La fin de Jean Dabail

foix_prison2

 

En 2014, dans Les chemins de Jean d’Abail ou la dissidence d’un fils du petit peuple de Mirepoix au temps de la Révolution française, je racontais la triste histoire de Guillaume Sibra dit Jean Dabail. Mais j’ignorais comment l’histoire finit. Voici l’endroit où l’histoire s’arrêtait :

« Sur le déclin du jour du 3 brumaire an IX (25 octobre 1800), ayant scié nuitamment la troisième barre de fer transversale du grillage de la fenêtre et tramé dans l’après-midi une corde de paille, Guillaume Sibra dit Jean Dabail, s’est évadé de la tour de Foix. Un autre détenu l’accompagnait dans sa descente de corde. Un certain Henry Momer. Laissant au pied de la tour la dite corde et un chapeau, les deux hommes se sont tranquillement fondus dans le chien et loup. Diffusé le lendemain de l’évasion, le signalement des deux hommes donne corps à ces deux figures du chien et loup » :

« Guillaume Sibra dit Jean Dabail, habitant de la commune de Mirepoix, âgé d’environ 23 ans, taille d’un mètre 733 millimètres, cheveux & sourcils châtains, les yeux de même, front petit, nez écrasé, bouche moyenne, menton pointu, visage rond. »

« Henry Momer, se disant originaire d’Auch, département du Gers, faiseur de meules de moulin, âgé d’environ trente-deux ans, taille d’un mètre 679 millimètres, cheveux & sourcils noirs, les yeux de même, visage ovale, front haut, bouche ordinaire, nez gros, menton rond. »

L’évaporation de Guillaume Sibra m’inspirait alors les réflexions qui suivent :

« Arrivée à ce tournant du récit, je ne résiste pas au plaisir de constater que le signalement de Sibra et Momer constitue per se une figure du roman à l’état naissant. Il en va ainsi pour bien d’autres documents d’archives : le roman est dans l’archive, comme la réponse est dans la question ! Pourtant traités seulement en silhouettes, déjà des personnages naissent sous nos yeux : il y a le plus grand, qui va devant ; le plus petit, qui marche derrière. Ils s’évanouissent dans la nuit. Vers quels lendemains ? D’abord, l’hiver, dur aux fugitifs. Ensuite ?

Que devient ensuite Guillaume Sibra ? Le jugement qui le condamne à vingt ans de fers date du 3 brumaire IX (25 octobre 1800). Le 27 fructidor an X (14 septembre 1802), Pierre Jean Baptiste Denat, maire de Mirepoix, accuse auprès du tribunal criminel de l’Ariège réception de la copie de ce jugement. C’est le dernier document que j’aie pu trouver à Mirepoix attestant du passage terrestre de Guillaume Sibra dit Jean Dabail. » 1Christine Belcikowski, Les chemins de Jean d’Abail ou la dissidence d’un fils du petit peuple de Mirepoix au temps de la Révolution française, chapitre 5 : « Un homme disparaît », p. 69 sqq., L’Harmattan, 2014.

Eh bien, depuis hier soir, je connais la fin de l’histoire. Frédéric Soulié la disait déjà, mais sans que j’aie pu jamais vérifier ce dire, faute de documents, du moins jusqu’ici :

« Jean d’Abail, qui avait commencé par des crimes politiques, avait fini par devenir un brigand comme tous les autres et le bourreau en avait fait justice… » 2Frédéric Soulié, Deux séjours – Province, Paris, p. 206.

Dans le registre des décès survenus à Foix de 1793 à l’an X 3Document 1NUM/300EDT/E3 ; pp. 328-331., j’ai trouvé les actes de décès de Joseph Gonzales, de Joseph Lose dit Drouch, de Guillaume Sibra dit Jean Dabail, de Guillaume Dupuy Lacvivier, d’Honoré Gilarès, et de Jean Lafargue dit Toÿ.

Les six hommes sont morts à Foix le 22 brumaire an X (13 novembre 1801), « à trois heures du soir », donc le même jour, ou plutôt la même nuit, à la même heure. De façon curieuse, quoique conforme à la formulation stéréotypée des actes de décès du temps, l’officier municipal prête aux déclarants des décès en question, lesquels déclarants très sinistres sont le citoyen Marc Antoine Sanches, demeurant à Foix, profession d’huissier au tribunal criminel du département de l’Ariège et le citoyen Jean Bernard, demeurant à Foix, profession de concierge des prisons – le statut de « voisins des défunts ».

Concernant les six défunts, les actes de décès fournissent les renseignements ci-dessous :

  • Joseph Gonzales
  •  

    gonzales1_anx

     

    gonzales2_anx

     

  • Joseph Lose dit Drouch
  •  

    lose1_anx

     

    lose2_anx

     

  • Guillaume Sibra dit Jean Dabail
  •  

    dabail_anx

     

  • Guillaume Dupuy Lacvivier
  •  

    larvivier_anx

     

  • Honoré Gilarès
  •  

    gilares1_anx

     

    gilares21_anx

     

  • Jean Lafargue dit Toÿ
  •  

    lafargue1

     

    lafargue2_anx

     

On remarque que quatre de ces hommes, Joseph Lose dit Drouch, Guillaume Dupuy Lacvivier, Honoré Gilarès, et Jean Lafargue dit Toÿ sont de Pamiers. Il s’agit probablement des membres de la bande appaméenne du brigand Jean Marré Aîné, bande qui, en association avec celle de Jean Dabail, a participé le 4 germinal an huit (mardi 25 mars 1800), sur la « route de Pamiers », à la hauteur de la métairie dite la Bouriette, à « l’assassinat » du gendarme Rives. 4Cf. Christine Belcikowski, Les chemins de Jean d’Abail ou la dissidence d’un fils du petit peuple de Mirepoix au temps de la Révolution française, chapitre 4 : « Les grands chemins », p. 44 sqq. ; chapitre 14 : « A Pamiers, quelques vestiges de la Bouriette », p. 180 sqq.

Il ressort des six actes de décès reproduits ci-dessus que Joseph Gonzales, Joseph Lose dit Drouch, Guillaume Sibra dit Jean Dabail, Guillaume Dupuy Lacvivier, Honoré Gilarès, et Jean Lafargue dit Toÿ ont été guillotinés nuitamment, sans publicité, sans doute dans la cour de la prison. La litote qu’on observe dans les actes de décès, le silence qu’on maintient quant lieu des enterrements, le non-report des décés dans les registres des communes d’origine des condamnés, l’absence de toute correspndance administrative relative à l’exécution des six hommes, tout indique que les autorités ont voulu en finir avec les six hommes en toute discrétion.

On sait que Jean Dabail a été pour Pierre François Brun, premier préfet de l’Ariège, le cauchemar de son préfectorat débutant. « L’assassinat » du gendarme Rives survient quelques semaines seulement après l’arrivée du dit préfet. Pierre François Brun doit asseoir son autorité. Le gouvernement attend de lui tout à la fois qu’il contribue au rétablissement de la paix sociale et au succès de la conscription. Conscient de ce que les réfractaires et autres déserteurs, qui pullulent dans le département, jouissent du soutien objectif, voire des sympathies politiques du petit peuple, dont celui de Camon, qui a empêché le 16 germinal an VIII (dimanche 6 avril 1800) l’arrestation de Jean Dabail 5Cf. Les chemins de Jean d’Abail ou la dissidence d’un fils du petit peuple de Mirepoix au temps de la Révolution française, chapitre 4 : « Les grands chemins », p. 44 sqq., après avoir travaillé sans relâche à l’arrestation de Guillaume Sibra dit Jean Dabail, Pierre François Brun aura sans doute jugé plus prudent de ne pas conférer à ce dernier, dans le contexte solennel d’une exécution publique, l’auréole du martyre. Incendiées par des mains criminelles, la préfecture de Foix, et avec elle les archives du tribunal criminel de l’Ariège, brûleront malgré tout dans la nuit du 5 au 6 brumaire an XII (28 au 29 octobre 1803).

References

1 Christine Belcikowski, Les chemins de Jean d’Abail ou la dissidence d’un fils du petit peuple de Mirepoix au temps de la Révolution française, chapitre 5 : « Un homme disparaît », p. 69 sqq., L’Harmattan, 2014.
2 Frédéric Soulié, Deux séjours – Province, Paris, p. 206.
3 Document 1NUM/300EDT/E3 ; pp. 328-331.
4 Cf. Christine Belcikowski, Les chemins de Jean d’Abail ou la dissidence d’un fils du petit peuple de Mirepoix au temps de la Révolution française, chapitre 4 : « Les grands chemins », p. 44 sqq. ; chapitre 14 : « A Pamiers, quelques vestiges de la Bouriette », p. 180 sqq.
5 Cf. Les chemins de Jean d’Abail ou la dissidence d’un fils du petit peuple de Mirepoix au temps de la Révolution française, chapitre 4 : « Les grands chemins », p. 44 sqq.

Leave a Comment

  • Françoise Brown at 13 h 26 min

    Voilà vos efforts récompensés !

    Après la lecture de votre livre « Les chemins de Jean d’Abail », j’apprécie d’autant plus de connaître le dénouement.
    Merci pour toutes ces belles lectures.

    • La dormeuse at 20 h 38 min

      Bonsoir,

      Merci de vos commentaires, qui m’encouragent.
      J’ai une prière à vous adresser : je n’ai pas trouvé jusqu’ici la date de décès de Rosalie Bauzil, l’épouse de Jean Antoine Barthélémy Baillé. Peut-être la connaissez-vous ?

      Bien cordialement,
      Christine Belcikowski

  • françoise brown at 9 h 07 min

    Hélas, non je ne l’ai pas.
    Je ne manquerai pas de vous la communiquer si je la trouve.
    Cordialement.