Une page de Frédéric Soulié, in Le Comte de Foix. « Ce château était celui du sire de Terride »
Ci-dessus : vue de l’ancien château de Mirepoix, dit château de Terride, aujourd’hui.
Dans le Comte de Foix, dernier volume de son cycle de romans languedociens, ouvrage laissé inachevé et édité de façon posthume, Frédéric Soulié consacre deux pages à la description de l’ancien château de Mirepoix, plus connu depuis le XVIIe siècle sous le nom de château de Terride. L’écrivain, qui a vécu en Ariège jusqu’à l’âge de huit ans et qui est revenu à Mirepoix pour la dernière fois en 1831, n’a connu en son temps que les ruines de l’ancien château. Mais il a sans doute bénéficié de la mémoire des anciens, qui avaient vu, avant la Révolution, ce château debout encore, et qui, empruntant ici à la tradition orale, se « souvenaient » de l’aspect que le château en question présentait aux temps reculés de la Croisade. Familier de la mémoire des anciens, Frédéric Soulié l’était aussi des archives et autres « vieux papiers ». Il tire de cet ensemble de sources matière à brosser la seule description que nous ayons de l’ancien château de Mirepoix, celui dont Guy de Lévis fit le sien, au XIIIe siècle. Nonobstant quelques possibles libertés de détail, cette description, quant à la réalité du XIIIe siècle, est sans doute des plus approchantes. La visite de l’ancien domaine seigneurial la confirme en tout cas pour l’essentiel.
Ci-dessus : vue de l’ancien château de Mirepoix, dit château de Terride, sous l’Empire.
« A quelques centaines de pas du bourg de Mirepoix, de l’autre côté du Llers, torrent qui traverse dans presque toute sa longueur la riche vallée qui s’étend de ce bourg jusqu’à la ville de Pamïers, s’élève une colline qui domine non seulement le cours de cette petite rivière, mais encore le chemin qui la borde et qui va vers Castelnaudary. Aux deux tiers à peu près de cette colline commençait un château dont les ruines existent encore.
Adossé au flanc de là montagne, il montait avec elle, atteignait son sommet, et le dépassait par quatre grandes tours que l’on apercevait à plusieurs lieues de distance.
Cette manière de poser les redoutables forteresses où s’enfermaient les puissants châtelains de cette époque, faisait intérieurement de ces vastes constructions quelque chose d’assez bizarre pour que nous croyions devoir l’expliquer à nos lecteurs.
Les premières constructions qui servaient d’enceinte générale au château s’étendaient d’abord parallèlement à la colline sur une façade de près de trois cents pieds, et montaient à une hauteur prodigieuse ; puis elles allaient rejoindre par des constructions latérales la colline, gardant au sommet le même niveau, mais diminuant de hauteur absolue à mesure que leur base s’élevait avec la pente du terrain, de façon qu’arrivée à la petite plate-forme, sur laquelle se dressaient les quatre tours dont nous avons parlé, cette enceinte n’avait plus qu’une élévation d’une vingtaine de pieds. On comprend que de cette façon une très grande étendue de terrain en plan, rapidement incliné, fût enfermée dans cette enceinte.
Aussi, lorsqu’on entrait du côté de la façade, c’est-à-dire du côté où les murs étaient les plus élevés et descendaient par conséquent le plus bas sur le penchant de la colline, on trouvait après la poterne, garnie d’une double herse, un vaste champ au milieu duquel était tracé un chemin tortueux bordé de vieux chênes et de frênes énormes. De chaque, côté de cette allée s’élevaient une demi-douzaine de maisonnettes, de granges, d’étables, où logeaient les serviteurs du seigneur féodal, chargés des soins du bétail : le reste était demeuré agreste et inculte, à l’exception d’une étendue assez grande qui avait été nivelée et battue pour servir à la fois aux jeux et aux exercices des habitants du château.
Le rez-de-chaussée des constructions d’enceinte était réservé à d’immenses écuries pour les chevaux du seigneur, de ses hommes d’armes et des visiteurs qui pouvaient se présenter, quelque nombreuse que pût être leur suite.
L’allée qui traversait en tournant ce vaste espace conduisait à une seconde construction qui le traversait dans toute sa largeur, et allait s’appuyer par ses deux extrémités aux murs latéraux.
Mais la base de cette construction se trouvant de beaucoup plus élevée que celle de la première, le rez-de-chaussée en était à peu près à la hauteur du second étage des bâtiments extérieurs.
Cet immense rez-de-chaussée offrait au centre un énorme pavillon carré d’où s’étendaient à droite une immense salle d’armes, et à gauche une chapelle qui, de nos jours, serait une église plus que suffisante pour un village de quelque importance. Un escalier qui occupait une partie de ce pavillon conduisit aux étages supérieurs occupés par ceux qui dépendaient plus immédiatement du suzerain, et parmi lesquels il faut compter non seulement l’argentier, l’armurier, le sommelier, le fauconnier et autres, mais encore les hommes d’armes qui, à cette époque, se rangeaient sous une bannière seigneuriale pour combattre à sa solde, et qui possédaient en propre leurs chevaux, leurs armes, et quelquefois deux ou trois hommes à leur service et qu’ils engageaient avec eux.
Lorsqu’on avait traversé ce bâtiment, on retrouvait un nouvel espace libre, mais, plus soigné et garni de fleurs et de quelques arbres fruitiers, et au bout de cet espace, de nouvelles constructions qui gravissaient îë rocher nu, et qui étaient ce qu’on pouvait appeler véritablement le château. Là, on avait taillé en quelques endroits les salles dans le roc lui-même ; on montait dans un labyrinthe d’escaliers qui, au sommet, s’ouvraient tout à coup sur une cour pleine encore d’une végétation puissante, et autour de laquelle on trouvait d’autres bâtiments ; on montait encore et l’on atteignait des terrasses naturelles aboutissant aux étages les plus élevés de l’enceinte extérieure, et du rez-de-chaussée du dernier de ce bloc de bâtiments entassés les uns sur les autres, on était de plain-pied avec la terrasse qui régnait au sommet de la grande enceinte. Mais ce n’était pas tout, et après toutes ces constructions, on arrivait à la plate forme au milieu de laquelle s’élevaient les quatre tours parfaitement isolées et qui étaient la citadelle de ce château.
Là, on avait creusé un fossé dans le roc, fossé qui, quoique privé d’eau, n’en était pas moins un obstacle difficile à franchir pour les assaillants qui fussent arrivés jusqu’à cet endroit, car un seul pont-levis, fermé par une porte étroite et basse, donnait entrée dans cette citadelle.
Dans cet endroit, étaient renfermés dans d’immenses caves et dans les salles qui unissaient les tours les unes aux autres, tous les moyens d’une défense désespérée, des projectiles de toutes sortes, des outres d’huile, des masses de résine pour inonder les assiégeants de matières brûlantes, une immense quantité de blé et de seigle, des viandes salées, du vin, du bois en monceaux énormes, et enfin, dans l’endroit le plus secret de l’une des tours, l’or, les bijoux et les armures précieuses.
Un pareil château, situé sur une hauteur qui n’était commandée par nulle autre, semblerait difficile â prendre, même de nos jours, avec les puissants moyens que l’artillerie nous a donnés ; on doit donc penser de quelle importance il était à une époque où ce n’était qu’en faisant combattre pour ainsi dire les machines de guerre et les murailles corps à corps, qu’on parvenait à ébranler ces puissantes forteresses.
Indépendamment de sa force propre, ce château tenait de sa position un immense avantage, car il commandait, comme nous l’avons dit, le chemin qui menait de Castelnaudary au bourg de Mirepoix et de là à Foix. Toute la riche vallée qui s’étendait à ses pieds était également dans ses dépendances, et il suffisait d’un seul mot du suzerain pour que vingt cavaliers, sortis du château, pussent enlever en une heure ou deux les nombreux troupeaux qui paissaient dans la plaine. Pendant ce temps les faucheurs avaient bientôt fait de tondre les prés les plus riches pour la nourriture des chevaux du maître, et le voyageur, dont la tournure promenait un butin, si minime qu’il soit, n’avait guère de chance de s’échapper lorsqu’il avait excité de loin la convoitise de quelques hommes d’armes du châtelain.
En face des murs, il existait un bac pour traverser le torrent qui coulait au pied de la colline.
Durant l’hiver et au printemps, c’était le seul moyen de communication qui existât du bourg au château, communication qui n’était pas sans danger lorsque le torrent roulait dans toute sa force.
Souvent les moines du couvent de Saint-Maurice, situé dans la plaine, avaient proposé aux seigneurs du château de remplacer ce bac par un pont construit à leurs frais, mais comme le droit de péage de ce bac était un des meilleurs revenus du châtelain, jamais il n’y avait voulu consentir, attendu qu’is y mettaient pour condition que le droit serait perçu à leur profit.
En été, le torrent presque desséché rendait ce bac inutile ; mais les voyageurs, les marchands, n’en devaient pas moins ce droit, quoiqu’ils ne fissent pas usage du radeau demeuré à sec sur le sable, et cela avait nécessité, de la part des seigneurs, une surveillance perpétuelle et, en conséquence, l’établissement au bord du torrent d’une petite tour qui servait de demeure au conducteur du bac et à sa famille, composée d’une fille de seize ans à peine, et de deux garçons de vingt et de vingt-deux ans, alertes, vigoureux, et qui de jour comme de nuit étaient aux aguets de ceux qui eussent voulu frauder le droit de passage.
Ce château était celui du sire de Terride.
Et le sire de Terride 1De façon délibérément anachronique, Frédéric Soulié prête ici à « l’un des plus redoutables suzerains du Languedoc du XIIIe siècle » le titre dont on usera au XVIIe siècle pour désigner Jean de Lomagne, fils de Jean VI de Lévis et de Catherine Ursule de Lomagne, qui, dernier de sa maison à occuper le château de Terride, y a résidé jusqu’à sa mort, en 1664. Frédéric Soulié se plaît au même effet d’anachronisme dans Le sire de Terride, nouvelle de style médiéval recueillie dans Le Port de Créteil. Après la mort de Jean de Lomagne, l’ancien château de Mirepoix, dit château de Terride, ne sert plus qu’au logement du personnel ou au stockage des réserves de la maison de Lévis. Le 29 avril 1740, Gaston Pierre Charles de Lévis Lomagne cède le château à Gabriel Henri Bernard de Rieux, marquis de Boulainvilliers, qui le conserve, sans y venir jamais, jusqu’à la Révolution. était l’un des plus redoutables suzerains du Languedoc. » 2Frédéric Soulié, Le Comte de Foix, pp. 1-2, édition Lécrivain et Toubon, Paris, 1862.
Dans le tome I de l’ouvrage qu’il consacre au Cartulaire de Mirepoix, Félix Pasquier indique quelle sorte de règlement trouva à la fin du XVe siècle l’affaire du remplacement du bac sur l’Hers par un pont. Je cite ici la page correspondante, pour information :
« En 1304, Jean de Lévis Ier avait promis de faire procéder à la construction d’un pont reliant la ville au château. Pour procurer des ressources, un denier payable annuellement avait été mis sur chaque feu.
En 1382, Roger Bernard de Lévis Ier, en attendant la construction, accorda le passage gratuit sur le bac de l’Hers. Les Mirapisciens étaient admis à bénéficier de cette libéralité dont les étrangers étaient exclus. Quand les circonstances le permirent, on se contenta de jeter un pont capable de servir aux besoins du moment, mais laissant à désirer sous le rapport de la solidité. Cependant on n’avait pas cessé de percevoir l’impôt spécial, porté même à deux sous par feu, sous le titre de pontonage pour en indiquer l’objet. En 1410, la situation en vint à un tel point que les travaux ne pouvaient plus être ajournés ; une solution s’imposait. Qui devait supporter les frais ? Le seigneur ou la ville ? Les consuls alléguaient que la charge devait incomber au seigneur en vertu des anciens usages ; il devait y être d’autant plus tenu qu’il avait à sa disposition les ressources provenant du pontonage. La leude 3Leude : tarif de l’impôt seigneurial qui sera prélevé sur toutes les marchandises qui seront vendues par des marchands étrangers sur le marché du bourg. était productive par suite du transit des deux foires annuelles et du commerce normal. Le seigneur ne contestait pas la valeur des arguments, mais déclarait que les appréciations de ses revenus étaient mal établies. Il se trouvait, disait-il, dans l’impossibilité d’entreprendre le moindre travail. Néanmoins, suite des refus opposés aux mises en demeure, un procès allait s’engager. Pour en finir, on eut recours, comme dans les cas analogues, à une transaction. Dans cette intention, les consuls et une vingtaine de bourgeois se réunirent pour rédiger, d’accord avec le seigneur, un acte réglant les voies et moyens d’exécution. Le préambule contient des appels à la concorde pour assoupir, sopire, toute cause de discussion, éviter les dédales de la chicane, anfractus litium aufugere. On imposa à la ville la construction du pont ainsi que l’entretien, la réparation et même, s’il le fallait, la réédification. Le bois nécessaire aux travaux devrait être pris dans les forêts domaniales. Le seigneur serait dispensé d’entretenir le bac et ne devrait plus toucher la contribution applicable aux besoins du pont.
Nous avons vu qu’il y avait déjà plus d’un siècle que la voie d’accès au pont avait été préparée ; c’était grâce à la libéralité de gens qui, dans un but d’intérêt public, avaient, avec l’autorisation de la cour seigneuriale, réservé des emplacements de maisons sur la rue passant entre le pont et le cimetière. Des préoccupations plus graves étaient venues mettre obstacle aux bonnes dispositions et renvoyer à un temps meilleur l’exécution des projets.
En 1417, on redouta une reprise des hostilités, et, pour se mettre à l’abri des incursions dont on avait eu trop a souffrir depuis plus d’un demi-siècle, on résolut de réparer les remparts et de détourner dans les fossés le ruisseau du Coutirou et d’y établir des viviers.
Le chapitre cathédral et l’évêque profitèrent de l’occasion pour faire comprendre, dans l’enceinte de la ville, un emplacement appelé las Mongas ; ils avaient l’intention d’y faire construire un moulin pour le mettre à l’abri d’une surprise. A cet endroit, s’élevait jadis le couvent de Notre-Dame de Beaulieu fondé par Constance de Foix, femme de Jean de Lévis 1er, et détruit par les routiers. Le seigneur permit de prendre sur son domaine tout ce qui serait nécessaire à la construction, et la ville fut autorisée, pour faire face à la dépense, de s’imposer une contribution. Le produit de la pêche était affecté à l’entretien des fortifications. La nécessité de pourvoir aux besoins urgents, qui se renouvelaient trop souvent à cette époque troublée, retarda la construction du pont ; c’était à qui ne prendrait pas l’initiative. En 1493, il n’y avait pas encore de solution ; enfin, Jean V finit par consentir à tenir les promesses faites par son aïeul, au moins telles qu’elles étaient énoncées dans l’accord de 1410. Le droit de pontonage fut aboli, la ville prit à son compte les charges stipulées dans l’acte et le bois fut fourni par le seigneur. » 4Félix Pasquier, Cartulaire de Mirepoix, volume 1, pp. 140-142, éditions Privat, Toulouse, 1921.
A lire aussi :
A propos des célèbres boiseries du château de Terride
Quand la maison de Lévis se défait du château de Mirepoix
Le premier mariage de Gaston Pierre Charles de Lévis Lomagne
Retour au château de Terride
L’ancienne enceinte fortifiée du château de Terride
Les rinceaux de la chapelle castrale de Terride en octobre 2009
Les rinceaux de la chapelle castrale de Terride
Au château de Terride
La triste histoire de Jean de Lévis Lomagne
Au pied du château de Terride, le couvent des Cordeliers
Terride en janvier
La trace du serpent – Au château de Mirepoix, éditions L’Harmattan, 2014.
References
↑1 | De façon délibérément anachronique, Frédéric Soulié prête ici à « l’un des plus redoutables suzerains du Languedoc du XIIIe siècle » le titre dont on usera au XVIIe siècle pour désigner Jean de Lomagne, fils de Jean VI de Lévis et de Catherine Ursule de Lomagne, qui, dernier de sa maison à occuper le château de Terride, y a résidé jusqu’à sa mort, en 1664. Frédéric Soulié se plaît au même effet d’anachronisme dans Le sire de Terride, nouvelle de style médiéval recueillie dans Le Port de Créteil. Après la mort de Jean de Lomagne, l’ancien château de Mirepoix, dit château de Terride, ne sert plus qu’au logement du personnel ou au stockage des réserves de la maison de Lévis. Le 29 avril 1740, Gaston Pierre Charles de Lévis Lomagne cède le château à Gabriel Henri Bernard de Rieux, marquis de Boulainvilliers, qui le conserve, sans y venir jamais, jusqu’à la Révolution. |
↑2 | Frédéric Soulié, Le Comte de Foix, pp. 1-2, édition Lécrivain et Toubon, Paris, 1862. |
↑3 | Leude : tarif de l’impôt seigneurial qui sera prélevé sur toutes les marchandises qui seront vendues par des marchands étrangers sur le marché du bourg. |
↑4 | Félix Pasquier, Cartulaire de Mirepoix, volume 1, pp. 140-142, éditions Privat, Toulouse, 1921. |
Martine Rouche at 8 h 05 min
Cette description du château de Terride est unique à tous points de vue ! (Je ne suis pas à une formule paradoxale près … ) Je m’en suis encore servie en septembre dernier, avant de faire visiter les lieux à un groupe. La lecture de ces lignes in situ est d’une force incroyable.
Gironce at 11 h 08 min
Je n’ai jamais pu comprendre ce projet des habitants de Mirepoix, d’installer des maisons entre le cimetière et le pont, alors que le souvenir de l’inondation de 1289 n’était alors pas si loin.
La dormeuse at 12 h 22 min
Et il y a eu aussi, en 1653, une autre grande crue de l’Hers qui a emporté sur la berge de l’Hers l’église Saint Michel, le cimetière et les maisons à proximité desquels le sieur du Bouscaut avait été assassiné le 9 juin de la même année.