La trace du serpent

serpent_traceLa scène est au château de Mirepoix, dit de Terride (Ariège), où vit au XVIIe siècle Jean de Lévis Lomagne, frère du seigneur dudit Mirepoix. La noblesse se croit éternelle.

On suborne deux jeunes filles… On bat un vieillard… Heureusement, Barrau, le trop fidèle serviteur veille…

Tiré des archives locales, ce roman inspiré par un drame réel fait revivre au lecteur les passions d’une autre époque : l’argent, l’orgueil, le pouvoir, la violence, le sexe, l’amitié, l’amour. Mais les passions d’hier ne sont-elles pas celles de toujours ?

Extrait

J’avais le château sous les yeux. Je suis allée rôder alentour.

Evitant la route qui permet d’accéder au château en voiture, je suis passée par le petit bois qui se situe sous l’ancien chemin de ronde. La pente est raide, meublée ça et là de vastes pans de ruines. Je me suis faufilée sous les barbelés. J’arrivais à la hauteur du chemin de ronde lorsque j’ai entendu qu’on parlait là-haut. Il était cinq heures. On servait le thé au pied du château. J’ai entrevu une façade tapissée de vigne vierge pourpre. Je me suis retirée comme j’étais venue. Personne n’avait rien remarqué.

Au retour, alors que je marchais sur la route en direction du pont qui permet de regagner la ville de M***, une image soudain m’est apparue. Calé dans les coussins de sa voiture, bercé par le pas du cheval, le vieux Jean de Lévis Lomagne rentrait chez lui. Oubliant les fatigues du jour, il goûtait les parfums du soir, l’or du couchant. De loin, il distingue bientôt deux silhouettes sur la route. Deux silhouettes en forme de sablier. Il mande à son valet de ralentir le pas du cheval. Deux ribaudes ne vont pas ainsi par les chemins, vêtues de longues robes qui traînent sur leurs pas. Curieux de mieux voir, il se redresse comme il peut. La voiture se rapproche. Les deux silhouettes soudain se retournent, gesticulent, tombent à genoux, le visage ruisselant de larmes.

— Notre Père ! Pardon !

L’image s’effaçait. Je n’ai pas vu la suite du film. L’imagination, folle du logis, venait ici de me jouer un tour malgracieux. Elle me racontait l’histoire idiote d’un vieillard qui mate les auto-stoppeuses ! Cette clé ne figurait pas dans l’article source. Celui-ci laissait entendre que la rencontre procédait d’une machination. Il ne disait pas que la machine dût ici s’exercer sur le mode de l’appât. D’où venait que mon imagination se fût octroyé l’usage d’une telle clé ? Même si la myopie compense la presbytie, ou l’inverse, je jugeai après coup improbable que le vieux seigneur eût conservé jusque dans l’hiver de son âge, les yeux serpent de sa jeunesse verte ! Je lisais trop de romans noirs, de contes de Peau d’Ane ou de la Barbe Bleue.

Il faut dire à ma décharge que l’été précédent, chaque fois que j’empruntais la grand-route pour rejoindre à pied la station de bus, je voyais passer, sur le coup de huit heures, une petite camionnette frétillante, signée sur la portière, en lettres peintes, Barbe Bleue. Je n’ai jamais su ce qu’elle transportait ni pourquoi elle allait si vite. Je n’ai pas revu cette camionnette depuis lors, mais j’ai lu entre temps un roman de Frédéric Soulié, qui a vécu à M*** dans les années 1800 et qui raconte à propos du château de Terride une horrible histoire…