconnaît les invariants d’un style, qui tend vers le baroque, au moins dans l’ornementation. La représentation de l’espace emprunte à la perspective albertienne. L’espace du Baptême du Christ ouvre en arrière-plan sur un paysage de chemins terrestres qui sont ceux du Fils. L’espace de la Pentecôte, qui se trouve délimité par un mur de fond, donne à voir, concentré sur la Vierge au premier plan et sur les apôtres derrière elle, le tombé vertical des fulgurations de l’Esprit Saint.

Quand arriva la Pentecôte (le cinquantième jour après Pâques), ils [Marie, les apôtres, quelques femmes et les « frères » (cousins) de Jésus] se trouvaient réunis tous ensemble [dans la chambre haute]. Soudain il vint du ciel un bruit pareil à celui d’un violent coup de vent : toute la maison où ils se tenaient en fut remplie. Ils virent apparaître comme une sorte de feu qui se partageait en langues et qui se posa sur chacun d’eux. Alors ils furent tous remplis de l’Esprit Saint : ils se mirent à parler en d’autres langues, et chacun s’exprimait selon le don de l’Esprit. 2Actes des apôtres II, 1-11

La Vierge occupe ici la place qui est ailleurs celle du Minotaure. La sacralité de la scène y trouve sa garantie. Les visages des apôtres, presque noirs, et l’animalité des traits qu’ils affichent, témoignent, seuls, du fonds de paganisme sur lequel, via l’αποκαραδοκια της κτισεως (apokaradokia tês ktiseôs), « l’attente tendue de la créature », le vent Paraclet vient souffler, par là faire venir et installer la promesse de la Résurrection.

Je reste persuadée que, dans le contexte de la Renaissance, Philippe de Lévis a vécu, pensé et souhaité d’illustrer le conflit des contraires qui ouvre l’âge de la modernité, celui des forces chthoniennes contre celles de l’Esprit, et plus encore celles de l’humaine, trop humaine, volonté de puissance contre celles de la Révélation. Posé sur les genoux de la Vierge, le Livre Saint, et à la suite de ce dernier les antiphonaires, participent, en même temps qu’ils l’annoncent en abîme, au triomphe de la dite Révélation.

 

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