De Vals à Assise, deux représentations de la Nativité

 

Ecole du Maître de Pedret, église de Vals, premier quart du XIIe siècle ; Ambrogiotto di Bondone, dit Giotto, détail de la fresque de la Nativité, transept nord de la basilique Saint François à Assise, 1310.

Le hasard des images qui affluent continuellement à notre rencontre m’entraîne ici sur la pente d’une comparaison thématique. Je revisitais dernièrement sur Internet les fresques peintes par Giotto à la basilique Saint François d’Assise. J’ai remarqué à cette occasion l’évidente similitude que la Nativité d’Assise, présente avec la Nativité de Vals, au moins sous le rapport du motif. Un siècle sépare les deux représentations. Le motif s’est intégralement conservé. Il doit à la tradition sa figure invariante, avec au centre la Vierge nouvellement accouchée, en haut les anges, en bas le bain de l’Enfant.

Le rapprochement de ces deux Nativités similaires révèle toutefois, par effet de différence, d’importantes modifications dans le traitement stylistique et dans l’approche culturelle du thème. Il montre par là ce qui fait, sur un thème identique, le propre de deux âges de la représentation. L’art des peintres de Vals, dans ce qu’il a de puissamment spécifique, s’en trouve rétrospectivement éclairé.

Au titre de cette spécificité puissante, on relève d’abord l’usage d’une palette réduite, noir, blanc, gris, rouge, jaune, à l’exclusion du bleu et du vert.

La limitation de la palette induit ici celle des effets proprement pittoresques.

Elle permet ainsi aux images de conserver le statut d’icônes, i. e. d’être, semblablement à l’ostensoir exposé sur le maître autel, le lieu et le moment du visage que Dieu et les siens tournent continuellement vers nous.

La frontalité d’un tel visage fait que nul ne peut se dérober à l’épreuve du divin face à face. La Vierge, elle-même, sous sa couverture somptueusement byzantine, tourne vers nous le regard insondable de la mère de Dieu, depuis les aîtres 1Aîtres : mot d’usage ancien, qui désigne les édifices, les bâtiments. majestueux de la Jérusalem céleste.

 

 

Le bleu dont use plus tard Giotto relève d’une esthétique nouvelle qui signe le dépérissement de l’art de l’icône 2Cf. La dormeuse : Gilbert Durand Le retour du mythe – 2.. Giotto délègue au bleu de la peinture le soin de représenter celui de la nature, celui qu’on voit au ciel par-dessus les toits. Le peintre se réclame ici de la piété franciscaine. Celle-ci tient que Dieu est immédiatement présent à sa Création. Dieu est présent dans le bleu du ciel, dans le dessin de la montagne ; il l’est semblablement dans l’ensemble des beautés terrestres.

La peinture qui entreprend de représenter de telles beautés ouvre ipso facto à la manifestation du divin la terre entière. Rompant avec la clôture des icônes, elle donne à voir la venue de l’Enfant dans le paysage de la Création, parmi les gens et les bêtes qui peuplent cette dernière. Elle fait ainsi de la manifestation divine un événement du monde comme il va, et, plus essentiellement encore, un fait de proximité. Femmes sages et témoins de la Nativité sont figurés dans le costume du temps. L’Enfant porte lui aussi le maillot du temps. Il rejoint, ainsi vêtu, la cohorte de ses petits semblables, qui vont se succédant comme les générations des feuilles.

Anges, Sainte Famille, bêtes et gens, tous sont représentés de profil, dérobant ainsi l’expression du sentiment qui les anime. Le peintre ménage ici le secret des âmes et des corps. Il annonce de la sorte l’avénement d’une piété nouvelle, à la fois plus libre d’elle-même et plus intériorisée. Mais il témoigne aussi du changement qui s’opère au XIVe siècle dans le régime de l’image. Dépouillant le statut numineux 3Numineux : qui s’exerce sur le mode mystérieux du numen. Le mot numen, de nuo, nuere, faire un signe de tête, dénomme en latin la puissance agissante du divin. de l’icône, l’image se laisse désormais regarder de façon passive, déléguant ainsi au seul spectateur la responsabilité de passer son chemin ou de prêter à ce qu’il rencontre attention et sens.

De Vals à Assise, on voit ce qui fait, sur un thème identique, le propre de deux régimes possibles de l’image. Régime d’Assise, images-patience, images-passion. Régime de Vals, images-action.

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