En marge des Anciens. Printemps froid

— Printemps,
as-tu du cœur ?
— Non,
j’ai de l’as de pique.
Et toc !
Aujourd’hui comme hier,
c’est l’hiver au printemps.

Ovide,
condamné à l’hiver du printemps
sur la côte pontique
versait amer, là-bas,
en l’an neuf de l’ère chrétienne,
des larmes abondantes,
regrettant Rome
où le printemps s’annonce vermeil
et paré de mille autres charmes,
non point perdu de vue,
« vuidé de toute matière,
tel que seroit l’espace renfermé par les murailles d’une chambre
dont on aurait annihilé l’air et tous les autres corps qui y sont » 1Encyclopédie. 1751. Première édition. « Vuide ». Tome 17, pp. 572-574.,
ou tel que sont les rêves,
dont les images s’effument, pffft !
à l’heure du réveil.
Nil nisi flere libet, nec nostro parcior imber
lumine, de uerna quam niue manat aqua.
Roma domusque subit desideriumque locorum,
quicquid et amissa restat in urbe mei
. 2Ovide. Tristes. Livre III. Élégie 2, vers 19-22.
« Je ne me plais », dit Ovide,
en l’an neuf de l’ère chrétienne,
« que dans les larmes,
et elles coulent de mes yeux avec autant d’abondance que l’eau des neiges au printemps.
Rome, ma maison, l’image de ces lieux si regrettés,
et tout ce qui reste de moi-même dans cette ville perdue pour moi,
m’apparaissent avec tous leurs charmes. »
At mihi sentitur nix uerno sole soluta,
quaeque lacu durae non fodiantur aquae :
nec mare concrescit glacie…
3Ovide. Tristes. Livre III. Élégie 12. Vers 27-30.
« Pour moi », dit encore Ovide
en sa relégation pontique,
« les plaisirs de la saison consistent à voir fondre la neige
au soleil du printemps,
et à puiser l’eau sans avoir besoin de la briser.
La mer n’est plus prise par la glace… »
Triste printemps !
Le printemps, un jour,
reviendra, on veut croire :
tel qu’Ovide le chantait naguère.
Le printemps, le vrai,
lorsqu’advient sous le signe de constellations neuves
l’heure du narcisse, de la fleur au coeur de safran
ourlé de pétales blancs :
Ver hiemem, Piscique Aries succedit aquoso,
tu totiens oreris uiridique in caespite flores
. 4Ovide. Métamorphoses. Livre X. Vers 165-166.
« Le printemps chassant l’hiver, et le Bélier, et les Poissons pluvieux,
toi alors, chaque fois, tu apparais et fleuris dans l’herbe verte. »
Le printemps, le vrai, le fastueux !
Uere fruor semper: semper nitidissimus annus,
arbor habet frondes, pabula semper humus
5Ovide. Fastes. V. Vers 207-208.,
« toujours le printemps me réjouit »,
disait ailleurs Ovide de son printemps natal,
« toujours l’année devient éclatante,
toujours l’arbre se couvre de feuilles,
la terre de verdure ».
Un jour, le printemps reviendra
le vrai, le beau, le fastueux,
le vermeil.
Un jour, le commencement
renaîtra commençant.
Un jour, comme il fait que les cavales,
superant montis et flumina tranant.
Continuoque auidis ubi subdita flamma medullis

…………………………………………………………………….., illae
ore omnes uersae in Zephyrum stant rupibus altis,
exceptantque leuis auras
,
franchissent les montagnes
passent les fleuves à la nage,
et dès que la flamme s’est allumée
dans leurs moelles avides,
se dressent au sommet des rochers,
et la bouche tournée vers le Zéphyr,
s’imprègnent des brises légères »,
un jour recommencé, le printemps
fera de même pour nous.
Quia uere calor redit ossibus. 6Virgile. Géorgiques. Livre III. Vers 270-274.
« Car il rend la chaleur à nos os. »
C’est Virgile qui le dit.

En attendant,
reléguée dans l’ombre
qui s’attarde à l’ouest,
tu rêves de la lumière d’or
qui viendra, un jour,
sur la façade grise
que ta fenêtre encadre.
— Printemps,
as-tu du cœur ?

Mirepoix. 23 mars 2018.

References

References
1 Encyclopédie. 1751. Première édition. « Vuide ». Tome 17, pp. 572-574.
2 Ovide. Tristes. Livre III. Élégie 2, vers 19-22.
3 Ovide. Tristes. Livre III. Élégie 12. Vers 27-30.
4 Ovide. Métamorphoses. Livre X. Vers 165-166.
5 Ovide. Fastes. V. Vers 207-208.
6 Virgile. Géorgiques. Livre III. Vers 270-274.