A Mirepoix – A propos du toponyme Malaquit et du « moulon de la métairie du sieur Pierre Gautier appelée Malaquit et partie de la Devèze »

 

Nostre Raymond Escholier 1Cf. La dormeuse : Raymond et Marie Louise Escholier., quoique très parisien, revenait chaque année à Malaquit, propriété de son épouse, Marie Louise Pons-Tande 2C’est au mariage de Louis Pons-Tande (député républicain ; grand-père de Marie Louise Pons-Tande) avec Irma Rouger, en 1833, que la famille Pons-Tande doit la propriété de la métairie de Malaquit. La dite propriété venait à Irma Rouger de Raymond Etienne Xavier Rouger, son père, qui la tenait lui-même, par voie de dot, de son mariage avec Marianne Maudet, en 1813. Cf. Bernadette Truno, Raymond et Marie Louise Escholier – De l’Ariège à Paris un destin étonnant, pp. 9-10, éditions Trabucaire, 66140, Canet, 2004 ; La dormeuse blogue : Raymond Escholier – Quand on conspire. Celle-ci parle de son Malaquit, de façon particulièrement émouvante, dans son journal de 1914-1915, intitulé Les saisons du vent. Le vent fait rouler des vagues vertes sur les prairies. Le long des pentes les herbes hautes ont l’air de courir à toute vitesse… 3Marie Louise Escholier, Les saisons du vent, p. 142, éditions Garae/Hésiode, collection Les Mémoriaux, Carcassonne, 1986. Raymond Escholier quant à lui, dans les années 1950, se plaît à correspondre avec ses amis depuis « Malachite ». Un exemple, parmi d’autres, ci-dessous :

Monsieur l’abbé J. Durand, curé de Rieucros et chapelain de Vals
Malachite Mirepoix – le 29 janvier 1953
 
Mon cher ami,
Je viens me confesser à vous. Heureusement, vous avez l’habitude…
4Cf. La dormeuse blogue : Une bien jolie confession de Raymond Escholier à l’abbé Durand.

De Malaquit à Malachite, du bien mal acquis à la malachite, pierre sacrée de l’ancienne Egypte, connue en lithothérapie pour sa capacité d’absorber les énergies négatives, le glissement se veut, semble-t-il, plaisamment conjuratoire. Il accuse en tout cas, par effet de différence, l’inquiétante étrangeté, au moins apparente, du toponyme initial.

 

 

Le toponyme Malaquit est au demeurant fort ancien, puisqu’il se trouve déjà attesté dans le compoix mirapicien de 1666. S’il désigne le lieu d’une acquisition malhonnête, comme on le suppose par voie d’étymologie naïve, force est de constater que la chronique locale n’a gardé aucune souvenance d’une acquisition semblable. Intriguée par ce défaut de mémoire, je me suis enquise d’autres hypothèses concernant l’étymologie du toponyme Malaquit. Il existe effectivement d’autres hypothèses plausibles.

  • H. Guiter, dans Les bases oronymiques préromanes sur les Pyrénées méditerranéennes, note qu’A. Dauzat invoque la base pr. ind. eur. mala « cime escarpée », qui intervient dans Maladeta, Vignemale. Ici encore le basque peut nous éclairer. Si le simple mala n’a plus que le sens de « terre entraînée par un torrent », les dérivés et composés sont plus éloquents : malta « côte, montée, côteau » « cuesta, déclive, pendientes » ; malkarr « terrain escarpé, pierreux, raboteux ; rocher ; précipice ; montant et pierreux » ; malkorr « precipicio, despeñadero ; peñasco, roca ; estéril » ; malarr « délaissé, abandonné » ; malter « desvalido, desamparado, abandonado ».

    De cet ensemble, il apparaît que MAL réunit les valeurs de « pente », mais aussi de « stérilité », ce deuxième aspect l’opposant à ALB-. Pour les deux bases il s’agit d’un versant, couvert de végétation pour ALB-, stérile et pierreux pour MAL-. Les formations de l’un et de l’autre type abondent dans les Pyrénées.

  • Michel Morvan, linguiste membre de l’UMR 5478 du CNRS/IKER, dans son Dictionnaire étymologique basque en français-espagnol-anglais, présente le la sorte le radical MAL- : MAL (préhist.), montagne, vieux terme pré-celtique bien connu des toponymistes. L’exemple type est celui du Malgorry « montagne rouge » au Pays basque nord sur la commune de Bidarray. Cp. Pic de Mallerouge (Hautes-Pyrénées), Tuc de Maledo (Ariège), Les Calles de Malay (Gard), Montagne de Malay (Var), Pointe de Malande (Corse), occ. malh « rocher », arag. mallo « id. », alb. mal(ë) « montagne », drav. mal, mala(i) « id. ».

  • Frédéric Godefroy, dans son vénérable Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, signale par ailleurs que le mot aquit, attesté dans l’usage depuis le Xe siècle, désigne d’abord « la redevance, le péage » ; puis « l’exemption de redevance ou le lieu exempt de redevance, i. e. le lieu franc » ; enfin « l’action d’acquérir, la conquête ».

     

  • Les sites de généalogie rattachent souvent le toponyme Malaquit au sobriquet « malaquin », forgé, dit-on, à partir de mal haquet, « propriétaire d’un mauvais cheval », ou encore à Maelwas, nom celtique du dieu de la mort qui, sous les formes Méléagant et Méliadus, joue un si grand rôle dans le cycle d’Artus 5Vicomte Charles de La Lande de Calan, Les personnages de l’épopée romane, p. 66, Redon, Imprimeries réunies A. Bouteloup, 1900..

 

La lecture du compoix de 1766 (volume 1, p. 98) montre qu’on use indifféremment alors des toponymes Malaquit ou la Devèze pour désigner les champs qui s’étendent au pied de la métairie de Malaquit. Le compoix indique ainsi que Maître Thomas Bauzil, notaire royal, tient dans le moulon n°26, parcelle n°6, un « champ à la Devèze ou Malaquit ». Les deux toponymes se trouvent en l’occurrence sémantiquement associés. J’en déduis que le toponyme Malaquit partage avec son acolyte la Devèze les caractéristiques que Robert Geuljans, dans son Dictionnaire étymologique des langues d’Oc, définit de la manière suivante : Devèze, devèse; deveso, debes en Rouergue, defès en Périgord, est un toponyme très courant; voir par ex. pour le Gard Germer-Durand. L’ancien occitan deveza signifie « terrain réservé ». D’après Pégorier devèse s.f. « défens, réserve, jachère, friche » dans les noms de lieux. Dans l’Aude (cf. Thesoc) et le Cantal debezo « jachère », dans le Cahors debéso « pâturage ». La forme féminine est limitée à l’occitan et désigne le plus souvent une jachère. L’étymon est latin defensum « interdiction » > ancien occitan deves.

La devèse était une jachère, du terrain où le bétail ne pouvait paître qu’avant le labourage et qui lui était interdit après cette période de l’année. 6Cf. Robert Geuljans, Dictionnaire étymologique des langues d’Oc, article Espeisses.

 

Il ressort de l’association des deux toponymes Malaquit et la Devèze que le toponyme Malaquit désigne probablement un mal, un coteau peu fertile et pierreux, des flancs duquel l’usage a voulu qu’on fasse un aquit, ou une devèze, lieu réservé au pâturage, peut-être exempté jadis de redevance. Le toponyme Malaquit figure dans l’intitulé du moulon 26 du compoix mirapicien de 1766, ainsi libellé : « Moulon de la métairie du sieur Pierre Gautier appelée Malaquit et partie de la Devèze ». Le toponyme la Devèze figure une seconde fois, quant à lui, dans l’intitulé du moulon 27 : « Moulon de partie de la Devèze et partie de la Croix del Bastié ». La topographie de la Devèze correspond ici à celle du coteau, dont le front s’étire et ondule entre Mirepoix et Besset. Les fossés qui quadrillent ici les champs servent probablement à canaliser les eaux de ruissellement.

 

Il se peut aussi qu’en raison de la proximité du Bastié, lieu-dit réputé accueillir des chevaux 7Cf. La dormeuse blogue 3 : A Mirepoix – Moulon du Capitoul, font del Bastié ou Bourdette et partie de la Croix del Bastié et encore partie de Ramondé., le toponyme Malaquit ait souffert, par effet de paronymie, du rapprochement avec le sobriquet « malaquin », opéré un jour ou l’autre, qui sait, par la malignité publique ?

Liste des propriétaires des parcelles comprises dans le moulon 26 du compoix mirapicien de 1766

 

1. Jean Antoine Satger, bourgeois : champ traversé d’un fossé à la Devèze ; « cers où il y a une fontaine, et confronte midi Dominique Guilhemat, fossé entre deux »
2. Etienne de Montfaucon : champ à la Devèze
3. Dominique Guilhemat, ancien boulanger : champ à la Devèze ; « confronte d’auta Etienne de Montfaucon et le sieur Antoine Satger où est la fontaine, fossé entre deux »
4. Jeanne Marie Laffage, veuve de Jacques Gautier, faisant autant pour elle que pour Jacques Gautier, son fils : champ à la Devèze
5. Maître Guillaume Letu, notaire royal : champ entouré de fossés à la Devèze
6. Maître Thomas Bauzil, notaire royal : champ à la Devèze ou Malaquit
7. Jean Mesplié, marchand tanneur : champ à Malaquit
8. Jean Arcizet dit Larajade, hôte : champ à Malaquit
9. Jean Arcizet dit Larajade, hôte : champ à Malaquit et à la Devèze
10. Pierre Gautier, marchand : métairie ou autres couverts aire jardin champ et pré
11. Jean Alard, bourgeois : champ traversé par un fossé à la Devèze
12. Louis Serou, brassier : champ à la Devèze
13. Françoise Laffage dite Barrotte : champ à la Devèze
14. Pierre Laffage dit Barrot, brassier : champ à la Devèze
15. Jean Jacques Carrière, brassier : champ à la Devèze
16. Bernard Maris, maréchal à forge : champ à la Devèze
17. Demoiselle Marianne Bataille : champ à la Devèze
18. Etienne de Montfaucon : champ au ruisseau de la Coume del Bourdassié et Malaquit
19. Pierre Gautier, marchand : champ, vigne, paissieu et herm au devant de la métairie de Malaquit/

 

La Révolution n’a pas fait que la métairie de Malaquit change de main. La famille Gautier reste à l’approche du Consulat propriétaire du lieu. Le rôle des contributions de l’an VII (22 septembre 1798 – 22 septembre 1799) indique que « Gautier aubergiste » se trouve imposé à Malaquit pour un total étonnant de « 4 portes et fenêtres » seulement ! La métairie devient ensuite, dans des circonstances que j’ignore, propriété de la famille Maudet. Marianne Maudet, en 1813, transmet la dite métairie par voie de dot à la famille Rouger. Irma Rouger, toujours par voie de dot, transmet à son tour la métairie de Malaquit à la famille Pons-Tande. On connaît la suite. Les descendants de Raymond Escholier et de Marie Louise Pons-Tande restent aujourd’hui propriétaires de la métairie ancestrale.

 

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