« D'aveugles païens ont reconnu l'invisibilité que l'homme a en commun avec Dieu. La figure voilée du corps, [le côté face de] la tête et l'extrémité des bras, sont le schéma visible dans lequel nous avançons : en réalité pourtant, ce n'est rien qu'un indice de l'homme caché en nous. »
« Blinde Heyden haben die Unsichtbarkeit erkannt, die der Mensch mit GOTT gemein hat. Die verhüllte Figur des Leibes, das Antlitz des Hauptes, und das Äußerste der Arme sind das sichtbare Schema, in dem wir einher gehn; doch eigentlich nichts als ein Zeigefinger des verborgenen Menschen in uns. »
Johann Georg Hamann. Aesthetica in nuce, p. 39. Texte daté de 1762. Traduction Henry Corbin. Éditions Ismael.
Aveugle à toi-même,
tu te meus dans l’ouvert du champ toujours neuf
que font venir pour toi seul
ton pas,
ton regard,
le pendule de tes bras.
Ce qui point dans le miroir
n’est pas toi,
mais seulement ton fantôme,
ta figure voilée.
Tu t’emportes ainsi dans ton monde,
sans pouvoir jamais rencontrer
la personne inconnue
que tu portes en toi,
ni d’ailleurs aucune
des autres personnes
qui se meuvent, si loin si près,
dans l’ouvert de leur monde à elles.
L'invisible est nostalgie.
« Un païen avait promis à un rabbin de se convertir au judaïsme, à condition de visiter, au moins en songe, le paradis d’Israël. Le rabbin accepte et propose de l’y conduire la nuit même de cette demande. Par les chemins boueux et défoncés, pleins d’ornières, il l’amène en rêve jusqu’à une pauvre masure, éclairée par une veilleuse où ils aperçoivent un vieillard émacié, plongé dans la lecture d’un énorme grimoire.
Le rabbin dit avec émotion et fierté :
— C’est Rabbi Akiva (1), le plus grand de nos maîtres après Moïse, et il est au paradis.
— Mais… vous vous moquez de moi ! Ce paradis est minable, et ce vieux, qui a dû étudier toute sa vie, à présent, il continue !
— Justement, c’est cela sa récompense ! À présent, il comprend ce qu’il lit… » (2)

Ci-dessus : Rabbi Akiva, né à Lod (en greco-latin Lydda), mort à Césarée, inhumé à Tibériade.
1. Rabbi Akiva ben Yosseph (judéo-araméen babylonien : רבי עקיבא בן יוסף ; judéo-araméen galiléen : רבי עקיבה בן יוסף) est l'un des plus importants maîtres de la troisième génération des docteurs de la Mishna (Ier et IIe siècles). Rabbi Akiva est en outre une importante personnalité politique de son temps, mandaté plusieurs fois par les Judéens comme ambassadeur à Rome. Traditionnellement associé à la révolte de Bar Kokhba, il est l'un des dix morts en martyrs pour avoir défié le pouvoir romain.
2. Vieil apologue juif, commenté par Antoine Nouis, in Un catéchisme protestant, p. 43. Réveil Publications. 1997.

Ci-dessus : Aristote et les savants arabes. Enluminure du Kitab Mukhtar al-Hikam wa-Mahasin al-Kilam d'Al-Mubashir. XIIIe siècle. Ms Ahmed III 3206. Topkapi Museum. Istanbul
On raconte à propos du calife Al-Ma'mûn, né à Bagdad le 13 septembre 786, mort à Tarse le 9 août 833, fils du calife Hârûn ar-Rachîd (celui des contes des Mille et Une Nuits), qu'il a vu un jour Aristote en rêve et qu'il lui a demandé ce qu'est le bien.
« Al-Ma’mûn vit, dans son rêve, un homme de teint blanc tirant vers le rouge, avec un large front, des sourcils qui se touchent, une tête chauve, des yeux bleu sombre et de beaux traits, assis sur son siège. Al-Ma’mûn dit : « J’étais, en face de lui, rempli de crainte. Je lui demandai : Qui es-tu ? Il dit : “Je suis Aristote”. Je fus enchanté de me trouver avec lui et je lui demandai : »
« Qui es-tu ?
Il dit :
— Je suis Aristote, le Sage.
Je fus enchanté de me trouver avec lui et je lui demandai :
— Ô philosophe, puis-je te questionner ?
— Questionne.
— Qu'est-ce que le bien ?
— Ce qui est conforme à l'esprit.
—Et ensuite ?
— Ce qui est bien selon la Loi.
— Et ensuite ?
— Ce qui est bien selon l'opinion des gens.
— Et ensuite ?
— Il n'y a pas d'ensuite.» 1
1. Ibn an-Nadîm : Al-Fihrist [Le Catalogue]. G. Flügel (édit.). Leipzig. 1881-1882. Vol. II, p. 243. Cité par Ahmed Djebbar. In L'âge d'or des sciences arabes, p. 18. Le Pommier. 2013.