Christine Belcikowski

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À Montpellier, en novembre 1653, du beau monde au baptême d'Armande Béjart

Rédigé par Belcikowski Christine 2 commentaires

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Ci-dessus : Pierre Mignard. Portrait d'Armande Béjart ca 1660.

Le 23 janvier 1662, Molière et Armande Béjart signent à Paris leurs pactes de mariage.

« Furent presens Jean-Baptiste Pocquelin de Moliere, demeurant à Paris, rue Sainct-Thomas- du-Louvre, parroisse Sainct-Germain-de-l'Auxerrois, pour luy, en son nom, d'une part, et damoiselle Marie Hervé, veufve de feu Joseph Bejard, vivant escuier, sieur de Belleville, demeurante à Paris dans la place du Pallais royal, stipullante en cette partye pour damoiselle Armande Gresinde Claire Elizabeth Bejart, sa fille et dudict deffunct sieur de Belleville, aagée de vingt ans ou environ, à ce presente de son voulloir et consentement, d'autre part, lesquelles partyes, en la presence, par l'advis et conseil de leurs parens et amis, scavoir de la part dudict sieur de Moliere, de sieur Jean Pocquelin, son pere, tapissier et vallet de chambre du roy, le sieur André Boudet, marchand bourgeois de Paris, beau-frere à cause de dame Marie-Magdelaine Pocquelin, sa femme, et de la part de ladicte damoiselle Armande Gresinde Claire Elizabeth Bejard, de damoiselle Magdelaine Bejard, fille usante et jouissante de ses biens et droictz soeur de ladicte damoiselle, et de Louis Bejard, son frere, demeurans avec ladicte damoiselle leur mere dans ladicte place du Pallais royal, ont faict et accordé entre elles, de bonne foy, les traicté et conventions de mariage qui ensuivent : » (1)

Le 20 février 1662, en l'église de Saint Germain l'Auxerrois, Molière et Armande Béjart reçoivent la bénédiction nuptiale.

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Ci-dessus : église de Saint Germain l'Auxerrois vers 1550. Détail du plan de Truschet et Hoyau.

« Du lundy vingtiesme.
Jean-Baptiste Poquelin, fils de sieur Jean Poquelin et de feue Marie Cresé, d'une part, et Armande Gresinde Bejard, fille de feu Joseph Bejard et de Marie Hervé, d'aultre part, tous deux de ceste parroisse, vis à vis le Palais royal, fiancés et mariés tout ensemble, par permission de Monsieur de Comtes, doyen de Nostre-Dame et grand-vicaire de Monseigneur le cardinal de Retz, archevesque de Paris (1529), en presence dudit Jean Poquelin, pere du marié, et de André Boudet, beau-frere du marié, et de ladite Marie Hervé, mere de la mariée et Louis Bejard et Magdeleine Bejard, frere et soeure de ladite mariée et d'autres, avec dispense de deux bans.

Signé : J. B. Poquelin, J. Pocquelin, Louys Bejard, Armande Grexinde Bejart, A. Boudet, Beiart, Marie Hervé. » (2)

Dite aagée de vingt ans ou environ lors de son mariage, Armande Béjart serait donc née en 1642. Un secret pèse toutefois sur sa naissance. On ne sait trop en effet si elle est une fille posthume de Joseph Béjart (1585-1641) et de Marie Hervé (âgée de 49 ans en 1642), ou une fille non reconnue d'Esprit de Rémond (1608-1669), seigneur de Modène, et de Madeleine Béjart, née le 8 janvier 1618, fille elle-même de Joseph Béjart et de Marie Hervé. On ne sait trop, autrement dit, si Armande Béjart est la sœur ou la fille de Madeleine Béjart. Tous les contempains de Molière, en tout cas, ont tenu Armande Béjart pour la fille de Madeleine Béjart.

Le 22 juin 1641, « Jérémie Derval, conseiller et secrétaire des finances de Gaston d'Orléans, demeurant rue des Tournelles, baille pour quatre ans à Joseph Béjart, huissier héréditaire ordinaire du roi au siège de la table de marbre du Palais, demeurant rue de Thorigny, une petite maison sise sur le derrière du logis où demeure le nommé Tassin, sise rue des Tournelles, près la maison de Derval... » (3)

Le 18 septembre 1841, « Bernard Fontaine, maître charpentier, demeurant rue Neuve-Saint-Martin, promet à Marie Hervé, veuve de Joseph Béjart, vivant bourgeois de Paris, demeurant rue de la Perle, d'exécuter les travaux de charpenterie et de maçonnerie [demandés rue de la Perle] moyennant 600 livres tournois... » (4)

Le 10 mars 1643, « Marie Hervé, veuve de Georges (sic) Béjart, agissant au nom de Joseph, Madeleine, Geneviève, Louis et une petite non baptisée, enfants mineurs d'elle et dudit défunt, déclare renoncer à la succession de ce dernier. » (5)

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Ci-dessus : Pierre Mignard. Portrait d'Armande Béjart ca 1660.

La ravissante Armande Béjart qui épouse Molière en 1662 est probablement cette petite non baptisée de mars 1643. L'enfant a peut-être été ondoyée, ondoyée seulement, à fin de discrétion concernant le secret de ses origines, mais l'on n'a pas trouvé d'acte correspondant.

La petite non baptisée de mars 1643 n'a toutefois pas pu épouser, dix neuf ans plus tard en l'église Saint Germain l'Auxerrois, le déjà célèbre Molière, sans avoir produit un acte de baptême. Mais là non plus, on n'a pas trouvé d'acte correspondant. La plupart des historiens de Molière tiennent cependant que ce baptême a dû être célébré en novembre 1653, à Montpellier, alors que la troupe de l'Illustre Théâtre se trouvait reçue par le comte d'Aubijoux, à l'occasion de la visite du prince de Conti, sachant que le prince de Conti, qui avait accordé à la troupe de l'Illustre Théâtre l'autorisation de porter son nom, a séjourné chez le comte d'Aubijoux du 10 novembre au début du mois de décembre 1643.

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Ci-dessus : portrait d'Armand de Bourbon (1629-1666), Prince de Conti.

En janvier 1649, Armand de Bourbon, Prince de Conti, Pair de France, Comte de Pézenas, Chevalier des ordres du Roi, gouverneur et lieutenant général de Sa Majesté en Guyenne, puis Vice-Roi de Catalogne, a pris parti pour la Fronde. Arrêté et emprisonné en janvier 1650, libéré en février 1651, puis réfugié à Bordeaux, dernière ville frondeuse, il capitule le 31 juillet 1653 et obtient l'autorisation de se retirer en Languedoc, à Pézenas, dans son château de La Grange-des-Prés.

Il se trouve que les États du Languedoc se sont tenus à Pézenas du 17 mars 1653 au 31 mai 1653 ; que les trois lieutenants généraux du Languedoc — l'un pour les diocèses de Velay, Vivarais et Gévaudan ; l'autre pour les diocèses d'Uzés, Nîmes, Montpellier, Aide et Lodève ; et le troisième pour le Haut-Languedoc, contenant les diocèses de Toulouse, Narbonne, Béziers Saint-Pons de Thomières, Saint-Papoul, Castres, Lavaur, Albi, Montauban, Lombez, Rieux, Pamiers, Carcassonne, Mirepoix et Alet (6) — étaient présents à ces États ; qu'il n'ont pas manqué de se rendre à Montpellier, chez le comte d'Aubijoux, en novembre 1653, afin de rendre hommage au Prince de Conti ; et que l'Illustre Théâtre a donné représentation devant ces messieurs pendant les États, avant de gagner Montpellier en novembre 1653.

En 1653, Jacques François d'Amboise (1606-1656) (7), Comte d'Aubijoux, seigneur de Castelnau-de-Lévis et de Graulhet, est lieutenant général de Sa Majesté en Languedoc et gouverneur de Montpellier. Molière bénéficie de son amitié et de sa protection durant ses dix années de tournées en Languedoc, de 1647 à 1657.

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Ci-dessus : Scipion Grimoard de Beauvoir (?-1669), comte du Roure.

En 1653, Scipion Grimoard de Beauvoir, Comte du Roure, Marquis de Grisac, Baron de Bariac, Chevalier des ordres du Roi, est lieutenant général en Languedoc et gouverneur de Pont-Saint-Esprit. En novembre 1653, avec Grésinde de Baudan (1620-1658), son épouse, il se rend à Montpellier, chez le comte d'Aubijoux, afin de rendre hommage au Prince de Conti.

En 1653, Louis de Cardaillac de Lévis († 1666), Comte de Bioule, Marquis de Cardaillac, Baron de Lapenne (Ariège), Chevalier des ordres du Roi, est lieutenant général en Languedoc et gouverneur du Puy. En novembre 1653, avec Marie Isabeau Mitte de Saint-Chamond, son épouse, il se rend lui aussi à Montpellier, chez le comte d'Aubijoux, afin de rendre hommage au Prince de Conti.

Ce sont les prénoms dont Armande Béjart fait état à partir de son mariage avec Molière et dans tous les actes postérieurs à ce mariage qui confortent la certitude de son baptême en novembre 1653. Armande Grésinde Claire Élisabeth Béjart... D'où la jeune femme tient-elle ces quatre prénoms, dont tout particulièrement le « Grésinde », si rare ?

« Autour d’Aubijoux et de sa sœur Élisabeth d'Amboise (†1694), Comtesse d'Aubijoux, Baronne de Castelnau, Dame de Belesta, Dame de Sauveterre, épouse du sénéchal de Montpellier, les deux autres lieutenants généraux étaient venus rendre leurs hommages au prince, et Madeleine Béjart en profita pour solliciter les uns et les autres. Grâce à l’intercession des dames, il ne dut pas être difficile de convaincre Conti de donner son nom, comme parrain, à la fille de la plus célèbre comédienne de sa nouvelle troupe. Ainsi Armand de Bourbon avait-il donné le premier prénom à la fillette ; la femme du comte du Roure donna le prénom si rare de Grésinde (variante de Guersande) et la sœur d’Aubijoux, celui d’Élisabeth — prénom par ailleurs de Marie Isabeau (Élisabeth) Mitte de Saint-Chamond, femme du troisième lieutenant général du Languedoc, le comte de Bioules. [À noter également que Joseph Béjart et Marie Hervé, parents d'Armande Grésinde Claire Élisabeth Béjart, ont eu en 1620 une petite Élisabeth Béjart, morte jeune]. Reste le mystère du prénom Claire : un demi-mystère quand on s’avise que les Clarisses comptaient plusieurs couvents dans le Languedoc, à Béziers et à Montpellier notamment, et que sainte Claire était particulièrement célébrée cette année-là dans la région pour avoir empêché la peste d’atteindre Béziers et de se répandre au-delà » (8).

Marie Isabeau Mitte de Saint-Chamond, comtesse de Bioules, qui deviendra à la mort de son époux, en 1666, seigneuresse de Lapenne, près de Mirepoix (Ariège), et qui possédait à Manses (Ariège), entre autres, le château et le moulin à blé de la Mondonne, a vu ainsi, de ses yeux vu, l'Illustre Théâtre, Molière et Armande Grésinde Claire Élisabeth Béjart, future épouse du grand homme, à Montpellier, en novembre 1653 ! De la baronnie de Lapenne, Ariège, à Molière et aux siens, dans l'esprit de qui rêve aux distances géographiques et aux histoires du passé, le monde est petit !

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Ci-dessus : Pierre Mignard. Portrait de Molière en 1658.

1. Pacte de mariage de Molière et d'Armande Béjart. Archives nationales. Réserve : MC/MI/RS/386. Transcription par Madeleine Jurgens et Elizabeth Maxfield-Miller in Cent ans de recherches sur Molière, sur sa famille et sur les comédiens de sa troupe.

2. Original détruit : registre paroissial de Saint-Germain-l'Auxerrois, n° 161, détruit en 1871. Transcription par Auguste Jal, in Dictionnaire critique de biographie et d'histoire, p. 871. Paris 1872. Fac-simile du document (d'après un calque de l'original), dans Œuvres de Molière, I, p. 104-105. Union latine d'éditions. Paris. 1930.

3. Archives nationales. Cote : MC/ET/CV/637. Transcription par Madeleine Jurgens et Elizabeth Maxfield-Miller in Cent ans de recherches sur Molière, sur sa famille et sur les comédiens de sa troupe.

4. Archives nationales. Cote : MC/ET/LXXXVII/118. Transcription par Madeleine Jurgens et Elizabeth Maxfield-Miller in Cent ans de recherches sur Molière, sur sa famille et sur les comédiens de sa troupe.

5. Archives nationales. Cote : Arch. nat., Y//3912. Eudore Soulié. Recherches sur Molière et sur sa famille, p. 172-173. Paris, 1863.

6. Cf. Vice roys, gouverneurs, lieutenants généraux, baillifs et sénéchaux des royaumes et provinces de l'Europe ; tome Ier, p. 207, par Pierre Gaucher, dit Scévole de Sainte-Marthe, escuyer, seigneur de Meré et des Lyonnières, conseiller du Roy en ses Conseils, maître d'hôtel de Sa Majesté, historiographe de France (1675).

7. Jacques François d'Amboise, Comte d'Aubijoux, est fils de François d'Amboise, comte d'Aubijoux, et de Louise de Lévis ; d'où, petit-fils de Louis d'Amboise, comte d'Aubijoux, marié au hâteau de Gaudiès (Ariège) avec Blanche de Lévis Ventadour ; et petit-fils de Jean Claude de Lévis Léran, Baron d'Audou, seigneur de Belesta, et de Christolette de Vercoignan, troisième épouse de ce dernier.

8. Georges Forestier. Molière, p. 217. Éditions Gallimard. 2018.

Classé dans : Histoire Mots clés : aucun

2 commentaires

#1  - Pierre Sidoine a dit :

Très bel et passionnant article. Le portrait de Molière en 1658 est superbe.

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#2  - Belcikowski Christine a dit :

Le portrait d'Armande Béjart est,à mon goût, superbe aussi.

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