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Philippe de Lévis, la Résurrection et le Minotaure

De gauche à droite, deux lettres ornées extraites du Pontifical de Bordeaux, l'un des livres liturgiques de Philippe de Lévis : Le baptême du Christ ; la Résurrection
Cliquez sur les images pour les agrandir.

Alors que je considérais les reproductions de miniatures et de lettre ornées reproduites par Jeanne Bayle dans l'article dédié aux Livres liturgiques de Philippe de Lévis, j'ai soudain réalisé que deux de ces lettres ornées, en raison de je ne sais quelle forme causative, indépendante de la scène représentée, me rappelaient le Minotaure figuré sur le carreau central du labyrinthe de la cathédrale de Mirepoix. J'ai cherché à comprendre ce qui autorise ici une telle réminiscence. J'ai à cette fin comparé les images.  

La représentation du Minotaure, sur ce carreau, est très altérée. Afin de lever cette difficulté, je reproduis ici le relevé du motif figurant sur le carreau, tel qu'établi par Gratien Leblanc lors de la découverte du labyrinthe, dans les années 1960. 

On remarque que les deux lettres ornées et le carreau central du labyrinthe mettent semblablement en scène un personnage au torse dénudé : d'abord le Christ, lors de son baptême dans les eaux du Jourdain ; puis le Christ, lors de la Résurrection ; enfin, le Minotaure. Le Christ porte chaque fois la hampe d'une bannière ; le Minotaure porte, lui aussi, la même hampe. C'est le dessin du torse, aux pectoraux bien visibles, et le tracé rectiligne de la hampe, qui prêtent aux trois images un caractère curieusement isomorphe.

La lettre qui figure la Résurrection présente avec le carreau du Minotaure un isomophisme plus marqué encore. Il faut y regarder de plus près.

La composition de la lettre ornée ménage autour du Christ une orbe idéale, figurée, entre autres, par la courbe d'une voûte et par celle de l'étrange ornement en forme de trompe qui orne la colonne de droite, sous le chapiteau. Un pan de l'étoffe dans laquelle le Christ s'enveloppe, dessine à gauche une ligne oblique, au tracé brisé.

Inscrit dans le cercle qui figure, de façon nettement matérialisée, le coeur du labyrinthe, le Minotaure se tient à l'aplomb d'une ligne oblique, dont le tracé brisé est identique à celui du pan d'étoffe qui flotte dans la scène de la Résurrection à gauche de la jambe du Christ. Le motif du carreau semble décalqué de celui de la lettre ornée, dans le détail de sa configuration plastique. Seule change, d'une image à l'autre, l'orientation de la hampe, verticale dans la main du Christ, oblique dans la main du Minotaure.   

Du Christ au centaure, le visage a forci. Mais la forme de l'arcade sourcilière, du nez, de la barbe, reste la même.

La première des images reproduites ci-dessus est celle de Philippe de Lévis, représenté au pied de la croix dans la miniature de la Crucifixion appartenant au Pontifical de Bordeaux. Ainsi associées, les trois images déclinent, semble-t-il, la courbe d'une vie. A moins qu'elles n'illustrent les clivages d'une personnalité divisée, ou plus généralement encore le différend qu'entretiennent ici bas l'âme et le corps, le désir d'humilité et la volonté de puissance.    

Par effet de condensation et déplacement – comme dans les rêves – le Minotaure apparaît ici à la fois comme le double et l'autre du Christ. Il est étrangement émouvant de penser que le vieux prélat, dans les dernières années de son épiscopat, a souhaité fouler sur le pavement de la chapelle Sainte Agathe un carreau représentant le Minotaure en question, chaque fois fois qu'il se rendait dans cette chapelle pour y célébrer la messe.

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1 commentaire au sujet de « Philippe de Lévis, la Résurrection et le Minotaure »

  1. Martine Rouche

    Absolument soufflant !

    Et as-tu noté le phylactère et la banderole ? …

  2. La rêveuse

    Je découvre la série d’articles absolument remarquables que vous avez écrits sur le « Labyrinthe » de Mirepoix.Dans le dernier, le rapprochement que vous faites entre la figure du Christ ressuscité et le Minotaure est saisissant.En effet,comme vous le mentionnez, il est difficile de ne pas y voir une allusion au « double », aux implications psychologiques mais aussi ésotériques, ô combien dangereuses d’un point de vue dogmatique (ésotériques parce que dangereuses).
    J’ai toujours beaucoup de plaisir à vous lire mais n’ai pas toujours le temps de faire les commentaires mérités !

  3. Martine Rouche

     » Déployez donc sur ce vaste pupitre ce vaste ANTIPHONARIUM à l’usage des chanoines réguliers de Sainte-Croix. N’en tournez pas si vite les immenses feuillets de vélin ; voyez serpenter ces miniatures déliées, étincelantes, capricieuses ; voyez ces singes insolents, ces oiseaux splendides, ces roses pourpres et ces filets d’or vagabonds, arabesques plus suaves que les plus légères dentelures de l’Alhambra. Vous ne jetez qu’un regard à ce D capital ; un moine a passé deux ans à le peindre. »

    Melchior Frédéric Soulié, La librairie à Paris, 1832.

  4. Martine Rouche

    In Mélanges de littérature et d'histoires religieuses, 1874- 1899, sur archives.org. :
    Page 120 : " Représentation d'un sceau sur papier avec cire rouge intercalée. Inscription : S(igillum)  CURIE [OFFICIALIS]  MIRAP(iscensis)
    Collations de la vicairie perpétuelle de l'église de St Jean-de-Thor au diocèse de Mirepoix, sur la présentation du précepteur de Caignac, signées Marc de Peyrot, chanoine et précenteur de l'église de Mirepoix, vicaire général et official de l'évêque Philippe de Lévis. Date : Mirepoix, 1509 et 1516.
    Archives de la Haute-Garonne, Malte, Tr. 137, Thor et Bolbone III, n°1.
    Le genre de décoration de ce sceau rapproche de celui du sceau pontifical de Philippe de Lévis, de 1520. Mais, outre les quatre dauphins, il y a dans celui-ci un Hercule armé d'une lance dans la main gauche. "
    N'oublions pas le cycle des scènes herculéennes sur les panneaux de chêne sculpté qui ornaient la galerie de réception de Philippe de Lévis …
    Tout fait sens !