Dans Histoire de Samuel Bernard et de ses enfants 1Elisabeth de Clermont Tonnerre, Histoire de Samuel Bernard et de ses enfants, p. 87 sqq., Editions Champion, 1914. « Les trois enfants du grand financier ont fait si abondamment souche qu’il y a encore aujourd’hui plus de trente familles parisiennes pouvant, à juste titre, se prévaloir de cette descendance », observe Elisabeth de Clermont Tonnerre dans sa préface, p. XI. « Les Bagneux, Polignac, Bourqueney, Caumont La Force, Chabannes Duverger, Chaulnes, Clapiers, Clermont Tonnerre, Ferté Meun, Juigné, Noailles, Oysonville, Pange, Roche Aymon, Ségur, Ségur Lamoignon, Uzès, etc., etc., etc »., Antonia Corisande Elisabeth de Gramont, duchesse de Clermont-Tonnerre, dite « la duchesse rouge » (1875-1954), photographiée ci-contre par Nadar (1889), évoque la fête grandiose donnée par Samuel Bernard à l’occasion des noces d’Anne-Gabrielle Henriette Antoinette de Bernard de Rieux, sa petite-fille, et de Gaston Pierre Charles de Lévis-Lomagne. L’ironie d’une telle fête tient cruellement dans ses suites, annoncées par le couplet rapporté ci-dessous.
Le 17 Août 1733, Anne Gabrielle Henriette, la fille de Bernard de Rieux, épouse Charles Pierre Gaston de Lévis, marquis de Mirepoix. Et Samuel Bernard voulut que cette noce dépassât en splendeur tout ce qu’on avait vu jusqu’à ce jour. M. de la Popelinière fit obtenir à Rameau la direction du concert qu’on devait y donner.
Ce mariage fut critiqué. Bien des gens blâment le marquis de Mirepoix qui a près de 30.000 livres de rente, « mais on ne connaît présentement ici que l’argent. » Et Mathieu Marais, qui aimait assez prendre les Bernard à partie, parce qu’il avait été pendant quelque temps leur avocat et leur obligé, ne manqua pas de le railler dans son journal :
« La folie de la France est d’entrer dans la famille (ou dans la caisse) de M. Bernard, et voilà encore le marquis de Mirepoix qui épouse le petite de Rieux, âgée de onze ans, jolie comme un ange, la fille du président et de Mademoiselle de Boulainvilliers : elle ne risque que d’être duchesse et d’avoir tous les biens de la maison de Lévis. Au siècle prochain on recherchera la famille Bernard pour le nom et il y aura quelque riche qui sera bien aise d’y entrer. »
« La fête eut lieu le 16 août dans l’hôtel du chevalier Bernard [Samuel Gabriel Bernard, dit le Président Rieux, fils de Samuel Bernard, père de la jeune mariée), rue Neuve de Notre Dame des Victoires, à sept heures du soir. Toutes les façades de l’hôtel [au pied desquelles s’élevait une statue équestre de Louis XIV] furent illuminées d’une quantité prodigieuse de lampions et de terrines. Cette magnifique illumination ne se bornait pas à l’hôtel : pour éclairer plus loin les carrosses, on avait garni le mur du jardin des Petits Pères de terrines portées sur des consoles, depuis l’église jusqu’à l’angle et très avant dans la rue Neuve Saint-Augustin. On n’aura pas de peine à s’imaginer le brillant de cette illumination quand on saura que tous les lampions et terrines étaient garnis de cire blanche, précaution que l’on avait prise pour éviter la mauvaise odeur et préserver les habits des dames et autres conviés qui étaient obligés de passer sous les arcades illuminées.
Ci-dessus : vue de l’ancien hôtel particulier de Samuel Gabriel Bernard au n°28 de la rue du Bac. Le marquis de Boulainvilliers, petit-fils de Samuel Gabriel Bernard demeurait propriétaire de l’édifice lorsque celui-ci fut racheté par les Messageries royales. « Le jardin a longtemps servi d’embarcadère aux Messageries royales, avant l’exploitation des chemins de fer » 2Cf. Le Paris pittoresque – Rue Notre Dame des Victoires et rue Paul Lelong – IIe arrondissement de Paris..
« Le concert qui ouvrit la fête fut un des plus magnifiques. Rameau avait mis son amour-propre à faire choix des meilleurs exécutants et des meilleurs morceaux : aussi fut-il excellent. Après le concert, les conviés passèrent dans une immense salle construite exprès dans le jardin de l’hôtel et où était dressée une table de plus de soixante-dix couverts. Pendant tout le repas, on entendit une symphonie mélodieuse placée dans les tribunes, interrompue dans l’intervalle par des fanfares, des trompettes et des cymbales. Au milieu du souper, les sieurs Charpentier et Dangoy, célèbres concertants, l’un sur la musette, l’autre sur la vielle, vinrent au milieu du fer à cheval exécuter des morceaux que Rameau avait composés exprès pour cette occasion. A minuit, on se rendit à l’église Saint-Eustache qui était aussi magnifiquement illuminée que l’hôtel qu’on venait de quitter. Sur tout le parcours de la noce, des escouades du guet à pied et à cheval contenaient les flots débordants de la foule. »
Ci-dessus : Jacques Aved (1702-1766), portrait de Jean Philippe Rameau.
Ci-dessus : vue de l’église Saint Eustache à la fin du XVIIe siècle.
« Dans le choeur et dans la nef, on remarquait des personnages de la plus haute distinction, qui cependant n’étaient pas de la noce. Tout le monde admira la bonne grâce de l’époux, la douceur et la modestie de l’épouse. Tout le monde sortit charmé de « cette sainte et éclatante cérémonie ». Rameau avait obtenu de M. Forcroy, organiste de la paroisse, de lui laisser toucher l’orgue pendant la célébration du mariage. Il le fit avec une grande supériorité : c’étaient ses adieux à cet instrument, et jamais il n’avait été si bien inspiré. Le lendemain, il reçut du chevalier Bernard une gratification de 1.200 livres. »
Ci-contre : Maurice Quentin de La Tour (1704-1788), portrait de Mlle de Boulainvilliers, dite la Présidente de Rieux, mère de la jeune mariée.
Cette fête provoqua le couplet suivant, intitulé Le faste de Samuel Bernard :
Qu’à Chantilly Condé fasse fracas
Et que dans un point d’importance
Eclate sa magnificence,
Cela ne me surprend pas.
Mais que Bernard, en seigneur, tranche, ordonne,
Que pour un contrat, sa maison
Devienne un palais de Bourbon,
Illuminée jusqu’au fronton,
Voilà ce qui m’étonne.
Que mon quartier soit bordé de soldats,
Et que du Roi la garde fière
De Paris fasse une barrière,
Cela ne me surprend pas.
Mais que Bernard pour ses filles se donne
Un petit air de souverain ;
Que le guet lui prête la main
Et qu’il me coupe le chemin,
Voilà ce qui m’étonne.
Que Charpentier, Dangoy, dans les repas,
Désirés par leur gentillesse,
Fassent le plaisir des altesses,
Cela ne me surprend pas.
Mais qu’au bourgeois ce couple s’abandonne,
Et que sans crainte des brocards,
De la table de nos Césars,
Il passe à celle des Bernards,
Voilà ce qui m’étonne.
Que de festons, d’emblèmes délicats
Consacrés aux faits héroïques,
Villars tapisse ses portiques,
Cela ne me surprend pas.
Mais que Bernard, qu’aucun exploit couronne,
Dont jamais il ne fut mention,
Me présente ses actions
Et qu’il use d’inscriptions,
Voilà ce qui m’étonne.
Que prévenu contre nos opéras,
Par un trait qui le canonise,
Servandoni serve l’église,
Cela ne me surprend pas.
Mais que sitôt son remords l’abandonne,
Et que Bernard courant soudain,
Il remette pour son festin
Un saint portail au lendemain,
Voilà ce qui m’étonne.
Que tout lésine, et qu’à peine ici-bas
Le Seigneur dans son sanctuaire,
Ait une lampe qui l’éclaire,
Cela ne me surprend pas.
Mais pour Bernard qu’on tinte ou carillonne,
Et pour ce petit monsieur
Plus respecté qu’un cordon bleu,
On mette Saint-Eustache en feu,
Voilà ce qui m’étonne.
Ci-dessus : Louis Léopold Boilly (1761-1845), L’arrivée d’une diligence dans la cour des messageries rue Notre Dame des Victoires.
Trois ans après, la pauvre petite dame de Mirepoix mourait à 15 ans, après avoir mis au monde un enfant qui ne vécut pas, et son mari dut abandonner les 800.000 livres de la dot, ce qui ne fut pas chose facile. Il paya en terres, alors Samuel Bernard toujours généreux, lui alloua en récompense 20.000 livres de rente.
Quant à l’hôtel particulier de la rue Notre Dame des Victoires, qui fut le théâtre des noces étincelantes d’Anne-Gabrielle Henriette Antoinette de Bernard de Rieux et de Gaston Pierre Charles de Lévis-Lomagne, il est vendu au roi en 1767.
Le roi ayant reconnu que le sieur Ducessoir, fermier général des Messageries, en se conformant au plan adopté en 1715, avait réuni à l’hôtel de Boulainvilliers, rue N.-D. des Victoires, la totalité des bureaux des Messageries, situés précédemment dans différents quartiers de Paris, et qu’il résultait de cette réunion un avantage considérable pour cette exploitation, plus de commodité pour le public et beaucoup plus d’exactitude pour le service, avait manifesté son intention d’acquérir pour consolider cet établissement et éviter à l’avenir le déplacement des bureaux, le dit hôtel et la petite maison y joignante, située sur Saint-Pierre, appartenant à Mr le Marquis de Boulainvilliers.
[…]
A ces causes, Mr le marquis de Boulainvilliers et Mr Antoine Baudet de Comielle, avocat au Parlement,
co-tuteur aux différentes substitutions portées au testament de feu Samuel Bernard,
Ont vendu au Roi :
Une grande maison (estimée 400.000 livres avec les glaces en 1740 fors du règlement de la succession de Samuel Bernard), située à Paris, rue Notre-Dame des Victoires, et en retour d’équerre sur la rue Saint-Pierre, et autres bâtiments, deux cours à la suite de la principale, desquelles était un jardin avec issue dans la rue Montmartre par le cul-de-sac de Saint-Pierre, lequel jardin, les fermiers généraux des Messageries ont fait payer pour servir de passage de la rue N.-D. des Victoires à la rue Montmartre, et sur le côté duquel ils ont fait construire en aile des bureaux, logements, écuries, greniers.
Deuxièmement, deux autres maisons particulières, situées cul-de-sac Saint-Pierre et dont une partie du
terrain a été précédemment réunie à l’hôtel Boulainvilliers.
Troisièmement, une petite maison rue Saint-Pierre, ayant sur cette rue porte cochère, bâtiment principal, cour.
Ne sont pas comprises dans cette vente les constructions nouvelles faites par les Messageries, ni les glaces, boiseries, parquets, chambranles de cheminées et autres objets d’embellissement et décoration pouvant exister dans ledit hôtel.
La vente a lieu, moyennant 570.000 livres dont 532.000 livres pour le grand hôtel et 38.000 livres pour la maison rue Saint-Pierre.
Sur la vente, 70.000 livres sont payées à Mr de Boulainvilliers par Théodore Joseph Ducessoir, adjudicataire des Messageries au nom da Sa Majesté.
24.000 livres restent comme garantie du douaire.
Les 476.000 livres doivent être payées :
100.000 livres immédiatement
100.000 livres au 1er juillet 1786
100.000 livres au 1er juillet 1787
100.000 livres au 1er juillet 1788
100.000 livres au 1er juillet 1789
Le tout avec intérêts à 5%. 3Elisabeth de Clermont Tonnerre, Histoire de Samuel Bernard et de ses enfants, pp. 383-386.
Ci-dessus : portrait de Gabriel-Henri Bernard de Rieux, marquis de Boulainvilliers (1724-1798).
Je cherche à savoir ce qu’est devenue la statue équestre de Louis XIV, estimée 7.500 livres en 1740 lors du règlement de la succession de Samuel Bernard, et dont on ne parle plus.
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Notes