Christine Belcikowski

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Des sociétés populaires et du désenchantement des révolutions, par Charles Nodier, le dériseur

Rédigé par Belcikowski Christine Aucun commentaire

On connaît Charles Nodier aujourd'hui encore pour ses contes : Jean Sbogar, histoire d’un bandit illyrien mystérieux (1818), Smarra, ou les démons de la nuit (1821), Trilby ou le lutin d’Argail (1822), Histoire du roi de Bohême et de ses sept châteaux (1830), La Fée aux miettes (1832, Trésor des fèves et fleur des pois (1833), Inès de Las Sierras (1837), etc. ; on a oublié ses écrits politiques, d'autant que, comme on verra ci-dessous, ceux-ci demeurent politiquement inclassables.

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Ci-dessus :Jean Baptiste Paulin Guérin (1783–1855). Portrait de Charles Nodier.

Jean Charles Emmanuel Nodier (1780-1844), né à Besançon, fils d'Antoine Melchior Nodier, ancien oratorien, puis avocat au parlement de Besançon, élu maire de Besançon en 1790, puis président de tribunal criminel départemental en 1791, est un enfant de la Révolution française. En décembre 1791, âgé de onze ans à peine, il prononce un discours patriotique à la Société des amis de la Constitution de sa ville natale, et en 1792, il devient membre de cette dernière. En septembre et en décembre 1793, il assiste à l'exécution d'une vingtaine de personnes. En juillet 1794, à l'église Sainte Madeleine de Besançon et à l'invitation de la Société populaire, il prononce un éloge d'Agricol Joseph Viala et de Joseph Bara.

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Ci-dessus : portrait d'Agricol Joseph Viala par Jacques Sablet ou Jean-François Garneray (1755-1835). Le 18 messidor an I (6 juillet 1793), à Caumont-sur-Durance, Agricol Joseph Viala, âgé alors de douze ans, est tombé sous les balles des royalistes en criant « M’an pas manqua ! Aquo es egaou ; more per la libertat. » (Ils ne m’ont pas manqué ! c'est égal ; je meurs pour la liberté.)

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Ci-dessus : Charles Moreau-Vauthier (1857-1924). Mort de Bara. Le 17 frimaire an II (7 décembre 1793) à Jallais, près de Cholet, Joseph Bara, âgé alors de quatorze ans, est tombé sous les balles des royalistes en criant : « Vive la République ! »

En 1794, Marie Joseph Chénier, frère cadet du poète André Chénier, dédie à Agricol Joseph Viala et Joseph Bara, dans son Chant du départ (1), les vers suivants :

« De Barra, de Viala le sort nous fait envie ;
Ils sont morts, mais ils ont vaincu.
Le lâche, accablé d’ans n’a point connu la vie :
Qui meurt pour le peuple a vécu !
Vous êtes vaillants, nous le sommes ;
Guidez-nous contre les tyrans :
Les républicains sont des hommes,
Les esclaves sont des enfants. »

Au début de l'année 1831, soit trente-quatre ans après son éloge d'Agricol Joseph Viala et de Joseph Bara, et six mois après la révolution de 1830, Charles Nodier, devenu en 1824 responsable de la bibiothèque de l'Arsenal, publie dans la Revue des deux mondes un article intitulé « Les sociétés populaires ».

« Stupide est la foule qui s'ingère de participer aux grands mouvements des affaires politiques ; stupide, aveugle et insensée, car elle n'entrera jamais pour rien dans leurs résultats. Toute révolution qui échoue tourne au profit des pouvoirs qu'elle avait menacés ; toute révolution qui réussit, au profit des avocats (2). Dans le premier cas, vous n'avez fait que river votre chaîne ; dans le second, ce que vous croyez avoir conquis sur les aristocrates vous est repris par les sophistes. Vous avez transporté au péril de votre vie les dépouilles de la féodalité dans le vestiaire du sénat, et vous restez, quant à vous, ce que vous étiez devant : une mine bonne à exploiter, un troupeau bon à tondre, un peuple.

Le seul avantage que les révolutions aient pour les classes inférieures, et je conviens qu'il vaudrait la peine d'être acheté, si on ne le payait pas si cher, c'est de relever le caractère moral de l'homme en lui donnant pour objet une destination puissante et solennelle qui ne s'accomplira point, mais dont la pensée même a de l'énergie et de la grandeur. C'est une illusion de perspective, mais le prestige qui en résulte est déjà une conquête. » (3)

C'est intéressant de relire en ce mois de décembre 2018 le « Des sociétés populaires » de Charles Nodier.

1. Cf. Jean-François Domine. « Le chant du départ de Marie Joseph Chénier et Etienne Méhul ». In Annales historiques de la Révolution française, 329 | juillet-septembre 2002 : Varia. Le texte complet du chant se trouve reproduit à la fin de l'article.

2. Charles Nodier désigne sous le nom d'« avocats » ou « sophistes » les Girondins et les héritiers politiques de ces derniers.

3. Charles Nodier. « Les sociétés populaires ». In Revue des deux mondes : recueil de la politique, de l'administration et des moeurs, pp. 413-414. 1831-01.

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