Christine Belcikowski

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En 1822, mariage d'Henry Adolphe Bossange et de Jeanne Lebatard

Rédigé par Belcikowski Christine Aucun commentaire

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Ci-dessus : aujourd'hui, vue du nº 5 du quai Malaquais, siège de l'étude du notaire Antoine Jules Fourchy en 1822.

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Archives nationales. Minutes et répertoires du notaire Antoine Jules Fourchy, 8 janvier 1819-12 mars 1851 (étude LVIII). Cote : MC/ET/LVIII/693.

Daté du 18 juillet 1822, le contrat de mariage d'Henri Adolphe Bossange et de Jeanne Lebatard fournit un intéressant exemple d'application du droit matrimonial tel que celui-ci s'exerce sous la Restauration, d'après le Code civil de 1804.

I. Le contrat

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Ci-dessus : adresse d'Henri Adolphe Bossange en 1822, « Paris rue de Seine nº 12 faubourg Saint-Germain » aujourd'hui.

« Le 18 juillet 1822 à Paris, chez Maître Antoine Jules Fourchy, Monsieur Henri Adolphe Bossange, libraire, demeurant à Paris rue de Seine nº 12 faubourg Saint-Germain, fils majeur de M. Martin Bossange, libraire, demeurant à Paris rue de Tournon nº 6, et de de Marie Josèphe Rosalie Tardieu, décédée, son épouse, stipulant et contractant pour lui en son nom personnel, d'une part ;

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Ci-dessus : adresse de Jeanne Lebatard en 1822, « Paris rue de Bussy nº 6 faubourg Saint-Germain » aujourd'hui.

et Demoiselle Jeanne Lebatard, célibataire majeure, demeurant à Paris rue de Bussy nº 6 faubourg Saint-Germain, fille de M. René Lebatard, décédé à Paris le premier septembre 1809, et de Jeanne Legenissel, aujourd'hui sa veuve, demeurant à Vincennes, stipulant et contractant pour elle en son nom propre, d'autre part ;

ont arrêté de la manière suivante les clauses et conditions civiles de leur mariage, qui doit être incessamment célébré à la mairie du dixième arrondissement de Paris.

Article 1
Les futurs époux se marient sans communauté de biens et adoptent en conséquence le régime établi par les articles 1530,1531, 1532 et 1533 du Code civil.

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Ci-dessus : article 2 du contrat de mariage d'Henri Adolphe Bossange, fils cadet du célèbre imprimeur Martin Bossange.

Article 2
Le futur époux se marie avec les biens et droits à lui appartenant et dont il est inutile de faire aucun état ni évaluation au moyen des autres dépositions du présent contrat.

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Ci-dessus : article 3 du contrat de mariage de Jeanne Lebatard, fille de l'inconnu René Lebatard.

Article 3
La future épouse apporte un trousseau d'habits, linge, hardes, bijoux et autres effets à son usage personnel, de valeur de 3.000 francs.

Article 4
Lors de la dissolution du mariage la future épouse ou son représentant reprendront :
1° Les effets à l'usage personnel de la future jusqu'à concurrence de la somme de 3.000 francs, valeur de son trousseau ;
2° Tout ce qui aura pu être échu à la future épouse par succession, donation, legs ou autrement, soit en immeubles, soit en meubles, pourvu toutefois, à l'égard de ces derniers biens, qu'ils aient été constatés par un inventaire ou par tout autre acte suffisant pour prouver leur existence.
Le futur époux sera personnellement garant et responsable desdites reprises jusqu'à la dissolution du mariage ou jusqu'à la séparation de biens si elle venait à être prononcée.
Si ce n'est pas la future épouse qui fait elle-même les reprises ci-dessus mentionnées, le futur époux pourra si bon lui semble se dispenser de rendre les objets mobiliers corporels qui existeraient encore en [illisible, tache d'encre], en payant aux représentants de la future épouse la valeur de ces objets, savoir pour le trousseau d'après l'estimation qui en aura été faite par l'inventaire ou autre acte constatant leur existence.

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Ci-dessus : en 1822, article 5 du contrat de mariage d'Henri Adolphe Bossange et de Jeanne Lebatard.

Article 5
Tous les biens meubles et immeubles autres que ceux sujets à reprise d'après l'article 4 qui précède, seront réputés appartenir au futur époux.

Article 6
Les futurs époux se font par ces présentes donation entre vifs, par simple et irrévocable en faveur du survivant d'eux, et accepté respectivement pour le survivant, de l'usufruit et jouissance de tous les... [la fin manque] ».

II. Majorité civile et majorité matrimoniale

« Monsieur Henri Adolphe Bossange, libraire », est dit dans le contrat ci-dessus « fils majeur de... », et « Demoiselle Jeanne Lebatard, célibataire majeure... fille de... » Assorties d'une connotation légèrement désavantageuse pour la demoiselle, les formules « fils majeur » et « célibataire majeure » ne disent pas l'âge des futurs époux. L'absence des parents à la signature du contrat indique que lesdits futurs époux ont atteint l'âge de la majorité matrimoniale.

Alors que le décret du 20 septembre 1792 fixait 21 ans pour les deux sexes l'âge de la majorité civile et celui de la majorité matrimoniale, le Code civil de 1804 fixe la majorité civile à 21 ans, et la majorité matrimoniale à 21 ans pour les filles et 25 ans pour les garçons (1). Henri Adolphe Bossange a donc 25 ans accomplis, et Jeanne Lebatard 21 ans accomplis.

III. Les articles 1530,1531, 1532 et 1533 du Code civil de 1804

Section IX. Des Conventions exclusives de la Communauté.

1529.
Lorsque, sans se soumettre au régime dotal, les époux déclarent qu’ils se marient sans communauté, ou qu’ils seront séparés de biens, les effets de cette stipulation sont réglés comme il suit.

§. Ier. De la clause portant que les époux se marient sans communauté.

1530.
La clause portant que les époux se marient sans communauté, ne donne point à la femme le droit d’administrer ses biens, ni d’en percevoir les fruits : ces fruits sont censés apportés au mari pour soutenir les charges du mariage.

1531.
Le mari conserve l’administration des biens meubles et immeubles de la femme, et, par suite, le droit de percevoir tout le mobilier qu’elle apporte en dot, ou qui lui échoit pendant le mariage ; sauf la restitution qu’il en doit faire après la dissolution du mariage, ou après la séparation de biens qui serait prononcée par justice.

1532.
Si dans le mobilier apporté en dot par la femme, ou qui lui échoit pendant le mariage, il y a des choses dont on ne peut faire usage sans les consommer, il en doit être joint un état estimatif au contrat de mariage, ou il doit en être fait inventaire lors de l’échéance, et le mari en doit rendre le prix d’après l’estimation.

1533.
Le mari est tenu de toutes les charges de l’usufruit.

IV. De la Dissolution de la Communauté d'après le Code civil de 1804

Section III. De la Dissolution de la Communauté, et de quelques-unes de ses suites.

Article 1441.
La communauté se dissout
1º par la mort naturelle ;
2º par la mort civile ;
3º  ̶p̶a̶r̶ ̶l̶e̶ ̶d̶i̶v̶o̶r̶c̶e̶ ;
4º par la séparation de corps ;
5º par la séparation de biens.

Antérieurement rendu possible par une loi du 20 septembre 1792, le divorce se trouve barré ci-dessus, car il a été supprimé le 8 mai 1816 par la loi Bonald et ne sera rétabli que le 27 juillet 1884 par la loi Naquet.

Indépendamment du cas de la mort naturelle et de celui de la mort civile, reste aux époux qui ne s'entendraient la possibilité seule de la séparation de corps. Les articles 307, 308, 309 et 311 du Code civil de 1804 règlent la séparation de corps de la façon qui suit :

CHAPITRE V. De la séparation de corps.

307.
Elle sera intentée, instruite et jugée de la même manière que toute autre action civile : elle ne pourra avoir lieu par le consentement mutuel des époux.

308.
La femme contre laquelle la séparation de corps sera prononcée pour cause d’adultère, sera condamnée par le même jugement, et sur la réquisition du ministère public, à la reclusion dans une maison de correction pendant un temps déterminé, qui ne pourra être moindre de trois mois ni excéder deux années.

309.
Le mari restera le maître d’arrêter l’effet de cette condamnation, en consentant à reprendre sa femme.

311.
La séparation de corps emportera toujours séparation de biens.

IV. Commentaire

Tel que régi par le Code civil de 1804, le contrat de mariage reproduit ci-dessus demeure au regard d'aujourd'hui scandaleusement inégalitaire. L'épouse s'y voit traitée comme une mineure juridique et, en cas d'adultère, comme une lamentable pécheresse. Elle ne peut administrer elle-même ses biens ni en percevoir elle-même les fruits, puisque « ces fruits sont censés apportés au mari pour soutenir les charges du mariage ». Et, convaincue d'adultère, elle risque, au gré de son époux, de trois mois à trois ans dans une maison de correction !

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Ci-dessus : aujourd'hui, à Paris, vue du passage Saint-Roch.

Le 5 juillet 1845, quand Victor Hugo, époux d'Adèle Foucher, et Léonie d'Aunet, épouse du peintre Auguste Biard, seront surpris en flagrant délit d'adultère dans leur nid d'amour du passage Saint-Roch, Madame Biard écopera d'une incarcération de deux mois, et Victor Hugo rentrera chez lui sans autre forme de procès...

V. Suite de l'histoire

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Ci-dessus : à Paris, vue du nº 22 de la rue Cassette aujourd'hui.

Après leur mariage, Henri Adolphe Bossange et Jeanne Lebatard déménagent au nº 22 de la rue Cassette, où Henri Adolphe installe sa nouvelle librairie. Jeanne Lebatard se plaint qu'il la délaisse et qu'il poursuit des aventures avec des actrices. Adolphe Bossange reconnaît en 1827 la paternité d'Henriette Adolphine, née la même année, de Louise Elizabeth Debieffe. En 1827, Henri Adolphe Bossange connaît dans son activité d'imprimeur-libraire des difficultés financières. Il poursuit dans le même temps une liaison avec Virginie Déjazet, qui joue de 1828 à 1831 au théâtre des Nouveautés. En 1829, il devient directeur du thâtre des Nouveautés. Parallèlement à cette activité, il collabore avec Frédéric Soulié à la rédaction de diverses pièces de théâtre.

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Ci-dessus : à Paris, vue du nº 7 de la rue Grange-Batelière aujourd'hui.

Après la représentation de la Christine à Fontainebleau de Frédéric Soulié le 13 octobre 1829, Jeanne Lebatard devient clandestinement la maîtresse de l'auteur. Le 3 juin 1830, Henri Adolphe Bossange souscrit à la liquidation de son activité de libraire-imprimeur. Il devient alors directeur du Théâtre des Variétés. Jeanne Lebatard, elle, après la représentation de la Clotilde dont Frédéric Soulié et son mari sont les auteurs associés, s'installe en septembre 1832 chez Frédéric Soulié, au n° 7 de la rue Grange-Batelière. Le 13 avril 1836, Henri Adolphe Bossange obtiendra du tribunal civil de la Seine, une séparation de biens relative à Jeanne Lebatard, qui demeure à cette date son épouse légitime...

Pour connaître la suite de l'histoire, cf. Christine Belcikowski, Le roman vrai de Frédéric Soulié, II. À Paris. Je dédicacerai l'ouvrage le dimanche 7 juillet 2019 au Salon Mirenpages de Mirepoix, sous la halle.

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1. L'âge de la majorité matrimoniale se déduit de l'article 148 : « Le fils qui n’a pas atteint l’âge de vingt-cinq ans accomplis, la fille qui n’a pas atteint l’âge de vingt-un ans accomplis, ne peuvent contracter mariage sans le consentement de leurs père et mère ; en cas de dissentiment, le consentement du père suffit. »

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