À la fin du XVe siècle, en Ariège, une verrerie à la Peire Traoucado
Rédigé par Belcikowski Christine 3 commentairesTrouvé récemment chez un bouquiniste de Montolieu (Aude), un ouvrage rare, intitulé Gentilshommes verriers. Une commanderie. Un village, signé E. de Robert-des-Garils et Dora de Robert-des-Garils, publié en 1973, nous apprend que Nicolas de Robert a fondé à la fin du XVe siècle « dans le diocèse de Mirepoix la verrerie de Peyre Traoucado [en occitan, la Pierre Trouée], la plus ancienne de la région, qui aura bientôt sa filiale des Garils » (1). Peyretraucade se situe en lisière de la forêt de Bélène, sur le territoire de la commune de Lapenne (Ariège), près de Manses et de Ribouisse.
Ci-dessus : Peyretraucade [nom actuel de la Peire Traoucado] sur la carte de Cassini.
Ci-dessus : Peyretraucade sur la carte de l'état-major (1820-1866).
Ci-dessus : Peyretraucade sur la carte IGN.
Ci-dessus : vue aérienne du lieu-dit Peyretraucade.
Ci-dessus : de Manses à Peyretraucade.
Fils d'un veiriero de Revel (Haute-Garonne), Amiel et Nicolas de Robert, frères, créent leur première verrerie à Rieutort, lieu-dit de Saint-André-de-Couffinhal, dans le diocèse de Lavaur. En 1476, ils afferment cette verrerie à Fortanier Daure, bourgeois de Lautrec, et retournent à Revel. Après la mort de leur père, ils quittent Revel. Amiel de Robert fonde une première verrerie à Arfons, puis une deuxième à Moussans, dans le diocèse de Lavaur. Nicolas de Robert fonde dans le diocèse de Mirepoix une première verrerie à Peyretraucade, lieu-dit situé aujoujourd'hui sur le territoire de la commune de Lapenne ; puis une deuxième verrerie aux Garils, hameau situé sur le territoire de la commune de Gabre, près du Mas-d'Azil.
Assorties bientôt de filiales, « ces quatre verreries originelles se sont maintenues longtemps. Ce sont celles de :
— Arfons et Moussans, qui eurent de nombreuses filiales dans la Montagne Noire ;
— Peyretraucade, Gaja-la-Selve, les Garils et Gabre, qui eurent, de leur côté, de nombreuses filiales dans les Pyrénées » (2).
Amiel et Nicolas de Robert ont chacun quatre fils, qui maintiendront et développeront par la suite l'activité verrière de leurs pères respectifs. « Il n'y a pas dans toutes ces contrées, i.e. en Languedoc ou dans les pays circonvoisins, un seul Robert qui ne vienne du groupe Amiel et Nicolas » (3), notent E. de Robert-des-Garils et Dora de Robert-des-Garils.
Alors que dans la première moitié du XVe siècle, N... de Robert père exerçait encore son activité de veiriero à Revel ou aux abords immédiats de cette ville, Amiel et Nicolas de Robert, à la fin du XVe siècle, s'établissent, eux, à proximité de vastes forêts, afin de disposer pour leurs fours à bois d'une grande quantité de combustible, et afin aussi de limiter la difficulté et le coût du transport dudit combustible. La silice nécessaire à la fabrication du verre se trouve en abondance, quant à elle, dans le manteau terrestre, d'où, par suite, un peu partout dans l'environnement choisi.
Nicolas de Robert, qui se propose de créer sa première verrerie dans le diocèse de Mirepoix, choisit de l'installer à Peyretraucade, en bordure de la grande forêt de Bélène. Il installe ensuite sur un autre bord de cette même forêt la filiale de Gaja-la-Selve, puis en bordure de la forêt communale du Mas-d'Azil, les filiales des Garils et de Gabre.
Ci-dessus : emplacement de la « beyriero » [verrerie] de Gaja-la-Selve. Carte de l'état-major (1820-1866).
Ci-dessus : emplacement de la verrerie des Garils et de la verrerie de Gabre. Carte de l'état-major (1820-1866).
Ci-dessus : ensemble des verreries fondées au XVIe siècle par Nicolas de Robert. Google Maps. Carte relief.
À propos des tumuli, fours, moulins, etc. dont il reste des vestiges sur le territoire de l'ancien marquisat de Portes [aujourd'hui Manses], territoire dans lequel s'est longtemps trouvée comprise l'ancienne verrerie de Peyretraucade, Émile Kapfer formule l'observation suivante : « Il y a eu aussi les verriers, notamment la famille de Robert, qui, au début des années 1500, est venue s’installer en forêt de Bélène et où, pendant près d’un siècle, elle a fondu le verre. Le bâti inférieur de l’un de ses fours a été découvert récemment sur la parcelle boisée de Mestre Bertrand, en bordure du chemin qui relie Peyretraucade à Chambaran » (4).
Ci-dessus : « en bordure du chemin qui relie Peyretraucade à Chambaran ».
Dans la seconde moitié du XVIe siècle, l'activité verrière de la famille de Robert se développe plus particulièrement à Gabre, Sainte-Croix, Fabas et Pointis, i.e. dans la région du Mas-d’Azil. Dès 1529, Maître Pierre de Robert, fondateur de la verrerie des Garils, fils de Nicolas de Robert, se trouve compté dans l'acte de reconnaissance des habitants de Gabre. L'activité de la verrerie des Garils se maintient ensuite sous le contrôle de la famille de Robert jusqu'à la fin du XVIIe siècle.
Au XVIIe siècle, la plupart des membres de la famille de Robert se déclarent de confession protestante, et, tout en s'efforçant de maintenir leur activité verrière, ils s'engagent dans la défense de la cause des Réformés. On trouve par suite dans leurs descendants un certain nombre de pasteurs.
Après la Révolution, concurrencée par la production industrielle qui se développe désormais, de façon centralisée, dans les grandes villes, Toulouse, Bordeaux, Marseille, etc., l'activité verrière de la famille de Robert décline rapidement. La famille « l'abandonne sans retour vers 1898 » (5).
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1. Robert-des-Garils (E. de) et Robert-des-Garils (D. de). Gentilshommes verriers. Une commanderie. Un village, p. 38. Édition des auteurs. Gabre. Le Mas-d'Azil. 1973. Cf. également : Robert-Garils (E. de). « Monographie d'une famille et d'un village. La famille de Robert et les gentilshommes verriers de Gabre ». Toulouse, Privat, 1899. Annales du Midi. Année 1900. 12-48 pp. 580-581.
2. Ibidem, p. 38.
3. Ibid., p. 114.
4. Émile Kapfer. A Manses-Portes. Tumuli, fours, moulins, etc. Sur les traces du passé. In Christine Belcikowski. Publications 2.
5. Robert-des-Garils (E. de) et Robert-des-Garils (D. de). Gentilshommes verriers. Une commanderie. Un village, p. 163.