Arnaud de Mareuil. Amor de lonh, amor de prop. Insomnie et rêve
Rédigé par Belcikowski Christine Aucun commentaireAprès un premier extrait du Salut d'Arnaud Mareuil intitulé Dona, genser qu'ieu no sai dir.., en voici un second, dans lequel le trobador développe un bel exemple de l'érotique courtoise. À l'adresse, dit-on, de la comtesse Azalaïs de Toulouse, fille de Raymond V, épouse de Roger II Trencavel, il évoque ici tour à tour les tourments d'amour dont il souffre durant ses insomnies, puis les jouissances qui lui viennent en rêve.
Ci-dessus : à Burlats, pavillon, dit d'Azalaïs, ou d'Adélaïde. Azalaïs de Toulouse en avait fait sa résidence d'agrément et elle y entretenait une troupe de troubadours, dont Arnaud de Mareuil.
Comme chaque fois, après la reproduction du texte original, la traduction se veut la plus proche possible de l'original en question.
Arnaud de Mareuil. Extrait de Dona, genser qe no sai dir. Vers 109 à 152. In Les saluts d'amour du troubadour Arnaud de Mareuil. Textes publiés par Pierre Bec. Édouard Privat, éditeur. Toulouse. 1961.
----- Tout le jour je souffre cette bataille, Ah ! bonne Dame de belle essence, Là, j'ai [déjà] trop dit, mais ne puis dire plus Mes yeux fermant, je fais un soupir, ----- 1. Fin amans : adepte de la fin amor, i.e. de l'amour courtois, façon d'aimer sa ou son partenaire avec respect et fidélité, dans le but commun d'atteindre la jǫi (joie) et le bonheur.
Mais la nuit j'endure un pire tourment :
Quand suis allé me coucher
Et que cuide quelque plaisir avoir,
Alors me tourne et me retourne et vire,
Pense et repense et puis soupire.
Et puis me lève sur mon séant,
Après m'en retourne m'étendre,
Et me couche sur le bras droit,
Et puis me tourne à senestre,
Me découvre soudainement
Puis me recouvre lentement.
Et quand me suis assez tourmenté,
Je mets dehors mes deux bras
Et tiens le cœur et les yeux, humblement baissés,
Mains jointes, vers le pays,
Où je sais, Dame, que vous êtes.
Je fais alors ce discours qu'ouïr vous pouvez :
Pourvu qu'il arrive que [moi] votre fidèle fin amans (1),
De son vivant, le jour ou le soir,
Ou en secret ou à loisir,
Puisse votre gentil corps gracieux et de belle prestance
Entre mes bras admirer, et baiser
Vos yeux et bouche si doucement
Qu'à lui seul un baiser m'en fasse pour cent
Et que puisse, moi, blêmir de joie par vous !
Car en une fois seulement j'ai parlé,
Alors que dans le cœur depuis longtemps j'y ai pensé.
Même si j'ai ici en cela trop dit, ne puis plus en dire.
Et en soupirant, je vais m'endormant ;
Alors s'en vont mes esprits
Tout droitement, Dame, vers vous
Que de voir je suis languissant.
Tout ainsi comme je vous désire
La nuit et le jour, chaque fois que j'y songe,
De sa faim de vous il [le fin amans] vous fait hommage,
Embrasse et baise et maniotte.
Pour que dure ainsi ce que j'en ressens,
Ne voudrais être seigneur de Reims.
Plus voudrait jouir en dormant
Que veillant, de désir languir.