Joseph Thibaud Villedieu Rouvairollis rentre de Russie

Parmi les nombreux personnages évoqués dans l’article intitulé A Caudeval et à Limoux. Essai de généalogie de la famille Rouvairollis. Après 1789, que sont-ils devenus ?, j’ai choisi de m’intéresser ici au sort de l’un des frères de Noble Clément de Rouvairollis de Rigaud, Joseph Thibaud Rouvairollis, ancien garde du corps du roi, dit Villedieu depuis son mariage circa 1750 avec Anne Andrieu, et, via le faisceau compliqué d’alliances que les Rouvairollis entretiennent avec les Andrieu et les Castéras, depuis l’achat du fief de Villedieu à Gabriel de Castéras, seigneur de Gaja 1Cf. A Caudeval et à Limoux. Essai de généalogie de la famille Rouvairollis. Après 1789, que sont-ils devenus ?.

Après avoir émigré, rejoint l’armée des princes et résidé à Saint-Pétersbourg depuis 1796, Joseph Thibaud Rouvairollis, dit Villedieu Rouvairollis, sollicite en l’an XI auprès des services de Fouché, alors ministre de la Police générale de l’Empire, la faveur d’être rayé de la liste des émigrés, et l’autorisation de rentrer en France afin de rejoindre sa famille, désormais installée à Limoux, dans l’Aude.

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Limoux, le 3e thermidor an 11 de la République française
Le Sous-Préfet du 4e arrondissement de l’Aude
Au Citoyen Joseph Thibaud Villedieu Rouvairollis à Limoux

Citoyen
Par sa lettre du 26e messidor dernier, le Préfet m’annonce avoir reçu du grand Juge votre certificat d’amnistie. Je vous en donne avis afin que vous vous rendiez auprès du Préfet pour le retirer, et en donner récépissé. Pour ce retirement, vous pouvez vous faire représenter par un fondé de pouvoir.
Je vous salue.
Saint-Gervais

3 thermidor an XI (22 août 1803)

Le 3 thermidor an XI (22 août 1803) le sous-préfet de l’Aude informe le Citoyen Joseph Thibaud Villedieu, administrativement domicilié à Limoux, que l’amnistie relative au fait d’émigration rapporté ci-dessus, lui a été accordée le 14 floréal précédent (4 mai 1803).

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Ci-dessus : Jacques Louis David. Portrait de Jeanbon Saint-André en 1795.

12 fructidor an XII (30 août 1804)

Le 12 fructidor an XII (30 août 1804), Joseph Thibaud Rouvairollis Villedieu, qui a entrepris de rentrer en France mais qui, faute de passeport, se trouve retenu à Mayence par André Jeanbon, dit Jeanbon Saint-André, préfet du département de Mont-Tonnerre, adresse à Joseph Fouché, rédigée à la troisième personne, la supplique ci-dessous.

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Claude Marie Dubufe (1790-1864). Portrait de Joseph Fouché, en grand habit de ministre de la Police générale sous l’Empire.

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Ci-dessus : portrait d’Antoine René Charles Mathurin Laforest, ambassadeur de l’Empire à Berlin.

Votre Excellence

Joseph Thibaud Villedieu Rouvairolis, qui a eu l’honneur de vous faire présenter sa supplique par son Excellence Monsieur de Laforêt [Antoine René Charles Mathurin Laforest, comte de La Forest], Ambassadeur de l’Empire à Berlin, pour vous demander d’autoriser Monsieur le Préfet du Mont-Tonnerre à Mayence, de lui délivrer un passeport, qui lui permette de rentrer dans sa patrie ; ayant trouvé chez Monsieur le Préfet son certificat d’amnistie du 14 floréal an 11 ainsi qu’une autorisation, pour lui délivrer un passeport ; mais qui n’a pu être mise en exécution à cause de la nouvelle Loi qui a été rendue depuis peu. Il ose se flatter que son Excellence Monsieur le Sénateur Fouché Ministre de la police voyant la justice de sa cause, voudra bientôt le mettre à même de rentrer dans le sein de sa famille.

Il supplie son Excellence d’agréer l’hommage de son très humble respect.

Villedieu
Mayence, le 12 fructidor an 12.

5 septembre 1804 (18 fructidor an XII)

Le 5 septembre 1804 (18 fructidor an XII), Joseph Rouvairollis Villedieu adresse de Mayence à un ami de M. de Beauquesne [Luc Antoine Henri de Beauquesne], son futur gendre, l’autre supplique reproduite ci-dessous. Le nom de cet ami ne figure pas dans la supplique, mais il s’agit sans doute, comme on le verra plus bas, de Jean Pierre Fabre (1755-1832), avocat carcassonnais, député de l’Aude, comte d’Empire.

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Monsieur

Vous sachant l’ami de mon futur gendre M. de Beauquesne, et n’ayant l’adresse d’aucune de mes connaissances à Paris, je prends la liberté de m’adresser à vous sachant depuis longtemps combien vous aimez à rendre service. J’ai absolument besoin que quelqu’un agisse auprès de M. le sénateur Fouché Ministre de la police, à l’effet d’obtenir de lui, qu’il autorise M. le Préfet de Mayence à me donner un passeport pour aller chez moi. Le Ministre a déjà reçu deux mémoires de moi, l’un envoyé de Berlin par M. l’Ambassadeur de France, et l’autre par M. le Préfet de Mayence. Il ne s’agit donc que de presser dans les bureaux de M. Fouché, l’expédition de l’ordre qui autorise le préfet de Mayence à me donner un passeport.

Si ma soeur, Mme Brionne [Jeanne Angélique Rouvairollis] 2Baptisée le 24 décembre 1744 à Mirepoix, Ariège. Cf. Christine Belcikowski. A Mirepoix. Essai de généalogie de la famille Rouvairollis. 1. De François et Jean Rouvairollis à Jean Clément de Rouvairollis., est à Paris comme je le pense et que vous sachiez son adresse je vous prie de lui communiquer ma lettre. Elle se chargera, j’en suis sûr, de faire obtenir promptement ma rentrée ; sans quoi je risque d’être longtemps ici. Au defaut de ma sœur, j’ose vous prier, si cela vous est possible, de faire quelque démarche en ma faveur. Mon certificat d’amnistie est déja entre les mains du préfet de Mayence, à qui il a été envoyé par le précédent Ministre. J’ai demandé dans mon mémoire la permission d’aller dans mon département à Limoux, en passant par Paris où j’ai des affaires très importantes. Je crois que j’aurai de la peine à obtenir ce dernier article.

Mille pardons, Monsieur, des soins que vais vous donner, mais vous devez sentir combien ma position est excusable, il faut vous avouer que Mayence est un endroit extrêmement triste et où je m’ennuie à la mort. Recevez, je vous prie, les assurances de la plus parfaite estime, croyez moi, Monsieur.

Votre très humble et très obéissant serviteur
Villedieu
Mayence, poste restante
Le 5 septembre 1804

21 fructidor an XII (8 septembre 1804)

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Ci-dessus : Edouard Cibot. Portrait de Pierre Marie Desmarest, Conseiller d’État chargé du deuxième arrondissement de la Police générale de l’Empire. Pierre Marie Desmarest laisse un intéressant mémoire intitulé Témoignages historiques, ou Quinze ans de haute police sous Napoléon.

Jean Pierre Fabre ne laisse pas de rendre à Joseph Thibaud Rouvailloris le service dont celui-ci l’a prié. Il agit auprès du ministère de la Police, car le 21 fructidor an XII (8 septembre 1804), Pierre Marie Desmarest, Conseiller d’état chargé du deuxième Arrondissement de la Police générale de l’Empire, demande à ses subordonnés de lui fournir des renseignements sur l’individu concerné et obtient, comme indiqué en marge de sa demande, la réponse « Inconnu ».

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Paris, le 21 fructidor an 12

Le Conseiller d’État chargé du Second Arrondissement de la Police générale de l’Empire,
A désiré savoir s’il existe à la division de Sûreté générale quelque renseignement qui s’oppose à ce qu’il soit délivré un passeport, pour se rendre à Limoux, Département de l’Aude, en passant par Paris, au Sieur Joseph-Thibaud Villedieu Rouvairollis, natif de Mirepoix, amnistié pour fait d’émigration, et domicilié en Russie depuis 1796.
Signé : M. Desmarets
Mention marginale : « Inconnu »

21 fructidor an XII (8 septembre 1804)

Le même 21 fructidor an XII (8 septembre 1804), incertain de la conduite à tenir relativement au cas de Joseph Thibaud Villedieu Rouvairollis, Jeanbon Saint-André, préfet du département du Mont-Tonnerre, choisit de faire surveiller l’ancien émigré, en attendant les ordres venus de Paris.

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Le Préfet du Département du Mont-Tonnerre,
À Monsieur le Conseiller d’Etat chargé du 2e Arrondissement de la Police générale de l’Empire

Monsieur le Conseiller d’État

J’ai l’honneur de vous adresser la pétition, le passeport et autres papiers du Sieur Villedieu, Joseph Thibaud, Français venant de Saint-Pétersbourg et sollicitant la permission de se rendre auprès de sa famille à Limoux, Département de l’Aude.

Il conte, d’après la lettre ci-jointe du Sous-Préfet de Limoux, en date du 3 thermidor an 11, que cet émigré a été amnistié le 14 floréal même année et que son certificat d’amnistie est entre les mains du Préfet de son Département qui attend son arrivée pour le lui remettre.

En conséquence de la lettre de Son Excellence le Grand Juge Ministre de la Justice, du 30 ventôse dernier

Relativement au Français rentrant, je l’ai mis en surveillance dans cette ville en attendant l’autorisation en vertu de laquelle je puisse lui faire délivrer un passeport pour sa destination.
Salut et considération respectueuse
Jeanbon Saint-André

28 fructidor XII (15 septembre 1804)

Le 28 fructidor an XII (15 septembre 1804), une lettre émanant du Bureau de Sûreté du 2e arrondissement informe 1. M. Jeanbon Saint-André, Préfet du Mont-Tonnerre à Mayence ; 2. M. Desmarets, Conseiller d’État, Préfet de Police ; 3. M. le Conseiller d’Etat chargé du 3e Arrondissement ; qu’autorisation a été donnée de délivrer au Sieur Joseph Thibaud Villedieu Rouvairolis, amnistié pour fait d’émigration, venant de Russie, un passeport pour se rendre à Limoux, Département de l’Aude, ainsi qu’un passeport pour Paris.

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Paris le 28 fructidor 12

Au Préfet du Mont-Tonnerre à Mayence

J’ai l’honneur de vous prévenir Monsieur que le Sieur Joseph Thibaud Villedieu Rouvairollis natif de Mirepoix dept du Gers (!!!), amnistié pour fait d’émigration, venant de Russie, doit se présenter devant vous à l’effet d’obtenir l’autorisation de se rendre à Limoux, Département de l’Aude, en passant par Paris.

Je vous autorise à faire délivrer à cet individu le passeport nécessaire, avec injonction de se présenter, dès son arrivée, devant le Maire de Limoux, et à son passage à Paris, devant M. le Conseiller d’État Préfet de Police.

À M. le Conseiller d’État, Préfet de Police

J’ai l’honneur de prévenir, M. et cher collègue, que j’ai autorisé le préfet du Mont-Tonnerre à faire délivrer au Sieur Joseph Thibaud Villedieu Rouvairolis, amnistié pour fait d’émigration, venant de Russie, un passeport pour se rendre à Limoux, Département de l’Aude, un passeport pour Paris.

À M. le Conseiller d’Etat chargé du 3e Arrondissement etc.

J’ai l’honneur de prévenir, M. et cher collègue, que j’ai autorisé le préfet du Mont-Tonnerre à faire délivrer au Sieur Joseph Thibaud Villedieu Rouvairolis, amnistié pour fait d’émigration, venant de Russie, un passeport pour se rendre à Limoux, Département de l’Aude.

28 fructidor an XII (15 septembre 1804)

Le même 28 fructidor an XII, le même Bureau de Sûreté du 2e arrondissement informe M. Fabre, de l’Aude, Président du Tribunat, de ce que le Préfet du Département du Mont-Tonnerre est autorisé à délivrer un passeport à M. Villedieu Rouvairollis, et celui-ci autorisé à se rendre à Limoux en passant par Paris.

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Ci-dessus : portrait de Jean-Pierre Fabre (1755-1832), dit Fabre de l’Aude, indument prénommé Jean Claude sur Wikipedia et ailleurs sur Internet. La consultation de son acte de baptême, daté du 9 décembre 1755, permet de vérifier qu’il a bien été prénommé Jean Pierre. Cf. Archives dép. de l’Aude. Carcassonne. Paroisse Saint Michel. Paroisse Saint Michel. Document 100NUM/AC69/GG123. Vue 25.

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Paris le 28 fructidor 12
À Monsieur Fabre, de l’Aude, Président du Tribunat.
À Paris.

M., j’ai l’honneur de vous prévenir que j’écris par le courrier de ce jour au Préfet du département du Mont-Tonnerre, pour l’autoriser à délivrer un passeport à M. Villedieu, venant de l’étranger, et dont il est question dans la lettre que vous avez envoyée, le 24 de ce mois, à Son Excellence le Ministre de la Police générale.

M. Villedieu doit se rendre à Limoux, en passant par Paris.

J’ai l’honneur, M., de vous saluer avec considération.

4 vendémiaire an XIII (26 septembre 1804)

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Ci-dessus : portrait de Louis Nicolas Dubois, Conseiller d’Etat, Préfet de Police, chargé du quatrième arrondissement de la Police générale de l’Empire.

Le 4 vendémiaire an XIII (26 septembre 1804), le Conseiller d’Etat, Préfet de Police, chargé du quatrième arrondissement de la Police générale [Louis Nicolas Dubois, comte d’Empire], adresse au Conseiller d’Etat chargé du deuxième arrondissement de la Police générale de l’Empire [Pierre Marie Desmarest] la lettre suivante :

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4 vendémiaire an XIII
Le Conseiller d’État, Préfet de Police, chargé du quatrième arrondissement de la Police générale, au Conseiller d’État chargé du deuxième arrondissement de la Police générale de l’Empire.

J’ai reçu, Monsieur et Cher Collègue, votre lettre en date du 28 fructidor dernier, par laquelle vous me prévenez que le Préfet du Mont-Tonnerre est autorisé à faire délivrer au Sieur Joseph Thibaud Villedieu Rouvairollis, émigré amnistié venant de Russie, un passeport pour se rendre à Limoux, Département de l’Aude, en passant par Paris.

Recevez, Monsieur et Cher Collègue, l’assurance de mes sentiments affectueux.
Dubois

Conclusion

Bientôt nanti du passeport demandé, Joseph Villedieu Rouvairollis pourra rentrer dans sa patrie, passer par Paris, retourner au sein de sa famille à Limoux, et s’éjouir de plusieurs mariages. La Restauration fera de lui un lieutenant colonel en retraite et un chevalier de Saint Louis.

Le 11 janvier 1805, Anne Françoise Rose de Rouveyrolis de Rigaud de Villedieu, sa fille, épouse à Asques, dans le Tarn-et-Garonne, Luc Antoine Henri de Beauquesne, futur député de son département.

Le 26 décembre 1811, Joseph Thibaud Rouvairollis Villedieu, âgé de soixante-trois ans, propriétaire foncier, assiste au mariage de François Evremond Rouvairollis Caudeval, son neveu, avec Françoise Joséphine Rose Zoé Andrieu.

Le 14 novembre 1821, Monsieur Joseph Thibaud Rouvairollis, baron de Villedieu, âgé de soixante-dix ans, lieutenant colonel en retraite, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint Louis, assiste au mariage de Louis Jules Auguste Rouvairollis de Caudeval, son autre neveu, avec Jeanne Marie Françoise de Raymond de Lasbordes.

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3 octobre 1835. Décès de Josph Thibaud Rouvairollis de Rigaud, Baron de Villedieu. Archives dép. de l’Aude. Limoux. Décès (1831-1835). Document 100NUM/5E206/52. Vue 314.

Comme déclaré le 4 octobre 1835 par les Sieurs Évremond Rouvairollis de Caudeval, âgé de soixante ans, et Martin Andrieu Brézillou, âgé de trente-deux ans, propriétaires, domiciliés à Limoux, neveux du défunt, Joseph Thibaud Rouvairollis de Rigaud, Baron de Villedieu, âgé de quatre-vingt-sept ans, lieutenant colonel de cavalerie retraité, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint Louis, né à Mirepoix, domicilié à Limoux, veuf de Dame Anne Andrieu, fils de défunt Jean Rouvairollis de Rigaud, propriétaire, et de Dame Marie de Prochites, sans profession, est mort le 3 octobre 1835 en sa maison sise à Limoux, rue des Cordeliers, section du pacte social.

N.d.R. Tous les documents de police reproduits ci-dessus sont extraits du dossier « Villedieu-Rouvairollis, Joseph Thibaud (an XI-an XIII) conservé aux Archives nationales sous la cote F/7/3580.