Christine Belcikowski

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À propos de François Cabagné, premier exécuteur criminel de l'Ariège

Rédigé par Belcikowski Christine 3 commentaires

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Source : musée de la Révolution française à Vizille (Isère).

À partir de la Révolution française, en matière d'exécution des peines capitales, on ne fait plus appel à un « bourreau », mais à un « exécuteur criminel ». La loi révolutionnaire veut que chacun des départements nouvellement créés dispose d'un exécuteur criminel attitré. L'Ariège a eu ainsi, à Foix, une suite d'exécuteurs criminels dont on peut trouver la liste sur le forum Guillotine, dans la section « Bourreaux par départements. Ain à Aube ». Voici la reproduction de cette liste, telle que fournie sur ledit forum, sans indication de sources :

François CABANIÉ, natif de Mirepoix
Nicolas Charles Gabriel DUPUY, de 1802 à 1830 (dynastie d'exécuteurs de Château-Gontier)
Joseph BEAUFAYE, de 1830 à 1849, natif de Charleville
François Nicolas BEAUFAYE, de 1849 à 1853.

Aides :
François INGLARD, aide circa 1802 (d'origine inconnue)
Nicolas Charles Gabriel ZELLE, aide circa 1805 (dynastie d'exécuteurs parisiens)
François DUPUY, aide circa 1818
Joseph BEAUFAYE, aide de 1823 à 1830
Pierre MARC, aide en 1830 (dynastie d'exécuteurs d'Angers)
François Nicolas BEAUFAYE, aide en 1848-1849.

J'ai eu la curiosité de rechercher la trace de ce François Cabanié, listé en tant qu'exécuteur princeps des peines capitales ordonnées par le Tribunal criminel de l'Ariège. Longtemps, cette trace, je ne l'ai pas trouvée. Les sites de généalogie, sans preuves là non plus, disent l'homme né en 1756 à Mirepoix (09) et mort en 1802 à Foix (09), à l'âge de 46 ans. Il aurait été marié avec Marguerite Poujade, née, dit-on, en 1765.

J'ai consulté sur ces bases le registre paroissial de Mirepoix (Ariège) et le registre d'état-civil de Foix : en vain. Point de François Cabanié aux dates ou alentour des dates considérées. J'ai douté d'emblée que, pour exercer la fonction d'exécuteur criminel du département de l'Ariège, on ait trouvé à recruter un homme issu de ce même département !

« Sous l'Ancien Régime, il était difficile pour les autorités de recruter des personnes susceptibles d'exercer la fonction de bourreau. Il pouvait s’agir en conséquence d’anciens criminels ayant obtenu le pardon en échange de la prise en charge de cette fonction. De manière générale, ceux qui acceptaient d’effectuer cette tâche très impopulaire s'y trouvaient forcés, soit par les autorités, soit par une situation d’absolue nécessité. Il s'en est suivi que rapidement la charge de bourreau est devenue héréditaire... » (1). Cet ensemble d'observations vaut pour le Nouveau Régime tout autant que pour l'Ancien.

À force de chercher, j'ai trouvé aux Archives nationales sous la cote BB/18/136, dans la Correspondance générale de la division criminelle, les dossiers 2341(DD) et 962(D) dans lesquels figure, datée de nivôse-prairial an V, une « demande du Commissaire du pouvoir exécutif près le tribunal de l'Ariège pour qu'il soit nommé un exécuteur des jugements criminels. »

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Le 18 ventôse an V (8 mars 1797), le citoyen Bergasse Laziroule, commissaire exécutif près le Tribunal civil et criminel de l'Ariège, signale au citoyen ministre de la Justice « qu'il y a plus de deux mois que l'exécuteur des jugements criminels du département de l'Ariège est mort ». Le citoyen Bergasse Laziroule ne mentionne pas dans sa lettre le nom du défunt.

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9 frimaire an V (29 novembre 1796). Décès de François Cabagné. Archives dép. de l'Ariège. Foix. Décès (1793-An X). Document 1NUM/300EDT/E3. Vues 164-165.

La lecture du registre des décès de Foix montre que François Cabagné [sic], « exécuteur des jugements criminels du Tribunal criminel de l'Ariège », est mort le 9 frimaire an V (29 novembre 1796). Âgé alors de 44 ans, dit le registre, il serait donc né circa 1752.

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Un relevé collaboratif des registres matricules du bagne de Rochefort mentionne le cas d'un certain François Cabanié, fils de François Cabanié et d'Anne Bourelle, condamné pour vol, le 29 août 1772, à six ans de détention. Il s'agit là probablement du futur exécuteur criminel de l'Ariège.

D'après le registre du bagne de Rochefort, ce François Cabanié, âgé de 16 ans, dit-il, lors de son arrivée en détention, serait né en 1756, à Mirepoix dans le Gers. Difficile de vérifier cette date de naissance : les registres paroissiaux du Gers ne sont pas encore numérisés ! Il se peut que ce François Cabanié ait menti sur sa date de naissance, arguant d'un âge plus jeune dans l'espoir de s'attirer l'indulgence du tribunal. On verra plus tard le bandit Guillaume Sibra, dit Jean Dabail, arguer lui aussi d'un âge plus jeune devant le Tribunal criminel de Foix (2). C'est ensuite ce même François Cabanié, ou François Cabagné, qui a guillotiné ledit Guillaume Sibra le 22 brumaire an X (13 novembre 1801) dans la cour de la prison de Foix. (3)

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Sous le Nouveau Régime, il reste difficile pour les autorités de recruter des personnes susceptibles d'exercer la fonction de bourreau. Il peut s’agir en conséquence d’anciens criminels... Le citoyen Bergasse Laziroule, dans la correspondance qu'il entretient avec le citoyen ministre de la Justice, se plaint de ce qu'il se voit « dans l'impossibilité de faire exécuter les jugements rendus pendant les sessions de nivôse et de pluviôse » et de ce que « personne ne s'est présenté pour remplir la place vacante ». François Cabagné, probable ancien criminel, a fait l'affaire jusqu'à sa mort précoce, le 9 frimaire an V (29 novembre 1796). Il s'agit maintenant, le 18 ventôse an V (8 mars 1797), de lui trouver un remplaçant de toute urgence.

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« J'écrivis le 23 nivôse à l'administration centrale, observe le citoyen Bergasse Laziroule, pour l'inviter à pourvoir le plus tôt possible à son remplacement [François Cabagné]. Cette administration me répondit le 4 pluviôse qu'elle avait fait imprimer et distribuer dans tous les cantons du département un avis à l'effet de faire connaître que la place d'exécuteur était vacante... »

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24 mars 1755. Baptême de Nicolas Charles Gabriel Dupuy. Archives dép. du Maine-et-Loire. Angers. Paroisse Saint-Jacques (1751-1761). Vue 58.

Il se trouve qu'un certain Bourthoumieu, de Toulouse, propose sa candidature à la fonction d'exécuteur criminel en Ariège. Mais le même citoyen Bergasse Laziroule propose finalement à l'administration centrale le nom d'un certain Dupuis, ou Dupuy, venu de Chalonges dans la Loire-Atlantique, né le 24 mars 1755 à Angers, marié le 8 novembre 1791 aux Bourreaux (écart de Rennes dans l'Ille-et-Vilaine), arrivé à Foix le 5 prairial an V, et qui se trouve « dans la plus grande détresse » pour avoir perdu son poste précédent. Il s'agit de Nicolas Charles Gabriel Dupuy mentionné dans la liste fournie sur le forum Guillotine et dont celle-ci indique qu'il descend d'une dynastie d'exécuteurs de Château-Gonthier. (4)

La guillotine peut fonctionner à nouveau dans le département de l'Ariège...

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21 mai 1837. Décès de François Nicolas Dupuy, alias Nicolas Charles Gabriel Dupuy. Archives dép. de l'Ariège. Foix. Décès (1837). Document 1NUM/4E1395. Vue 24. N.B. Le scribe ou les témoins ont probablement mélangé le nom de Nicolas Charles Gabriel Dupuy, et celui de François Gabriel Dupuy, fils du précédent, né en 1797 à Rennes (paroisse Toussaint).

François Nicolas Dupuy, alias Nicolas Charles Gabriel Dupuy, mourra le 21 mai 1837 à Foix.

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1. Cf. Wikipedia. Article « Bourreau ».

2. Cf. Christine Belcikowski. Les chemins de Jean d'Abail ou la dissidence d'un fils du petit peuple de Mirepoix au temps de la Révolution française. Éditions L'Harmattan. 2014.

3. Cf. Christine Belcikowski. La fin de Jean Dabail.

4. Nicolas Charles Gabriel Dupuy est fils de Pierre Dupuis, bourreau, né le 21 octobre 1730 à Château-Gontier (paroisse Saint Jean) (53), mort en 1790 à Angers (paroisse Saint Jacques) (49). Pierre Dupuy est fils de Jacques Dupuy, bourreau, né en 1695 Château-Gontier (paroisse Saint Rémy) (53), mort le 21 octobre 1742 à Château-Gontier (paroisse Saint Rémy) (53). Etc.

Classé dans : Histoire Mots clés : aucun

3 commentaires

#1  - Martine Rouche a dit :

L'un a une mère qui s'appelle Bourelle, l'autre se marie aux Bourreaux ... Cela ne semble pas possible ! Prédestination ? ...

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#2  - Belcikowski Christine a dit :

Du fait de leur ostracisation, les bourreaux de jadis habitaient hors les murs de la ville, se mariaient au sein des leurs, etc.

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#3  - martine GTM a dit :

rejouissante lecture

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