Christine Belcikowski

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Poème trouvé dans les minutes de 1681-1682 de Pierre Barrière, notaire d'Arvigna

Rédigé par Belcikowski Christine 2 commentaires

La base de données des Archives départementales de l'Ariège indique qu'un Poème ironique sur une dame, conservé aujourd'hui sous la cote 5 E 3755. 1J6241682, a été trouvé après la mort de Pierre Barrière, notaire d'Arvigna, dans ses minutes des années 1681-1682. J'ai cherché ledit poème dans ce gros minutier, et je l'ai retrouvé à la page LIX.

1. Texte original

 

barriere_poeme1.jpg

 

 

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2. Transcription de l'original

parlons doncques icy de cette illustre Dame
qui a pour le certain sort offencé mon ame
Je vais donc commencer et vous faire un tablau
Dans lequel vous verres sans avoir de flambeau
Des rares qualites dignes detre cogneues
et qui, pour lassuré, ne sont pas fort communes

Admires donc ce corps et sa taille si riche
Le manton si fourcheu de mesme qu une biche
Ses deux hyeux d hybou La bouche si fandue
Vous diries a la voir quelle est une vray grue
son visage altere d'une astruse figeure
et son beau sein couvert d'une nuage obscure

Son nes et si fourcheu et son front si Ridé
Vous ne pourriés enfin asses bien l'admire
Laissons donc cette buse aux loups et aux corbeaux
afin qu'ils la déchirent par leurs furieux assauts
Ne parle plus enfin de ces petis caders
et testimant heurusse ajans ayant de tails laquets.

Tu crois destre aymée dun des petis caders
qui fait de cas de toy ainsi que de la boue.
Je lescris seulement, et luy mesme ladvoue,
du qui ne puis avoir que de sales laques

3. Révision orthographique

Parlons donc ici de cette illustre Dame
qui a pour le certain sort offensé mon âme.
Je vais donc commencer et vous faire un tableau
Dans lequel vous verrez sans avoir de flambeau
Des rares qualités dignes d'être connues
et qui, pour l'assurer, ne sont pas si communes.

Admirez donc ce corps et sa taille si riche,
Le menton si fourchu de même qu'une biche,
Ses deux yeux de hibou, la bouche si fendue,
Vous diriez à la voir qu'elle est une vraie grue,
Son visage altéré d'une abstruse figure
Et son beau sein couvert d'une nuage obscure.

Son nez est si fourchu et son front si ridé,
Vous ne pourriez enfin assez bien l'admirer.
Laissons donc cette buse aux loups et aux corbeaux
afin qu'ils la déchirent par leurs furieux assauts
Ne parle plus enfin de ces petits cadets
et t'estimant heureuse ayant de tels laquais.

Tu crois d'être aimée d'un des petits cadets,
qui fait de cas de toi ainsi que de la boue.
Je l'écris seulement, et lui-même l'avoue,
de qui ne puis avoir que de sales laques.

4. Remarques

« Astruse », aujourd'hui abstruse, signifie au XVIIe siècle, rusé, cauteleux.

« Laques » : enlacements, lacets, pièges.

Je ne suis pas sûre de ma lecture de « petis caders ». Compte tenu de l'écriture et de l'orthographe déroutantes de ce texte, la lecture de ce poème reste difficile.

5. Commentaire

On peine à croire qu'un tel texte puisse émaner de Pierre Barrière, notaire, époux de Marguerite Bardy, né circa 1620, âgé en 1681 d'environ 61 ans, mort à l'âge de 70 ans le 8 avril 1690. Ce texte ne porte pas de signature. De qui est-il ? Que fait-il dans les archives de Maître Barrière 

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Ci-dessus : écriture de Pierre Barrière, notaire.

barriere_pierre_signature.jpg

Ci-dessus : signature de Pierre Barrière, notaire.

L'écriture de Pierre Barrière est propre, fluide, élégante. Il s'agit là d'une écriture professionnelle. Celle de l'auteur du Poème ironique sur une dame se distingue par ses pâtés, sa maladresse, son orthographe incertaine. Maître Barrière, selon moi, n'est pas l'auteur du poème en question.

Il se pourrait en revanche que l'auteur de ce poème soit un frère, un fils ou un cousin de Maître Barrière, quelqu'un de sa famille en tout cas.

barriere_partage.jpg

Ci-dessus : signatures de quatre membres de la famille Barrière d'Arvigna, suivies de celle de Pierre Barrière, lui-même.

Le 27 janvier 1781, Maître Pierre Barrière enregistre un acte de partage (1) entre Jean Barrière et autre Pierre Barrière, chirurgien, fils tous deux de Jean Barrière, ancien consul d'Arvigna. Philippe Barrière et Michel Barrière se trouvent nommés aussi dans cet acte. On dispose ainsi des signatures de ces quatre hommes, que l'on sait parents et qui occupent au mazage de Languit la même très grande maison, flanquée des terres attenantes (2). L'un de ces hommes, probablement le premier dans l'ordre des signatures, celui qui fait montre de l'écriture la moins aisée, est peut-être l'auteur du Poème ironique sur une dame.

De quelle Dame peut-il s'agir dans le poème considéré ? Point d'une ribaude, à propos de qui on n'écrirait pas, mais d'une bourgeoise, de Pamiers ? On cultivait au sein de cette famille « des relations dans la bonne société, spécialement avec le procureur du sénéchal de Pamiers », note Joseph Quérol dans l'ouvrage qu'il consacre à l'histoire de La Tour-du-Crieu (3).

Même si l'auteur du Poème ironique sur une dame n'a pas la plume facile ni brillante et se montre, à vrai dire, un bien piètre rimeur, il semble aussi qu'il ait tenté de s'essayer à l'allégorie, dans le style du baroque et de ses horreurs satiriques. Entendait-il ici tirer seulement vengeance d'une rebuffade humiliante, ou plutôt perpétuer sur un mode naïvement misogyne la veine allégorique des Anciens, et encore celle de Ronsard, prétendant malheureux d'Hélène ? Petite ou grande, la poésie va où elle veut.

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1. Archives dép. de l'Ariège. Cote : 5 E 3755.

2. Cf. Christine Belcikowski. Arvigna au XVIIe siècle. Liste des propriétaires au mazage de Languit.

3. Joseph Quérol. La Tour-du-Crieu. Livre 2, p. 217. Scop Imprimerie de Ruffié. Foix. 2018.

2 commentaires

#1  - Jacques Gironce a dit :

Triste genre "écrivain de pissotières" !

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#2  - Belcikowski Christine a dit :

Je ne serai pas si sévère.

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