Christine Belcikowski

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Automne 1838. Quand Charles Baudelaire vient aux Pyrénées

Rédigé par Belcikowski Christine 2 commentaires

Charles Baudelaire, en 1838, est âgé de dix-sept ans. Fin août 1838, avant sa rentrée en classe de Philosophie à Louis-le-Grand, il part en diligence rejoindre, via Toulouse, Caroline Dufaÿs, sa mère, et Jacques Aupick, son beau-père, à Barèges. Il y passe « quinze jours à courir à pied, à cheval » (1), jusqu'à Bagnères-de-Bigorre. En octobre 1838, il évoque ses impressions des Pyrénées dans une lettre adressée à son frère Alphonse, et il compose le poème reproduit ci-dessous. Recueilli par les éditeurs après la mort de l'écrivain, ce poème, initialement non titré, se trouve parfois proposé sous le titre, bien mal inspiré, de « Incompatibilité ».

Tout là-haut, tout là-haut, loin de la route sûre,
Des fermes, des vallons, par delà les coteaux,
Par delà les forêts, les tapis de verdure,
Loin des derniers gazons foulés par les troupeaux,

On rencontre un lac sombre encaissé dans l'abîme
Que forment quelques pics désolés et neigeux ;
L'eau, nuit et jour, y dort dans un repos sublime,
Et n'interrompt jamais son silence orageux.

Dans ce morne désert, à l'oreille incertaine
Arrivent par moments des bruits faibles et longs,
Et des échos plus morts que la cloche lointaine
D'une vache qui paît aux penchants des vallons.

Sur ces monts où le vent efface tout vestige,
Ces glaciers pailletés qu'allume le soleil,
Sur ces rochers altiers où guette le vertige,
Dans ce lac où le soir mire son teint vermeil

Sous mes pieds, sur ma tête et partout, le silence,
Le silence qui fait qu'on voudrait se sauver,
Le silence éternel et la montagne immense,
Car l'air est immobile et tout semble rêver.

On dirait que le ciel, en cette solitude,
Se contemple dans l'onde, et que ces monts, là-bas,
Écoutent, recueillis, dans leur grave attitude,
Un mystère divin que l'homme n'entend pas.

Et lorsque par hasard une nuée errante
Assombrit dans son vol le lac silencieux,
On croirait voir la robe ou l'ombre transparente
D'un esprit qui voyage et passe dans les cieux.

bareges.jpg

Ci-dessus : Barèges et la vallée du Bastan. Hautes-Pyrénées. Charles Mercereau, lithographe. In La France de nos jours. Nº 335. F. Sinnett. Paris. 1853-1876.

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1. Lettre de Charles Baudelaire à Alphonse Aupick, son demi-frère. 23 octobre 1838. Correspondance générale. I, p. 64. Gallimard. Pléiade. Paris. 1993.

2. Charles Baudelaire. Poésies de jeunesse. Poésies diverses. In Œuvres complètes. Volume I, p. 199. Gallimard. Pléiade. Paris. 1975.

Classé dans : Poésie Mots clés : aucun

2 commentaires

#1  - martine GTM a dit :

j'ai bien aimé
merci
mais comme on en veut toujours plus ...., curieuse de la lettre à Alphonse

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#2  - Gilles a dit :

Incroyable, Dans ce poème tout est la en germe : ça commence par Élévation, puis chant d’automne, le carillon qui chante dans la brume, on entends les correspondances, le spleen et l’ideal.
Je lis le livre de Marie-Christine Natta et en cherchant le voyage à Bareges suis tombé sur votre Blog.
Merci

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